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Décisions

CA Bourges, ch. civ., 8 décembre 2016, n° 16-00487

BOURGES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

de Villarcelly (EARL)

Défendeur :

C. Agritech (SAS), John Deere (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Decomble

Conseillers :

M. Foulquier, Mme Jacquemet

TGI de Blois, du 6 juin 2013

6 juin 2013

ARRÊT

Selon les explications recueillies par l'expert judiciaire, l'Earl Villarcelly a d'abord signalé, le 6 mars 2008, l'indisponibilité, en mode pulvérisation, de l'affichage, sur le boîtier de régulation électronique, du volume épandu par rapport à la superficie travaillée, les données n'étant disponibles qu'au moment de l'arrêt de la pulvérisation. Un technicien est intervenu sans pouvoir trouver de solution à ce dysfonctionnement et, après interrogation du constructeur qui a donné le mode opératoire pour remédier à ce défaut, la société C. Agritech a repris contact téléphonique avec l'Earl Villarcelly, sans parvenir cependant à la joindre. La société C. Agritech a adressé successivement deux lettres recommandées avec avis de réception, les 10 et 13 mars 2008, pour confirmer qu'elle était en mesure d'envoyer un technicien sur place pour résoudre la difficulté rencontrée, sans recevoir de réponse favorable de la part de l'Earl Villarcelly qui a fait le choix d'assigner en référé aux fins d'expertise le 14 mai 2008. Dans le premier de ces deux courriers, le responsable de la société C. Agritech a rappelé que la fonction de contrôle était disponible dès l'arrêt de la pulvérisation et de l'avancement et que le pulvérisateur pouvait être utilisé sans risque de surdosage ou de sousdosage des produits.

Au cours des opérations d'expertise qui se sont déroulées le 31 octobre 2008, l'Earl Villarcelly a évoqué essentiellement le problème des indications erronées à l'affichage du boîtier de régulation électronique et une faiblesse de la flèche d'attelage liée à la transformation réalisée pour permettre l'utilisation du pulvérisateur derrière son tracteur Ford 3000.

Sur le premier point, l'expert relève que l'apparition d'un Code erreur sur le boîtier, à la place de l'indication de débit, est essentiellement en rapport avec une programmation faite pour un appareil disposant d'un capteur de niveau de cuve, non présent sur la machine vendue. Le reparamétrage réalisé en quelques minutes le jour de l'expertise par le technicien de John Deere a mis fin à ce désordre, l'expert prenant soin de préciser qu'il aurait pu être effectué dès le 8 mars 2008, jour où la société C. Agritech avait vainement proposé à l'Earl Villarcelly une intervention à cette fin. L'expert ajoute que le pulvérisateur fonctionne normalement en mode manuel.

Sur le second point, l'expert note que la transformation réalisée n'a pas reçu l'agrément du bureau d'études de John Deere et qu'elle peut fragiliser la flèche qui est fortement sollicitée sur le plan mécanique. Le représentant de la société C. Agritech a proposé deux solutions : présenter un dossier d'homologation à la Drire pour faire valider la transformation ou remettre en conformité avec les spécifications du constructeur. Considérant que cette seconde solution serait la plus sécurisante pour l'acquéreur, il en a chiffré le coût à 3203,21 euros hors taxes. Il ajoute que le remplacement de la flèche d'attelage n'est pas une opération à réaliser dans l'urgence et n'est justifié que par la crainte d'y voir apparaître des fissures de fatigue.

Dans ses conclusions développées devant cette cour et tendant à la résolution de la vente, l'Earl Villarcelly invoque essentiellement un vice caché rendant le pulvérisateur impropre à sa destination, lequel résulterait en premier lieu de la perte des homologations en matière de circulation routière et de sécurité au travail, en second lieu de la fragilisation de la flèche d'attelage et enfin d'autres vices mis en évidence par le rapport de vérification de l'Apave du 19 août 2009.

Selon l'article 1641 du Code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.

En l'état des écritures prises par l'Earl Villarcelly, force est de constater que le dysfonctionnement du boîtier du régulateur électronique, auquel il a été remédié lors des opérations d'expertise et qui aurait pu être réglé dès le début du mois de mars 2008 si l'Earl Villarcelly n'avait pas refusé l'intervention de la société C. Agritech, n'est pas considéré par la première comme constitutif d'un vice caché. En toute hypothèse, ce dysfonctionnement n'est pas de nature à rendre la chose vendue impropre à sa destination ni même à en diminuer tellement l'usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il l'avait connu. Ce défaut ne peut donc entraîner la résolution de la vente sur le fondement du vice rédhibitoire.

La perte de l'homologation du pulvérisateur, au plan de la circulation routière, peut constituer un vice rédhibitoire, puisque cet appareil, s'il est destiné principalement à être utilisé dans les champs, est également susceptible d'être transporté sur les routes ouvertes à la circulation, ne serait-ce que pour se rendre du siège de l'exploitation jusqu'aux parcelles où il est censé être utilisé. En l'absence d'une telle homologation, l'utilisation de cet appareil est donc nécessairement limitée et le vice est susceptible de répondre à la définition de l'article 1641 précité. Et il importe peu que la demande de modification de la flèche de l'attelage émane de l'acquéreur lui-même, cette dernière circonstance ne dispensant pas le vendeur, qui s'est engagé à réaliser la transformation, d'y procéder dans le respect des normes applicables.

Cependant, la Cour ne peut que constater que l'expert ne s'est livré strictement à aucune recherche pour s'assurer que la transformation de la flèche de l'attelage, sur laquelle a été repositionnée une pompe, ne serait pas conforme à la réglementation applicable, se bornant à avaliser la proposition du représentant de la société C. Agritech de présenter un dossier d'homologation à la Drire pour faire valider la transformation. Or, il résulte d'une attestation de René A., ingénieur conseil, que la modification apportée sur le véhicule n'impacte en aucun cas la conformité au Code de la route car, d'une part, la répartition de charges après modification reste en dessous des maximums indiqués sur les lignes 2.5.1 et 2.5.5 (soit 1700 kilos sur la flèche pour 568 kilos à vide) et, d'autre part, la flèche d'attelage lors de la procédure de réception ne fait l'objet d'aucun calcul de résistance des matériaux.

Ainsi, alors que la charge de la preuve du vice caché incombe à l'acquéreur, les conclusions insuffisamment étayées de l'expert, contredites par cette attestation, ne suffisent pas à démontrer que la transformation de la flèche d'attelage ferait perdre à l'appareil son homologation au point de vue de la circulation routière.

S'agissant du second aspect de l'homologation, il résulte des articles L. 4 311-1 et L. 4311-3 du Code du travail que les équipements de travail doivent répondre à des règles techniques de conception et fabrication énoncées au chapitre II ainsi qu'à des procédures de certification de conformité prévues au chapitre III.

Les conclusions ci-dessus rapportées de l'expert sont corroborées par le rapport de vérification de l'Apave du 19 août 2009, qui retient, à titre de principale non-conformité, que la fixation par soudure du support de la pompe à mi- longueur de la flèche a fragilisé cette dernière. Ce rapport de vérification préconise de remplacer la flèche par un modèle homologué par le constructeur et de replacer la pompe à son emplacement d'origine.

Il importe peu que la SAS John Deere, par une attestation remise à son concessionnaire, vienne confirmer que la configuration obtenue, après positionnement de la pompe sur la partie médiane de la flèche, est totalement similaire à une configuration d'usine proposée sur le pulvérisateur de la série 800. De fait, et même si l'homologation résulte d'une procédure d'auto-certification, le pulvérisateur modèle 732 ne correspond pas au type homologué par suite de la modification qui y a été apportée par la société C. Agritech

En sa qualité de professionnel, la société C. Agritech ne pouvait pas vendre un matériel qui, du fait de la transformation apportée, ne bénéficiait plus de l'homologation résultant de la procédure de certification de conformité mise en œuvre par le fabricant. L'acquéreur étant un simple utilisateur de machines agricoles ne peut être présumé avoir eu connaissance des conséquences, en termes d'homologation, de la modification demandée au vendeur à qui il appartenait de la refuser.

Ce défaut de conformité rend le pulvérisateur impropre à son usage puisque l'Earl Villarcelly ne peut plus l'utiliser en l'état et doit rétablir la configuration bénéficiant de l'homologation, c'est-à-dire en engageant des frais de remise en état non négligeables chiffrés par l'expert à 3103,21 euros hors taxes. Apparu à l'acquéreur lors des opérations d'expertise, ce défaut constitue un vice caché affectant l'appareil au moment de la vente, dont il est en droit d'obtenir la garantie.

La fragilisation de la flèche d'attelage du fait de la modification intervenue, relevée à la fois par l'expert et par l'Apave, doit également être retenue comme constitutive d'un vice affectant le pulvérisateur au moment de la vente, ignoré de l'acquéreur jusqu'à l'expertise, et de nature à rendre la chose vendue impropre à son usage, ou en tout cas à diminuer tellement cet usage que l'acquéreur ne l'aurait pas acquise s'il l'avait connue.

Ce défaut est intrinsèque à l'appareil lui-même et relève incontestablement du champ d'application de l'article 1641 du Code civil, même s'il se confond en partie avec le vice extrinsèque résultant de la non-conformité. Dès lors, il importe peu que ce dernier vice doive éventuellement n'être envisagé que sous l'angle du défaut de conformité aux dispositions des articles L. 4 311-1 et L. 4311-3 et n'ouvrir droit qu'à l'action en résolution de la vente prévue par l'article L. 4311-5 du Code du travail, laquelle ne serait plus recevable pour avoir été exercée après l'expiration du délai d'une année à compter du jour de la livraison.

S'agissant des autres vices ou non-conformités mis en évidence par le rapport de vérification de l'Apave du 19 août 2009, la Cour observe, tout comme le premier juge, que bon nombre d'entre eux (fuites, oxydation, dégradation, bruits anormaux, manchon déboîté) n'ont pas été mis en évidence lors des opérations d'expertise du 31 octobre 2008, qu'ils sont donc apparus postérieurement et qu'ils peuvent parfaitement procéder d'un mauvais entretien ou d'une cause accidentelle, d'autant que l'appareil a été acheté neuf. D'autres non-conformités sont contestables au vu des pièces produites (conduite de refoulement de la pompe sans point de fixation intermédiaire ; notice d'instruction insuffisante ; absence d'accumulateur de pression), contestées alors que ce rapport n'a aucun caractère contradictoire (interrupteur des pupitres de commandes en saillie des boîtiers ; absence de dispositif indiquant en continu la pression de travail ; risque de confusion du fait de multiples interrupteurs du boîtier de commande non utilisés ; cales insérées entre l'anneau d'attelage et la flèche ; angle d'entraînement de l'arbre à cardan ; entrave au passage de la corde de manœuvre du frein de stationnement ; course du levier de manœuvre du frein de stationnement limitée) ou sont de peu d'importance (pratiquement toutes).

Dès lors, seuls seront retenus comme vices cachés au sens de l'article 1641 du Code civil le défaut de conformité aux règles de sécurité du travail résultant de la modification de la flèche d'attelage et la fragilisation de cette dernière. Conformément aux dispositions de l'article 1644 du Code civil, l'acheteur est libre de demander la résolution du contrat à charge pour lui de restituer le matériel, plutôt que de le conserver en sollicitant des dommages-intérêts. En conséquence, il convient de prononcer la résolution de la vente et d'ordonner la restitution par l'acquéreur du pulvérisateur et par le vendeur du prix de vente de 35 880 euros, sans qu'il soit nécessaire d'assortir ces condamnations d'une astreinte.

En application des dispositions de l'article 1645 du Code civil, la société C. Agritech, en sa qualité de vendeur professionnel, est présumée connaître les vices de la chose et peut se voir réclamer, outre la restitution du prix, la réparation de tous dommages pourvu qu'un lien de causalité puisse être établi entre ces dommages et la vente annulée pour vice caché.

Pour financer l'acquisition du bien, l'Earl Villarcelly a contracté un crédit de 25 205 euros qu'il a remboursé en cinq ans pour un montant total de 30 079,87 euros. Il a dû ainsi régler indûment 4 874,87 euros à titre d'intérêts contractuels et cotisations d'assurance dont elle est fondée à demander le remboursement à titre de dommages-intérêts.

En second lieu, l'Earl Villarcelly sollicite l'organisation d'une expertise à l'effet d'évaluer le préjudice économique résultant, d'une part, d'une diminution des résultats de son exploitation en lien avec l'impossibilité de réaliser les traitements ou d'une réalisation dans des conditions de surdosage ou sousdosage (la première année) et, d'autre part, de la mise du fonds en fermage par suite de la diminution des résultats.

Il doit cependant être observé, indépendamment des procès-verbaux de constat produits en vue d'établir la mauvaise récolte de l'été 2008, que l'anomalie relative à la mauvaise programmation du boîtier de régulation électronique, outre qu'elle n'est pas invoquée à titre de vice caché, n'empêchait pas le fonctionnement de l'appareil en mode manuel et aurait pu être corrigée dès le 8 mars 2008. Par ailleurs, la seule preuve du préjudice économique résultant de l'impossibilité de se servir de l'appareil acheté ou de s'en servir dans de bonnes conditions résulte de soldes intermédiaires de gestion faisant apparaître une production de l'exercice de 90 829 euros au 29 février 2008 (exercice antérieur à la vente), de 120 220 euros au 28 février 2009 et de 84 846 euros au 28 février 2010. Même si le résultat d'exploitation a baissé au cours de ces trois années, passant de 45 543 euros à 30 635 euros et enfin à 15 981 euros, l'Earl Villarcelly ne justifie pas que cette baisse serait en relation avec l'impossibilité d'utiliser le pulvérisateur, alors que dans le même temps la production de l'exercice s'est maintenue, voire a augmenté légèrement. Surtout, il est démontré par la société C. Agritech (attestation N.) que l'Earl Villarcelly a fait l'acquisition d'un pulvérisateur de marque Nodet dès le 21 avril 2008, qu'elle n'a donc subi aucun préjudice économique en lien avec une perte de rendement imputable à l'impossibilité de traiter ses récoltes et que son préjudice se limite donc à l'immobilisation de l'appareil dont elle n'a pu se servir, étant observé que ce préjudice a nécessairement pris fin au 1er novembre 2014, date à laquelle elle a consenti un bail rural à long terme (27 ans) sur les parcelles qu'elle exploitait. Il sera également relevé que ce préjudice d'immobilisation apparaît d'autant moins important que l'Earl Villarcelly a attendu près de deux ans avant d'assigner au fond la société C. Agritech, une fois déposé le rapport d'expertise le 11 mai 2009.

En conséquence l'Earl Villarcelly sera déboutée de sa demande d'organisation d'une expertise et son préjudice d'immobilisation sera fixé à la somme de 10 000 euros. Il n'est pas justifié, en l'absence de démonstration d'un préjudice économique, que la conclusion d'un bail à ferme, de surcroît de longue durée, ait été source d'un préjudice complémentaire, lequel au surplus serait tout à fait indirect.

Enfin, en réparation des désagréments subis, ce poste englobant en réalité le temps passé en démarches diverses, la perturbation dans la conduite de l'exploitation, la mobilisation de trésorerie, les frais annexes de constat d'huissier, d'avocat ou d'avoué, et les frais de vérification par l'Apave, l'Earl Villarcelly sollicite une somme complémentaire de 7 500 euros à titre de dommages-intérêts. En l'état des pièces communiquées, et abstraction faite des frais d'avoué qui entreront dans les dépens et les frais d'avocat qui seront pris en compte au titre de l'indemnité réclamée sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ce poste de préjudice sera indemnisé par l'allocation d'une somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts.

Les vices cachés résultant de la seule initiative prise par la société C. Agritech de modifier la flèche d'attelage, alors qu'il n'est pas contesté que l'appareil était homologué par le fabricant, aucune garantie ne saurait être due par ce dernier qui est resté étranger à cette opération.

En application de l'article 700 du Code de procédure civile, il y a lieu d'accorder à l'Earl Villarcelly la somme de 5 000 euros en compensation de ses frais non compris dans les dépens de première instance, d'appel devant la cour d'Orléans puis devant la cour de Bourges.

La société C. Agritech succombant en ses prétentions supportera les dépens de référé, y compris les frais d'expertise judiciaire, de première instance et d'appel tant devant la cour d'appel d'Orléans que devant la cour d'appel de Bourges.

Par ces motifs : LA COUR, Reçoit l'appel principal de la société C. Agritech et l'appel incident de l'Earl Villarcelly, Confirme le jugement en ce qu'il a prononcé la résolution de la vente litigieuse pour vice caché, a condamné la société C. Agritech à rembourser à l'Earl Villarcelly le prix de vente de 35 880 euros, a enjoint à la société C. Agritech de reprendre le pulvérisateur au siège de l'Earl Villarcelly et a débouté la société C. Agritech de son appel en garantie contre la SAS John Deere, Infirme le jugement pour le surplus et, statuant à nouveau, Dit n'y avoir lieu d'assortir la condamnation d'une astreinte, Condamne la société C. Agritech à payer à l'Earl Villarcelly les sommes suivantes à titre de dommages-intérêts : - 4 874,87 euros correspondant aux intérêts contractuels et cotisations d'assurance, - 10 000 euros pour le préjudice d'immobilisation, - 3 000 euros pour les frais et désagréments divers. Condamne la société C. Agritech à payer à l'Earl Villarcelly, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, la somme de 5 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens de première instance et d'appel, Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires, Condamne la société C. Agritech aux dépens de référé, y compris les frais d'expertise judiciaire, de première instance et d'appel tant devant la cour d'appel d'Orléans que devant la cour d'appel de Bourges.