ADLC, 2 décembre 2015, n° 15-A-17
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Avis
relatif au dispositif d'extinction des tarifs réglementés de vente de l'électricité et du gaz naturel
L'Autorité de la concurrence (commission permanente),
Vu la lettre du 8 septembre 2015, enregistrée sous le numéro 15/0075 A, par laquelle le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique a saisi pour avis l'Autorité de la concurrence sur les modalités de gestion de la fin du dispositif d'offre transitoire dans le cadre de l'extinction des tarifs réglementés de vente de l'électricité et du gaz naturel ; Vu le livre IV du Code de commerce ; Vu le Code de l'énergie ; Vu la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, notamment son article 25 ; Vu la délibération de la Commission de régulation de l'énergie du 28 mai 2015 portant décision sur les missions des gestionnaires de réseaux de distribution de gaz naturel relatives à la sortie des offres transitoires prévues par les dispositions de l'article 25 de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation ; Vu les autres pièces du dossier ; Les rapporteurs, le rapporteur général adjoint et les représentants de la direction générale de l'énergie et du climat du ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 10 novembre 2015, le commissaire de Gouvernement ayant été entendu ; Est d'avis de répondre à la demande présentée dans le sens des observations qui suivent :
1. Le ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique a saisi, le 8 septembre 2015, l'Autorité de la concurrence (ci-après "l'Autorité") d'une demande d'avis sur les modalités de gestion de la fin du dispositif d'offre transitoire mis en place par la loi dans le cadre de l'extinction des tarifs réglementés de vente de l'électricité et du gaz naturel.
2. Après un rappel du dispositif législatif prévu pour l'extinction des tarifs réglementés et une présentation des résultats de la première phase qui s'est déroulée en 2014 et 2015, le présent avis exposera les enjeux concurrentiels attachés à la sortie du dispositif transitoire et proposera des solutions pour traiter la situation des clients qui n'auraient pas spontanément choisi une offre de marché avant l'extinction de ce dispositif.
I. La sortie des tarifs réglementés pour les professionnels
A. L'OUVERTURE PROGRESSIVE DES MARCHÉS DE L'ÉNERGIE
3. Depuis les années 2000, les marchés de l'électricité et du gaz ont été progressivement ouverts à la concurrence en France, segment par segment. Aujourd'hui, l'ensemble des clients, résidentiels et non résidentiels, ont la possibilité de choisir leur énergie auprès de plusieurs fournisseurs.
4. En parallèle de cette ouverture les pouvoirs publics français ont souhaité maintenir l'existence de tarifs réglementés de vente (TRV), comme le permet le cadre européen, avec notamment pour objectif de permettre aux particuliers et aux petites entreprises d'être approvisionnées à des prix raisonnables.
5. Les clients peuvent ainsi choisir entre:
- les offres aux TRV proposées uniquement par les fournisseurs historiques et les entreprises locales de distribution (ELD), les nouveaux entrants n'y ayant pas juridiquement accès même s'ils peuvent proposer des offres de marché identiques aux TRV ; les tarifs de ces offres sont arrêtés et revus périodiquement par les pouvoirs publics, selon un principe de couverture des coûts ;
- les offres de marché proposées par tous les fournisseurs, historiques ou nouveaux entrants, qui en fixent librement les prix.
6. Au 30 juin 2015 (tableau ci-dessous), les TRV sont encore dominants avec toutefois des différences notables entre l'électricité et le gaz et selon qu'on raisonne en nombre d'abonnés ou en volume d'énergie fournie.
7. Pour l'électricité, dont le parc est de 36,6 millions de sites répartis en 5 millions de non résidentiels et 31,6 millions de résidentiels, la part des TRV pour les non résidentiels est de 85 % en nombre et de 54 % en volume, alors que, pour les résidentiels, elle est de 90 % aussi bien en nombre qu'en volume.
8. Pour le gaz, dont le parc est de 11,3millions de sites répartis en 670 000 sites non résidentiels et 10,6 millions sites résidentiels, la part des TRV pour les non résidentiels est de 25 % en nombre et de seulement 2 % en volume alors que, pour les résidentiels, elle est de 63 % aussi bien en nombre qu'en volume. La sortie des non résidentiels des TRV pour le gaz est donc très avancée.
9. De plus, quelles que soient les catégories, en gaz comme en électricité, les parts de marché des fournisseurs alternatifs sont supérieures, voire très supérieures, à celles des fournisseurs historiques en ce qui concerne les offres de marché.
Tableau n° 1 : parts des offres aux TRV et des offres de marché (source CRE)
<TABLEAU>
B. LE DISPOSITIF D'EXTINCTION PRÉVU PAR LA LOI
1. LE CALENDRIER DE SORTIE ET LES MESURES D'ACCOMPAGNEMENT
10. L'article 25 de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation a prévu l'extinction des TRV du gaz pour les clients non domestiques dont la consommation excède 30 000 kilowattheures de gaz naturel par an, en fixant trois échéances :
- trois mois après la publication de la loi (soit le 19 juin 2014), pour les consommateurs raccordés au réseau de transport (grands clients industriels) ;
- le 31 décembre 2014, au plus tard, pour les consommateurs non domestiques dont la consommation annuelle est supérieure à 200 000 kilowattheures ;
- le 31 décembre 2015, au plus tard, pour les consommateurs non domestiques dont la consommation annuelle est supérieure à 30 000 kilowattheures.
11. Ce calendrier a prévu les exceptions suivantes :
- les gestionnaires d'installations de chauffage collectif consommant moins de 150 000 kilowattheures par an pourront continuer à bénéficier des TRV ;
- les entreprises locales de distribution (ELD) dont la consommation est inférieure à 100 000 mégawatheures par an peuvent continuer à bénéficier des TRV jusqu'au 31 décembre 2015.
12. En application du II de l'article 25 précité, les fournisseurs historiques doivent informer leurs clients " de la résiliation de fait de leur contrat au tarif réglementé et de la date de son échéance ", à trois reprises :
- un mois après la promulgation de la loi ;
- six mois avant la date de suppression des TRV les concernant ;
- trois mois avant la date de suppression des TRV les concernant.
13. De plus, la loi a prévu de soumettre le contenu de ces courriers aux ministres chargés de l'énergie et de l'économie, qui peuvent y apporter toute modification qu'ils jugent nécessaire (dernier alinéa du II).
14. Enfin, le VI de cet article 25 a étendu le dispositif de suppression des TRV du gaz à la fourniture de l'électricité et à l'extinction prévue le 31 décembre 2015 pour les clients professionnels. Seront ainsi concernés des clients ayant souscrit une puissance supérieure à 36 kilovoltampères (tarifs verts et jaunes).
2. LES OFFRES TRANSITOIRES ET LE TRAITEMENT DES CLIENTS " INERTES "
15. Le III de l'article 25 de la loi du 17 mars 2014 a prévu la situation des consommateurs qui auraient omis de souscrire une offre de marché à l'échéance de fin des tarifs réglementés alors que leur perte d'éligibilité aux TRV a pour conséquence la résiliation de fait du contrat de fourniture en cours.
16. Dans cette hypothèse, et afin que les consommateurs ne subissent pas d'interruption de leur fourniture pendant l'hiver (selon l'exposé des motifs de l'amendement du gouvernement), le législateur a prévu que le consommateur est " réputé avoir accepté les conditions contractuelles du nouveau contrat " qui lui a été adressé par son fournisseur historique trois mois avant la date d'extinction de son tarif. Toutefois, la durée de cette offre transitoire ne peut excéder une durée de six mois à l'issue de laquelle, selon les termes de la loi, " la fourniture n'est plus assurée ". En conséquence, tout site pour lequel un consommateur n'aurait pas conclu un contrat en offre de marché à l'échéance de l'offre transitoire est susceptible d'être coupé.
17. Par ailleurs, le texte prévoit la faculté pour ce consommateur de résilier à tout moment ce contrat transitoire, sans indemnité, ceci pour faciliter la souscription à une offre de marché.
18. Le IV de cet article oblige les fournisseurs historiques à communiquer au ministre en charge de l'énergie le nombre de consommateurs non domestiques, différenciés par volume de consommation et type de clients, six mois, trois mois et trente jours avant la date de suppression légale de leur offre transitoire.
19. Le mécanisme d'offre transitoire, prévu initialement pour le gaz, a été lui aussi étendu aux tarifs réglementés d'électricité et à l'extinction prévue le 31 décembre 2015 pour les clients professionnels (le VI de cet article).
C. LE FONCTIONNEMENT ET LES ADAPTATIONS DU DISPOSITIF LÉGAL
1. LES RÉSULTATS DE LA PREMIÈRE PHASE D'EXTINCTION DES TRV POUR LE GAZ
20. En application des dispositions précitées, les consommateurs non domestiques de gaz naturel consommant plus de 200 000 kilowattheures par an n'ayant pas souscrit auparavant à une offre de marché ont vu leurs contrats résiliés de droit au 31 décembre 2014. Ils ont donc été basculés dans le régime d'offre transitoire au 1er janvier 2015.
21. En raison de l'inertie constatée de la part de ces clients (entreprises, acheteurs publics, copropriétés, etc.) et dans la perspective d'avoir à couper la fourniture d'un nombre important de ces clients durant l'été 2015, la Commission de régulation de l'énergie (ci-après la CRE) a adopté, par une délibération du 28 mai 2015, un dispositif exceptionnel de " sortie de l'offre transitoire ", chargeant les gestionnaires de réseaux de distribution de gaz naturel de maintenir l'approvisionnement en offre transitoire pour trois mois supplémentaires, contre une " indemnité " encadrée (environ le TRV majoré de 10 %).
22. Le régulateur sectoriel a pris soin d'indiquer dans sa décision que le dispositif ne pouvait s'envisager que pour la phase actuelle et non pour la prochaine, en raison du nombre possiblement bien supérieur de clients pouvant rester inertes.
23. Par ailleurs, parmi les clients concernés par l'extinction figurent des personnes publiques. Bien que le dispositif transitoire ne leur soit pas applicable et qu'elles soient censées contracter une offre de marché avant le terme des TRV, ceci a été peu suivi en pratique. Un traitement différencié de ces clients est donc envisagé pour la deuxième phase.
2. LA PRÉPARATION DE LA PROCHAINE PHASE D'EXTINCTION
24. Alertés par cette expérience, les pouvoirs publics ont entamé une phase de réflexion et de concertation sur un dispositif de gestion des clients qui pourraient rester inertes à l'issue de la deuxième phase d'extinction des TRV du gaz et de l'électricité qui doit s'achever au 31 décembre 2015 pour la phase normale et au 30 juin 2016 pour la phase transitoire.
25. D'après les hypothèses et les projections des principales parties prenantes, notamment des gestionnaires de réseau de distribution ERDF et GRDF, les clients " inertes ", c'est-à-dire qui n'auraient pas souscrit d'offre de marché à l'extinction de leur offre au TRV et qui basculeraient donc dans l'offre transitoire au 1er janvier 2016, pourraient être autour de 200 000 sites en électricité et entre 15 000 et 25 000 sites en gaz naturel.
26. Compte-tenu des incertitudes sur le comportement futur de ces abonnés, il n'y pas d'évaluation du nombre de clients inertes qui pourraient se trouver en situation de subir une coupure d'approvisionnement au 30 juin 2016, au terme de la phase transitoire.
27. Toutefois, dans sa saisine du 8 septembre, le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique a indiqué que la coupure des clients était difficile à envisager et que des mécanismes de transfert du stock de clients inertes, dont le nombre n'est ni connu ni estimé à ce stade, pourraient être mis en place, soit vers les GRD comme cela avait été fait pour la première tranche, soit à des " fournisseurs balais " sélectionnés par les pouvoirs publics, et a demandé à l'Autorité de " procéder à un recensement des différentes solutions envisageables, de les expertiser, d'identifier le mode opératoire le plus adéquat au regard de l'ensemble des critères pertinents d'appréciation, notamment celui de la concurrence, et de formuler sur cette base des recommandations ".
28. Les pouvoirs publics ont d'ores et déjà engagé des discussions avec la CRE et les opérateurs pour explorer différentes hypothèses et ont été amenés à envisager quatre modalités possibles pour le prochain dispositif de sortie d'offre transitoire :
- la répartition des clients inertes par mise en concurrence des fournisseurs intéressés, soit sur le critère du le prix le plus bas de l'énergie (" option 1 ") soit sur le critère du montant le plus élevé d'une contribution à la collectivité que le fournisseur s'engagerait à reverser à la collectivité (" option 1 bis ") ;
- la répartition des clients inertes, soit par tirage au sort, soit à proportion de leurs parts de marché actuelles, entre des fournisseurs agréés sur la base d'un cahier des charges (" option 2 ") ;
- la prolongation de l'offre transitoire : les fournisseurs d'offres transitoires (EDF, ENGIE, ELD) continueraient à fournir leurs clients inertes, qui devraient alors payer une pénalité, possiblement progressive pour les inciter à souscrire une offre de marché (" option 3 ") ;
- la prise en charge des clients inertes par les gestionnaires de réseaux de distribution : ERDF et GRDF se feraient ainsi transférer les clients inertes et leurs fourniraient l'énergie au TRV, assortie d'une pénalité, là aussi possiblement progressive (" option 4 ").
29. Ces différents dispositifs requièrent, à des degrés divers, un recours à la loi car ils conduisent à prolonger l'offre transitoire, elle-même créée par la loi, ou à imposer un changement de fournisseur sans le consentement des clients intéressés. Le gouvernement a donc envisagé de recourir à l'habilitation prévue par l'article 172 de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, qui l'autorise à prendre par ordonnance " les dispositions nécessaires pour compléter la transposition " des directives européennes de 2009 concernant le marché intérieur du gaz et de l'électricité et " les mesures d'adaptation de la législation liées à cette transposition ".
30. Toutefois, certaines des options présentées ci-dessus nécessitent la mise en place de dispositions techniques qui ne relèvent pas de la loi, par exemple l'organisation d'un appel d'offres d'une nature assez nouvelle et dont l'écriture demanderait un travail juridique conséquent. L'ordonnance envisagée ne devrait donc prévoir que les grandes lignes du dispositif et renvoyer le reste des mesures à un texte réglementaire ou confier l'élaboration et l'exécution de la phase opérationnelle à la CRE.
II. Analyse concurrentielle
31. La situation de clients restés inertes à l'issue de la première phase a certes posé des problèmes inattendus auxquels les administrations n'étaient pas préparées mais l'ampleur du phénomène, qui reste limité au regard de la taille du marché, conduit à s'interroger sur la nécessité de mettre en place un dispositif législatif nouveau pour la seconde phase.
32. Un retour sur l'expérience d'extinction des TRV du gaz naturel de 2014 et 2015 est nécessaire pour essayer d'anticiper les difficultés qui pourraient survenir lors de la prochaine phase d'extinction en 2016, même si le sujet sera plus nouveau pour l'électricité que pour le gaz, marché qui bénéficie du précédent de 2015.
33. Ce préalable est indispensable pour répondre à la question posée dans la saisine ministérielle car les avantages et les inconvénients des différentes options mises à l'étude par les pouvoirs publics ne peuvent être raisonnablement appréciés qu'au regard de l'ampleur des problèmes auxquels ils doivent remédier.
A. L'APPRÉCIATION DE LA PREMIÈRE DE SORTIE DES TRV POUR LE GAZ
1. LA PREMIÈRE PHASE D'EXTINCTION A ÉTÉ UNE RÉUSSITE POUR LE MARCHÉ
34. Le nombre de consommateurs non domestiques de gaz naturel consommant plus de 200 000 kilowattheures par an, visés par la loi, a connu les évolutions suivantes :
- en décembre 2013, plus de 60 000 sites ayant un contrat aux TRV étaient concernés par leur suppression fin 2014 ;
- au 31 décembre 2014, environ 43 000 avaient contracté une offre de marché et 17 000 ont été basculés dans l'offre transitoire, réputée tacitement acceptée ;
- au 1er juillet 2015, au terme des six mois maximum prévus pour l'offre transitoire, 3 000 clients " inertes " n'étaient toujours pas passés aux offres de marché;
35. Une observation plus fine permet de voir que l'échéance du 30 juin avait été bien intégrée, même par les retardataires, puisque le mois de juillet a été marqué par des sorties nombreuses, le stock de clients inertes tombant rapidement à 2 000 puis à 1 500, quelques semaines après la fin de la période transitoire :
Graphique n° 1 : Évolution de la clientèle inerte dans le dispositif post-transitoire de GrDF (en nombre de points de comptage)
<GRAPHIQUE>
(Source : GrDF)
36. Lors de la séance, la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) a indiqué, qu'à la date du présent avis, 300 sites n'ont toujours pas souscrit d'offre de marché. Mais elle considère que ce bon résultat n'est pas pertinent pour apprécier la réussite du dispositif car l'administration centrale, la CRE, les gestionnaires de réseau et même les préfets ont dû consentir des efforts très importants, allant jusqu'à des relances téléphoniques personnalisée des clients inertes, pour obtenir la poursuite de la baisse du stock après l'été 2015. Or, c'est précisément la réitération de tels efforts, jugés disproportionnés et probablement impossibles à mettre en œuvre sur un stock d'inertes plus important, que le gouvernement souhaite éviter pour 2016.
37. Il n'en demeure pas moins que, si on laisse de côté cette phase ultime particulièrement difficile à gérer faute d'avoir recouru aux coupures, force est de constater que les chiffres fournis conduisent à porter une appréciation plutôt positive sur le déroulement de cette première étape de suppression des TRV pour le gaz. En effet, à partir d'un stock de 60 000 clients à traiter, on observe que 43 000 d'entre eux ont spontanément rejoint les offres de marché avant le 31 décembre 2014, soit plus de 70 %, que ce nombre atteignait 57 000 à la fin de la période transitoire légale, soit 95 % (Observatoire du marché de la CRE, 2ème trimestre 2015, page 24). À la fin de l'été, l'extinction des TRV était achevée à 98 %. On ne peut donc parler d'échec.
38. Ce résultat est encore meilleur si on le met en regard de la situation globale du marché présentée aux points 6 à 9 ci-dessus. En effet, le stock de 3 000 clients résiduels au terme de la première étape de suppression des TRV représentait moins de 0,3 % des clients non résidentiels en nombre de sites et probablement moins de 0,1 % des consommations. Autrement dit, les enjeux concurrentiels attachés à la résorption de ce reliquat étaient très limités. À partir de septembre 2015, le résidu des inertes est tellement faible que les enjeux concurrentiels deviennent insignifiants au regard de la taille du marché adressable.
39. Le constat est donc que cette première phase de sortie des TRV est une réussite, même si les derniers inertes ont posé aux administrations concernées des problèmes de gestion disproportionnés par rapport aux enjeux concurrentiels sous-jacents, faute d'une mesure couperet efficace. Le traitement de ce stock résiduel n'était donc pas un sujet de concurrence mais un sujet juridique.
2. LES DIFFICULTÉS RENCONTRÉES LORS DE LA PREMIÈRE PHASE
40. Sur le plan qualitatif, la clientèle en transition a présenté une forte hétérogénéité (clients publics et privés, tertiaire privés, syndics et copropriétés). Les parties prenantes interrogées durant l'instruction expliquent l'inertie de ces clients par des facteurs variés, dans des proportions restant floues :
- la méconnaissance du cadre d'extinction des TRV et des risques de coupure ; dans de nombreux cas cette méconnaissance a résulté du fait que les messages de relance ne sont pas parvenus aux interlocuteurs décisionnaires ;
- l'attachement aux fournisseurs historiques ou le désintérêt pour la concurrence ;
- des processus décisionnels internes lents ou diffus (collectivités publiques soumises au code des marchés publics, syndics devant réunir une assemblée générale) ;
- des difficultés ou des retards de paiement.
41. À ce jour, bien que le cadre législatif le permette et que les pouvoirs publics l'aient annoncé, aucune coupure n'a été mise en œuvre, ni de manière ponctuelle, ni sur un nombre limité de clients choisis à dessein à titre d'avertissement, alors même que l'argument de l'impossibilité de couper le chauffage en hiver était inopérant puisqu'on était au mois de juillet. Les souscriptions d'offres de marché ont donc eu lieu sans l'usage du levier le plus contraignant, dont l'efficacité n'a donc pu être testée.
42. On peut en conclure que les raisons objectives qui expliquaient les retards, notamment la lourdeur des procédures pour les collectivités locales et les copropriétés, ne remettaient pas en cause la bonne foi de ces clients pour aller à leur rythme vers les offres de marché, ce qui excluait l'utilisation d'un moyen aussi brutal.
43. De fait, il semble bien que l'inertie soit, dans l'immense majorité des cas, davantage le fait d'une absence d'implication que d'un refus d'appliquer la loi. Le graphique ci-après illustre la répartition des souscriptions d'offres de marché dans le temps et montre l'efficacité des procédures de relance à l'approche des échéances :
Graphique n° 2 : évolution dans le temps du nombre de sites sortis des TRV par souscription d'offre de marché
<GRAPHIQUE>
(Source : Ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie)
44. Ces relevés montrent que les annonces des échéances et les courriers d'information associés, prévus par le cadre réglementaire, ont eu une influence nette sur les conversions aux offres de marché. Et cela alors même que le nombre des courriers aux clients semble avoir été relativement limité et que leur contenu n'a pas été très explicite sur les conséquences en cas d'inertie, notamment sur les perspectives de coupure.
45. De même, les majorations des prix de l'énergie dans le dispositif post-transitoire ont été très faibles (d'abord 3 % de pénalité puis environ 10 %) et seulement deux courriers les ont mentionnés. Il ne semble donc pas que l'effet incitatif des pénalités financières ait été réellement exploité. Il existe donc une marge de progression pour rendre plus efficace l'information sur l'extinction des TRV et notamment sur le signal prix, à condition que la pénalité pour retard soit fixée en 2016 à un niveau moins symbolique qu'en 2015.
B. LES PERSPECTIVES DE LA PROCHAINE PHASE
46. Les chiffres présentés, lors de la séance, par la DGEC font état, en octobre 2015, d'un reliquat de 31 000 clients encore au TRV en gaz naturel sur un stock de départ d'environ 115 000 clients et d'environ 300 000 clients encore au TRV en électricité sur un stock de départ d'environ 450 000 clients. Aussi les pouvoirs publics craignent de voir plusieurs dizaines de milliers de clients rester inertes à l'issue du dispositif de transition, fin juin 2016. Des projections sur ces masses de clientèle sont certes difficiles à faire huit mois avant l'échéance, sachant que beaucoup de décisions de changement de tarif sont prises en fin de période. On peut toutefois se servir du précédent de 2015 pour le gaz et avancer quelques observations qualitatives pour l'électricité.
1. LES PERSPECTIVES DE 2016 POUR LE GAZ
47. Le graphique ci-après illustre la dynamique actuelle de sortie des TRV pour le gaz.
Graphique n° 3 : évolution du nombre de clients concernés par la prochaine échéance de suppression du TRV du gaz naturel
<GRAPHIQUE>
48. Deux enseignements peuvent être tirés de ces données. Le premier est qu'à deux mois de la première échéance du 31 décembre 2015, 75 % du stock cible a déjà basculé sur des offres de marché. L'administration anticipe elle-même un stock résiduel compris entre 15 000 et 25 000 clients fin 2015, au terme de la période de validité des TRV. Ces chiffres conduiraient donc à un taux de bascule spontanée des clients compris entre 80 % et 87 %. Le ratio attendu au 31 décembre 2015 serait donc bien meilleur que celui de la phase précédente qui s'était achevée avec une bascule spontanée de seulement 70 % des clients visés par la mesure.
49. Compte-tenu de l'avance acquise en 2015, il paraît peu probable que la période transitoire de six mois supplémentaires ne permette pas d'atteindre au moins un seuil comparable à celui de la phase précédente, surtout si des mesures plus incitatives sont prises pendant la phase transitoire. Le résidu de clients inertes au 30 juin 2016 devrait donc être comparable à celui observé en juin 2015 et représenter quelques milliers de clients, nombre qu'il faudra apprécier au regard de l'ensemble du marché non résidentiel entièrement passé en offres de marché, soit 520.000 sites dont 223 000 étaient déjà clients des opérateurs alternatifs, fin juin 2015. En volume de consommation, la proportion de ce reliquat par rapport à l'ensemble du marché serait insignifiante.
50. Enfin, par analogie avec la première phase, on doit relever qu'un certain nombre de ces clients inertes seront des collectivités publiques ou des établissements publics soumis au code des marchés publics. Le retard constaté pour eux n'aura aucune conséquence sur la concurrence puisque la raison même du retard est l'obligation qui pèse sur cette catégorie de clients de choisir leurs fournisseurs par appel d'offres, procédure qui place l'opérateur historique et ses concurrents à armes égales. La concurrence jouera donc, et avec même plus de garanties que pour d'autres catégories de clients non résidentiels.
51. La conclusion raisonnable qui découle de ces constats est que, comme pour la première phase, les enjeux concurrentiels attachés au traitement du stock résiduel de clients inertes de la deuxième phase sont très limités pour le gaz en ce qui concerne le nombre de sites et insignifiants en ce qui concerne le volume d'énergie vendue.
52. Dès lors que la coupure de l'approvisionnement, même en été et même de manière ciblée, semble écartée et que les personnes publiques pourraient être traitées séparément, la seule question posée au gouvernement, s'agissant du marché du gaz, reste celle du choix d'une mesure couperet efficace qui permette de basculer définitivement les ultimes clients inertes vers les offres de marché.
2. LES PERSPECTIVES 2016 POUR L'ÉLECTRICITÉ
53. La situation de l'électricité est différente de celle du gaz car le taux de conversion ne serait que de 33 % début novembre 2015 et qu'en outre ce niveau ne semble avoir été atteint que grâce à une forte accélération des sorties des TRV après l'été comme le montre le tableau suivant qui porte sur 90 % du marché (hors ELD) :
Graphique n° 4 : évolution du nombre de clients concernés par la prochaine échéance de suppression du TRV de l'électricité (réseau ERDF, hors ELD)
<GRAPHIQUE>
(Source : Ministère de l'Ecologie, du Développement durable et de l'Energie)
54. La situation au 31 décembre 2015 dépend donc du rythme de sortie des TRV qui sera constaté sur les deux derniers mois de l'année. L'administration travaille pour l'instant sur une hypothèse de 200 000 inertes en fin d'année mais on pourrait rapidement passer sous la barre des 150 000 clients résiduels au début 2016, si les résultats enregistrés au début du mois de novembre sont confirmés en décembre 2015 et en janvier 2016, sur le modèle de ce qui a été constaté pour le gaz fin 2014.
55. Le tableau ci-dessus montre en effet que si l'ampleur future des mouvements de conversion est difficile à prévoir, la dynamique est déjà à l'œuvre alors même que les lettres de relance de novembre n'ont pas encore produit leurs effets. Enfin, il faut noter qu'aucune décision n'a encore été prise sur une éventuelle pénalité de retard et donc qu'aucune communication n'a encore été faite sur ce sujet. Ce levier, une fois actionné, pourrait être très efficace si la pénalité était suffisamment dissuasive, ce qui n'a pas été le cas de celle appliquée en 2015.
56. Faute de précédent sur lequel s'appuyer pour faire des prévisions, comme c'est le cas pour le gaz, l'administration travaille sur une hypothèse conservatrice d'environ 40 000 clients inertes au terme de la période transitoire qui s'achèvera le 30 juin 2016. Ceci représente un effectif considérable en terme de stock résiduel à traiter par des mesures individuelles, ce qui exclut tout traitement personnalisé des inertes par l'administration, mais un effectif qui reste faible au regard d'un marché d'environ 500 000 clients concernés par la suppression des TRV et presque négligeable par rapport à la masse des 5 millions de clients non résidentiels, dont environ 750 000 sont déjà passés aux offres de marché.
57. Toutefois, il ne s'agit que d'une prévision et le stock résiduel pourrait être inférieur car trois caractéristiques devraient jouer dans le sens d'une conversion des clients plus rapide que pour le gaz :
- en électricité, il y aura une moindre proportion de clients publics, dont les procédures d'appels d'offres peuvent être longues, d'autant que le dispositif pourrait leur accorder un traitement séparé;
- en électricité, les sites collectifs de logement fonctionnent avec des compteurs individuels et donc des contrats individuels, les ménages payant eux-mêmes leurs factures, notamment de chauffage : on ne devrait donc pas être confronté aux retards de décision des copropriétés ;
- en électricité, les clients sont dans une très une large majorité des entreprises petites ou moyennes, a priori plus réactives et pour lesquelles des menaces de coupures, même de très courtes durées, seraient très dissuasives.
58. Il faut enfin tenir compte du fait que la mise à disposition par GDF du fichier des clients encore aux TRV n'était intervenue qu'en novembre 2014 à la suite d'une injonction de l'Autorité. Ce préalable indispensable à une prospection commerciale efficace des fournisseurs alternatifs avait donc été relativement tardif par rapport au calendrier de suppression des TRV prévu par la loi.
59. En outre, à partir de janvier 2015, les clients inertes sont sortis des TRV pour passer aux offres transitoires, ce qui les a fait sortir des fichiers de GDF alors qu'ils n'étaient pas encore passés aux offres de marché et restaient des prospects pour les alternatifs. La correction de ce défaut a pris un certain temps, ce qui a également affecté la qualité des relances pendant la période transitoire.
60. Ces difficultés ne devraient pas être observées pour l'électricité puisque EDF a déjà fourni les bases de données des clients aux TRV et la réintégration des clients passés aux offres transitoires dans ces fichiers n'aura pas à être opérée à partir du 1er janvier 2016. L'utilisation de ces données, correctement mises à jour, par les fournisseurs alternatifs pour relancer les prospects devrait donc être meilleure que celle qui a été observée en 2014.
61. Ces éléments vont tous dans un sens d'une bascule vers les offres de marché plus rapide pour l'électricité que pour le gaz.
62. Ainsi, quelle que soit l'hypothèse retenue, l'effet du stock résiduel sur le marché devrait rester limité. Dans l'hypothèse conservatrice de 40.000 clients inertes en fin de période transitoire, actuellement retenue par l'administration, cette quantité est à comparer aux 744 000 sites déjà passés en offres de marché en juin 2015 dont au moins 480 000 pour les fournisseurs alternatifs, et au stock final qui serait compris entre 1,1 et 1,2 million de sites aux offres de marché en juin 2016.
63. Selon les prévisions les plus pessimistes, le stock résiduel d'inertes représenterait 3 % à 4 % du total des sites non résidentiels passés en offre de marché et de l'ordre de 8 % si l'on s'en tient aux seuls non résidentiels dont le passage aux offres de marché sera obligatoire à compter du 1er janvier 2016.
64. En retenant d'autres hypothèses, plus favorables, par exemple un plancher de 20 000 clients, également évoqué devant l'Autorité lors de la séance, l'ampleur du sujet serait réduite à moins de 2 % du total des sites non résidentiels passés aux offres de marché, aussi bien en nombre de sites qu'en volume.
65. Ainsi, malgré une incertitude plus forte sur le comportement des entreprises concernées pour l'électricité que pour le gaz, faute de précédent, la conclusion raisonnable qui découle de ces éléments est que les enjeux concurrentiels attachés au traitement du stock résiduel de clients inertes en fin de période transitoire seront très limités en nombre de clients et insignifiants en volume d'énergie vendue.
66. Dès lors que la coupure de l'approvisionnement, même de manière temporaire et ciblée, semble écartée et que les personnes publiques pourraient être traitées séparément, la seule question posée au gouvernement, s'agissant du marché de l'électricité, reste celle du choix d'une mesure couperet efficace qui permette de basculer définitivement les ultimes clients inertes vers les offres de marché.
C. LES RECOMMANDATIONS DE L'AUTORITÉ
1. DES MESURES À PROPORTIONNER AUX OBJECTIFS POURSUIVIS
67. L'analyse préliminaire qui vient d'être faite montre que, au regard de la taille des marchés concernés, les enjeux concurrentiels du stock de clients inertes résiduels en fin de période transitoire sont faibles, quelles que soient les hypothèses retenues. Pourtant, c'est la crainte d'une atteinte à la concurrence qui est à l'origine de la demande d'avis. Il faut donc clarifier les objectifs des mesures mises à l'étude avant de répondre à la question posée.
a) Les objectifs pouvant être poursuivis
68. L'administration considère qu'un nouveau cadre législatif est nécessaire pour atteindre l'objectif de sortie définitive de la période transitoire au 30 juin 2016. Mais lors de la séance, il est apparu que cet objectif affiché était complété, voire supplanté, par un autre objectif non officiellement revendiqué, celui de profiter de la période transitoire pour " rebattre les cartes " sur le marché, selon l'expression largement utilisée lors des discussions préparatoires avec les parties prenantes.
69. Le gouvernement est libre de décider des objectifs qu'il entend poursuivre, y compris celui de mettre en place par la loi des mesures de régulation d'un marché. Mais la demande d'avis dont l'Autorité est saisie ne porte que sur la recherche du meilleur substitut aux coupures d'approvisionnement, auxquelles le Gouvernement souhaiterait ne pas avoir recours. Il est plus précisément demandé à l'Autorité de " procéder à un recensement des différentes solutions envisageables, de les expertiser, d'identifier le mode opératoire le plus adéquat au regard de l'ensemble des critères pertinents d'appréciation, notamment celui de la concurrence ".
70. Il n'est question, dans cette saisine, ni de la nécessité, ni de l'opportunité de " rebattre les cartes " entre les différents opérateurs à l'occasion de la sortie des TRV. L'Autorité s'en tiendra donc au seul objectif affiché qui est celui de déterminer le meilleur moyen de mettre fin à la période transitoire.
b) Les options répondant à ces différents objectifs
71. Les options mises à l'étude par les pouvoirs publics se répartissent en deux groupes distincts, selon que l'objectif implicite de régulation du marché est pris en compte ou pas.
72. Le premier groupe ne prend pas en compte cet objectif de régulation et s'en tient au mode de sortie de la période transitoire. Il comprend deux dispositifs proposant une alternative aux coupures d'approvisionnement pour traiter le stock résiduel de clients inertes au 30 juin 2016. Il s'agit de l'option 3 qui prévoit la prolongation de l'offre transitoire par les fournisseurs historiques (EDF, ENGIE, ELD), en l'assortissant d'une pénalité, possiblement progressive, payée par les clients jusqu'à leur basculement vers une offre de marché, et de l'option 4 qui est identique à la précédente dans son principe mais qui fait porter les clients inertes par les gestionnaires de réseaux de distribution : ERDF et GRDF.
73. En réalité, l'option 4 n'est mentionnée que pour mémoire car elle semble déjà écartée par les pouvoirs publics, les principaux intéressés, les gestionnaires de réseaux et la CRE y étant fermement opposés. C'est donc l'option 3 qui est la seule réellement envisageable.
74. Le second groupe ajoute un objectif de régulation à l'objectif de sortie de la période transitoire. Il comprend quatre options de redistribution des clients inertes à partir de différents mode de répartition. La première variante consiste à redistribuer les clients inertes auprès de fournisseurs moins-disant en prix de l'énergie (option 1), la deuxième à les redistribuer auprès de fournisseurs mieux-disant en restitution financière à la collectivité (option 1 bis), la troisième à les redistribuer auprès de fournisseurs à proportion de leurs parts de marché actuelles (option 2) et la dernière à les redistribuer par tirage au sort (option 2 bis).
75. En retenant une de ces quatre options, qui ne constituent que des variantes d'une seule option alternative à l'option 3, le gouvernement ferait le choix de profiter de l'extinction des TRV pour modifier les parts de marché des opérateurs par une mesure administrative. Un tel choix devrait être d'autant plus assumé et justifié qu'il pose plusieurs difficultés tenant à sa complexité juridique et son opportunité économique.
2. LES DIFFICULTÉS D'UNE RÉPARTITION DE CLIENTÈLE PAR UNE PROCÉDURE ADMINISTRATIVE
a) Les difficultés conceptuelles
76. Quelle que soit l'option de répartition retenue, il faudrait évaluer le gain attendu en comparant la situation d'arrivée à la situation contrefactuelle qui aurait résulté d'un choix spontané des clients pour une offre de marché. En effet, le recours à un appel d'offres n'a pas pour objet de mimer le comportement individuel des clients sur le marché de détail mais, au contraire, d'attribuer des lots de clients qui n'existent pas sur le marché. Une répartition par lots de clients arbitrairement choisis aboutira donc à un résultat différent de la situation contrefactuelle de référence aussi bien en termes de parts de marché des fournisseurs qu'en ce qui concerne le respect des choix individuels des clients à qui on ne demandera pas leur avis.
77. Certes, le dispositif peut prévoir des mesures correctives comme un allotissement suffisamment fin pour rendre possible une répartition des lots sur plusieurs fournisseurs ou des règles de plafonnement pour limiter les risques de préemption par un même fournisseur d'une trop grande quantité de lots. Mais ces correctifs demanderaient eux-mêmes à être justifiés et proportionnés, car s'il faut garantir la neutralité concurrentielle d'un appel d'offres, et l'absence d'avantage au " sortant ", rien ne semble justifier en l'espèce la mise en place d'une régulation asymétrique excluant les fournisseurs historiques ou consistants à s'assurer qu'ils perdront nécessairement un nombre significatif de clients.
b) Les difficultés pratiques
78. Pour les éventuels candidats, la répartition envisagée, éventuellement sous forme d'appel d'offres, présente des caractéristiques très inhabituelles. Les enchères comporteront, en effet, des aléas forts sur le nombre et la nature des clients à transférer, comme sur le contenu des lots, qui évolueront au cours même de la procédure et ne seront jamais stabilisés, et ce même après le 30 juin 2016, dès lors que les clients ne seront pas privés de la possibilité d'opérer à tout moment un choix individuel d'opérateur différent de celui résultant de l'appel d'offres.
79. Se posera par ailleurs la question de l'autorité la mieux placée pour piloter la mise en place de la procédure et celle des critères pour construire les lots (qui sont potentiellement très nombreux : par ordre alphabétique, par localisation géographique, par niveau de consommation, par profession, par panachage de tous ces critères pour avoir des lots homogènes).
80. Se posera enfin une difficulté pratique de calendrier, relative au moment opportun, pour constituer les lots et organiser l'appel d'offres. La procédure devra être suffisamment tardive pour être lisible pour les offreurs, afin de ne pas les obliger à enchérir à l'aveugle sur des lots mouvants, mais pas trop tardive non plus pour ne pas perdre tout enjeu au fur et à mesure que le stock résiduel diminuera, sans exclure que certains lots pourraient perdre tous leurs clients entre le lancement et le résultat de l'appel d'offres.
c) L'incertitude des résultats
81. L'hypothèse envisagée n'est pas celle de la cession d'un fonds de commerce mais bien d'un transfert de contrats individuels. Or, un contrat n'est pas une simple créance assimilable à un actif financier susceptible d'être transféré ou vendu. Tout changement ne peut avoir de validité que si les deux cocontractants y consentent. En l'espèce, ce consentement n'est en rien garanti.
82. La question est d'autant plus sérieuse que l'on vise ici des clients qui, dix ans après l'ouverture des marchés et deux ans après l'annonce de la fin des TRV, apparaîtraient encore inertes au terme de la période transitoire malgré des lettres de rappel et des menaces de coupure. Il s'agira donc, selon toute vraisemblance, de clients qui sont insensibles aux signaux administratifs, juridiques et économiques ou indifférents à l'ouverture du marché pour des raisons qui leur appartiennent.
83. On peut donc difficilement raisonner en partant du principe que les clients inertes sont d'accord pour laisser à l'administration le choix de leur futur fournisseur. Il paraît au contraire prudent de ne pas écarter a priori l'hypothèse, non dénuée de vraisemblance, selon laquelle un nombre important d'entre eux ne font qu'exprimer, par leur passivité, un choix implicite de rester auprès de leur fournisseur historique. Une répartition par appel d'offres pourrait ainsi conduire à procéder à des changements autoritaires de fournisseur en visant, en priorité, les clients qui le souhaitent le moins. Dans ce contexte, la solution retenue ne devra pas donner l'impression à ces clients qu'elle a un caractère punitif, ce qui risquerait d'être assez peu propice à la promotion des bienfaits de la concurrence.
d) Un risque juridique non négligeable
84. Toute procédure de répartition autoritaire des clients soulève des risques juridiques dont la réalité et l'ampleur en l'espèce ne semblent pas être appréciés de manière univoque et définitive par les différents représentants du gouvernement entendus lors de la séance. La possibilité de faire entrer dans le champ de la loi d'habilitation une disposition autorisant le gouvernement à procéder à une répartition administrative des clients semble notamment encore largement débattue.
85. De même, les administrations divergent sur le point de savoir si une ordonnance, qui garde une valeur réglementaire jusqu'à la promulgation d'une loi de ratification, est un véhicule adapté à la mise en œuvre d'une mesure portant atteinte à la liberté des contrats qui aura produit tous ses effets avant même que le Parlement puisse en être saisi.
86. Au vu de tous les éléments qui viennent d'être exposés, notamment les enjeux très marginaux en termes de concurrence et les risques juridiques attachés aux options envisagées, l'Autorité ne peut qu'être réservée sur le recours à un dispositif exceptionnel de réallocation des clients contre leur volonté, intervention administrative d'ailleurs assez peu compatible avec les notions de mérite concurrentiel et de liberté de choix des consommateurs sur un marché.
3. LES POSSIBILITÉS OFFERTES PAR LE CADRE LÉGAL ACTUEL
a) Le changement forcé de fournisseur n'est pas une nécessité
87. Les difficultés auxquelles l'administration et les parties prenantes semblent prêtes à s'exposer pour trouver une méthode permettant de forcer les clients inertes à changer de fournisseur à la fin de la période transitoire s'explique par leur refus initial de la solution la plus simple du point de vue du droit des contrats, qui consiste précisément à ne pas les obliger à changer de fournisseur tout en s'assurant que les clients concernés pourront à tout moment choisir une offre de marché concurrente sans délai et sans pénalité.
88. Dès lors que la perte de l'éligibilité d'un client aux TRV résulte de la loi, son fournisseur doit en prendre acte et obligatoirement modifier les conditions des contrats en cours, notamment en ce qui concerne les prix. Le client peut alors considérer qu'il s'agit d'un changement substantiel de ses conditions contractuelles et, selon une jurisprudence constante, en tirer les conséquences en changeant unilatéralement de fournisseur sans avoir à payer d'indemnité. Il peut aussi s'en tenir à continuer de payer ses factures au nouveau tarif.
89. Le droit civil ordinaire est ainsi parfaitement capable de traiter ces situations qui n'ont rien de particulièrement troublantes pour le juge du contrat. Il n'est donc pas nécessaire de légiférer pour combler un vide juridique qui n'existe pas.
90. À cet égard, on peut considérer que la principale erreur commise lors de la première phase de sortie des TRV de 2015 a été de supprimer autoritairement le lien entre les clients retardataires et leur fournisseur historique pour les faire migrer vers des contrats précaires
portés par le gestionnaire de réseau, qui était lui-même un cocontractant précaire puisqu'il n'est pas autorisé par la loi à être fournisseur sur le marché de détail. C'est le recours à cette solution, qui semble justement écartée pour la deuxième phase, qui a créé le vide juridique constaté au terme de la période transitoire.
91. Il convient néanmoins de rappeler que, quelle que soit la solution retenue et comme pour les offres transitoires, les clients en offre " post-transitoire " doivent pouvoir à tout moment choisir une offre concurrente sans délai et sans pénalité, afin de maintenir la fluidité du marché même pour les clients les plus inertes.
b) La focalisation sur l'échéance de juin 2016 n'est pas justifiée
92. Les débats devant l'Autorité ont montré que la perspective de laisser un client inerte passer tacitement à une offre de marché sans changer de fournisseur était considérée par l'administration comme une forme d'échec voire de régression. Pourtant, le passage à l'offre de marché est le seul objectif fixé par la loi. La conservation du même fournisseur ne semble d'ailleurs pas poser de problème lorsqu'elle résulte d'une démarche volontaire. C'est une option qui a largement été utilisée pour la promotion des offres de marché depuis plus d'une dizaine d'années, comme le montre le tableau 1 du paragraphe 9.
93. Le raisonnement implicite sous-jacent à cette position est de considérer qu'il est plus difficile pour un opérateur alternatif de gagner un client déjà positionné sur une offre de marché chez son fournisseur historique que de gagner un client resté au TRV. Cette appréciation conduit à dramatiser à l'excès l'échéance de juin 2016 en la présentant comme la dernière occasion pour modifier significativement les parts de marché. Ce raisonnement, outre qu'il ne tient pas compte du caractère résiduel des clients inertes dont la répartition n'a qu'un effet marginal sur les parts de marché des uns et des autres, traduit une confiance très limitée dans le fonctionnement du marché qu'on cherche à promouvoir.
94. L'Autorité ne partage pas ce pessimisme et ne considère pas que le secteur de l'énergie va nécessairement entrer dans une période de gel des parts de marché une fois les TRV supprimés. Elle relève qu'on a, jusqu'à présent, toujours procédé à l'ouverture du marché en s'efforçant d'abord de sortir les clients du tarif sans se préoccuper de savoir s'ils allaient immédiatement passer à l'étape suivante et choisir une offre concurrente.
95. Le législateur a suivi le même raisonnement pour réformer le système d'éligibilité aux offres de marché. Le caractère irréversible de l'exercice de son éligibilité par un client, qui ne pouvait plus revenir aux tarifs, est rapidement apparu comme un frein à l'ouverture du marché et la loi a été modifiée pour permettre la réversibilité dans les deux sens, du passage des TRV aux offres libres. Cette réforme, qui a été favorable à l'animation du marché, était fondée sur la conviction que c'est en accoutumant les clients à exercer leur liberté de choix que l'on pouvait construire une concurrence durable.
96. Un optimisme raisonnable serait d'autant plus justifié que, selon les éléments d'appréciation disponibles et en prenant les hypothèses les plus défavorables, la sortie des TRV sera achevée dans les délais prévus par la loi à plus de 95 % pour le gaz et à plus de 90 % pour l'électricité et plus vraisemblablement à des taux meilleurs de 98 % et 95 %.
4. RECOMMANDATIONS GÉNÉRALES
97. L'Autorité ne serait en mesure de porter une appréciation détaillée sur un dispositif de sortie de la période transitoire que si on lui soumettait un projet de texte. À ce stade, elle ne peut que formuler des recommandations générales à partir des éléments dont elle dispose.
98. En partant de l'hypothèse que, malgré les efforts des acteurs concernés, il restera au 30 juin 2016 un stock de clients inertes à traiter, elle considère que l'effort doit porter en priorité sur la réduction de ce stock final par des relances plus fréquentes et plus énergiques et peut faire, à ce sujet, les recommandations suivantes.
99. En premier lieu, le recours aux menaces de coupures ne devrait pas être écarté, même si les coupures effectives ne sont finalement pas décidées. En particulier, les menaces de coupures sélectives et temporaires peuvent être efficaces s'agissant de l'électricité. Il n'y aurait pas d'inconvénient majeur à informer les clients inertes qu'ils sont susceptibles d'être coupés tel ou tel jour entre telle et telle heure du fait de la caducité de leurs contrats. De tels avertissements ciblés seraient plus crédibles que des menaces de coupures générales à durée indéterminée qui pourraient susciter des protestations publiques, forçant probablement les pouvoirs publics à des démentis.
100. En deuxième lieu, la meilleure façon d'inciter les clients à la comparaison et à la souscription des offres de marché serait une pénalité financière donnant un signal économique fort de l'utilité de choisir une offre de marché. C'est pour cela qu'une pénalité bien plus importante que celles envisagées jusqu'à présent, plutôt de l'ordre de 50 % que de 10 %, devrait être annoncée et appliquée.
101. Cette pénalité serait objectivement justifiée par le fait que le client inerte peut être vu comme fautif et sa passivité préjudiciable au système énergétique et à la collectivité en général, les pouvoirs publics, les fournisseurs et les gestionnaires de réseau devant mobiliser d'importants moyens pour assurer l'extinction légalement prévue.
102. L'Autorité relève à cet égard que les pénalités appliquées en 2015 n'ont pas nécessité un recours à la loi et que celles de 2016 pourraient donc être incluses dans les dispositions contractuelles de l'offre provisoire qui est réputée avoir été acceptée par le client.
103. En troisième lieu, il conviendrait de renforcer l'accès des nouveaux entrants aux bases de données d'EDF et d'ENGIE. Les données minimales nécessaires sont celles concernant les interlocuteurs commerciaux permettant d'accéder aux clients professionnels (responsables d'achats, dirigeants), susceptibles d'étudier et souscrire les offres de marché. Les fournisseurs devront par ailleurs disposer de la meilleure visibilité possible sur le périmètre des sites et les profils de clients, pour prévoir l'affectation des ressources internes à la gestion contractuelle des clients transférés, d'une part, et pour finaliser l'approvisionnement en amont (sourcing), qui sera directement dépendant des profils de consommation des clients transférés, d'autre part. Les données relatives aux consommations devraient donc être fournies.
104. Cet accès est en partie assuré puisque, dans le cadre de la mise en œuvre des injonctions prononcées à titre conservatoire dans la décision n° 14-MC-02 du 9 septembre 2014, GDF Suez a mis à disposition une partie des données mentionnées ci-dessus. EDF s'est par ailleurs de lui-même engagé à donner accès à ce type d'informations à ses concurrents, de même que certaines ELD.
105. Néanmoins, dès lors que les informations concernées par ces précédents vont moins loin que les informations ci-dessus, un accès devrait être prévu explicitement et renforcé par une modification des dispositions applicables à l'extinction.
III. Conclusion
106. L'Autorité souhaiterait que le gouvernement clarifie les objectifs qu'il entend poursuivre à l'occasion de la sortie des TRV. Les dispositifs évoqués jusqu'à présent doivent, en effet, recevoir une appréciation différente selon qu'ils sont destinés à simplement s'assurer que tous les clients visés par la loi de 2014 sont bien passés à une offre de marché ou qu'ils sont destinés, à l'occasion de ce passage, à procéder à une redistribution administrative des clients entre les fournisseurs.
107. L'Autorité recommande, à ce stade, en l'absence de proposition précise sur le dispositif de gestion des clients restant inertes :
- de veiller à ce que les clients en offre transitoire et, le cas échéant, en offre " post-transitoire " puissent à tout moment choisir une offre de marché sans délai et sans pénalité, quelle que soit la solution retenue ;
- de pénaliser financièrement l'inertie, dans des proportions importantes, éventuellement de manière progressive, pour développer l'incitation de ces clients à la souscription volontaire d'offres de marché ;
- de renforcer l'information des clients sur les échéances contractuelles, les conséquences tarifaires de l'inertie et les risques de coupures sélectives et
- de s'assurer de l'accès effectif de tous les fournisseurs aux informations des fournisseurs historiques nécessaires pour démarcher les clients restés inertes.
Délibéré sur le rapport oral de M. Alexandre Beaudouin, rapporteur, et l'intervention de M. Umberto Berkani, rapporteur général adjoint, par M. Thierry Dahan, vice-président et président de séance, Mme Claire Favre et M. Emmanuel Combe, vice-présidents.