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Décisions

CA Angers, ch. com. A, 10 janvier 2017, n° 16-00395

ANGERS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Rivercap France (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Van Gampelaere

Conseillers :

Mmes Monge, Portmann

T. com. Angers, du 30 déc. 2015

30 décembre 2015

FAITS ET PROCEDURE :

Le 12 décembre 1996, M. Alain-Pierre F. a conclu avec la société Papmétal, aux droits de laquelle est venue la société Sparflex, un contrat d'agence commerciale portant sur la vente de capsules de vins tranquilles et effervescents sur six départements.

En 2011, la société Sparflex a racheté la société Rivercap France (la société) qui est devenue sa filiale.

Le 26 septembre 2012, la société a conclu avec M. F. un contrat d'agent commercial à durée indéterminée portant sur la vente de capsules de vins tranquilles.

Le 18 février 2015, la société a résilié le contrat de M. F. pour faute grave.

Par acte du 6 mars 2015, M. F., soutenant que la résiliation de son contrat était imputable à la seule société, a assigné celle-ci devant le tribunal de commerce d'Angers en paiement d'une indemnité de rupture.

Par jugement du 2 septembre 2015, le tribunal a retenu sa compétence, laquelle lui était déniée par la société.

Par jugement du 30 décembre 2015, il a déclaré M. F. recevable et bien fondé en sa demande et a condamné la société à lui verser la somme de 43 732,48 euros en indemnisation de la rupture abusive du contrat d'agent commercial avec intérêts de droit à compter du 6 mars 2015, outre une indemnité de procédure de 1 500 euros et les entiers dépens.

Selon déclaration adressée le 12 février 2016, la société a interjeté appel de cette décision.

Une proposition de médiation a été faite aux parties que la société a repoussée.

Les parties ont toutes deux conclu.

Une ordonnance rendue le 3 octobre 2016 a clôturé la procédure.

Moyens et prétentions des parties :

Les dernières conclusions, respectivement déposées les 3 mai 2016 pour la société et 1er juin 2016 pour M. F., auxquelles il conviendra de se référer pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, peuvent se résumer ainsi qu'il suit.

La société demande à la cour de la déclarer recevable et bien fondée en son appel, de réformer en toutes ses dispositions le jugement déféré, de débouter purement et simplement M. F. de ses prétentions et de le condamner à lui payer une indemnité de procédure de 3 500 euros, outre les entiers dépens.

Elle expose que M. F. était chargé de vendre des capsules de vins dits tranquilles sur une portion définie du territoire national et qu'à cet effet avait été conclu un contrat d'agent commercial le 26 septembre 2012 comportant une annexe précisant la liste des clients réservés. Elle explique que les résultats commerciaux étaient en baisse constante sur son secteur et ce malgré plusieurs rappels à l'ordre. Elle indique que le 18 février 2015, elle a adressé à M. F. une lettre recommandée avec demande d'avis de réception emportant résiliation de son contrat à ses torts exclusifs. Elle fait valoir que plusieurs clients se sont plaints du travail de M. F. et ont même, pour certains, menacé de se tourner vers la concurrence. Elle reproche à M. F. de n'en avoir tiré aucune conséquence. Elle ajoute que M. F. n'a pas rempli son obligation d'information trimestrielle à son endroit ce qui l'a privée de connaissances sur l'état exact du marché et les attentes des clients. Elle voit en ce défaut d'information une faute grave à l'origine de la baisse significative des résultats. Elle estime qu'à toutes les moins, additionnées les différentes fautes qu'elle reproche à M. F. constituent une faute grave justifiant la résiliation du contrat. Elle souligne que le contrat d'agent qui liait M. F. à la société Sparflex et qui portait sur des produits 'capsules vins effervescents' a été résilié par cette dernière en raison, ici aussi, de mauvais résultats et que M. F., qui avait assigné la société Sparflex, s'est finalement désisté de cette procédure. Elle accuse M. F. d'avoir manqué de loyauté à son égard.

M. F. demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et d'y ajouter la condamnation de la société à lui payer une indemnité de procédure de 3 600 euros, outre les dépens.

Il explique que son contrat d'agent commercial à durée indéterminée signé avec la société Papmétal portait sur les capsules vins tranquilles et vins effervescents. Il précise que la société Sparflex, venue aux droits de la société Papmétal, et pour laquelle il a poursuivi son activité au titre des vins effervescents, la société Rivercap étant spécialisée en vins tranquilles, lui a adressé le 17 décembre 2013 une lettre de résiliation sans aucun motif mais qu'à réception d'une assignation en référé, elle lui a versé une indemnité équivalente à deux années de commissions. Il fait valoir que son activité a souffert de la perte du marché de capsules de vins effervescents et qu'il a proposé une solution transactionnelle à la société avant de recevoir de sa part une lettre de résiliation. Il se prévaut de l'article L.134-12 du Code de commerce qui prévoit le principe d'une indemnité compensatrice en cas de cessation des relations contractuelles et évalue celle-ci à l'équivalent de deux années de commissions.

Il conteste être responsable de la baisse du chiffre d'affaires qu'il impute au désengagement de la société qui lui a transmis tardivement la tarification pour l'année 2015. Il assure qu'il ne lui a jamais été réclamé de rapport trimestriel car il rendait compte de son activité au jour le jour. Il conteste avoir délaissé ses clients, lesquels, selon lui, étaient satisfaits de ses services, et soutient que la société ne prouve pas le contraire. Il se prévaut d'attestations de clients qui déplorent la politique commerciale de la société Rivercap.

Motifs de la décision :

Sur le droit aux indemnités de rupture de M. F.

Attendu qu'en application des articles L. 134-11 et L.134-12 du Code de commerce alinéa 1er, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit au respect d'un délai de préavis et à l'allocation d'une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi ;

Attendu que pour s'opposer au paiement de l'indemnité compensatrice, la société se prévaut des dispositions de l'article L.134-13 -1°du même Code qui prévoient que cette réparation n'est pas due dans le cas où la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial ;

Qu'il lui incombe, toutefois, de rapporter la preuve de l'existence et de la gravité des fautes qu'elle invoque ;

Attendu que par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 18 février 2015, la société a notifié à M. F. la résiliation de son contrat d'agent commercial en développant quatre griefs : une évolution très défavorable des résultats, une absence de 'reporting', une insatisfaction de la part des clients et une perte de confiance ;

Attendu que le tribunal, par une exacte appréciation des faits que la cour reprendra, a à bon droit retenu que la société ne rapportait pas la preuve qui lui incombait de l'existence de fautes graves, mais simplement de la réalité de manquements contractuels justifiant la rupture du contrat sans être de nature à priver M. F. de son indemnisation ;

Que le tribunal a ainsi justement observé que le courriel du 26 juillet 2013 (pièce n° 3 de l'appelante) qui faisait état d'une baisse sensible du volume des coiffes livrées entre le premier semestre 2012 et juin 2013 était trop ancien pour justifier une résiliation dix-huit mois plus tard ;

Qu'il a également relevé que cette baisse, qui s'était accentuée en mai 2014, n'était pas exclusivement imputable à M. F., celui-ci justifiant avoir rencontré des difficultés pour obtenir la facturation des capsules pour l'année 2015 et expliquant à juste titre que la perte de la représentation des capsules des vins effervescents, effective à compter du mois de mai 2014, l'avait pénalisé à l'égard de la clientèle ;

Que, concernant l'absence de 'reporting' trimestriel, le tribunal a, à raison, constaté qu'elle était réelle mais que M. F. n'avait pas manqué de se manifester régulièrement auprès de la société, faisant ainsi remonter des informations, ainsi que le prouvait l'échange de courriels versés aux débats, et que la société, qui avait toléré jusqu'à la rupture sans mise en garde -si on excepte le courriel susvisé de 2013- le défaut d'un rapport trimestriel ne saurait sérieusement l'ériger en faute grave ;

Que s'agissant de la prétendue insatisfaction des clients, le tribunal a pertinemment observé que la société ne produisait qu'un seul courriel du 26 janvier 2015 émanant de M. Laurent D. de la société La Gourmandière (pièce n° 8 de l'appelante) qui se plaignait de ne voir pratiquement plus M. F. depuis trois ans et impartissait à la société un délai expirant jusqu'à la fin du mois de février 2015 pour se manifester, faute de quoi il changerait de fournisseur ;

Que le tribunal souligne, en particulier, que le compte-rendu de la 'tournée commerciale' qui s'est tenue les 25 et 26 septembre 2013 auquel la société fait allusion dans sa lettre de résiliation pour illustrer l'insatisfaction des clients n'est pas versé aux débats, étant précisé qu'il ne l'est pas davantage devant la cour ;

Que devant la cour la société ne produit, en effet, aucun autre élément susceptible de traduire l'insatisfaction des clients que le courriel de M. D. sus-évoqué, alors que M. F. justifie s'être manifesté le 25 février 2015 (pièce n° 15 de l'intimé) auprès de M. D. pour constater l'impossibilité de ce dernier de les recevoir, M. Franck L. de la société et lui-même, le 3 ou 4 mars 2015, annuler, ainsi que M. D. le demandait, le rendez-vous pris pour le 10 mars 2015 et lui proposer de le recontacter début avril 2015 ;

Qu'au surplus, les quatre attestations produites par M. F. (pièces n° 30 à 33 de l'intimé) que le tribunal a écartées des débats parce qu'elles n'étaient pas conformes aux dispositions de l'article 202 du Code de procédure civile, sont, néanmoins recevables en la cause et apparaissent très intéressantes comme émanant de clients, identifiés par le cachet de leur entreprise voire le logo de celle-ci -éléments dont la société ne conteste pas l'authenticité- qui confirment avoir régulièrement reçu la visite de M. F., se plaignent de la nouvelle politique commerciale adoptée par la société depuis 2011et expliquent, pour certains, avoir, pour cette raison, été amenés à se tourner vers d'autres fournisseurs ;

Qu'ainsi la baisse de résultats et l'insatisfaction de la clientèle déplorées par la société apparaissent-elles trouver ici une autre raison que l'incurie prétendue de M. F. ;

Que le tribunal souligne encore, à raison, que la perte de confiance alléguée dans la lettre de résiliation, qui ne caractérise pas, en soi, l'existence d'une faute grave, est présentée comme une conséquence de la dégradation des relations sans qu'un reproche de déloyauté soit, toutefois, clairement articulé à l'encontre de M. F. ;

Que dans ses conclusions en cause d'appel, la société invoque à nouveau un défaut de respect par M. F. de ses obligations de loyauté sans aucunement expliciter en quoi ces obligations ont été méconnues, étant ici observé que le rappel qu'elle fait de la résiliation intervenue avec la société Sparflex n'est pas de nature à apporter un éclairage quelconque dans la mesure où la lettre de résiliation de la société Sparflex du 17 décembre 2013 (pièce n° 1-1 de l'intimé) n'invoquait aucun motif de résiliation et que le paiement par la société Sparflex d'une indemnité de résiliation est finalement intervenu ;

Qu'au demeurant, l'échange de courriels produit par M. F. reflète des divergences d'approche de la part de la société et de son agent quant à la politique des prix à adopter sans révéler une véritable perte de confiance de la première à l'égard du second et montre, de surcroît, la réactivité de M. F. et son souci du développement du marché ;

Qu'en outre, le ton des derniers courriels de la société est resté cordial ;

Qu'enfin, le tribunal relève opportunément l'incohérence consistant pour la société à arguer d'une faute grave rendant, par nature, impossible le maintien du lien contractuel, tout en accordant à son agent commercial un préavis de trois mois ;

Attendu que la cour ajoutera que la baisse de résultats était très sensiblement amorcée dès 2011, sans que la société en ait tenu M. F. pour responsable puisque, bien au contraire, elle avait signé avec lui un nouveau contrat d'agence à durée indéterminée, le 26 septembre 2012 (pièce n° 2 de l'appelante) ;

Qu'au travers des courriels produits, les parties s'accordent à reconnaître une baisse de volume des vendanges de vins de Val de Loire en 2012 et 2013, ce qui ne peut être sans conséquence sur la vente de capsules ;

Que la lettre de résiliation n'est pas la conséquence immédiate de mises en demeure répétées qui n'auraient pas été satisfaites, ainsi que la société l'affirme sans le démontrer, mais fait suite à deux courriers de protestation de M. F. adressés les 3 novembre et 22 décembre 2014 ( pièces n° 2 et 3 de l'intimé) à la société mère, la société Sparflex, sur l'impossibilité de poursuivre sa mission dès lors que depuis le mois de mars 2014, lui avait été retiré le mandat de représentation pour les capsules de vins effervescents et sa proposition de transiger sur une indemnité qui pourrait lui être versée, ce qui rend tardive et, partant, peu crédible l'invocation d'une faute grave privative de toute indemnité ;

Attendu qu'il résulte de ce qui précède que le jugement qui a reconnu M. F. recevable et bien fondé en sa demande d'indemnité sera confirmé sur ce point ;

Sur le montant des indemnités de rupture

Attendu que la société conteste le principe des indemnités de rupture sollicitées par M. F. et accordées par le tribunal mais n'en discute pas le montant ;

Que le jugement qui l'a condamnée à verser à M. F. la somme de 43 732,48 euros au titre de l'indemnité compensatrice de cessation de contrat avec intérêts au taux légal à compter du 6 mars 2015 sera confirmé de ces chefs ;

Sur les demandes accessoires

Attendu que la société succombant en son appel en supportera les dépens, sera condamnée à verser à M. F. la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et sera déboutée de sa propre demande de ce chef ;

Par ces motifs : La Cour, statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement déféré, Et y ajoutant, Condamne la société Rivercap France aux dépens, La Condamne à payer à M. Alain-Pierre F. la somme de deux mille euros (2 000 euros ) sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute les parties de leurs prétentions plus amples ou contraires.