CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 6 janvier 2017, n° 2014-22793
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Gefco (SA)
Défendeur :
Delahaye Segura (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Birolleau
Conseillers :
Mme Lis Schaal, M. Thomas
Avocats :
Mes Maupas Oudinot, Lousson, Olivié
Faits et procédure
La société Grands Garages Pyrénéens, filiale de PSA, a confié le nettoyage et la préparation de véhicules automobiles avant leur présentation à la clientèle à la société Gefco, laquelle a sous-traité cette activité à la société Delahaye Segura (Delahaye), exerçant sous l'enseigne Rénov'Auto.
Se prévalant de ce que Gefco ne lui avait plus adressé aucune commande au début de l'année 2012, Delahaye a assigné Gefco pour rupture brutale de la relation commerciale établie.
Par jugement rendu le 30 octobre 2014, le Tribunal de commerce de Marseille a :
- constaté que Gefco a rompu brutalement les relations contractuelles entretenues avec la société Delahaye ;
- condamné Gefco à payer à Delahaye les sommes de 38 797,89 euros à titre de dommages et intérêts et de 1 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
- ordonné l'exécution provisoire.
Prétentions des parties
La société Gefco, par conclusions signifiées le 4 juin 2015, demande à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris ;
À titre principal,
- débouter la société Delahaye de ses demandes ;
À titre subsidiaire,
- dire que la société Delahaye ne démontre pas avoir droit de bénéficier d'un préavis d'une année et de la débouter de sa demande d'indemnisation à hauteur de 77 595,78 euros ;
- condamner la société Delahaye au paiement de la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Elle fait valoir que l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ne sanctionne qu'une volonté délibérée de mettre un terme sans préavis à une relation commerciale.
Elle explique cependant que Delahaye ne démontre pas que Gefco a délibérément choisi de ne plus lui confier la réalisation des commandes passées par la société Grands Garages Pyrénéens, que l'arrêt des relations commerciales avec Delahaye n'est que la conséquence d'un arrêt de ses propres commandes imposé par la société Groupe David Gerbier et ne peut ainsi lui être imputable.
Elle estime que la durée de préavis qui aurait dû être respectée ne devrait pas, en tout état de cause, dépasser cinq mois au regard de l'absence de situation de dépendance économique de Delahaye et de l'état de crise du secteur automobile.
Elle soutient enfin que Delahaye ne justifie pas du préjudice dont elle demande réparation, que, de plus, le calcul de l'indemnité réalisé par Delahaye est erroné puisqu'il repose sur le chiffre d'affaires, et non sur la marge brute.
La société Delahaye Segura, par conclusions signifiées le 14 septembre 2016, demande à la cour de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a dit qu'il y avait eu rupture brutale de la relation commerciale établie, la réformer sur le montant des dommages et intérêts et condamner la société Gefco au paiement des sommes de 77 595,78 euros à titre de dommages et intérêts et de 6 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Elle fait valoir qu'il existait bien une relation commerciale établie entre elle et Gefco sur la période 2007-début 2012, que Gefco ne conteste pas avoir cessé de lui confier du travail sans lui donner une quelconque explication, et sans accorder le moindre préavis. Elle explique également que Gefco n'avait aucune contrainte économique l'empêchant de poursuivre sa relation commerciale avec Delahaye à la suite du rachat de la société Grands Garages Pyrénéens par le groupe Gerbier en mars 2012, et qu'elle aurait pu continuer de lui confier la réalisation de commandes d'autres concessionnaires du groupe PSA Peugeot Citroën, que Gefco a donc rompu brutalement les relations commerciales qu'elle entretenait avec Delahaye et que cette rupture ne saurait être imputable à la société Groupe David Gerbier comme le laisse entendre l'appelante.
Sur l'indemnisation de son préjudice, elle soutient que Gefco aurait dû respecter un préavis d'une durée d'un an en raison de l'ancienneté de la relation commerciale et de la part importante de cette relation dans le chiffre d'affaires de Delahaye.
Elle soutient également que le préjudice qu'elle a subi correspond au chiffre d'affaires qu'elle aurait pu réaliser avec Gefco si elle avait continué à travailler pendant le préavis d'un an. Elle rappelle qu'après la rupture, elle a continué à faire face à ses charges fixes et qu'elle a subi des difficultés économiques et des coûts salariaux importants résultant du licenciement de deux de ses salariés.
Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.
Motifs
Considérant que l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce dispose qu'"engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (...)
5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'Economie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure" ;
Considérant qu'il n'est pas contesté que les sociétés Gefco et Delahaye ont entretenu une relation suivie à partir de 2007 ; qu'il n'est pas davantage discuté que Gefco s'est abstenue de fournir à Delahaye la moindre commande à partir d'avril 2012 ; qu'aucun préavis n'a été accordé par Gefco ;
Considérant que, si Gefco prétend n'avoir fait que subir l'arrêt des commandes de la société Grands Garages Pyrénéens, elle ne rapporte toutefois pas la preuve, et ne soutient d'ailleurs pas, que la relation qu'elle entretenait avec Delahaye était limitée aux seuls véhicules automobiles des Grands Garages Pyrénéens ; que Gefco ne prétend pas que la perte de ce client constitue un cas de force majeure ; que c'est en conséquence à raison que les premiers juges ont retenu que la rupture a été brutale ;
Considérant qu'il résulte de l'article L. 442-6-I, 5° que la durée du préavis que doit respecter l'auteur de la rupture du contrat s'apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale et de l'activité concernée ; qu'eu égard à la durée de la relation entre les parties et à la nature de l'activité de Delahaye, propre à permettre une adaptation rapide à de nouveaux clients, Gefco aurait dû respecter un préavis de trois mois ;
Considérant qu'en cas d'insuffisance de préavis, le préjudice en résultant est évalué en considération de la marge brute correspondant à la durée du préavis jugé nécessaire ; qu'au titre de l'année 2011, Delahaye a réalisé un chiffre d'affaires HT de 690 199 euros ; que, pour un coût de production de 201 972 euros, la marge brute s'est élevée à 488 227 euros ; qu'il n'est pas contesté que Gefco a amené à Delahaye en moyenne 12,27 % de son chiffre d'affaires, soit une marge brute réalisée avec Gefco de 59 905 euros ; que la marge brute correspondant aux trois mois de préavis peut, dans ces conditions, être fixée à 14 976,36 euros, soit 15 000 euros ; que la cour condamnera Gefco au paiement de cette somme et réformera en ce sens la décision déférée ;
Considérant que l'équité commande de condamner Gefco à payer à Delahaye la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ;
Par ces motifs : LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris, sauf sur le montant de la condamnation à dommages et intérêts prononcée à l'encontre de la SA Gefco, Statuant à nouveau du chef infirmé, Condamne la SA Gefco à payer à la SARL Delahaye Segura la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts, Condamne la SA Gefco à payer à la SARL Delahaye Segura la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel, Condamne la SA Gefco aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.