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Décisions

CA Paris, Pôle 6 ch. 8, 15 décembre 2016, n° 13-11201

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Transaction et Gestion de Biens Immobiliers (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bezio

Conseillers :

M. Chenaf, Mme Dufour

Cons. prud'h. Paris, du 24 oct. 2013

24 octobre 2013

FAITS ET PROCEDURE

Madame Christelle N. a été engagée à compter du 13 septembre 2010 en qualité de négociatrice au sein de l'agence immobilière exploitée par la Société de Transaction et de Gestion de Biens Immobiliers dite " STGBI " laquelle fait partie du réseau de franchisés ERA.

Le 10 octobre 2010, la Société STGBI a proposé à Madame Christelle N. la signature d'un contrat de mandat d'agent commercial indépendant.

La relation contractuelle a pris fin le 9 février 2011.

Madame Christelle N. a saisi le conseil de prud'hommes de Paris, le 28 juillet 2011, afin d'obtenir la requalification de son contrat d'agent commercial en contrat de travail, ainsi que diverses sommes liées à la rupture de la relation contractuelle, la remise des documents sociaux conformes et une indemnité au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

La Société STGBI a soulevé, in limine litis, l'incompétence de la juridiction prud'homale, au motif que les parties n'étaient pas liées par un contrat de travail.

Par jugement rendu le 24 octobre 2013, le Conseil de Prud'hommes statuant en départage, s'est déclaré compétent au motif que les parties étaient liées par un contrat de travail et a condamné la Société STGBI au paiement des sommes suivantes :

- 671,88 euros à titre compensatrice de congés payés

- 1343,77 euros à titre d'indemnité de préavis

- 134,37 euros au titre des congés payés afférents

- 1 500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 1 343,77 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement irrégulier

- 4 351,41 euros à titre de rappel de commission

- 435,14 euros au titre des congés payés afférent

- 1 693,14 euros au titre d'un rappel de commission sur prélèvements indus

- 169,31 euros au titre des congés payés afférents

- 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile

Appelante de cette décision, la Société STGBI en sollicite l'infirmation en toutes ses dispositions et demande à la Cour, en application des articles 75 et 80 du code de procédure civile, de se déclarer incompétent au profit du Tribunal de grande Instance de Paris et de condamner Madame Christelle N. aux dépens de l'instance.

Aux termes de ses écritures visées le 2 septembre 2016 par le greffier et oralement développées à l'audience de plaidoiries, Madame Christelle N. demande à la Cour de confirmer en son principe le jugement déféré mais de le réformer quant au quantum des sommes allouées.

Madame Christelle N. sollicite la condamnation de la Société STGBI au paiement des sommes suivantes :

- 671,88 euros à titre compensatrice de congés payés

- 1343,77 euros à titre d'indemnité de préavis

- 134,37 euros au titre des congés payés afférents

- 6 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif

- 1 343,77 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement irrégulier

- 4 351,41 euros à titre de rappel de commission

- 435,14 euros au titre des congés payés afférents

- 1 693,14 euros au titre d'un rappel de commission sur prélèvements indus

- 169,31 euros au titre des congés payés afférents

- 8 062,62 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé

- 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile

Madame Christelle N. réclame la remise des documents sociaux conformes à la décision à intervenir et demande qu'il soit dit que les sommes allouées porteront intérêts à compter de sa saisine du Conseil de Prud'hommes.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens développés, aux conclusions respectives des parties, visées par le greffier et soutenues oralement le 2 septembre 2016.

A la suite des débats, les parties ont été entendues en leurs dires et observations et avisées que l'affaire a été mise en délibéré pour un arrêt rendu le 3 novembre 2016, prorogé au 15 décembre 2016.

Motivation de la décision

Sur la qualification de la relation contractuelle :

En application de l'article L.1411-1 du code du travail, la juridiction prud'homale est compétente pour statuer sur tout litige ayant pour objet un différend relatif à l'existence d'un contrat de travail opposant le salarié et l'employeur prétendus.

Au cas d''espèce, les parties étaient liées par un contrat d'agent commercial intitulé " mandat de commercial indépendant " en date du 10 octobre 2010 et il est constant que Madame Christelle N. était inscrite au Registre Spécial des Agents Commerciaux.

Aux termes du contrat conclu le 10 octobre 2010, la Société STGBI a confié à Madame Christelle N. mandat de la représenter auprès de la clientèle de l'agence en qualité d'agent commercial, elle pouvait, selon les dispositions contractuelles, organiser librement et en toute indépendance son activité de représentation et devait percevoir, en contrepartie de son activité professionnelle et de ses charges d'exploitation (prospection, secrétariat, déplacements, téléphone), une commission d'un montant H.T. proportionnelle au montant des honoraires H.T. de négociation perçus par l'agence.

Il appartient au juge en présence d'une contestation sur la nature des relations contractuelles de rechercher suivant quelles modalités précises l'intéressée a exercé ses fonctions sans s'arrêter à la dénomination que les parties auraient proposée.

En l'espèce, il convient de déterminer si, malgré la signature d'un contrat d'agent commercial, les parties n'étaient pas liées par un contrat de travail.

Aux termes de l'article L 134-1 du Code de Commerce, l'agent commercial est un mandataire qui à titre de profession indépendante, sans être liée par un contrat de louage de service, est chargé de façon permanente, de négocier et éventuellement de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux.

L'existence d'un contrat de travail ne dépend, ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination de leurs conventions, mais se caractérise par les conditions de faits dans lesquelles s'exerce l'activité professionnelle.

En application de l'article 1779 du code civil, le contrat de travail est une convention par laquelle une personne s'engage à travailler pour le compte d'une autre et sous sa subordination moyennant une rémunération.

Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

Le travail au sein d'un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail.

Il appartient à la partie qui entend se prévaloir de l'existence d'un contrat de travail de rapporter la preuve de l'existence d'un lien de subordination.

Madame Christelle N. affirme qu'elle était liée par un contrat de travail, malgré la signature d'un contrat d'agent commercial, ce que conteste la Société STGBI et fait notamment valoir qu'elle devait assurer des permanences obligatoires au sein de l'agence, à raison de 3 ou 4 fois par semaine et ne pouvait organiser librement son emploi du temps et devait participer à des réunions imposées.

La Société STGBI conteste tout lien de subordination et précise que les permanences n'étaient pas obligatoires, mais étaient sollicitées par tous les conseillers car elles leur permettaient d'avoir des contacts avec des clients potentiels qui se rendaient à l'agence, ce qui impliquait la répartition des temps de permanence entre eux, avec leur accord, à l'aide de tableaux, que l'appartenance en sa qualité de franchisé au Groupe ERA lui impose de mettre en place des méthodes de travail dans l'intérêt d'un meilleur service répertorié dans une document de travail intitulé " principes de fonctionnement ", qui n'a aucun caractère contraignant et doit plutôt être considéré comme un mode d'organisation proposé librement aux négociateurs pour faciliter leur l'activité et se répartir équitablement la clientèle.

La Société STGBI produit en ce sens, le contrat d'agent commercial et des attestations de Madame D., conseiller immobilier et de Monsieur Antoine B., manager de l'agence.

Cependant, il résulte des termes du document intitulé " principe de fonctionnement " communiqué par Madame Christelle N. que " le planning de permanence ne peut être modifié sans l'accord de SP & AB(les responsable dès l'agence). Le non-respect d'une permanence sera sanctionné par l'annulation de la suivante dès la rentrée d'un mandat le négociateur ayant rentré le bien doit relancer par mail ou téléphoniquement tous les acquéreurs du fichier. Toute vente réalisée avec un acquéreur non répertoriée sur Transellis est perdue pour le négociateur. La commission est bloquée sur un compte loisirs.Toutes les visites doivent impérativement faire l'objet d'un compte-rendu de visite sur Transellis afin de pouvoir établir les rapports avec les objections du vendeur. Une distribution de mailing sur tout le secteur doit être effectuée au moins une fois par semaine toute les estimations ou avis de valeur doivent être signés conjointement avec le négociateur & le manager concerné. "

Elle produit également des attestations de clients de l'agence immobilière, Madame San M. et Madame A. qui déclarent que Monsieur Antoine B. ( le manager de l'agence) s'est présenté auprès d'elles comme le supérieur hiérarchique de Madame Christelle N. et les attestations de Madame de la B. et de Monsieur G. qui déclarent qu'à chaque visite d'appartements, Madame Christelle N. leur a indiqué ne pouvoir récupérer les clés qu'à l'agence et devoir attendre la fin de sa permanence pour pouvoir les accompagner.

Madame Christelle N. communique également un tableau des objectifs à réaliser pour l'année 2011 remis par les responsables de l'agence immobilière.

Des explications et des pièces produites par Madame Christelle N. il ressort ainsi que les responsables de l'agence sont investis de l'autorité leur conférant cumulativement le pouvoir de direction et le pouvoir disciplinaire sur les négociateurs qui ne peuvent librement organiser leur temps de travail mais sont en réalité tenus de suivre strictement un planning de permanence et des méthodes de travail assortis de sanction en cas de non-observations des instructions des managers de l'agence et des préconisations mentionnées dans le document intitulé " principe de travail " qui s'analyse davantage en un règlement intérieur que les négociateurs doivent impérativement respecter, qu'en un simple guide de travail comme l'affirme l'employeur.

Ainsi Madame Christelle N. démontre qu'elle effectuait ses différentes tâches sous un lien de subordination et au sein d'une organisation de travail établie par les responsables de l'agence, situation de fait qui caractérise l'existence d'un contrat de travail.

Il résulte de ce qui précède que malgré la signature d'un contrat d'agent commercial, Madame Christelle N. avait la qualité de salariée de l'agence immobilière gérée par la Société STGBI.

En conséquence de quoi, il convient de rejeter l'exception d'incompétence soulevée par la Société STGBI et de requalifier le contrat d'agent commercial en contrat de travail.

Le jugement déféré est confirmé sur ce point.

Par ailleurs, il apparaît que c'est par une exacte appréciation des éléments de fait et de preuve produits par les parties que les premiers juges ont dit que si la relation contractuelle entre les parties a été improprement qualifiée de contrat d'agent commercial et même si ce contrat n'a été signé qu'au bout d'un mois d'exécution, il n'en résulte pas pour autant une intention de l'entreprise de se soustraire à ses obligations à l'égard des organismes de protection sociale et ont décidé à bon droit que la demande d'indemnité pour travail dissimulé présentée par Madame Christelle N. devait être rejetée.

Dans ces conditions, les premiers juges ont par des motifs, dont les débats devant la Cour n'ont pas altéré la pertinence, fait une juste appréciation de la règle de droit et une exacte appréciation des faits et documents de la cause.

Sur les conséquences de la requalification en contrat de travail :

En considération des pièces et des éléments de fait et de preuve présentés devant le Conseil de Prud'hommes et soumis à l'appréciation de la Cour, le jugement du Conseil de Prud'hommes sera confirmé dans l'exacte évaluation qu'il a faite des conséquences pécuniaires de la requalification du contrat d'agent commercial en contrat de travail.

En l'absence de moyens nouveaux et de pièces nouvelles, il convient en conséquence de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a fixé à 1343,77 euros le salaire moyen brut de Madame Christelle N. et lui a alloué les indemnités de rupture et les rappels de commission suivants :

- 671,88 euros à titre compensatrice de congés payés

- 1 343,77 euros à titre d'indemnité de préavis

- 134,37 euros au titre des congés payés afférents

- 1 500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif

- 1 343,77 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement irrégulier

- 4 351,41 euros à titre de rappel de commission

- 435,14 euros au titre des congés payés afférents

- 1693,14 euros au titre d'un rappel de commission sur prélèvements indus

- 169,31 euros au titre des congés payés afférents

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

C'est à juste titre que les premiers juges ont condamné la Société STGBI à payer à Madame Christelle N. la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Leur décision est confirmée à ce titre.

L'équité commande de condamner la Société STGBI à payer à Madame Christelle N. la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel et de rejeter sa demande à ce chef.

La Société STGBI, qui succombe à l'instance, est tenue aux entiers dépens.

Par ces motifs : Confirme le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Paris le 24 octobre 2013 en toutes ses dispositions ; Y ajoutant ; Condamne la Société de Transaction et de Gestion de Biens Immobiliers à payer à Madame Christelle N. la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile. La Déboute de ce chef ; Met les dépens de l'instance à la charge de la Société de Transaction et de Gestion de Biens Immobiliers.