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Décisions

CA Bordeaux, 1re ch. civ., 19 janvier 2017, n° 15-04146

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Propretés Privées (SAS)

Défendeur :

Maisons & Châteaux (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Esarte

Conseillers :

Mmes Coudy, Brisset

TGI Bordeaux, du 24 mars 2015

24 mars 2015

ARRÊT :

La SARL Maisons & Châteaux exerce une activité d'agence immobilière spécialisée dans la vente de biens dits de prestige.

La SAS Propriétés Privées exerce également une activité d'agence immobilière en ligne.

La SARL Maisons & Châteaux a saisi le tribunal de grande instance de Bordeaux de demandes fondées sur des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale. Elle sollicitait l'interdiction pour son adversaire d'utiliser la marque protégée ou le nom de domaine maisons châteaux et le vocable maisons châteaux et maisons et châteaux sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée outre la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts et celle de 3 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

La SAS Propriétés Privées a soutenu que les demandes étaient irrecevables et subsidiairement mal fondées et a sollicité la somme de 5 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par jugement du 24 mars 2015 le tribunal a, en substance,

Déclaré les actions en contrefaçon et concurrence déloyale recevables,

Rejeté l'action en contrefaçon pour absence de distinctivité de la marque,

Admis l'action en concurrence déloyale et condamné la SAS Propriétés Privées au paiement de la somme de 20 000 euros à titre dommages et intérêts,

Fait interdiction sous astreinte à la société Propriétés Privées d'utiliser sur son site internet les mots maisons/châteaux dans une présentation susceptible d'évoquer la société dénommée Maisons et Châteaux et d'employer sur ce même site la formule Maisons et Châteaux vous remercie de votre visite,

Condamné la société Propriétés Privées au paiement de la somme de 2 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Propriétés Privées a relevé appel de la décision le 7 juillet 2015.

Dans ses dernières écritures en date du 4 février 2016, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, la SAS Propriétés Privées conclut à l'infirmation du jugement en ses dispositions de condamnation, à l'irrecevabilité des demandes au titre de la concurrence déloyale et subsidiairement au débouté de l'ensemble des prétentions de la SARL Maisons & Châteaux. Elle sollicite la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et celle de 5 000 euros au titre de ces mêmes dispositions en cause d'appel.

Elle fait valoir, en synthèse, que c'est à tort que le tribunal a déclaré l'action recevable au titre de la concurrence déloyale alors qu'il n'était pas invoqué de faits distincts de ceux invoqués au titre de la contrefaçon. Elle s'explique sur la contrefaçon et soutient que c'est à bon droit que le tribunal l'a écartée en l'absence de caractère distinctif de la marque. Elle conteste toute concurrence déloyale faisant valoir que le nom de domaine était descriptif et générique comme l'est la dénomination sociale et le nom commercial Maisons & Châteaux. Elle soutient qu'il n'existait pas de risque de confusion et qu'il n'est pas caractérisé de préjudice.

Dans ses dernières écritures en date du 30 novembre 2015, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, la SARL Maisons & Châteaux formant appel incident conclut à la réformation du jugement en ce qu'il a rejeté son action en contrefaçon et à la condamnation à ce titre de l'appelante au paiement de la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts. Elle conclut pour le surplus à la confirmation du jugement et à la condamnation de l'appelante au paiement de la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.

Elle soutient, en synthèse, qu'il existait bien deux actions distinctes en contrefaçon et en concurrence déloyale trouvant leur source dans des faits différents de sorte que les demandes étaient recevables. Elle considère que la marque Maisons & Châteaux était bien distinctive de sorte qu'il existait une contrefaçon qui lui a causé un préjudice. Elle soutient que c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu des actes de concurrence déloyale lui ayant causé un préjudice.

La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 10 novembre 2016.

Motifs de la décision

Compte tenu des appels formés tant à titre principal qu'incident, c'est l'ensemble du jugement entrepris qui est remis en cause devant la cour.

Tout d'abord l'appelante soutient que c'est à tort que les premiers juges ont déclaré les actions recevables. Il est admis que les premiers juges ont justement rappelé dans leur décision que les deux actions, qui peuvent être cumulées, doivent reposer sur des faits distincts. Le débat tient dans l'appréciation de ces faits distincts puisque l'appelante considère que ce sont les mêmes faits qui sont invoqués par l'intimée, même si celle-ci donne des objectifs distincts à chacune des actions ce qui est indifférent.

Or, ainsi que l'ont retenu les premiers juges, il apparaît que la société Maisons & Châteaux invoquait bien des faits distincts puisqu'elle considérait que l'utilisation sur le site internet exploité par l'appelante du signe Maisons & Châteaux constituait une atteinte à la marque qu'elle avait déposée mais qu'elle invoquait également l'enregistrement et l'exploitation d'un nom de domaine 'maisons-chateaux.com.

C'est donc à bon droit que l'action a été déclarée recevable sur les deux fondements.

Sur le terrain de la contrefaçon, le débat est en premier lieu celui du caractère distinctif de la marque Maisons & Châteaux déposée en 2010 par l'intimée. Pour conclure à la réformation du jugement elle soutient que la marque en associant de manière arbitraire deux noms courants a acquis une tournure originale laquelle n'est pas uniquement descriptive, nécessaire, générique ou usuelle pour désigner une agence immobilière.

Cependant, c'est par des motifs pertinents que la cour adopte que les premiers juges ont retenu que les deux termes de maisons et châteaux étaient couramment utilisés dans le domaine de l'immobilier pour tous types de demeure s'agissant du premier et pour les demeures dites de caractère s'agissant du second. La liaison des deux termes par le symbole & ne modifiait ni le sens ni la perception des mots. Dès lors s'agissant de l'activité d'une agence immobilière et d'un enregistrement dans les classes 35 et 36 il s'agissait de juxtaposer des mots du langage courant désignant habituellement les biens vendus par l'intimée et décrivant donc son activité.

En l'absence de distinctivité il ne pouvait y avoir de contrefaçon de sorte que c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté la demande en contrefaçon.

Quant à la concurrence déloyale, l'appelante invoque là encore l'absence de distinctivité de la dénomination sociale et du nom commercial de l'intimée. Toutefois, les premiers juges ont exactement rappelé que le nom maison-chateaux.com renvoyait vers un site de la société Propriétés Privées où figurait un bandeau rectangulaire portant l'indication Maisons chateaux.com by Propriétés Privés. Il était encore noté qu'en bas de page figurait de manière très lisible l'efficacité au meilleur prix. Maisons et Châteaux vous remercie de votre visite.

Cette présentation ne pouvait qu'être délibérée, la cour observant de surcroît que toutes les références à Maisons Châteaux étaient en caractères beaucoup plus apparents que celles à Propriétés Privées. Ainsi que l'on exactement retenu les premiers juges il doit être considéré que cette présentation, délibérée, ne pouvait qu'engendrer la confusion dans l'esprit de l'internaute et relevait d'une tentative de rallier la clientèle en profitant du nom d'un concurrent dans le même secteur d'activité. Le fait que sur une recherche Google incluant ces termes la liste des résultats fasse figurer le site de l'intimée juste avant celui de l'appelante ne saurait en soi être exclusif de tout risque de confusion alors que les éléments de capture d'écran invoqués par l'appelante font bien apparaître ce risque de confusion. Aucun élément ne permet de considérer que la clientèle visée par ces deux sociétés serait spécialement éclairée, ceci ne procédant pas nécessairement du seul prix de biens mis en vente.

Il existait donc bien à la fois des actes de concurrence déloyale et un risque de confusion même si celui-ci n'est plus actuel puisque le nom de domaine litigieux a été abandonné par l'appelante en 2013 (alors que l'instance était pendante devant les premiers juges).

Quant au préjudice, peu importe que l'intimée n'ait pas repris sa demande telle que formulée en première instance et sollicite uniquement la confirmation du jugement. Pour conclure à l'infirmation, l'appelante soutient que le préjudice ne serait ni déterminé ni déterminable de sorte que c'est à tort que les premiers juges, qui auraient relevé ce fait, auraient néanmoins retenu un préjudice de 20 000 euros.

Cependant, le tribunal a retenu la période pendant laquelle les actes déloyaux avaient été commis, à savoir le 12 avril 2011 et le 21 août 2013. S'il a indiqué que le nombre exact de ventes manquées du fait de ces agissements n'était pas déterminable, il ne s'en déduit pas comme le soutient l'appelante qu'il aurait retenu un préjudice indéterminé et indéterminable. En effet, les premiers juges ont retenu que le préjudice était constitué par un risque de confusion sur un marché de prestige relativement étroit alors qu'internet constituait un outil essentiel de recherche. C'est bien ce risque qui a été indemnisé à hauteur de 20 000 euros dans la mesure où il ne pouvait pas être quantifié une perte précise de chiffre d'affaire. L'appelante ne saurait considérer qu'il existe aucun préjudice au motif que si des clients ont contracté avec l'une ou l'autre des agences c'est uniquement parce que chacune proposait des biens différents. En effet, il est exact que les clients ont contracté pour un bien, mais il n'en demeure pas moins que lors de leurs consultations ils ne recherchaient pas nécessairement un bien déterminé à l'avance (hypothèse fort peu fréquente) mais au contraire un bien présentant certaines caractéristiques de sorte que le risque de confusion entretenu par l'appelante causé bien à l'intimée un préjudice indemnisable.

Ce préjudice a été justement apprécié de sorte que le jugement sera confirmé.

C'est encore à bon droit et ce compte tenu des actes de concurrence déloyale retenus que les premiers juges ont fait interdiction à l'appelante pour l'avenir d'utiliser sur son site internet les mentions de nature à opérer la confusion, étant cependant observée que cette utilisation n'apparaît plus actuellement.

Le jugement sera donc confirmé en toutes ses dispositions comprenant l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile en première instance.

L'appel étant mal fondé, l'appelante sera condamnée au paiement de la somme de 2 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.

Par ces motifs : La Cour, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Condamne la SAS Propriétés Privées à payer à la SARL Maisons et Châteaux la somme de 2 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel, Condamne la SAS Propriétés Privées aux dépens et dit qu'il pourra être fait application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.