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Décisions

ADLC, 15 novembre 2016, n° 16-DCC-174

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

relative à la prise de contrôle exclusif par MM. [X] de 10 magasins de commerce de détail à dominante alimentaire

ADLC n° 16-DCC-174

15 novembre 2016

L'Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 10 octobre 2016, relatif à la prise de contrôle exclusif parMM. [X] Hadjez de 10 magasins de commerce de détail à dominante alimentaire, formalisée par un accord de principe en date du 19 août 2016 ; Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ; Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l'instruction ; Adopte la décision suivante :

I. Les entreprises concernées et l'opération

1. Le groupe Casino, acteur français de la distribution à dominante alimentaire, gère un parc de plus de 12 000 magasins (hypermarchés, supermarchés, magasins de proximité, magasins discompteurs) sous enseignes notamment Franprix, Géant Casino, Casino Supermarché, Petit Casino, Spar, Vival, Monoprix et Leader Price. Il est également présent dans le secteur de la distribution sur internet de produits non alimentaires avec l'enseigne Cdiscount. Le groupe Casino est contrôlé par la société Euris, elle-même contrôlée par M. Jean-Charles Naouri.

2. MM. [X] contrôlent la holding familiale Jadasag Finance et seize sociétés : Holdimag, Maillodis, Cledis, Les 5 fermes, Villierdis, Sablondis, Unidistrib, Rivka, Celial, SDC, Murdis, Sodisnel, Paris Temple, Sodimar, Celideu, Ouest-Bazars, qui exploitent des points de vente de distribution à dominante alimentaire sous les enseignes Galeries Gourmandes, Les 5 Fermes, Simply Market (Groupe Auchan), Franprix et Leader Price (Groupe Casino) situés en Ile-de-France.

3. Les cibles de l'opération sont 10 magasins de commerce de détail à dominante alimentaire exploités sous enseigne Casino, d'une surface comprise entre 945 et 3 230 m² et situés en Ile-de-France. Ces 10 magasins sont, à la veille de l'opération, contrôlés exclusivement par le groupe Casino à travers sa filiale à 100 % RedCo, créée pour les besoins de l'opération.

4. Aux termes de l'accord conclu entre Casino et MM. [X] le 19 août 2016, la société TopCo, contrôlée exclusivement par MM. [X], fera l'acquisition de 51 % du capital de la société RedCo, dont Casino conservera 49 %. Le Président de RedCo sera nommé sur proposition de TopCo, qui désignera également [...] membres sur [...] au conseil de surveillance. Celui-ci adoptera à la majorité simple les décisions stratégiques, notamment relatives au budget et à l'ouverture/cession/fermeture de magasins. Pour sa part, le groupe Casino disposera d'un droit d'information et d'audit et d'une faculté de rachat des titres détenus par TopCo. En l'état des accords des parties, cette faculté constitue, pour le groupe Casino, une option dont l'exercice n'est pas contraint et conditionné à la survenance de faits générateurs hors du contrôle de Casino ou exerçable, au plus tôt, à partir du [...]. Dans ces conditions, les droits conférés au groupe Casino ne sont pas de nature à lui conférer une influence déterminante sur RedCo.

5. En ce qu'elle se traduit par la prise de contrôle exclusif des 10 magasins cibles par MM. [X], l'opération notifiée constitue une concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce.

6. Les entreprises concernées exploitent plusieurs magasins de commerce de détail et réalisent ensemble un chiffre d'affaires total sur le plan mondial de plus de 75 millions d'euros (MM. [X] : [...] d'euros de chiffre d'affaires pour l'exercice clos le 31 décembre 2015 ; les sociétés cibles : [...] d'euros pour le même exercice). Les entreprises concernées réalisent en France dans le secteur du commerce de détail un chiffre d'affaires supérieur à 15 millions d'euros (MM. [X] : [...] d'euros de chiffre d'affaires pour l'exercice clos le 31 décembre 2015 ; les sociétés cibles : [...] d'euros pour le même exercice). Compte tenu des chiffres d'affaires réalisés par les entreprises concernées, l'opération ne relève pas de la compétence de l'Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle relatifs au commerce de détail mentionnés au point II de l'article L. 430-2 du Code de commerce sont franchis. La présente opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatifs à la concentration économique.

II. Délimitation des marchés pertinents

7. Selon la pratique constante des autorités nationale2 et européenne3 de concurrence, deux catégories de marchés peuvent être délimitées dans le secteur de la distribution à dominante alimentaire : d'une part, les marchés aval, de dimension locale, qui mettent en présence les entreprises de commerce de détail et les consommateurs pour la vente de biens de consommation et, d'autre part, les marchés amont de l'approvisionnement sur lesquels les entreprises en tant qu'acheteurs sont en contact avec les fabricants des produits, de dimension nationale.

A. MARCHÉS AMONT DE L'APPROVISIONNEMENT

8. En ce qui concerne les marchés de l'approvisionnement, la Commission européenne a retenu l'existence de marchés de dimension nationale par grands groupes de produits, délimitation suivie par les autorités nationales4.

9. Il n'y a pas lieu de remettre en cause cette délimitation à l'occasion de la présente opération.

B. MARCHÉS AVAL DE LA DISTRIBUTION

1. LES MARCHÉS DE SERVICES

10. En ce qui concerne la vente au détail des biens de consommation courante, les autorités de concurrence, tant communautaires que nationales, ont distingué six catégories de commerce en utilisant plusieurs critères, notamment la taille des magasins, leurs techniques de vente, leur accessibilité, la nature du service rendu et l'ampleur des gammes de produits proposés : (i) les hypermarchés (d'une surface légale de vente supérieure à 2 500 m²), (ii) les supermarchés (magasins à dominante alimentaire d'une surface de vente inférieure à 2 500 m² et supérieure à 400 m²), (iii) le commerce spécialisé, (iv) le petit commerce de détail (moins de 400 m²), (v) les maxi discompteurs, (vi) la vente par correspondance.

11. Au sein du petit commerce de détail5 sont distingués les petits libres-services qui offrent un assortiment étroit de produits courants (une surface inférieure à 120 m²) et les supérettes dont l'offre de produits est un peu plus étendue (une surface comprise entre 120 et 400 m²).

12. Les autorités de concurrence considèrent que, si chaque catégorie de magasin conserve sa spécificité, il existe une concurrence asymétrique entre certaines de ces catégories. Elles distinguent ainsi :

- un marché comprenant uniquement les hypermarchés ; et

- un marché comprenant les supermarchés et les formes de commerce équivalentes (hypermarchés, hard-discount et magasins populaires) hormis le petit commerce de détail (moins de 400 m²).

13. S'agissant du petit commerce de détail, la pratique décisionnelle a également souligné l'existence d'une relation concurrentielle asymétrique avec les autres formes de commerce. Dans certaines configurations géographiques, un hypermarché, un supermarché ou un magasin de hard-discount de plus de 400 m² peut être habituellement utilisé par certains consommateurs comme un magasin de proximité, en substitution d'une supérette, tandis que la réciproque n'est pas vraie. Ainsi, si les hypermarchés et les supermarchés exercent une vive concurrence sur le petit commerce de détail (moins de 400 m²), la réciproque n'est presque jamais vérifiée. Les magasins de proximité subissent donc la concurrence des autres magasins de proximité ainsi que des supermarchés, des magasins discompteurs et des hypermarchés.

14. Compte tenu de la surface réduite des magasins alimentaires parisiens, la pratique décisionnelle considère par ailleurs qu'il existe à Paris une substituabilité plus grande qu'en province entre le petit commerce de proximité (dont la surface totale est inférieure à 400 m²) et les supermarchés et hypermarchés implantés à proximité. Au regard de ces caractéristiques, la pratique décisionnelle a adopté une approche spécifique en estimant que le marché pertinent à Paris comprend ainsi tous les formats de commerces généralistes : petit commerce de détail, supermarchés, magasins populaires, magasins de hard-discount et hypermarchés.

2. LES MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES

15. S'agissant des hypermarchés, la pratique décisionnelle a précisé que les conditions de concurrence s'apprécient sur une zone où se rencontrent la demande des consommateurs et l'offre des hypermarchés auxquels ils ont accès en moins de 30 minutes de déplacement en voiture et qui sont, de leur point de vue, substituables entre eux.

16. Cependant, l'Autorité a relevé que certaines caractéristiques des grandes villes de province et des villes de proche banlieue parisienne (densité de population, conditions de circulation) pouvaient justifier de retenir des zones de chalandise plus réduites s'agissant des hypermarchés et des supermarchés. Elle a ainsi analysé les effets de l'opération à la fois dans des zones correspondant à la pratique décisionnelle applicable au reste du territoire national et dans des zones plus restreintes, correspondant à un temps de trajet de 20 minutes en voiture incluant les hypermarchés autour des hypermarchés cibles6.

17. S'agissant des supermarchés, il ressort de la pratique décisionnelle7 que les conditions de la concurrence s'apprécient généralement sur une zone où se rencontrent la demande des consommateurs et l'offre des supermarchés et formes de commerce équivalentes situés à moins de 15 minutes de temps de déplacement en voiture.

18. Cependant, comme indiqué ci-dessus, la pratique décisionnelle a analysé des zones correspondant à un trajet en voiture de 10 minutes autour des supermarchés situés en proche banlieue parisienne et des zones correspondant à un trajet en voiture de 10 et 15 minutes autour des supermarchés situés en grande couronne ou dans les grandes villes de province8.

19. La question de la délimitation exacte des marchés pertinents dans les grandes villes de province et les villes de proche banlieue parisienne peut être laissée ouverte dans la mesure où, quelle que soit la segmentation envisagée, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeureront inchangées.

20. Il n'y a pas lieu de remettre en cause ces délimitations dans le cadre de la présente opération.

21. En l'espèce, l'opération concerne : (i) un point de vente d'une surface de vente supérieure à 2 500 m² situés en petite couronne parisienne et (ii) neuf points de vente d'une surface de vente supérieure ou égale à 400 m² et inférieure à 2 500 m² situés en Ile-de-France dont quatre en petite couronne parisienne.

III. Analyse concurrentielle

A. MARCHÉ AMONT DE L'APPROVISIONNEMENT

22. En ce qui concerne les marchés amont de l'approvisionnement, il convient d'indiquer que l'opération est limitée à 10 magasins déjà sous enseigne du groupe Casino et s'approvisionnant déjà auprès du groupe Casino. L'acquisition n'est donc pas susceptible de renforcer significativement la puissance d'achat du groupe Casino, tous produits confondus comme par grands groupes de produits.

23. Par conséquent, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché amont de la distribution.

B. MARCHÉ AVAL DE LA DISTRIBUTION A DOMINATION ALIMENTAIRE

24. MM. [X] ne contrôlent et n'exploitent à la veille de l'opération aucun magasin au sein de neuf des dix zones de chalandise concernées par l'opération. L'opération emporte donc un unique chevauchement d'activités dans la zone de chalandise de Nanterre (92) dans laquelle MM. [X] prendront le contrôle exclusif d'un hypermarché Casino d'une surface de 3 230 m². Dans cette zone MM. [X] contrôlent également à la veille de l'opération un supermarché Franprix d'une surface de 440 m².

25. A l'issue de l'opération la part de marché de MM. [X] demeurera inférieure à [0-5] % dans la zone de Nanterre, quelle que soit la segmentation géographique retenue. Dans cette zone, ils feront face à la concurrence de nombreux points de vente sous enseigne Carrefour, Auchan, Leclerc, Intermarché ou encore Système U.

26. Compte tenu de ce qui précède, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence.

DECIDE

Article unique : L'opération notifiée sous le numéro 16-189 est autorisée.

La présidente,

Isabelle de Silva

NOTES

1 Ces magasins sont situés à Esbly (77), Fresnes (94), Le Blanc Mesnil (93), Meaux (77), Mere (78), Nanterre (92), Sevran (93), Vaujours (93), Villeneuve la Garenne (92), Villiers le Bel (95). Ils sont actuellement sous le contrôle exclusif de Casino.

2 Voir notamment la décision de l'Autorité de la concurrence n° 12-DCC-48 du 6 avril 2012 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Sofides par la société ITM Entreprises, et la décision n° 12-DCC-125 du 27 août 2012 relative à la prise de contrôle conjoint de 28 magasins de commerce de détail à dominante alimentaire par l'Union des Coopérateurs d'Alsace et l'Association des Centres Distributeurs E. Leclerc. Voir également la décision de l'Autorité de la concurrence n° 14-DCC-173.

3 Voir notamment les décisions de la Commission européenne M. 1221, Rewe / Meinl du 3 février 1999 et M. 1684, Carrefour/ Promodès du 25 janvier 2000.

4 Voir notamment les décisions du ministre dans le secteur, C.2005-98 Carrefour/ Penny Market du 10 novembre 2005, C.2006-15 Carrefour/ Groupe Hamon du 14 avril 2006, C.2007-172 relatif à la création de l'entreprise commune Plamidis du 13 février 2008 et C.2008-32 Carrefour/ SAGC du 9 juillet 2008 ; ainsi que les décisions de l'Autorité de la concurrence n°11-DCC-45 et 11-DCC-04 précitées.

5 Voir l'avis du Conseil de la concurrence n° 97-A-04 du 21 janvier 1997 relatif à diverses questions portant sur la concentration de la distribution et la décision de l'Autorité de la concurrence n° 10-D-08 du 3 mars 2010 relative à des pratiques mises en œuvre par Carrefour dans le secteur du commerce d'alimentation générale de proximité.

6 Décision n°13-DCC-90 du 11 juillet 2013, paragraphe 102.

7 Voir notamment les décisions de l'Autorité de la concurrence n° 11-DCC-04 du 28 janvier 2011 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Mafical par la société ITM Alimentaire Région parisienne ; la décision n° 11-DCC-05 du 17 janvier 2011 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Distri Sud-Ouest par la société Retail Leader Price Investissement ; la décision n° 14-DCC-11 du 28 janvier 2014 relative à la prise de contrôle par la société Franprix Leader Price Holding de 47 magasins de commerce de détail à dominante alimentaire Le Mutant et de 22 fonds de commerce de boucherie et les décisions n° 12-DCC-63 et n° 14-DCC-173 précitées.

8 Notamment, décision n° 14-DCC-173 du 21 novembre 2014 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Dia France SAS par la société Carrefour France SAS.