CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 15 décembre 2016, n° 15/05837
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Huteau
Défendeur :
Agitec (Sasu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dabosville
Conseillers :
Mmes Schaller, du Besset
Avocats :
Mes Etevenard, Boccon Gibod
Faits et procédure :
La société JB Tec, aux droits de laquelle est venue la société Agitec, fabrique et commercialise des articles techniques destinés à l'industrie (agitateurs statiques et pendulaires...). Selon contrat d'agent commercial du 1er mars 2005, elle a confié à M. Pierre Huteau la représentation de ses produits en exclusivité sur treize départements déterminés.
En vertu de l'article 8 du contrat, l'agent commercial devait percevoir une commission de 7,5% du montant HT des commandes, taux réparti comme suit :
- 1/3 si la consultation émane des départements concernés,
- 1/3 si la commande est passée des départements concernés,
- 1/3 si l'installation est réalisé dans les départements concernés.
Selon l'article 9 du contrat, celui-ci était à durée indéterminée, mais résiliable par l'une ou l'autre des parties moyennant un préavis de 3 mois la première année et de 6 mois les années suivantes.
Par courrier du 23 juin 2010, la société Agitec, sous la plume de son président M. Laurent
Mangeolle, a notifié à M. Pierre Huteau la résiliation du contrat pour le 31 décembre 2010, avec application expresse d'un préavis de 6 mois, au motif que les ventes dans la zone géographique placée sous sa responsabilité avaient stagné.
Les parties étant, malgré une tentative de conciliation, en désaccord sur le solde des commissions restant dues et l'indemnité de rupture, M. Pierre Huteau a fait assigner le 25 février 2014 la société Agitec devant le tribunal de commerce de Paris, lequel par jugement du 17 décembre 2014 a :
- débouté M. Pierre Huteau de sa demande au titre de sa facture n° 201106311 du 20 juin 2011,
- condamné la société Agitec à payer à M. Pierre Huteau la somme de 7 922,62 euros outre intérêts au taux légal à compter du 20 juin 2011 avec capitalisation, à titre d'indemnité de résiliation correspondant à une année de commissions calculée sur la moyenne des années 2009 et 2010,
- condamné la société Agitec à payer à M. Pierre Huteau la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,
- condamné la société Agitec aux entiers dépens.
Vu l'appel interjeté le 17 mars 2015 par M. Pierre Huteau contre cette décision ;
Vu ses dernières conclusions signifiées le 23 septembre 2015 par lesquelles M. Pierre Huteau demande à la cour de :
- le recevoir en son appel,
- débouter la société Agitec de son appel incident fondé sur une prétendue faute grave,
Et, réformant le jugement entrepris,
- condamner la société Agitec à lui régler :
* le solde de commissions 2010 sur commande Sanofi Val de Reuil de 1.598,25 euros HT, soit
1.911,51 euros TTC,
* à titre d'indemnité compensatrice, 19 843,36 euros HT, correspondant à deux années de commissions calculées sur la moyenne des années 2008, 2009 et 2010,
- dire que les sommes allouées porteront intérêts de droit à compter de l'assignation du 20 Juin 2011 avec le bénéfice de l'article 1154 du Code Civil,
- condamner la société Agitec à lui payer une somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions signifiées le 28 juillet 2015 par la société Agitec, par lesquelles il est demandé à la cour de :
· à titre principal :
- dire que Monsieur Pierre Huteau, en réduisant à presque rien son activité pour la société
Agitec, a commis une faute grave ;
- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Agitec à verser à Monsieur
Pierre Huteau la somme de 7 922,62 euros ;
- le confirmer en ce qu'il a rejeté la demande de paiement de la facture de n°201106311, d'un montant de 1 911, 51 euros TTC, comme étant infondée.
· à titre subsidiaire :
- dire que Monsieur Pierre Huteau a subi un préjudice moindre du fait de l'évolution déclinante de son activité ;
- dire que l'indemnité de rupture de Monsieur Pierre Huteau ne pourra dépasser dix mois de commissions, soit la somme de 6 602,18 euros (calculée d'après la moyenne des années 2009 et 2010) ;
- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Agitec à verser à Monsieur Pierre Huteau la somme de 7 922,62 euros ;
- le confirmer en ce qu'il a rejeté la demande de paiement de la facture n°201106311, d'un montant de 1 911, 51 euros TTC, comme étant infondée.
· à titre infiniment subsidiaire :
- confirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions.
- condamner Monsieur Pierre Huteau à verser la somme de 4 000 euros à la société Agitec au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de la Selarl Lexavoue Paris-Versailles. L'ordonnance de clôture est intervenue le 29 septembre 2016.
Motifs :
Sur la facture n° 201106311 du 20 juin 2011 de 1.911,51 euros TTC :
L'article L. 134-6 du Code de commerce dispose que pour toute opération commerciale conclue pendant la durée du contrat d'agence, l'agent commercial a droit à la commission définie à l'article L. 134-5 lorsqu'elle a été conclue grâce à son intervention ou lorsque l'opération a été conclue avec un tiers dont il a obtenu antérieurement la clientèle pour des opérations du même genre ; que lorsqu'il est chargé d'un secteur géographique ou d'un groupe de personnes déterminé, l'agent commercial a également droit à la commission pour toute opération conclue pendant la durée du contrat d'agence avec une personne appartenant à ce secteur ou à ce groupe. L'article R. 134-3 du même Code précise que le mandant remet à l'agent commercial un relevé des commissions dues, au plus tard le dernier jour du mois suivant le trimestre au cours duquel elles sont acquises ; que ce relevé mentionne tous les éléments sur la base desquels le montant des commissions a été calculé ; et que l'agent commercial a le droit d'exiger de son mandant qu'il lui fournisse toutes les informations, en particulier un extrait des documents comptables nécessaires pour vérifier le montant des commissions qui lui sont dues.
Par ailleurs, au cas présent, selon les termes des articles 7 et 8 du contrat d'agent commercial liant les parties, les clients devaient faire parvenir leurs commandes directement à la société Agitec qui en tenait M. Pierre Huteau informé ; la société Agitec assurait directement la facturation aux clients ; M. Pierre Huteau percevait un pourcentage sur les commandes menées à bonne fin par encaissement du prix total avec mainlevée des éventuelles garanties bancaires ; dès son droit à commission ainsi ouvert, M. Pierre Huteau pouvait émettre la facture qui devait être réglée par la société Agitec au plus tard le 20 du mois suivant.
M. Pierre Huteau sollicite ici le paiement d'une facture n°201106311 du 20 juin 2011 de 1 911,51 euros TTC qui correspond selon lui à des commandes passées en 2010 grâce à son entremise par la société Sanofi Pasteur de Val de Rueil (27).
Or, c'est par des motifs exacts et pertinents que la cour adopte que le tribunal de commerce a admis le principe du droit pour M. Pierre Huteau de percevoir une commission au titre de ces commandes, peu important qu'elles émanent d'une société basée dans l'Eure et ainsi exclue de son secteur géographique d'intervention, l'échange de courriels entre les parties du 3 septembre 2007 au 29 avril 2009 démontrant sans conteste que son mandat avait été étendu à cette cliente de façon informelle, étant rappelé au surplus le caractère consensuel du contrat d'agent commercial. La réalité de l'activité d'intermédiation de M. Pierre Huteau à l'égard de cette cliente est d'ailleurs confirmée par le fait que celui-ci s'était déjà vu verser la commission afférente de 7 852,23 euros par la société Agitec, laquelle a prétendu ensuite à tort, ainsi que cela a été dit, que ce paiement avait été fait par erreur en raison de l'exclusion de son périmètre d'intervention.
Par ailleurs, il résulte de son courrier daté du 20 juin 2011 que M. Pierre Huteau a adressé la copie de la facture n° 201106311 litigieuse à la société Agitec en précisant qu'elle correspondait aux commandes enregistrées en 2010, dont vous m'avez adressé les accusés de réception de commande, mais aucun relevé de commissions pour l'année 2010". Par suite, la société Agitec ne contestant pas, outre avoir bien reçu cette facture, d'une part, la réalité des commandes en cause, d'autre part, avoir ainsi adressé les accusés de réception évoqués et, enfin, avoir omis d'adresser à son agent commercial le relevé de commissions afférent au plus tard le 31 mars 2011, ainsi que la loi l'exige, n'est pas fondée à prétendre ignorer de quelles commandes il s'agit et à reprocher à M. Pierre Huteau d'avoir tardé pour lui adresser sa facture de sa commission.
En conséquence, il résulte de ces éléments que le paiement de cette facture est dû, peu important qu'elle ne soit pas plus produite en cause d'appel que lors de la première instance. Le jugement sera donc infirmé sur ce point. Les intérêts seront dus sur la somme en cause à compter du 20 juin 2011, date de la mise en demeure, avec capitalisation annuelle des intérêts, en application des articles 1153 et 1154 du Code civil.
Sur l'indemnité de rupture :
L'article L. 134-4 du Code de commerce dispose que les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties (alinéa 1) ; que les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information (alinéa 2) ; que l'agent commercial doit exécuter son mandat en bon professionnel ; et que le mandant doit mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat (alinéa 3).
L'article L. 134-12 du même code, dont les dispositions sont d'ordre public, indique qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi ; qu'il perd toutefois le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits ; et que ses ayants droit bénéficient également du droit à réparation lorsque la cessation du contrat est due au décès de l'agent.
L'article L. 134-13 précise toutefois que la réparation ainsi prévue n'est pas due dans les cas suivants :
1° La cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial ;
2° La cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent commercial, par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée ;
3° Selon un accord avec le mandant, l'agent commercial cède à un tiers les droits et obligations qu'il détient en vertu du contrat d'agence.
Il est admis que la faute grave, privative d'indemnité de rupture, se définit comme celle qui porte atteinte à la finalité commune du mandat et rend impossible le maintien du lien contractuel ; elle se distingue du simple manquement aux obligations contractuelles justifiant la rupture du contrat.
En l'espèce, la société Agitec n'établit nullement, ainsi qu'elle en a la charge, que la baisse du chiffre faute grave de la part de ce dernier. En effet, elle ne produit aucun élément pour justifier, comme elle l'allègue, que cette baisse de performances serait consécutive à la manifestation à compter de 2009 d'un désintérêt de l'agent commercial pour son mandat, le simple fait non contesté que ce dernier ait eu en charge les intérêts d'autres mandants étant à lui seul inopérant à cet égard. De même, elle ne fournit strictement aucune pièce pour démontrer que le chiffre réalisé était 'anormalement bas compte tenu du dynamisme invoqué du secteur concerné.
Au surplus, s'il pourrait à la limite s'expliquer que la société Agitec n'ait pas invoqué cette prétendue faute grave dans son courrier de résiliation du 23 juin 2010 faute alors de connaître les chiffres de l'année entière, en revanche, cette explication n'est pas valable s'agissant du courrier de son conseil du 25 juillet 2011 qui ne fait nul état d'une telle faute et propose même à M. Pierre Huteau une indemnité compensatrice de la rupture de 6.500 euros hors taxes.
Enfin, M. Pierre Huteau observe à bon droit que le propos laudatif (: Bon boulot, Pierre !) que lui a adressé le directeur de la société Agitec, M. Laurent Mangeolle, dans son courriel du 10 avril 2009, même s'il se limite à sa mission auprès de Sanofi Pasteur, paraît difficilement compatible avec la thèse soutenue de la faute lourde.
Il s'évince de ces développements qu'ainsi que l'ont estimé avec exactitude les premiers juges, M. Pierre Huteau a droit à une indemnité compensatrice de rupture.
S'agissant de son quantum, il est rappelé à bon droit par la société Agitec que son calcul n'est pas réglementé et qu'il convient donc de statuer en fonction des circonstances spécifiques de la cause.
Nonobstant, il existe un usage reconnu qui consiste à accorder une indemnité correspondant à deux années de commissions, lequel usage ne lie toutefois pas la cour.
Or, en l'espèce, il n'existe pas de raison de s'écarter de cet usage, compte tenu de la durée relativement importante de la mission d'agent commercial qui a débuté dès juillet 2004 d'après le courrier de résiliation pour fin 2010 et de l'absence de faute de M. Pierre Huteau. Par ailleurs, il apparaît équitable comme représentatif de l'activité de ce dernier de retenir comme assiette de la moyenne les trois dernières années de commissions (soit, 13 919,80 euros pour 2008, 14 246,99 euros pour 2009 et 1.598,25 euros pour 2010, ce qui aboutit à un total de 29.765,04 euros) ; ainsi, la demande de M. Pierre Huteau sera accueillie dans sa totalité, soit à hauteur de (29.765,04 : 3) x 2 = 19 843,36 euros, outre intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, en application de l'article 1153-1 du Code civil, avec capitalisation annuelle.
La Société Agitec qui succombe supportera les dépens. L'équité commande d'allouer à M. Pierre Huteau la somme supplémentaire de 2 000 euros, en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Confirme le jugement entrepris, excepté en ce qu'il a débouté M. Pierre Huteau de sa demande de paiement de la somme de 1 911,51 euros et limité son indemnité compensatrice de la rupture à 7 922,62 euros ; Statuant de nouveau sur les points réformés, Condamne la société Agitec à payer à M. Pierre Huteau les sommes de :- 1 911,51 euros avec intérêts au taux légal à compter du 20 juin 2011, - 19 843,36 euros avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ; Ordonne la capitalisation annuelle des intérêts ; Condamne la société Agitec à payer à M. Pierre Huteau la somme de 2 000 euros, en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toutes autres demandes ; Condamne la société Agitec aux dépens.