CA Paris, Pôle 5 ch. 10, 12 décembre 2016, n° 15-10619
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Systel (SARL)
Défendeur :
Alpha Diffusion (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Loos
Conseillers :
Mmes Simon-Rossenthal, Castermans
Avocats :
Mes Grappotte-Benetreau, Burot, Corillon, Boccon Gibod, Bidan
FAITS ET PROCÉDURE
Vu le jugement prononcé le 24 mars 2015 par le Tribunal de commerce de Rennes qui a condamné la société Systel à payer à la société Alpha diffusion la somme de 26 631 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture sans préavis ainsi que celle de 10 000 euros au titre du préjudice subi et celle de 2 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile,
Vu les dernières conclusions du 17 octobre 2016 de la société Systel, appelante, qui demande à la cour de réformer le jugement et, au visa des articles L. 441-6 et L. 441-7 du Code de commerce, de juger qu'elle n'a commis aucune faute vis-à-vis de la société Alpha diffusion, de débouter cette société de l'ensemble de ses demandes et de la condamner à lui verser la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, à titre infiniment subsidiaire de limiter les prétentions indemnitaires de la société Alpha diffusion à la somme de 3 000 euros,
Vu les dernières écritures du 3 octobre 2016 de la société Alpha diffusion qui conclut, au visa de l'article L. 442-6, I, 5° à la confirmation de la décision déférée et à la condamnation de la société Systel à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 699 du Code de procédure civile.
SUR CE,
Considérant que la société Alpha diffusion, qui a pour activité la fabrication de produits en matériaux souples, a entretenu des relations commerciales avec la société Systel pour laquelle elle fabriquait des rideaux thermiques et ce, depuis l'année 2008 selon la première de ces sociétés et depuis la fin de l'année 2010 aux dires de la seconde ; que la société Systel ayant fait savoir à la société Alpha diffusion par courrier électronique du 17 janvier 2014 qu'elle mettait fin à leurs relations commerciales, cette dernière, estimant que cette société avait engagé sa responsabilité en rompant brutalement une relation commerciale établie, l'a assignée en payement de différentes sommes devant le Tribunal de commerce de Rennes qui a statué dans les termes susvisés en retenant que la rupture des relations commerciales existant depuis 2010 avait été brutale et sans préavis ;
Considérant que la société Systel critique le jugement en ce qu'il a retenu une faute de sa part alors que la décision de mettre fin à leurs relations a été prise d'un commun accord par les parties au mois de janvier 2014 suite aux difficultés qu'elles ont toutes deux rencontrées après le redressement judiciaire de la société Doux prononcé au mois de juin 2012, les rideaux thermiques litigieux correspondant à des bâtiments d'élevage de type " Louisiane " spécifiques aux éleveurs du groupe Doux qu'elle fait valoir que le dossier économique dressé par l'expert-comptable de la société Alpha diffusion démontre que l'activité de cette société a chuté en 2012-2013 et relève qu'elle ne s'est pas diversifiée ni adaptée à l'évolution du marché; qu'elle ajoute qu'au mois de janvier 2014, celle-ci n'avait plus de personnel ni de local ;
que la société Alpha diffusion objecte que les relations commerciales entretenues par les parties ont duré cinq ans et qu'en conséquence elle aurait dû bénéficier d'un préavis de six mois, rappelant que le courrier électronique que lui a adressé l'appelante pour l'informer de la rupture des relations commerciales ne fait pas référence à des difficultés rencontrées à la suite du redressement judiciaire de la société Doux ; qu'elle affirme que son bail arrivant à échéance au mois de décembre 2013, elle n'a pas loué un nouveau local en raison de la décision prise par la société Systel de rompre leurs relations et faute d'activité et de perspectives immédiates ; qu'elle dément avoir embauché du personnel dans le passé, sa gérante, Mme Noël, réalisant toujours seule les commandes reçues ; qu'elle précise que M. Eraud, auto-entrepreneur, qui désormais assure le suivi pour sa concurrente, la société Damitech installée dans ses anciens locaux, des commandes autrefois passées auprès d'elle, n'a été appelé qu'en cas de besoin pour matelasser les rideaux et aider Mme Noël à les plier tandis que celle-ci réalisait la totalité de la couture ; qu'elle dénie tout projet ferme de cession, ayant seulement envisagé une réorganisation de l'entreprise, laquelle ne justifiait pas une rupture brutale des relations commerciales ;
Considérant, ceci exposé, qu'il appartient à la société Alpha diffusion qui prétend que les relations commerciales qu'elle a entretenues avec la société Systel ont débuté au mois d'octobre 2008 d'en rapporter la preuve ce qu'elle ne fait pas, ne produisant aucune facture ni document susceptible de fixer à cette date les premières commandes émanant de cette société ; que la cour fixera le début de ces relations au mois d'octobre 2010, période indiquée par l'appelante ;
Considérant que les dispositions de l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce invoquées par la société Alpha diffusion sanctionnent l'auteur de la rupture brutale d'une relation commerciale établie ; que pour contester le caractère établi de la relation commerciale ayant existé entre les parties, la société Systel fait valoir que cette relation s'est nouée en 2010 en vue de satisfaire un marché spécifique qu'elle-même avait obtenu auprès de la société Doux et de ses éleveurs et que cette société ayant fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire au mois de juin 2012, elle a vu ses commandes de rideaux thermiques chuter considérablement, les commandes qu'elle passait auprès de la société Alpha diffusion ayant suivi le même déclin ;
Mais considérant qu'il suffit que soient démontrés la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation pour que celle-ci puisse être qualifiée d'établie ; que la société Systel indique elle-même avoir passé commande régulièrement à la société Alpha diffusion de rideaux thermiques depuis la fin de l'année 2010 et sans interruption jusqu'au mois de janvier 2014 ; que la baisse des commandes liée aux difficultés rencontrées par la filière avicole à la suite du redressement judiciaire de la société Doux n'a pas privé cette relation de son caractère établi que la durée, la régularité et le volume des commandes suffisent à démontrer ;
Considérant que la société Systel conteste toute rupture brutale de cette relation commerciale, arguant d'une décision commune prise par les parties de mettre fin à leurs relations commerciales compte tenu des conséquences du redressement judiciaire de la société Doux sur leurs activités respectives ; qu'il n'est cependant pas fait état des difficultés découlant de cette procédure collective dans le courrier électronique adressé par l'appelante à la société Alpha diffusion le 17 janvier 2014 et libellé en ces termes :
" Madame,
Faisant suite à notre discussion téléphonique du 15 courant et à ma rencontre avec M. Fleury, il en ressort que vous ne pouvez pas nous garantir une qualité de service dont nous avons besoin (respect des délais, qualité de fabrication, possibilité d'intervention sur site, SAV, etc.). Nous avons donc pris la décision de mettre fin à nos relations commerciales " ;
qu'il ne ressort d'aucune des pièces produites par l'appelante que la société Alpha diffusion a, préalablement à l'envoi de ce courrier, manqué à ses obligations en ne respectant pas les délais convenus ou en refusant d'intervenir sur site ou bien encore en assurant une prestation de qualité médiocre ;
qu'il suit de ces développements que la société Systel a rompu brutalement la relation commerciale établie entre les parties sans préavis écrit tenant compte de la durée de cette relation et a, de ce fait, engagé sa responsabilité ;
Considérant qu'eu égard à la durée de la relation commerciale, soit trois ans et trois mois, et de l'état de dépendance économique de la société Alpha diffusion dont 95 % du chiffre d'affaires était réalisé par la société Systel, il convient de fixer le préavis à quatre mois ;
Considérant que la société Alpha diffusion ne peut obtenir réparation que du préjudice entraîné par le caractère brutal de la rupture et non du préjudice découlant de la rupture elle-même; que ce préjudice doit être réparé au regard de la marge brute qui aurait dû être réalisée au cours du préavis; que le chiffre d'affaires global de la société intimée s'est élevé à 211 395 euros pour l'exercice clos le 30 septembre 2011, à 131 897 euros pour l'exercice clos le 30 septembre 2012 et à 75 036 euros pour l'exercice clos le 30 septembre 2013 ; que la société Alpha diffusion demandant que son préjudice soit calculé à partir de la marge brute du dernier exercice, soit 53 262 euros, et non de la moyenne des trois dernières années, il y a lieu d'évaluer son préjudice, eu égard à ce que le chiffre d'affaires obtenu avec la société Systel représentait, aux dires de son expert-comptable dont l'analyse économique de la société et les bilans de celle-ci sont versés aux débats, 95 % de son chiffre d'affaires total, à la somme de 16 866 euros ;
Considérant que la société Alpha diffusion, qui ne peut prétendre à une autre réparation que celle du préjudice résultant de la brutalité de la rupture, ne peut réclamer, en sus de l'indemnité de rupture, les sommes correspondant au manque à gagner pendant le délai de préavis, à la perte de chance de réaliser une marge brute et aux frais engagés, sans qu'au demeurant aucune précision ne soit donnée concernant ces derniers, étant observé qu'il n'est justifié d'aucune dépense qui aurait été exposée pour répondre à une demande expresse de la société Systel ; que le jugement sera, en conséquence, infirmé en ce qu'il lui a accordé la somme de 10 000 euros " au titre du préjudice induit de la cessation d'activité provoquée par la rupture brutale des relations commerciales ", sans avoir précisé la nature du préjudice ainsi indemnisé ;
Et considérant qu'il y a lieu d'allouer à la société Alpha diffusion une indemnité supplémentaire au titre de ses frais irrépétibles d'appel, la demande formée du même chef par l'appelante étant rejetée.
Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a condamné la société Systel à payer à la société Alpha diffusion la somme de 26 631 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture sans préavis et celle de 10 000 euros au titre du préjudice subi, Statuant à nouveau des chefs infirmés, Condamne la société Systel à payer à la société Alpha diffusion la somme de 16 866 euros à titre de dommages-intérêts ; Condamne la société Systel à payer à la société Alpha diffusion la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile Rejette toutes autres demandes, Condamne la société Systel aux dépens d'appel.