CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 4 mars 2010, n° 09-14362
PARIS
Ordonnance
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Fossier
Avocats :
Mes Hardouin, Thill-Tayara
Le 13 novembre 2006, la société A., fabricante de médicaments génériques, a saisi le Conseil de la concurrence (" le Conseil ") de pratiques anticoncurrentielles qu'elle imputait à la société S. P. (" S. "), fabricante de médicaments dont le Subutex.
Par lettre du 19 décembre 2006, le secrétaire général du Conseil a saisi la DGCCRF d'une demande d'enquête relative aux pratiques mises en œuvre sur la vente de médicaments génériques.
Le 17 janvier 2007, le juge des libertés et de la détention (" le JLD ") du Tribunal de grande instance de Nanterre a autorisé des fonctionnaires de la DGCCRF à procéder ou faire procéder dans les locaux de S., aux visites et aux saisies prévues par les dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce, afin de rechercher la preuve des agissements qui entrent dans le champ des pratiques prohibées par les articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce et 81 et 82 du Traité (instituant la Communauté européenne) relevés dans le secteur du médicament à base de buprénorphine ainsi que de toute manifestation de ces agissements prohibés.
Le lendemain, onze inspecteurs se sont présentés dans les locaux de S., assistés de quatre officiers de police judiciaire, pour procéder aux opérations prescrites par le juge. A ce titre, et selon le procès-verbal qu'ils ont établi de leurs opérations, ils ont indiqué avoir été reçus par M. P., président-directeur général, à qui ils ont notifié la décision judiciaire, et ont procédé à la saisie de divers documents ' papier, de fichiers électroniques contenus dans les ordinateurs des bureaux visités et, en un fichier unique, les messageries de huit salariés de S.
Saisi le 16 mars 2007 par S., le JLD a, par ordonnance du 17 juillet 2007, déclaré nulles les opérations de visite et de saisie susdites. Cette ordonnance a été cassée par la Cour de cassation (Ch. crim., 20 mai 2009, Y 07-86.437) au motif que le premier juge avait statué par des motifs généraux, alors qu'il lui appartenait de rechercher, d'une part, si les documents et supports d'information saisis concernaient, au moins en partie, les pratiques anticoncurrentielles susceptibles d'être relevées dans le secteur du médicament générique objet de l'enquête, d'autre part, si cette saisie avait été régulièrement effectuée. La Cour de cassation a désigné le premier président de la cour d'appel de Paris, pour être fait droit.
SUR QUOI
Vu l'ordonnance du JLD du TGI de Nanterre en date du 17 janvier 2007 ;
Vu la requête en date du 16 mars 2007, par laquelle la société S. a saisi le JLD d'une demande d'annulation des opérations de visite et de saisie du 18 janvier 2007 ;
Vu l'arrêt de la Cour de cassation (Chambre criminelle) en date du 20 mai 2009, qui saisit le premier président de la Cour d'appel de Paris ;
Vu les conclusions récapitulatives de la requérante, en date du 15 février 2010, par lesquelles il est demandé au premier président :
A titre principal,
déclarer irrégulières les opérations de visite et saisie litigieuses et de les annuler dans leur intégralité,
ordonner la restitution définitive à S. de tous les documents et fichiers électroniques saisis par la DGCCRF dans les locaux de cette société, cette restitution prenant effet à la date de la décision et les documents se trouvant déjà en possession de S.,
ordonner la suppression de toute référence aux pièces litigieuses,
interdire toute utilisation, référence ou exploitation subséquente desdites pièces ;
Subsidiairement,
déclarer partiellement irrégulières les opérations de visite et saisie réalisées par la DGCCRF lors de sa visite des locaux de S., en ce qu'elles ont été réalisées en l'absence de l'officier de police judiciaire et qu'elles ont conduit à la saisie intégrale de boîtes de messagerie, ainsi qu'à la saisie de documents protégés, de documents personnels et de documents sans rapport avec l'objet de l'enquête,
annuler précisément la saisie des documents contenus dans les scellés numérotés 3, 5, 6, 16 à 31,
ordonner leur restitution définitive à S., cette restitution prenant effet à la date de la décision, les documents se trouvant déjà en possession de S.,
ordonner la suppression de toute référence aux pièces litigieuses,
interdire toute utilisation, référence ou exploitation subséquente desdites pièces,
A titre infiniment subsidiaire
annuler la saisie de tous les documents protégés contenant des données personnelles ou sans rapport avec l'objet de l'enquête,
ordonner leur identification par la DGCCRF et leur restitution définitive à S. selon une procédure d'identification effectuée en présence d'un représentant de S.,
ordonner la suppression de toute référence aux pièces litigieuses et interdire toute utilisation, référence ou exploitation subséquente desdites pièces.
Vu les conclusions présentées par la DGCCRF le 25 janvier 2010, demandant le rejet de la requête en annulation et la validation de toutes les opérations de visite et de saisie ;
LE DELEGUE DU PREMIER PRESIDENT
Attendu que la société S. déplore une atteinte à ses droits, tenant concrètement dans le fait que 85.000 documents ont été saisis, soit 600.000 pages, que l'exploitation de ces documents depuis plusieurs mois par un service spécialisé et par les salariés de S. démontre que plus de 60 p.100 d'entre eux sont sans aucun rapport avec la saisine du Conseil de la concurrence, que de nombreux documents touchent aux relations strictement confidentielles de S. avec ses avocats, que d'autres contiennent des données personnelles (CV de salariés, évaluations ou notations, comptes, ') et que de très nombreux documents sont " hors enquête " ;
Que ces atteintes sont irrémédiables, la restitution des documents indûment saisis ne permettant ni de régulariser la violation du secret de l'avocat, ni d'excuser l'atteinte aux données personnelles, ni de satisfaire au principe de proportionnalité de l'enquête ;
Qu'en droit, la société S. propose six moyens de déclarer nulles ou à tout le moins disproportionnées les opérations de saisies des 18-19 janvier 2007 ; qu'elle réclame la restitution intégrale, ou subsidiairement après un tri, des documents saisis et l'interdiction d'y faire référence dans aucune circonstance ultérieure ;
1° - Sur la saisie intégrale des messageries, suivie d'un inventaire
Attendu que la société S. reproche aux fonctionnaires de la DGCCRF d'avoir saisi de manière indifférenciée et intégralement les messageries électroniques de huit personnes alors qu'ils disposaient de moyens techniques leur permettant d'effectuer une présélection des fichiers pertinents ;
Que pourtant, les messageries ne constituent pas des documents insécables, auxquels s'appliquerait le principe jurisprudentiel du " pour partie utile " mis en œuvre par exemple pour les agendas ou blocs-notes ; que la cour de cassation n'a pas pu, au rebours de ce que prétend la DGCCRF, avoir affirmé l'insécabilité des messageries, alors qu'il s'agit d'une question qui relève du pouvoir souverain du juge du fond ; que la procédure interne de la DGCCRF a peut-être été respectée en l'espèce mais qu'elle est inopposable aux personnes qui font l'objet de la visite et des saisies ; que d'ailleurs, il existe des procédés techniques de sécation des messageries, en usage au sein de la Commission européenne et de divers Etats, qui permettent un tri sur place par mots-clefs ou même un tri différé en présence d'un représentant de l'entreprise visitée ;
Qu'en outre, les agents de la DGCCRF n'ont même pas, contrairement à ce qu'affirme leur procès-verbal, procédé à une fouille sommaire des messageries qui leur auraient permis d'affirmer que celles-ci entraient dans le champ des investigations autorisées par le JLD ;
Mais attendu, sur l'insécabilité, et en fait, que c'est avec l'accord et même la participation active de la société S., en la personne de sa directrice de l'informatique, que les messageries (messages, calendrier, contacts et notes) ont été groupées dans un fichier conteneur du type PST (Personal Storage Table) pour Microsoft Outlook pour chacune des huit messageries saisies ; qu'il s'agit, selon les explications techniques fournies par l'expert de la société S., de la structure informatique des fichiers de messagerie Outlook ; qu'une fois cette opération réalisée, les enquêteurs saisissent les messageries qui leur paraissent utiles ;
Que sur place, les enquêteurs ont constaté que leur interlocutrice, dûment conseillée par l'avocate présente et protégée par les OPJ représentants le JLD, entendait collaborer de cette manière à leur réquisition ;
Que dès lors, la loyauté des procédés des enquêteurs de la DGCCRF ne peut pas être mise en doute par la société S. ;
Attendu qu'en droit, la question n'est pas de savoir s'il existerait d'autres moyens en usage au sein de la Commission européenne ou aux Pays-Bas, mais de savoir en quoi la méthode de la DGCCRF française, en général et dans le cas d'espèce, serait contraire à la loi, nationale ou supranationale ;
Qu'à ce sujet, l'expert de la société S. propose 3 moyens qui permettraient de réaliser une sélection de messages sans nécessité de saisir le fichier messagerie dans son intégralité : deux avec les fonctions internes à Outlook et un avec le logiciel EnCase utilisé par la DGCCRF.
Que pour sa part, la DGCCRF explique la méthodologie de recherche de documents sur supports informatiques ; qu'il s'agit de connecter un logiciel spécifique à l'ordinateur visité qui permet d'accéder directement au disque dur et de rechercher à partir de mots clefs tous les éléments susceptibles de se rattacher aux pratiques suspectées ce qui peut conduire à la saisie globale d'une messagerie qui constitue un fichier unique dont il convient de garantir l'intégrité ; que lorsque ces éléments sont identifiés, les messageries dans lesquelles ils se trouvent sont gravées sur CD ou DVD et identifiées à leur tour par une signature numérique attribuée avant leur transfert sur l'ordinateur de la DGCCRF, signature qui est destinée à garantir l'authenticité des documents ; qu'enfin lorsque les fichiers ont été transférés par le logiciel sur l'ordinateur de l'enquêteur, ils sont gravés sur trois CD ou DVD distincts ;
Que dans un second temps, l'inventaire des documents saisis est gravé sur un CD ou DVD distinct (ou édité sous forme papier) et joint au procès-verbal de visite et saisie ; qu'un CD/DVD est placé sous scellé fermé et est transmis à l'autorité de poursuite (AdlC) ; qu'un autre est utilisé pour l'exploitation des pièces par la DGCCRF ; qu'un troisième est laissé à l'entreprise pour qu'elle ait une parfaite connaissance des documents saisis ;
Que la lecture du procès-verbal clôturé le 19 janvier 2007 au terme des opérations montre que cette procédure a été observée par les enquêteurs lors de la saisie de documents sur huit des neufs ordinateurs visités, une fouille sommaire du neuvième ordinateur, celui de la directrice juridique Mme Le C., ayant apparemment convaincu les enquêteurs qu'il contenait surtout des documents couverts par le secret (P.V., pp. 3-4) ;
Qu'à titre d'exemple, et s'agissant de la plus importante des messageries saisies, celle du PDG M. Gilles P., il est relaté : " Nous avons examiné par une fouille sommaire le contenu de l'ordinateur portable DELL, modèle Latitude d 410 présent dans le bureau de M. Gilles P. Nous avons constaté la présence de documents entrant dans le champ de l'autorisation de visite et de saisie donnée par le juge des libertés et de la détention. A la suite de cette fouille sommaire, nous avons effectué un démarrage contrôlé de cet ordinateur et procédé à une analyse approfondie de son disque dur. Les dates et heures systèmes ont été vérifiées. Nous avons extrait des fichiers informatiques issus de cet ordinateur et procédé à l'authentification numérique de ces fichiers. Nous avons élaboré un inventaire informatique des fichiers saisis. Nous avons gravé sur un DVD-R vierge non réinscriptible les fichiers saisis. Ce DVD-R a été finalisé afin d'interdire tout ajout, retrait ou modification de son contenu puis placé sous scellé n° 25. Il a été réalisé pour ce DVD-R, une copie destinée aux enquêteurs de la DGCCRF et une copie laissée à la société S.-P. L'inventaire informatique des fichiers saisis a été placé sur un CD-R finalisé en annexe 4 du présent procès-verbal " ;
Qu'il est désormais de jurisprudence que d'une part, si l'administration ne peut appréhender que des documents se rapportant aux agissements retenus par l'ordonnance d'autorisation de visite et de saisie, il ne lui est pas interdit de saisir les pièces pour partie utiles à la preuve desdits agissements ; que les fichiers informatiques copiés doivent seulement faire l'objet d'un inventaire, dont la mention est portée au procès-verbal relatant les opérations ; que, dans le cas des courriels, le fait que la saisie a été pratiquée après une fouille sommaire de cette messagerie, sans autre inventaire que la liste des fichiers figurant dans le procès-verbal des opérations et que la saisie de documents pour parties utiles ne saurait permettre de saisir indistinctement la totalité d'une messagerie comprenant principalement des documents étrangers à l'administration de la preuve de pratiques anticoncurrentielles, n'empêche nullement que la totalité de fichiers saisis figure intégralement dans la copie effectuée en présence de l'occupant des lieux et remise à la société ; qu'ainsi, l'administration n'a pas à individualiser, sur place, les seuls messages entrant dans le champ de l'autorisation judiciaire ;
Qu'en l'espèce, il n'est nullement démontré, de manière concrète et précise, que ces pièces auraient été étrangères au but de l'autorisation accordée, la société S. adoptant une position de principe ;
Attendu qu'en somme, ce grief doit être rejeté ;
2° - Sur le droit de consultation des documents saisis et la validité d'un inventaire synthétique
Attendu que la société S. déplore que M. P., président-directeur général de S., présent au cours des opérations litigieuses, et les représentants qu'il avait désignés pour suivre les opérations en différents locaux de l'entreprise, n'aient pas pu exercer leur droit de prendre connaissance des pièces et documents avant leur saisie, mais seulement, et encore de manière très sommaire, après la saisie ;
Que s'agissant des messageries, elles ont été saisies en bloc, comme énoncé précédemment, les écrans étant noirs lors des opérations et n'offrant donc aucune possibilité de vérification par l'occupant des lieux ;
Que pour les autres documents électroniques, la technique de téléchargement (sans tirage papier) des fichiers dans l'ordinateur de la DGCCRF ne permet pas l'exercice d'un contrôle par la personne qui fait l'objet de la saisie, ne garantit pas non plus que les fichiers engrangés dans l'ordinateur des fonctionnaires aient été chargés à partir de l'ordinateur inspecté ; que l'empreinte numérique attribuée par l'ordinateur des fonctionnaires après le téléchargement n'offre aucune sécurité, pas plus que l'inventaire, qui présente les documents et fichiers saisies sur une ligne par ordinateur visité (en ce sens, JLD Nanterre, 9 avr. 2008, Eco-emballages) ; que de plus et en l'espèce, les inspecteurs de la DGCCRF ont matériellement refusé que les salariés de S. regardent les écrans pendant les opérations de copie de fichiers, ou identifient les mots-clefs utilisés par les fonctionnaires pour faire leur choix de documents ; que, partant, le contrôle des quatre OPJ dépêchés sur place pour représenter le JLD, a été également impossible ;
Mais attendu, que dans un premier temps, les fichiers qui vont être saisis en bloc, en l'occurrence les messageries, sont par postulat connus de l'occupant des lieux, et que sous cet angle, l'insécabilité constitue la garantie qui permettrait une intervention ou une observation réelles avant la saisie ; que les fichiers qui, quant à eux, vont être saisis distinctement les uns des autres, ici des fichiers isolés ou des documents-papier, sont visibles pour l'occupant des lieux, qui peut donc, là encore, en " prendre connaissance " au sens des textes visés par la société requérante ; qu'ainsi les griefs avancés par la requérante sur les obstacles matériels au droit de vérification avant saisie, ne sont pas fondés ;
Que dans un deuxième temps, les documents de toute nature qui sont saisis font l'objet d'un inventaire ; que les fichiers saisis ainsi que l'inventaire sont copiés sur des DVD vierges non réinscriptibles ; qu'il en est remis copie à l'occupant des lieux (en l'espèce, comme il est indiqué aux pages 3, 4, 5, 6 et 7 du procès-verbal de saisie) ; que par surcroît, seules des copies sont emportées par les enquêteurs, les fichiers originaux demeurant sur les ordinateurs investigués ; que puisque les copies sont dupliquées une nouvelle fois pour l'entreprise, elle se trouve en possession des données originales et d'une copie fidèle des données placées sous scellé, ce qui lui permet de vérifier, dans le temps de l'exercice des recours légaux, la rectitude des opérations réalisées ;
Que sur la licéité des inventaires automatiques de type .pst (NSF), que cette sorte d'inventaire informatique se présente sous forme d'un fichier" textes " qui détaille pour chaque fichier saisi, sa taille exprimée en octets, son empreinte numérique et sa dénomination (chemin, nom et extension) ; qu'il en est ainsi tant pour les fichiers-texte que pour les messageries, désignées sur une seule ligne d'inventaire pour chacune, sans erreur possible sur leur contenu de détail ; qu'un tel inventaire satisfait de la sorte aux dispositions des articles L. 450-4 du Code de commerce et 56 du Code de procédure pénale, qui n'exigent pas de manière étroitement formaliste une liste exhaustive des pièces saisies (en l'espèce, plus de 600.000) mais, dans une perspective concrète de protection des droits de la défense, un document de référence qui fasse obstacle aux confusions ou aux manipulations ; qu'en fait, en inventoriant le fichier et en attribuant une empreinte numérique au fichier global, il devient techniquement certain que le contenu est figé au jour de la perquisition ; que comme l'explique la DGCCRF dans ses écritures, l'effacement ou la modification d'un courriel entraîne ispo facto une modification de l'empreinte numérique, auquel cas le fichier ne correspondrait plus au fichier saisi ; que dès lors que les inventaires sont annexés au procès-verbal, l'empreinte numérique de chaque fichier peut être vérifiée à tout moment sur la copie par la DGCCRF, l'entreprise ou le juge ; qu'une éventuelle réouverture du scellé fermé en cas de doute donne une garantie supplémentaire ; qu'en outre, l'entreprise conserve l'original et une copie de toutes les données saisies et peut les consulter quand elle le souhaite avec plus de profit qu'un simple inventaire ; qu'ainsi, et comme l'énonce la jurisprudence la plus à jour, la loi n'exige pas de description exhaustive des pièces saisies (Crim., 17 juin 2009, n° 07-88.354), dès lors que les fichiers saisis ont été identifiés et inventoriés et qu'ainsi la société visitée est en mesure de connaître le contenu des données appréhendées ;
Que dans un troisième temps, et à la différence de ce qui se passerait pour des documents papiers, le support informatique original reste au sein de la société et la copie intégrale de ce qui a été saisi permet à l'occupant des lieux, à qui elle a été remise, comme il a été dit plus haut et vérifié en l'espèce de garantir ses droits ; que ces copies font partie intégrante de la procédure et sont mentionnées dans le procès-verbal ; que l'occupant des lieux reçoit de la sorte les moyens concrets de vérifier ce qui a été saisi et d'exercer les recours qu'il juge utiles ;
Attendu qu'il sera ajouté, pour répondre complètement aux arguties de la requérante et à " l'expertise " qu'elle fournit aux débats, que le soupçon d'une fraude commise par les fonctionnaires ne repose sur aucune réalité technique ; qu'en effet, comme indiqué au procès-verbal, les enquêteurs ont connecté l'ordinateur investigué à leur ordinateur mais pas au moyen d'un câble USB ; qu'ensuite, ils ont procédé à un démarrage contrôlé, qui leur permet d'analyser la cible sans porter une quelconque atteinte au disque dur investigué puisque ce dernier est verrouillé en lecture seule ; que, toujours selon les explications de la DGCCRF non pertinemment contredites par la société S. ou son expert, les fichiers se voient attribués une empreinte numérique chacun (" authentification par EnCase ") préalablement au passage sur l'ordinateur de la DGCCRF ;
Que les agents de la DGCCRF ont alors procédé à un tri, à un filtrage et à une sélection des données qui leur semblent pertinentes, au moyen de mots-clés ;
Que non seulement ils n'étaient pas tenus de divulguer ces mots-clefs, mais ils ne le devaient pas, car ils agissaient alors, en fait et en droit, en tant qu'enquêteurs, disposant préalablement d'informations de provenance et de nature diverses propres à orienter leurs recherches, et étaient à ce sujet tenus au secret professionnel ;
Que ce n'est qu'ensuite que les seuls fichiers pertinents sont copiés sur l'ordinateur pour être gravés sur DVD ;
Qu'au demeurant, seules des copies sont emportées, les fichiers originaux demeurant sur les ordinateurs investigués ; que par surcroît, ces copies sont dupliquées une nouvelle fois pour l'entreprise, et qu'ainsi elle se trouve en possession des données originales et d'une copie fidèle des données placées sous scellé ;
Attendu qu'il résulte du tout, en droit, que les représentants de la société S., qui disposaient d'un droit de prendre connaissance des pièces avant saisie, qui ont reçu un inventaire complet et qui ont finalement pu continuer à disposer dans les ordinateurs des fichiers et messageries saisis sans confusion possible, n'ont nullement été privés de leurs prérogatives ; et en fait, que le voeu exprimé par la société S. de consulter chaque pièce au fur et à mesure de sa saisie, traduit non seulement une volonté d'empêcher toute enquête de concurrence, puisque la société en question expose elle-même dans ses conclusions que ce travail après la visite litigieuse a nécessité plusieurs semaines de travail avec un assistant " ad hoc " ; mais repose sur l'idée d'une altération probable des documents par les fonctionnaires de la DGCCRF, hypothèse que la société S. n'offre même pas de démontrer ;
3° - Sur le contrôle effectif des officiers de police judiciaire présents et la violation prétendue du secret
Attendu que la société S. déplore que les quatre OPJ, dont la présence constante est nécessaire pour garantir la régularité de la visite et des saisies, se soient momentanément absentés du bureau du président directeur-général, se soient même abstenus de toute présence dans les bureaux de deux salariés, leur seule " proximité " ne pouvant garantir le respect des droits pendant les opérations ;
Qu'en outre, ces OPJ ne sont pas intervenus lorsque, comme il ressort de la pièce n° 2, page 86, du procès-verbal de saisie, des documents couverts par le secret professionnel de l'avocat ont été découverts et saisis ; qu'il s'est avéré que ces documents étaient au nombre de 5 en forme papier et 260 en forme de fichiers électroniques ; qu'il s'agit pour l'essentiel de correspondances d'avocat et de compte-rendu de réunion avec les avocats de S. ; que les observations faites par les salariés de l'entreprise au moment de la saisie de ces documents ont été écartées par les fonctionnaires ;
Mais attendu, sur la présence des OPJ au cours des opérations, que l'ordonnance d'autorisation du JLD indique : " Désignons pour assister aux opérations de visite et de saisies dans le lieu situé dans notre ressort et nous tenir informé de leur déroulement, les OPJ, qui peuvent agir de concert ou séparément " ;
Que selon le procès-verbal de visite et saisie, des équipes avaient été composées de manière à ce que chacune comporte un officier de police judiciaire ; que ces derniers ont assisté à l'ensemble des opérations et signé le procès-verbal relatant les opérations et dressant la liste des pièces saisies ;
Que ces OPJ n'ont pas pour mission de se substituer aux enquêteurs spécialisés pour juger de la pertinence des saisies, s'agissant d'affaires complexes en dehors de leur compétences habituelles ; qu'ils représentent le JLD, lui-même empêché, et doivent intervenir dans des hypothèses où le juge lui-même interviendrait, c'est-à-dire principalement sur interpellation des personnes présentes lors de la visite et des saisies ; qu'ils ne sont tenus qu'à se prêter à toute réquisition, à toute intervention en cas d'incident et à solliciter le juge chargé du contrôle des opérations en cas de survenance d'une difficulté ou d'une atteinte aux droits de la défense ;
Qu'en l'occurrence, aucun des éléments de fait articulés par la société S. n'indique que ces OPJ aient fait défaut lorsqu'ils ont été contactés par telle ou telle personne présente ; en quoi les arguties sur la configuration des lieux et le fait que certains d'entre eux aient pu s'abstraire brièvement du contexte au cours des seize heures qu'ont duré les opérations, sont inopérantes ;
Attendu, sur le fait que les OPJ ne se sont pas opposés à la saisie de documents personnels ou protégés, que la mission que leur avait confiée le juge était uniquement " d'assistance " ; qu'en admettant qu'ils sont, de manière plus large, chargés de représenter le juge sur place, force est de constater qu'aucune mention du procès-verbal de la visite n'indiquent qu'ils ont été saisis personnellement de la difficulté aujourd'hui soulevée par la société requérante ; qu'enfin, l'auraient-ils été, ils auraient été amenés à déférer la difficulté au juge et non pas à la trancher eux-mêmes, le service du JLD assurant, au rebours de ce que prétend la requérante, une permanence même nocturne ;
4° - Sur les obstacles opposés à la mission effective de l'avocat
Attendu que la société S. rappelle qu'elle a demandé et obtenu que l'un de ses avocats, Me Thyll-Tayara, assiste aux opérations de visite et de saisie ; que la loi confie à l'avocat une mission de conseil, qui ne contrarie pas le caractère non contradictoire de l'enquête de concurrence ; que cette mission a été entravée par les fonctionnaires, qui ont concrètement empêché Me Thyll-Tayara d'accéder aux documents et fichiers saisis ;
Mais attendu que les obstacles physiques mis à la mission de Me Thyll-Tayara, ne résultent d'aucune mention explicite du procès-verbal ;
Que s'agissant d'obstacles juridiques éventuels, l'article L. 450-4 du Code de commerce dans sa rédaction au moment des faits ne prévoyait pas la présence d'un avocat et énumérait limitativement les personnes autorisées à prendre connaissance des documents saisis : " les enquêteurs, l'occupant des lieux ou son représentant ainsi que l'officier de police judiciaire (...) peuvent seuls prendre connaissance des pièces et documents saisis " ; l'occupant des lieux " ou " (et non " et ") son représentant sont seuls autorisés à prendre connaissance des documents saisis ; qu'il en ressort que le législateur n'a pas voulu donner les mêmes droits à un représentant de l'occupant des lieux si celui-ci est présent comme ce fut le cas en l'occurrence ; qu'enfin, Maître Thill-Tayara ne pouvait ignorer qu'il lui était loisible de saisir le juge de l'autorisation au cours des opérations si elle estimait que les droits de l'entreprise étaient bafoués, ce qu'elle n'a, selon les énonciations du procès-verbal, pas fait ;
5° - Sur la protection du secret des documents personnels et des correspondances d'avocat
Attendu que la société S. fait valoir que la saisie a implicitement mais nécessairement porté sur des documents ou courriels secrets, et que cette saisie est donc nulle, en son entier, pour atteinte à la vie privée ou atteinte au privilège de la correspondance des avocats ; que si les fonctionnaires de la DGCCRF opèrent un tri, ils prendront nécessairement connaissance des documents ou fichiers, qui ne seront plus protégés par le secret ;
Mais attendu qu'il appartient au JLD, et présentement au délégué du Premier président, de rechercher concrètement si la saisie de données informatiques n'a pas porté atteinte au libre exercice de la profession d'avocat, au respect du secret professionnel absolu de l'avocat ou à celui des droits de la défense ;
Qu'il s'en évince qu'aucun procédé de perquisition ou de saisie n'est par lui-même contraire aux divers objectifs de la loi ; que celle-ci prescrit seulement que les documents dont il sera révélé au cas par cas qu'ils sont couverts par le secret, ne devront pas être utilisés dans l'enquête, l'instruction ou une quelconque décision de condamnation, hors le cas où ces documents seraient de nature à fonder la poursuite ;
Que l' article L. 450-4 du Code de commerce ne fait pas exception à ces principes, et n'exclut nullement du champ des documents pouvant faire l'objet d'une saisie, ceux qui seraient de nature à porter atteinte au respect de la vie privée, à la protection du secret des affaires ou au secret de la correspondance des avocats ; en quoi, la demande de nullité générale des opérations, articulée par la société S., doit être rejetée ;
Que matériellement, et pour que puissent s'opérer des tris qui ne soient pas à la seule discrétion de la personne physique ou morale qui fait l'objet de la visite, les enquêteurs sont eux-mêmes tenus au secret professionnel par les dispositions de l' article L. 26 de la loi du 13 juillet 1983 qui indique : " les fonctionnaires sont tenus au secret professionnel dans le cadre des règles instituées par le code pénal " lequel dispose dans son article 226-13 que la " révélation d'une information à caractère secret par une personne qui est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende " ;
Qu'à cette fin, il revient d'abord aux enquêteurs de constater, par les fouilles sommaires déjà évoquées, et dont le PV porte trace en l'espèce, la présence de données informatiques concernant des documents entrant au moins en partie dans le champ de l'autorisation de visites et de saisies, ce qui suffit pour considérer que la saisie est régulière ;
Que les enquêteurs doivent ensuite, s'ils soupçonnent l'existence de documents incluant aussi des données personnelles ou des données couvertes par le secret de l'avocat, ou si - comme en l'espèce - l'occupant des lieux visités les alerte à ce sujet, placer les données sous scellé ; qu'il en a été fait ainsi en l'espèce ;
Qu'ultérieurement, sur réquisition des enquêteurs ou, en cas de difficulté, du juge, il revient à la société requérante de dresser, à partir des fichiers laissés en sa possession et du double du CD déposé entre ses mains ainsi qu'il a été dit précédemment, la liste des documents précis qu'elle entend voir écarter du dossier de la DGCCRF et de l'Autorité de la concurrence ; qu'au cas où les enquêteurs ne seraient pas en accord avec cette prétention, il reviendrait à la société requérante d'expliquer en quoi chacun des documents désignés doit être nécessairement exclu du champ de la saisie ;
Que finalement, ces documents confidentiels, notamment ceux qui seraient constitués de consultation d'avocats ou de compte rendu de réunion avec des avocats, doivent faire l'objet d'une restitution, au besoin sous le contrôle du juge, dès lors qu'en l'espèce, nul n'invoque une immixtion d'un avocat dans le processus répréhensible ;
Attendu qu'en l'occurrence, la société S. indique qu'elle a procédé de cette manière, en opérant par elle-même des tris à partir des fichiers qui lui ont été laissés ou du CD qui a été déposé entre ses mains ; qu'elle a pu constater après la saisie que les documents qui pourraient relever du privilège des échanges avec les avocats, seraient très nombreux et concerneraient en fait 5 documents papiers et 260 fichiers électroniques ; qu'elle produit en annexe de ses conclusions une copie des documents en cause, " dont le contenu a été masqué afin d'en préserver la confidentialité " suivant ses propres termes ;
Que ce procédé ne permet naturellement pas à la DGCCRF d'exercer un contrôle quelconque sur ce que la société S. entend voir écarter de l'enquête car la production devant le Premier président exerçant la mission du JLD, de documents retouchés et anonymisés ne permet pas de s'assurer de leur authenticité ;
Attendu que dans ces conditions, il ne peut être considéré que les tris ont été faits, et que les restitutions peuvent s'opérer ;
6° - Sur la demande de restitution, subsidiairement de tri et restitution
Attendu qu'il sera donné acte à la DGCCRF qu'elle est disposée à restituer les pièces qui se situeraient en dehors du champ de l'enquête, qui seraient légitimement couvertes par la confidentialité de la correspondance avocat-client ou qui relèveraient de la sphère privée ;
Que cette offre n'est pas artificielle, comme le soutient la société S. motif pris de ce que les enquêteurs en auront pris connaissance avant restitution ; qu'en effet, et comme il a été dit précédemment, les fonctionnaires de la DGCCRF sont tenus au secret professionnel et ne pourront invoquer l'un quelconque des documents qui auront fait l'objet d'une restitution ;
Attendu qu'il ressort du procès-verbal de restitution du 23 juillet 2007, que la société S. s'est vue restituer les scellés ouverts n° 1 à 19, les scellés fermés n° 20 à 26 et les scellés ouverts n° 27 à 32 ; que le même acte en prescrit la conservation intègre et la représentation par la société S. ;
Qu'il ressort en outre des pièces produites par la société S. qu'elle dispose encore du disque-copie contenant les documents ou fichiers saisies, et qu'en outre les disques durs des ordinateurs de l'entreprise sont intègres ;
Que du tout, il résulte qu'il faut organiser les tris et la levée des scellés dans les conditions du dispositif ci-après ;
Que le délégué du Premier président, désigné par l'arrêt de renvoi de la Cour de cassation, a compétence pour surveiller ces opérations ;
7° - Sur la demande de suppression de toute référence aux pièces litigieuses et d'interdiction de toute utilisation, référence ou exploitation subséquente des pièces
Attendu que les documents ou fichiers qui seront considérés comme insaisissables seront écartés du dossier de l'enquête, conformément à la loi, pour n'être pas utilisés, visés ou exploités ultérieurement ; qu'il est ainsi satisfait de plein droit à l'attente de la société S. ;
Par ces motifs : NOUS, Thierry Fossier, président de chambre, délégué du Premier président de la Cour d'appel de Paris, Disons bonnes et valables les procédures suivies lors des opérations de visite et saisies des 18 et 19 janvier 2007 ; Donnons acte à la DGCCRF de son accord de restituer les pièces suivantes : document couvert par le privilège avocat-client n°41 cité dans l'annexe n° 9 de la requête et des documents personnels et/ou hors enquête suivants: les documents listés de 1 à 10 de l'annexe n°8, des documents 19 à 26; 28 à 40; 43 ; 45 à 49; 51 à 57; 59 à 87; 91 à 94; 96 à 135; et 143 cités dans l'annexe n°9; des n° 5, 7, 8, 14 à 16, 18 à 20, 22 à 26, 35 et 36 cités dans l'annexe n°12 ; et les documents listés de 1 à 50 en annexe 15 de la requête ; Ordonnons la production à la DGCCRF, contre reçu dans les formes de la loi, des scellés n° 1 à 32, restitués selon procès-verbal du 23 juillet 2007 ; Ordonnons la production à la DGCCRF d'une liste explicite et en clair des documents dont la société S. estimera qu'ils sont couverts par le secret ; Ordonnons qu'en cas de désaccord persistant sur les documents qu'il importe de restituer à la société S., celle-ci et la DGCCRF opèreront l'ouverture des scellés et les tris nécessaires ; Disons qu'en cas de désaccord sur la restitution, l'intégrité ou l'ouverture des scellés ou sur les modalités des tris nécessaires et le secret des documents litigieux, la plus diligente des parties aux présentes saisira à nouveau le délégué du Premier président, qui se prononcera ; Condamnons la société S. aux dépens.