CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 15 décembre 2016, n° 14-26193
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Trigano Remorques (SAS)
Défendeur :
Transports Coutant (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dabosville
Conseillers :
M. Loos, Mme Schaller
Avocats :
Mes Taze Bernard, Roux, Azan Bergheimer, Decressat
FAITS ET PROCÉDURE
En 2008, la société Transports Coutant - ci-après Transports Coutant - a effectué plusieurs prestations pour Trigano Remorques. Leur matériel n'étant pas adapté, selon Transports Coutant, la collaboration ne s'est pas poursuivie. En 2011, Transports Coutant a fait des offres de services à la société Trigano Remorques en s'engageant à investir dans l'acquisition de semi-remorques spécialement adaptées aux besoins de cette dernière.
Un contrat de logistique a été signé entre les parties à effet du 1er janvier 2012 pour une durée d'un an renouvelable sauf dénonciation avec un préavis de trois mois.
Aux termes de ce contrat, Transports Coutant bénéficiait d'une exclusivité territoriale pour certains départements.
En 2013, Transports Coutant a constaté une baisse significative du nombre de transports par rapport à l'année 2012 et un arrêt total à partir du mois de mai 2013.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 7 juin 2013, Transports Coutant a protesté de cette situation auprès de Trigano Remorques.
C'est dans ces conditions, que la société Transports Coutant a fait assigner le 20 novembre 2013 la société Trigano remorques pour rupture de fait du contrat.
Par jugement rendu le 20 novembre 2014, le Tribunal de commerce de Paris a :
- Condamné la SAS Trigano Remorques à payer à la SAS Transports Coutant la somme de 90 000 euros, à titre de dommages et intérêts.
- Débouté la SAS Transports Coutant du surplus de ses demandes indemnitaires.
- Condamné la SAS Trigano Remorques à payer à la SAS Transports Coutant la somme de 6 000 euros, par application des dispositions de l'article 700 du CPC.
- Dit les parties mal fondées dans leurs demandes plus amples ou contraires et les en déboute.
- Condamné la SAS Trigano Remorques aux dépens.
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Trigano Remorques le 11 août 2016, par lesquelles il est demandé à la cour de :
Recevant la société Trigano Remorques en son appel, l'y déclarer bien fondée,
Vu l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce et la jurisprudence y afférente,
Vu l'article 9 du Code de procédure civile.
- Infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 20 novembre 2014 en toutes ses dispositions.
Statuant à nouveau :
A titre principal :
- Débouter la société Transports Coutant de son appel incident de l'intégralité de ses prétentions.
A titre subsidiaire :
Vu la définition de la marge brute des prestataires de services,
Vue l'étude de l'Insee sur la marge brute moyenne des transporteurs routiers de marchandises,
- Dire et juger que le manque à gagner subi par la société Transports Coutant de juin à décembre 2013, ne peut être fixée à une somme supérieure à 19 500 euros.
En tout état de cause :
- Confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté la société Transports Coutant de ses demandes fondées sur ses prétendues pertes sur investissement.
- Condamner la société Transports Coutant à payer à la société Trigano Remorques la somme de 5 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
- Condamner la société Transports Coutant aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SCP IFL, Avocats aux offres de droit sur le fondement de l'article 699 du CPC.
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Transports Coutant le 2 septembre 2016 par lesquelles il est demandé à la cour de :
Vu les articles 1134 et 1147 du Code civil,
- Confirmer le jugement rendu le 20 janvier 2014 par le Tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté la SAS Transports Coutant de sa demande d'indemnisation au titre des pertes sur investissements.
Statuant à nouveau,
- Condamner la société Trigano Remorques à payer à la SAS Transports Coutant la somme de 110 000 euros à titre de dommages et intérêts en compensation des investissements réalisés par la SAS Transports Coutant.
- Débouter la société Trigano Remorques de l'intégralité de ses demandes.
- Condamner la société Trigano Remorques à payer à la SAS Transports Coutant une indemnité complémentaire de 6 000 euros du chef de l'article 700 du CPC.
- Condamner la société Trigano Remorques aux entiers dépens de la présente instance, dont distraction au profit de Me Marie-Claude Azan-Bergheimer, en application de l'article 699 du Code de procédure civile.
Cela étant rappelé, LA COUR,
Considérant que le premier juge a, suivant en cela l'argumentaire de la société Transports Coutant, estimé que, le défendeur n'étant pas juge du choix du fondement juridique du litige, devait être écartée l'application des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, selon lesquelles "engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
5) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (...) " ;
Que le tribunal a en conséquence fait application des dispositions des articles 1134 et 1147 du Code civil ;
Considérant cependant que le champ d'application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce s'étend à l'ensemble des relations contractuelles, dès lors qu'elles ont un caractère commercial, ce qui est le cas en l'espèce ; que la rupture brutale des relations commerciales établies visée par ce texte implique nécessairement une faute dans l'exécution du contrat et que c'est précisément ce type de contentieux que le législateur a entendu soumettre exclusivement aux dispositions précitées de l'article L. 442-6, I, 5°, auxquelles les parties ne sont pas en droit de se soustraire ni de faire le choix d'un cadre juridique différent ;
Mais considérant également que la mise en œuvre de ce texte implique également que les relations commerciales soient établies en ce que, en l'espèce, la société Transports Coutant ait pu, compte tenu des commandes passées avec la société Trigano Remorques, raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec cette dernière, laquelle réfute cet argument ;
Considérant que la société Transports Coutant ne conclut elle-même pas sur ce point dans le cadre des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, dont elle réfute l'application, mais qu'elle s'y réfère indirectement en soulignant, dans le chiffrage de son préjudice l'investissement de matériel roulant effectué dès février 2012 pour satisfaire aux exigences de la société Trigano Remorques, soit l'acquisition de six semi-remorques aux couleurs de cette dernière, pour un coût global de 195 300 euros, ce qui selon elle, traduisait une volonté d'inscrire leurs relations dans la durée ;
Mais considérant que la société Transports Coutant ne pouvait ignorer le caractère aléatoire de cette stratégie lié à une relation elle-même précaire puisque issue, selon ses propres explications, de contrats ponctuels conclus en 2008 suivis d'une interruption jusqu'à la conclusion, en janvier 2011, d'un contrat à durée déterminée ; qu'il en découle que les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ne sont pas en l'espèce applicables ;
Considérant, s'agissant du débat au fond, que la société Trigano Remorques entend faire valoir que la cessation des relations commerciales, dont elle ne discute pas la réalité à partir de mai 2013, avait été annoncée dès la fin de l'année 2012, et avérée dès lors que la société Transports Coutant avait lui-même reconnu n'être pas en mesure d'aligner ses tarifs sur ceux de ses concurrents dans le cadre de l'appel d'offres lancé par Trigano Remorques pour 2013, ainsi qu'elle l'avait du reste fait pour 2012 ; qu'elle se prévaut de la durée de cinq mois du préavis accordé, qu'elle estime plus que raisonnable et de nature à écarter la qualification de rupture " imprévisible, soudaine et violente " caractérisant une rupture brutale au sens de l'article L. 442-6, I, 5° ;
Mais considérant qu'il convient de relever que, d'une part, il a été dit que les relations commerciales n'étaient pas établies au sens dudit article ; que, d'autre part, et au rebours de ce que soutient la société Trigano Remorques, la période en cause, soit celle de 2013, s'inscrit dans le cadre du contrat à durée déterminée signé par elle en janvier 2012, et dont l'article 12 fixait la durée à un an renouvelable par tacite reconduction pour des périodes identiques sauf dénonciation trois mois auparavant ;
Que la société Trigano Remorques n'invoque ni ne produit aucune formalité de ce type et qu'elle n'est d'autant pas fondée à porter le débat sur la question de l'appel d'offres qu'elle était tenue dans le cadre d'un contrat précis qu'elle n'a pas régulièrement dénoncé dans le délai convenu ; qu'il en découle que, à la date de la rupture, et compte tenu du fait que la société Trigano Remorques ne pouvait rompre les relations commerciales de l'année 2013 qu'à dater du 1er octobre suivant avec effet au 31 décembre, ce en respectant trois mois de préavis, la durée effective de ce préavis dont devait bénéficier la société Transports Coutant lors de la rupture constatée en mai était de sept mois ;
Considérant ensuite que le préjudice subi par la société Transports Coutant ne résulte pas d'un calcul basé sur la différence entre le prix convenu (ou évalué) et le solde restant du jusqu'au terme du contrat mais, sur la base du préavis dû, et de son exécution par le prestataire qui en aurait éventuellement subi les charges ;
Considérant que la cour relève que le calcul par la société Transports Coutant repose sur les mêmes bases que celles applicables à une rupture brutale des relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce dont l'intéressée a revendiqué en l'espèce l'absence d'application ;
Considérant que cette dernière se prévaut de l'évaluation faite en mai 2013 par son expert-comptable qui fixe à 60 % la marge brute de l'entreprise ; que la société Trigano Remorques conteste ce chiffre auquel elle oppose celui de 13 % constituant un maximum au regard des données INSEE ;
Mais considérant que, dans le cas présent, l'expert-comptable fait à juste titre valoir que la société Transports Coutant supporte durant la durée du préavis nécessaire à la recherche de nouveaux clients la charge fixe des camions immobilisés, les assurances y afférentes, le personnel ;
Considérant cependant que le chiffre de 60 % est manifestement excessif au regard des taux appliqués usuellement dans le transport routier et qu'il convient, au regard des données de l'espèce de le réduire à 20 % ;
Considérant que les parties prennent pour base commune de calcul le chiffre de 149 054, 27 euros - arrondi à 150 000 euros - avancé par la société Transports Coutant sur la base d'une moyenne calculée par rapport au chiffre d'affaires de l'année 2012 (195 922,85 euros) déduction faite de la somme de 46 868,58 euros correspondant au chiffre d'affaires des cinq premiers mois de l'année 2013
Que sur cette base le préjudice de la société Transports Coutant se monte à 30 000 euros ;
Considérant que le jugement est en conséquence infirmé sur ce point ;
Considérant que la société Transports Coutant sollicite une indemnisation complémentaire liée à l'investissement de matériel roulant décrit plus haut ;
Mais considérant qu'il a été plus haut relevé le caractère précaire de la relation liée avec la société Trigano Remorques ; qu'en outre, hormis l'impact d'une rupture sur les éléments purement publicitaires, un tel investissement ne devenait ni inutile ni obsolète du seul fait de la perte d'un client ;
Considérant en conséquence que le jugement est confirmé sur ce point ;
Considérant que l'équité commande d'allouer à la société Transports Coutant la somme de 6 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et de rejeter la demande de la société Trigano Remorques de ce chef.
Par ces motifs : Infirme le jugement en ce qu'il a condamné la SAS Trigano remorques à payer à la SAS Transports Coutant la somme de 90 000 euros, à titre de dommages et intérêts. Statuant à nouveau quant à ce, fixe ce montant à la somme de 30 000 euros. Y ajoutant, Condamne la société Trigano Remorques à payer à la société Transports Coutant la somme de 6000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile. Rejette toutes autres demandes. Condamne la société Trigano Remorques aux dépens dont distraction au profit de Me Marie-Claude Azan-Bergheimer, en application de l'article 699 du Code de procédure civile.