ADLC, 24 octobre 2016, n° 16-DCC-160
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
relative à la prise de contrôle exclusif des sociétés Cardinal, Menuiserie Cardinal, Le Chêne Constructions et Les Crépis d'Armor par la société NGE SAS
L'Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé au service des concentrations le 2 septembre 2016 et déclaré complet le 21 septembre 2016, relatif à la prise de contrôle exclusif des sociétés Cardinal, Menuiserie Cardinal, Le Chêne Constructions et Les Crépis d'Armor par la société NGE SAS, formalisée par un contrat de cession d'actions et de garantie en date du 31 juillet 2016 ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ; Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l'instruction ; Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l'opération
1. NGE SAS (ci-après " NGE ") est une société par actions simplifiée contrôlée exclusivement par la société holding Financière Saint Anne (ci-après " FSA ") qui détient [...] % de son capital et [...]% des droits de vote. Le reste du capital est détenu par plusieurs actionnaires minoritaires dont aucun ne dispose de droits de veto de nature à lui octroyer une influence déterminante sur les décisions stratégiques de la société. NGE est spécialisée dans les travaux publics et exerce ses activités au travers de plusieurs filiales (ci-après " le groupe NGE "). Le groupe NGE est organisé autour de six principaux domaines d'activités : (i) terrassement et voiries et réseaux divers, (ii) canalisations et réseaux, (iii) travaux géotechniques et de sécurisation, (iv) génie civil, (v) route et équipements de la route et (vi) ferroviaire.
2. FSA est contrôlée exclusivement par la société Prométhée Group, maison mère du groupe Prométhée, elle-même contrôlée par M. Joël Rousseau. Hormis le groupe NGE qui regroupe les activités de construction, les activités du groupe Prométhée sont réparties en différents pôles : le pôle hôtels, le pôle énergie, le pôle carrières et le pôle cosmétiques.
3. Les sociétés Cardinal, Menuiserie Cardinal, Le Chêne Constructions et Les Crépis d'Armor (ci-après ensemble " les cibles ") sont détenues par la Holding Cardinal Edifice, maison mère du groupe Cardinal Edifice. La société Cardinal est active dans le secteur de la construction de tous types de bâtiments et couvre les trois grandes étapes du projet, la conception, la réalisation et l'exploitation. Elle est aussi constructeur de maisons individuelles et assure la conception et la construction de maisons sur mesures. La société Menuiserie Cardinal a pour activité l'étude, la fabrication et la pose de charpentes et les travaux de menuiseries extérieures et intérieures pour les chantiers de neuf ou de rénovation. La société Le Chêne Constructions a pour activité les travaux de gros œuvre et de maçonnerie. Enfin Les Crépis d'Armor est une société spécialisée dans le ravalement et l'isolation par l'extérieur.
4. L'opération, formalisée par contrat de cession d'actions et de garantie en date du 31 juillet 2016, consiste en l'acquisition de la totalité du capital des sociétés constitutives de la cible par NGE. Cette opération, qui se traduit par la prise de contrôle exclusif de la cible par NGE, constitue une concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce.
5. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d'affaires hors taxes total sur le plan mondial de plus de 150 millions d'euros (groupe Prométhée : [...] d'euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2015 ; les cibles : [...] d'euros pour le même exercice clos). Chacune de ces entreprises a réalisé en France un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions d'euros (groupe Prométhée : [...] d'euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2015 ; les cibles : [...] d'euros pour le même exercice clos). Compte tenu de ces chiffres d'affaires, l'opération ne relève pas de la compétence de l'Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l'article L. 430-2 du Code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
6. Au sein des activités de construction, la pratique décisionnelle opère une distinction entre, d'une part, le secteur du bâtiment, et d'autre part, celui des travaux publics. NGE est active sur les marchés des travaux publics et du bâtiment, tandis que la cible est présente uniquement sur le marché du bâtiment. Le premier marché nécessite néanmoins une analyse au titre des effets congloméraux.
A. LE SECTEUR DES TRAVAUX PUBLICS
1. MARCHÉS DE PRODUITS
7. Sur la base d'une nomenclature établie par la Fédération nationale des travaux publics (" FNTP ") 1, les autorités de concurrence nationales ont considéré2 qu'au regard du niveau de spécialisation constaté pour ces différentes catégories de travaux, il convenait de distinguer plusieurs marchés au sein du secteur des travaux publics, à savoir :
- au sein des travaux routiers, les marchés de la fabrication des produits de revêtements de chaussée, d'une part, et un marché de la pose de ces revêtements, d'autre part ;
- les marchés du terrassement à l'air libre (simple et moyen et en grande masse) ;
- les marchés des travaux de voies ferrées ;
- les marchés des fondations spéciales ;
- les marchés des travaux de réseaux, canalisation et autres, en souterrain (dont les travaux de la filière eau) ;
- les marchés généraux du génie civil avec, en premier lieu, les ouvrages d'art et d'équipement industriel, le génie civil d'usines, le génie civil de stations de traitement des eaux et de réservoirs et, en deuxième lieu, les travaux souterrains (ouvrages souterrains de circulation, d'adduction ou d'évacuation d'eau, de stockage) et en troisième lieu, les travaux en site maritime ou fluvial.
8. Il n'y a pas lieu de revenir sur cette délimitation à l'occasion de la présente opération.
9. En l'espèce, NGE est active sur les marchés du terrassement et des fondations spéciales, tandis que les cibles sous-traitent ces prestations dans le cadre de réponses à des appels d'offres.
2. MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES
10. La pratique décisionnelle nationale a relevé3 que, dans leur grande majorité, les activités de travaux publics revêtaient une dimension locale. Il n'a par ailleurs pas été exclu que certains marchés de produits aient une dimension nationale.
11. La question de la définition géographique exacte peut toutefois rester ouverte dans la mesure où, quelle que soit la délimitation retenue, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeureront inchangées.
B. LE SECTEUR DU BATIMENT
1. MARCHÉS DE PRODUITS
12. Dans le secteur du bâtiment, la pratique décisionnelle distingue le gros œuvre, qui concerne la structure du bâtiment (fondation, murs, couverture, etc.), du second œuvre qui concerne pour sa part l'habillage et les équipements de ladite structure (réseaux d'alimentation divers, isolation, etc.)4.
13. Que ce soit aussi bien au sein du gros œuvre que du second œuvre, la pratique décisionnelle envisage une première segmentation selon que les travaux sont effectués pour des clients professionnels (publics et commerciaux) ou des particuliers. Une seconde segmentation selon l'usage du bâtiment, faisant la distinction entre les bâtiments résidentiels et non résidentiels, a également été considérée.
14. S'agissant plus particulièrement du second œuvre, les autorités de concurrence5 se sont interrogées sur une possible segmentation par métier, distinguant les travaux de peinture (peinture industrielle, extérieure et ravalement), de plâtrerie (pose de plâtre en poudre et de plaques de plâtre, mis à part les travaux de pose de plaques de plâtre formants plafonds et cloisons), de plafonds (pose de plafonds tendus, suspendus ou en plaques de plâtre), de cloisons (pose de cloisons séparation, de cloisons modulaires ou de cloisons de plaques de plâtre) et de menuiserie (sur bois, plastique ou métal).
15. En l'espèce, les activités des parties se chevauchent sur les marchés des bâtiments de gros œuvre. La cible est également active sur les marchés du second œuvre.
16. Il n'y a pas lieu de remettre en cause ces délimitations à l'occasion de l'examen de la présente opération. En toute hypothèse, en l'absence de problème concurrentiel, la question de la délimitation exacte des marchés du bâtiment peut demeurer ouverte.
2. MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES
17. La pratique décisionnelle retient une dimension nationale pour les marchés du secteur du bâtiment6.
18. La pratique décisionnelle nationale a en outre envisagé, dans le cas particulier des travaux de second œuvre, une dimension régionale7 en raison notamment du nombre important d'acteurs locaux. La pratique nationale relève cependant que pour certains chantiers de grande taille, la dimension des marchés des travaux de second œuvre peut excéder la région.
19. Au cas d'espèce, la question de la délimitation exacte des marchés peut être laissée ouverte dans la mesure où quelle que soit la délimitation retenue, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeureront inchangées.
III. Analyse concurrentielle
A. LES EFFETS HORIZONTAUX
20. Les activités des parties se chevauchent sur le marché du gros œuvre en bâtiment. Selon les estimations des parties, la part de marché cumulée de la nouvelle entité est inférieure à [0-5]% sur ce marché. Elle fera face, à l'issue de l'opération, à la concurrence de nombreux concurrents, le marché étant très atomisé, les principaux étant Vinci ([5-10] % de part de marché), Bouygues ([5-10] %) et Eiffage ([0-5] %).
21. En outre, la part de marché cumulée des parties n'excède [0-5] % sur aucun des sous-segments éventuels du marché. La partie notifiante n'a pas été en mesure d'estimer les parts de marché de concurrents sur ces sous-segments, mais précise que Vinci, Bouygues et Eiffage en sont les principaux opérateurs.
22. Compte tenu de la faible part de marché de la nouvelle entité, l'opération envisagée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d'effets horizontaux sur le marché du bâtiment.
B. LES EFFETS CONGLOMÉRAUX
23. L'Autorité de la concurrence indique dans ses lignes directrices qu'" une concentration a des effets congloméraux lorsque la nouvelle entité étend ou renforce sa présence sur plusieurs marchés dont la connexité peut lui permettre d'exploiter un effet de levier ". De façon générale, une concentration conglomérale ouvre la possibilité de développer des synergies entre les différents éléments constitutifs de l'offre groupée. Toutefois, certaines concentrations conglomérales peuvent produire des effets restrictifs de concurrence lorsqu'elles permettent de lier, techniquement ou commercialement, les ventes ou les achats des éléments constitutifs du regroupement de façon à verrouiller le marché et à en évincer les concurrents. Les lignes directrices de l'Autorité de la concurrence relèvent qu'il est peu probable qu'une concentration entraîne un risque d'effet congloméral si la nouvelle entité ne bénéficie pas d'une forte position sur un marché à partir duquel elle pourra faire jouer un effet de levier et renvoient, à cet égard, à un seuil de 30 % de parts de marché.
24. En l'espèce, la cible est en mesure, préalablement à l'opération, de proposer à ses clients des offres comprenant des travaux de gros œuvre et de second œuvre en bâtiment, dans la mesure où elle est active sur les deux marchés. Elle verra à l'issue de l'opération sa présence renforcée sur le marché du gros œuvre. En outre, la nouvelle entité pourra proposer des prestations de construction de bâtiments (gros œuvre et second œuvre) avec celles de terrassement et fondations spéciales (travaux publics) dans le cadre de réponses aux appels d'offres portant sur des marchés dits " multi-métiers ".
NOTES :
1 La FNTP distingue douze catégories principales de travaux : les travaux routiers, les terrassements généraux, les travaux souterrains, les travaux de pose de canalisations à grande distance et de réseaux de canalisations industrielles, les travaux de la filière eau, les travaux électriques, les fondations spéciales, les travaux en site maritime, les voies ferrées, les ouvrages d'art et d'équipement industriel, les ouvrages d'art et d'équipement industriel en construction métallique et les travaux de génie agricole.
2 Voir les décisions n° 14-DCC-195 du 31 décembre 2014 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Juwi EnR par la société Neoen, n° 09-DCC-43 de l'Autorité de la concurrence en date du 14 septembre 2009, l'avis du Conseil de la concurrence n° 01-A-08 du 5 juin 2001 relatif à l'acquisition du groupe GTM par la société Vinci ainsi que la lettre du ministre de l'économie du 1er décembre 2008 n° C2008-116.
3 Voir notamment les décisions de l'Autorité n° 10-DCC-05 du 21 janvier 2010 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Cari Holding par la société Fayat et n° 09-DCC-43 de l'Autorité de la concurrence ainsi que la lettre du ministre de l'économie n° C2008-116 précitées.
4 Voir les décisions de l'Autorité n° 13-DCC-88 du 23 juillet 2013 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Carrard Services par la société TFN Propreté, n° 10-DCC-82 du 28 juillet 2010 relative à la prise de contrôle exclusif du groupe Faceo par Vinci Energies, n° 10-DCC-05 du 21 janvier 2010 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Cari Holding par la société Fayat, la lettre du ministre de l'économie, des finances et de l'emploi du 15 novembre 2007 aux conseils de la société Spie Batignolles SA, relative à une concentration dans le secteur des travaux de finition du bâtiment (C2007-132).
5 Voir la lettre du ministre de l'économie n° C2007-132 précitée.
6 Voir notamment la décision de l'Autorité n° 10-DCC-05 précitée et la décision de la Commission européenne n° COMP/M.3864, FIMAG / Züblin du 14 octobre 2005.
7 Voir la décision de l'Autorité n° 13-DCC-88 du 23 juillet 2013 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Carrard Services par la société TFN Propreté, n° 10-DCC-05 précitée et la décision du ministre n° C2007-132.