Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 8, 6 janvier 2017, n° 15-20179

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

VP Victor Perez (SARL)

Défendeur :

Vente privée.com (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Kerner-Menay

Conseillers :

M. Vasseur, Mme Quentin de Gromard

Avocats :

Mes Videau, Fanet, Loyer-Saad

T. com. Bobigny, prés., du 29 sept. 2015

29 septembre 2015

EXPOSE DU LITIGE

La société Victor Perez est l'agent commercial exclusif, en France et à Monaco, de la société italienne Santoni, qui fabrique et commercialise des chaussures. La société Vente privée.com ayant proposé à la vente sur son site Internet des chaussures de la marque Santoni, la société Victor Perez, par acte du 24 juillet 2015, l'a assignée afin d'obtenir des renseignements relatifs aux fournisseurs de la société Vente privée.com et aux ventes réalisées à cette dernière.

Par une ordonnance du 29 septembre 2015, le juge des référés du Tribunal de commerce de Bobigny a dit n'y avoir lieu à référé et a renvoyé l'affaire au fond.

Par un acte du 13 octobre 2015, la société Victor Perez a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions en date du 13 octobre 2016, l'appelante sollicite l'infirmation de l'ordonnance entreprise et demande qu'il soit délivré injonction à la société Vente privée.com de faire connaître par tous moyens, et notamment par la production de toutes factures qu'elle a acquittées pour la fourniture de chaussures Santoni au cours des années 2014, 2015 et 2016, auprès de qui elle s'est approvisionnée pour les mettre en vente sur Internet, à quelle date, en quelle quantité et pour quel montant. Elle demande en outre la condamnation de la société Vente privée.com à lui verser la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Dans ses conclusions du 7 novembre 2016, la société Vente privée.com soulève in limine litis l'irrecevabilité des demandes nouvelles formulées en appel. Elle indique à cet égard que son adversaire ne demandait que des "informations" en première instance alors qu'elle demande plus largement la production de factures à hauteur d'appel et qu'en outre, rien n'était demandé en première instance au titre de l'année 2016. Sur le fond, la société Vente privée.com sollicite la confirmation de l'ordonnance entreprise en exposant qu'il n'existe pas de motif légitime à voir ordonnée la communication sollicitée, dont elle expose qu'elle porterait atteinte au secret des affaires. Subsidiairement, elle demande un délai d'au moins quinze jours pour collecter les informations demandées. Enfin, elle demande la condamnation de la société Victor Perez à lui payer une somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR

Sur la fin de non-recevoir soulevée par la société Vente privée.com :

Si les parties ne peuvent, en application de l'article 564 du Code de procédure civile, soumettre de nouvelles prétentions à la cour d'appel, elles peuvent, en application de l'article suivant du même code, expliciter les demandes qui étaient virtuellement comprises dans les demandes soumises au premier juge et ajouter à celles-ci toutes les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément.

A cet égard, le fait que n'aient été demandées en première instance que des informations relatives aux fournisseurs de la société Vente privée.com et aux ventes réalisées à cette dernière n'empêche pas l'appelante de demander à hauteur d'appel ces mêmes informations "notamment par la production de toutes les factures qu'elle a acquittées", un tel chef de demande étant virtuellement compris dans celui qui était formulé devant le premier juge. De même, le fait que les informations concernent à hauteur d'appel ces informations pour l'année 2016 ne constitue qu'une demande complémentaire par rapport à celle qui était formulée en première instance, comme telle recevable au regard de l'article 565 du Code de procédure civile.

Il convient donc de rejeter la fin de non-recevoir soulevée par la société Vente privée.com.

Sur le fond :

Il résulte de l'article 145 du Code de procédure civile qu'une mesure d'instruction ne peut être ordonnée sur le fondement de cette disposition qu'à la condition que soit rapportée l'existence d'un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige. Sur le fondement de cette même disposition et dans les mêmes conditions, une demande d'information peut être formée auprès d'une partie étrangère au litige à venir.

En l'espèce, il résulte de l'article 10 du contrat d'agent commercial, en date du 31 mai 2002, liant la société Victor Perez à la société de droit italien Santoni, que cette dernière a pris un engagement d'exclusivité au profit de la première, de sorte qu'aucune autre société que la société Victor Perez ne dispose d'un droit de représentation et de distribution des produits de la société Santoni sur le territoire français et à Monaco.

Ce contrat a été conclu pour une durée indéterminée et il est suffisamment justifié, par les trois courriers émanant respectivement des sociétés Allure, Fredetti et Karsenty, vendeurs de chaussures à Neuilly, Paris et à la Varenne Saint-Hilaire, de ce que la société Victor Perez agit à leur égard en tant qu'agent commercial des chaussures Santoni.

De même, il résulte de ces trois lettres que la société Vente privée.com a commercialisé des chaussures de cette marque sur son site. La lettre de la société Allure évoque ainsi une vente au cours du mois de février 2014 et les lettres des deux autres sociétés précitées, qui évoquent également de telles ventes, sont elles-mêmes datées du mois de mars 2014. Au demeurant, la société Vente privée.com est d'autant plus mal fondée à contester qu'elle aurait réalisé de telles ventes qu'elle reconnaît elle-même dans ses écritures s'être approvisionnée en chaussures de la marque Santoni auprès d'une société maltaise dénommée Chiron.

Le fait que la société Vente privée.com ait pu acquérir légalement ces marchandises et que la revente ait eu lieu par un site Internet est indifférent dans le cadre du litige susceptible d'opposer la société Victor Perez à la société Santoni quant à une violation de l'engagement d'exclusivité que cette dernière a pris, étant observé que cet engagement ne prévoit pas d'exclusion pour les ventes par Internet.

Compte-tenu de l'ensemble de ces éléments, la société Victor Perez justifie d'un motif légitime à solliciter au visa de l'article 145 du Code de procédure civile des informations concernant la source d'approvisionnement par la société Vente privée.com de chaussures de marque Santoni.

En revanche, c'est à juste titre que la société Vente privée.com objecte que la demande de la société Victor Perez, telle qu'elle est formulée, serait susceptible de porter atteinte au secret des affaires notamment quant aux modalités et aux prix de vente négociés entre la société Vente privée.com et ses fournisseurs.

Aussi convient-il de limiter la mesure d'instruction demandée afin que la société Victor Perez ne soit informée, au titre des années 2014, 2015 et 2016, que des seuls noms et adresses des fournisseurs à la société Vente privée.com de chaussures de marque Santoni et des quantités livrées, à l'exclusion des prix qui ont été consentis à cette dernière. Afin de préserver le secret des affaires, cette information n'a pas lieu d'être assortie de la production de factures.

Compte-tenu de l'absence de demande préalable par la société Victor Perez à la société Vente privée.com avant l'assignation en référé et compte-tenu également du fait que la société Vente privée.com est tiers au litige susceptible d'opposer la société Victor Perez à la société Santoni, il est équitable de rejeter la demande que la société Victor Perez formule au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : Rejette la fin de non-recevoir afférente aux demandes de la société Victor Perez, soulevée par la société Vente privée.com ; Infirme l'ordonnance entreprise ; Statuant de nouveau, Condamne la société Vente privée.com à indiquer à la société Victor Perez les noms et adresses de ses fournisseurs de chaussures de la marque Santoni, ainsi que les quantités et les dates de livraison effectuées, pour les années 2014, 2015 et 2016 ; Dit que la société Vente privée.com devra communiquer l'ensemble de ces informations dans un délai de trois mois à compter de la signification qui lui sera faite du présent arrêt, sous une peine d'astreinte de 200 euros (deux cents euros) par jour de retard ; Déboute chacune des parties de ses demandes formulées au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Vente privée.com aux dépens.