CA Nancy, 1re ch. civ., 5 décembre 2016, n° 15-01676
NANCY
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Ital Distrib (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Richet
Conseillers :
M. Ferron, M. Creton
FAITS ET PROCÉDURE :
Le 6 juin 2013, alors qu'ils visitaient la foire exposition de Nancy, M. et Mme R. ont signé, auprès de la société Ital Distrib, un bon de commande relatif à une cuisine équipée pour un montant de 44 700 euros , la date de livraison et d'installation étant fixée au mois d'octobre suivant, et ils ont versé, à titre d'acompte, une somme de 20 000 euros.
Le 7 juin 2013, les époux R. ont signé, à leur domicile, un nouveau bon de commande remplaçant le précédent, pour une somme de 39 419 euros la date de livraison et d'installation demeurant inchangée.
Après avoir, par lettre recommandée avec avis de réception du 26 novembre 2013, notifié à la société venderesse leur volonté de résilier le contrat en se prévalant des dispositions de l'article L.114-1 du Code de la consommation, les époux R., par acte du 23 octobre 2014, l'ont fait assigner devant le tribunal de grande instance de Nancy pour voir prononcer l'annulation du contrat, à titre principal sur le fondement de l'article L.121-23 du Code de la consommation et les règles relatives au démarchage à domicile, subsidiairement sur celui de l'article L.111-1 du même Code relatif à l'obligation d'information dont le professionnel est débiteur envers le consommateur. En tout état de cause, ils ont demandé au tribunal de constater qu'ils avaient valablement dénoncé le contrat, et de condamner la société défenderesse à leur rembourser le montant de l'acompte, et à leur payer des dommages-intérêts ainsi qu'une indemnité de procédure.
Par jugement réputé contradictoire du 29 avril 2015, le tribunal ainsi saisi a prononcé l'annulation de la vente en application des dispositions de l'article L.111-1 du Code de la consommation, et condamné la société Ital Distrib à payer aux époux R. la somme de 20 000 euros ainsi que les intérêts au taux légal à valoir sur cette somme à compter du 23 octobre 2014. Il a rejeté la demande de dommages-intérêts formée par les demandeurs, et leur a alloué la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. Il a enfin ordonné l'exécution provisoire de sa décision.
Dans ses motifs, le tribunal a considéré que le bon de commande, qui avait été signé sur les lieux de la foire exposition, n'était pas conforme aux exigences du Code de la consommation en matière d'information du consommateur, et qu'il n'était justifié d'aucun préjudice propre à fonder une demande de dommages-intérêts.
Par déclaration reçue au greffe de la cour, le 11 juin 2015, la société Ital Distrib a relevé appel de ce jugement ; elle demande à la cour de l'infirmer et de condamner les époux R. à lui payer, à titre principal la somme de 39 419 euros subsidiairement celle de 44 700 euros dont à déduire celle de 20 000 euros montant de l'acompte déjà versé, plus subsidiairement celle de 7 176 euros correspondant aux prestations effectuées, en tout état de cause celle de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Au soutien de son recours, elle fait valoir en premier lieu que le bon de commande du 7 juin 2013 ne constituait pas un engagement supplémentaire ouvrant droit à rétractation ; que la livraison a commencé le 4 novembre 2013 de sorte que les acheteurs se sont prévalus de mauvaise foi des dispositions de l'article L.114-1 du Code de la consommation ; en second lieu que si le bon de commande du 7 juin 2013 était annulé, celui du 6 juin précédent devrait être considéré comme faisant la loi des parties ; en dernier lieu que les acheteurs ont bénéficié de prestations pour une somme de 7 176 euros qu'ils doivent restituer en application de la théorie de l'enrichissement sans cause.
Les intimés répliquent que la société appelante a profité de son déplacement à leur domicile pour leur faire souscrire une nouvelle prestation, et que ce nouveau contrat, qui a annulé le précédent, était soumis à la législation sur le démarchage à domicile ; qu'en conséquence, ce deuxième contrat ne comportant ni les mentions prévues à l'article L.121-23 du Code de la consommation, ni le formulaire de rétractation prévu à l'article L.121-24, il encourt d'autant plus la nullité que la société appelante n'a pas restitué l'acompte perçu au titre du premier contrat alors qu'elle ne pouvait percevoir aucune somme avant l'expiration du délai de rétractation.
Subsidiairement, ils soutiennent qu'il n'a pas été satisfait, avant la signature de chacun des deux bons de commande, aux exigences de l'article L.111-1 du Code de la consommation selon lequel le vendeur professionnel doit, avant la conclusion du contrat, mettre le consommateur en mesure de connaître les caractéristiques essentielles du bien.
Ils ajoutent que la cuisine n'a jamais été livrée de sorte qu'ils étaient fondés à dénoncer le contrat en application de l'article L.114-1 du Code de la consommation et de l'article 6.1 des conditions générales de vente, et qu'ils ont subi un préjudice puisqu'ils ont été privés de cuisine pendant cinq mois.
Dès lors, ils concluent à la confirmation du jugement en ce qu'il a prononcé l'annulation du contrat et condamné la société appelante, outre à leur payer la somme de 1.500 euros à titre d'indemnité de procédure, à leur rembourser le montant de l'acompte, soit la somme de 20 000 euros mais de l'infirmer pour le surplus, et de leur allouer la somme de 6 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice, celle de 4 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et injustifiée, et celle de 3 000 euros à titre d'indemnité de procédure en cause d'appel.
Alors que l'affaire avait été clôturée par ordonnance de mise en état du 26 janvier 2016, la cour, par arrêt du 26 avril 2016, a ordonné la réouverture des débats, prononcé la révocation de l'ordonnance de clôture, et renvoyé l'affaire à la mise en état.
L'affaire a été de nouveau clôturée par ordonnance du 27 septembre 2016.
Motifs de la décision :
1) La demande en nullité du contrat.
Pour conclure à la nullité du contrat, les époux R. se réclament de plusieurs moyens tirés du Code de la consommation.
- En premier lieu, ils invoquent l'article L.121-21 de ce code, relatif au démarchage à domicile.
Contrairement à ce que soutiennent les intimés, les dispositions de cet article ne peuvent trouver à s'appliquer en l'espèce dans la mesure où le contrat a été conclu sur les lieux de la foire de Nancy, c'est-à-dire un lieu destiné à la commercialisation. Il est en effet indiqué sur le bon de commande n° 2194, signé le 7 juin 2013, qu'il confirme et remplace le bon n° 2189 signé à la foire de Nancy le 6 juin précédent. Ainsi que le fait remarquer l'appelante, le deuxième bon de commande, signé au domicile des acheteurs, ne constituait pas un nouvel engagement, mais avait pour objet de confirmer l'engagement initial tout en modifiant son contenu en fonction des constatations faites sur place par un représentant de la société venderesse.
En conséquence, c'est à juste titre que le tribunal a rejeté le moyen tiré de l'article L.121-21 du Code de la consommation relatif au démarchage à domicile, ainsi que des textes suivants, compris dans la même section, qui imposent au vendeur de prévoir au profit de l'acheteur une faculté de renonciation au moyen d'un formulaire détachable, et qui lui interdisent de percevoir un quelconque paiement avant l'expiration du délai de réflexion de sept jours dans lequel le consommateur peut renoncer à son engagement.
- En second lieu, les époux R. se réclament des dispositions de l'article L.111-1 du Code de la consommation.
En ce qui concerne les caractéristiques essentielles du bien, alors que la recommandation n° 82-03 de la commission des clauses abusives concernant les contrats d'installation de cuisine prévoit que ces contrats comportent notamment les caractéristiques et les conditions d'exécution techniques des fournitures et des travaux inclus dans le prix convenu, comprenant notamment un plan détaillé avec cotes, et s'il y a lieu des plans techniques par corps de métier, les bons de commande signés les 6 et 7 juin 2013 contiennent une énumération des meubles et appareils ménagers, avec le prix de chacun d'eux, et stipulent leur installation et la pose de la cuisine suivant le descriptif annexé. Ainsi que l'a relevé le tribunal, ce dernier document est très sommaire puisqu'il se présente sous la forme d'une ébauche de plan dépourvu de toute cote sur lequel sont indiquées en marge des mentions désignant l'emplacement des meubles et des appareils ménagers.
Par ailleurs, contrairement à ce que préconise la recommandation de la commission des clauses abusives, les bons de commande ne précisent pas si tous les travaux indispensables à la réalisation et à l'utilisation de l'installation proposée, et dont ils ne contiennent pas la description détaillée, sont ou non compris dans le prix.
Enfin, ces bons de commande ne contiennent aucune information relative à la période pendant laquelle seront disponibles sur le marché les pièces détachées ou de rechange indispensables à l'utilisation de la cuisine et de ses éléments.
Dès lors, le vendeur n'ayant pas satisfait aux obligations qui lui incombaient en vertu de l'article L.111-1 du Code de la consommation, le jugement mérite d'être confirmé en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat et condamné la société Ital Distrib à restituer aux époux R. la somme de 20 000 euros qu'ils avaient versée à titre d'acompte sur le prix de vente de la cuisine litigieuse.
La société appelante qui reconnaît elle-même que le bon de commande du 7 juin 2013 ne constituait pas un engagement supplémentaire ouvrant droit à rétractation est mal fondée à soutenir que si l'engagement souscrit à cette date est annulé, celui souscrit le 6 juin 2013 doit retrouver sa force obligatoire de sorte que la somme de sorte que la somme de 44 700 euros lui serait due, déduction faite de l'acompte de 20 000 euros En effet, les deux bons de commande sont relatifs à une seule et même opération de vente, le deuxième ayant seulement modifié le contenu du contrat.
Le contrat étant annulé en raison d'un vice affectant sa formation, il n'y a pas lieu d'examiner le moyen tiré de l'article L.114-1 du Code de la consommation qui ouvre la possibilité au consommateur de dénoncer le contrat en raison d'un dépassement du délai de livraison, c'est-à-dire d'un manquement commis par le vendeur lors de l'exécution du contrat.
Les époux R. demandent réparation du préjudice de jouissance qu'ils prétendent avoir subi à la suite de la nullité du contrat, et font valoir qu'ils ont été contraints de vivre sans cuisine du 18 octobre 2013, date contractuelle de livraison, au 20 février 2014, date à laquelle leur nouvelle cuisine a été livrée.
Sur ce point, il résulte de la facture établie, le 25 novembre 2013, par la société K. au nom de la société Ital Distrib, qu'elle a effectué au domicile des époux R., pour une somme de 7 176 euros toutes taxes comprises, des travaux consistant à déposer la cuisine existante et à préparer les lieux en vue de la pose des nouveaux éléments de cuisine.
Les époux R. soutiennent qu'ils sont restés dépourvus de tout matériel de cuisine pendant cinq mois puisque le nouvel équipement ne leur a été livré par la société 2F Agencements que le 20 février 2014. Cependant, il n'est pas produit la facture établie par cette dernière société dont le représentant s'est borné à attester, le 1er octobre 2015, que les travaux de préparation effectués par la société K. avaient dû être repris. Par ailleurs, si Mme B. certifie avoir reçu les époux R. à plusieurs reprises entre le 19 septembre 2013 et le 20 février 2014 à l'occasion de repas, et si Mme M. atteste avoir, pendant la même période, régulièrement apporté des repas à ses parents ou invité ceux-ci à manger parce qu'ils n'avaient pas de cuisine chez eux, ces éléments ne suffisent pas à démontrer la réalité du préjudice dont ils demandent réparation.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts des époux R.
2) La demande fondée sur l'enrichissement sans cause.
La société appelante fait valoir qu'elle a financé à hauteur de la somme de 7 176 euros des travaux qui ont été réalisés au domicile des époux R., et qui lui ont été facturés par la société K., le 25 novembre 2013.
Il résulte de cette facture que société Ital Distrib doit acquitter le montant de la prestation que la société K. a effectuée au domicile des époux R., et qu'elle subirait un appauvrissement injustifié si ces derniers qui en ont profité n'en réglaient pas le prix. Toutefois, dans son attestation, le représentant de la société 2F Agencement explique que lors de son intervention, il a dû reprendre une partie des travaux qui avaient été effectués par la société K., à savoir les enduits des murs et du plafond, les peintures de toute la cuisine, les carrelages du sol pour les adapter aux nouveaux éléments, modifier les arrivées électriques, et déplacer les arrivées d'eau, autant de prestations facturées par la société K. à hauteur de la somme de 4.410 euros hors taxes, soit 5 274,36 euros toutes taxes comprises.
En conséquence, les époux R. qui ont bénéficié de prestations dont la société Ital Distrib doit régler le prix se sont enrichis au détriment de celle-ci à hauteur de la somme de : 7 176 euros - 5 274,36 euros = 1 901,64 euros au paiement de laquelle ils seront condamnés.
3) La demande de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Les époux R. qui dénoncent sans la caractériser la faute qu'aurait commise la société Ital Distrib dans l'exercice du droit d'agir en justice seront déboutés de leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive et injustifiée.
4) L'application de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens.
Les époux R. obtenant pour l'essentiel la satisfaction de leurs prétentions, le jugement sera confirmé en ce qu'il leur a alloué la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, et une somme d'un même montant leur sera attribuée sur le même fondement en cause d'appel.
Pour le même motif, la société Ital Distrib sera déboutée de sa propre demande d'indemnité de procédure, et condamnée aux entiers dépens.
Par ces motifs : LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, Confirme le jugement déféré ;Y ajoutant, condamne M. et Mme R. à payer à la société Ital Distrib la somme de mille neuf cent un euros et soixante-quatre centimes (1 901,64 euros) sur le fondement de l'enrichissement sans cause ; Déboute M. et Mme R. de leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive et injustifiée ; Condamne la société Ital Distrib à payer à M. et Mme R. la somme de mille cinq cents euros (1 500 euros) sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ;Condamne la société Ital Distrib aux entiers dépens.