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Décisions

CA Rennes, 1re ch., 24 janvier 2017, n° 15-01582

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Conorga (SA)

Défendeur :

Conseil Supérieur de l'Ordre des Experts-Comptables

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Beuzit

Conseillers :

M. Janin, Mme Jeorger-Le Gac

TGI Rennes, du 9 déc. 2014

9 décembre 2014

FAITS ET PROCÉDURE

L'ordre des experts comptables a déposé, le 18 avril 2006 auprès de l'Institut national de la propriété industrielle, une marque semi-figurative sous forme de logo intitulée " ordre des experts comptables ", destinée à représenter l'image et les normes de la profession.

Courant février 2009, le conseil supérieur de l'ordre des experts comptables a constaté que la société Conorga proposait à la vente, sur ses catalogues commerciaux, divers produits imprimés de type enveloppes, entêtes de lettres, etc... où était reproduit le logo de l'ordre des experts comptables sous différentes formes.

Estimant que la société Conorga avait porté atteinte à ses droits de propriété intellectuelle, le conseil supérieur de l'ordre des experts comptables a fait assigner la société Conorga devant le Tribunal de grande instance de Rennes en paiement de dommages et intérêts pour contrefaçon de marque et pratique commerciale trompeuse.

Par jugement du 9 décembre 2014, le Tribunal de grande instance de Rennes a :

rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action ;

dit qu'en reproduisant sans autorisation préalable du conseil supérieur de l'ordre des experts comptables la marque semi figurative n° 3423837 " ordre des experts comptables " sur ses catalogues intitulés " catalogue sélection printemps 2009 ", " spécial cabinet comptable sélection printemps 2010 " et " spécial cabinet comptable sélection Eté-Automne 2011 ", la société Conorga a commis une faute constitutive de l'infraction de contrefaçon de marque au sens de l'article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle ;

condamné la société Conorga à payer la somme de 41 000 euro au conseil supérieur de l'ordre des experts comptables sur le fondement de l'article 716-4 du Code de la propriété intellectuelle ;

condamné la société Conorga à payer la somme de 3 000 euro au conseil supérieur de l'ordre des experts comptables en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

condamné la société Conorga aux dépens ;

ordonné l'exécution provisoire.

La société Conorga a, par déclaration au greffe du 24 février 2015, interjeté appel de ce jugement.

Par ordonnance du 17 mai 2016, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevables les conclusions remises au greffe et notifiées par la société Conorga le 11 janvier 2016.

Dans ses dernières conclusions remises au greffe le 1er octobre 2016, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens, la société Conorga demande à la cour de :

dire la société Conorga, prise en la personne de son représentant légal, bien fondée en son appel ;

réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Dire la marque déposée n° 3423837 collective ;

Dire la société Conorga autorisée à utiliser la marque en raison du défaut de dépôt du règlement auprès de l'l'Institut national de la propriété industrielle, et/ou par possession d'autorisation des experts comptables ;

dire la société Conorga utilisatrice de la marque à titre accessoire, et non contrefacteur ;

Dire la société Conorga bien fondée en sa demande reconventionnelle ;

Dire la marque n° 3423837 déchue pour défaut d'usage sérieux commercial sur la classe 16 et 35 (produits de l'imprimerie et publicité) ;

Dire la marque en défaut d'exploitation ;

en conséquence, prononcer la déchéance de la marque ;

subsidiairement, en cas de rejet des demandes de Conorga ci-dessus :

constater un défaut de forme lors du dépôt pour manque de règlement d'usage et considérer ainsi légalement le dépôt de marque nulle ;

condamner le conseil supérieur de l'ordre des experts comptables au paiement de la somme de 5 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

très subsidiairement, si par impossible la cour estimait devoir accueillir le conseil supérieur de l'ordre des experts comptables en son action :

Constater l'absence de préjudice moral ;

Constater que le conseil ne rapporte pas la preuve de ses dommages ni de son usage sérieux d'exploitation selon les règles de l'article L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle ;

En conséquence, le débouter de sa demande de dommages et intérêts ;

Subsidiairement, si la cour estimait que la preuve d'un préjudice moral est rapportée, réduire le montant des dommages et intérêts alloués au profit du Conseil Supérieur de l'Ordre des Experts Comptables ;

constater le défaut de calcul dans l'estimation des dommages et intérêts ;

Dire n'y avoir lieu à publication du jugement à intervenir dans la presse ;

Condamner le conseil au paiement de la somme de 7 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner le Conseil aux entiers dépens qui seront recouvrés pour ceux d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Dans ses conclusions remises au greffe le 20 juillet 2015, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens, le conseil supérieur de l'ordre des experts comptables demande à la cour de :

confirmer le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Rennes le 9 décembre 2014, en ce qu'il a constaté qu'en reproduisant, sans autorisation préalable du Conseil Supérieur de l'ordre des Experts-Comptables, la marque semi-figurative numéro 3423837 " ordre des experts comptables " sur ses catalogues intitulés " Catalogue 2009 Sélection Printemps 2009 ", " Spécial Cabinet Comptable Sélection Printemps 2010 " et " Spécial Cabinet Comptable Sélection Eté-Automne 2010 ", la société Conorga a commis une faute constitutive de l'infraction de contrefaçon de marque au sens de l'article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle ;

dire que la contrefaçon est constituée à défaut d'avoir été autorisée par le conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables ou de pouvoir bénéficier de l'exception prévue à l'article L. 713-6 b) du Code de la propriété intellectuelle ;

Recevant l'appel incident et y faisant droit

à titre reconventionnel et statuant à nouveau :

infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Conorga au versement au conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables de la somme de 41 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral du fait de la violation de son droit privatif ;

infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté le conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables de sa demande portant sur des dommages et intérêts pour pratique commerciale trompeuse.

En conséquence,

condamner la société Conorga au versement au conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables de la somme de 52 600 euro à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral du fait des agissements contrefaisants ;

condamner la société Conorga au versement de la somme de 20 000 euro de dommages et intérêts au titre de |'infraction de pratique commerciale trompeuse ;

en tout état de cause,

déclarer infondée la demande tenant à la constatation de la nullité du dépôt de la marque semi-figurative numéro 3423837 ;

déclarer infondée la demande tendant à la constatation de la déchéance de la marque ainsi que l'ensemble des demandes plus amples et contraires de la société Conorga ;

condamner la société Conorga au versement de la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

condamner la société Conorga aux entiers dépens qui seront recouvrés pour ceux d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile;

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la prescription :

Bien que l'appel soit général, cette fin de non-recevoir n'est plus soulevée en appel de sorte que le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur l'action en contrefaçon de marque :

- Le caractère individuel ou collectif de la marque :

Il n'est pas contesté que la société Conorga a reproduit le logo de l'ordre des experts comptables sur ses catalogues publicitaires intitulés " spécial expert-comptable printemps 2009 " et " spécial cabinet comptable sélection printemps 2010 " et ce, malgré une lettre qui lui a été adressée le 16 février 2009 par le secrétaire général du conseil supérieur de l'ordre des experts comptables lui demandant de faire cesser ce trouble à l'image de l'ordre en mettant fin sans délai à l'utilisation de son logo.

La société Conorga s'estime cependant autorisée à utiliser ce logo bien qu'il constitue une marque, car celle-ci serait collective et ainsi pouvant être exploitée par toute personne respectant un règlement d'usage établi par le titulaire de l'enregistrement, et ce, par application des dispositions de l'article L. 715-1 du Code de la propriété industrielle.

Cependant, l'examen des dépôts successifs de la marque (18 avril 2006 - 2 août 2010) déposée en couleurs rouge, gris et blanc notamment pour les classes n° 16 (produits de l'imprimerie) et 325 (publicités) montre que ces dépôts sont effectués au seul nom de l'ordre des experts comptables ou son conseil supérieur, organe représentatif de l'ordre, institué par l'ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945, personne morale de droit privé investie d'une mission de service public.

Il s'agit bien, contrairement à ce que soutient la société Conorga, d'un dépôt de marque individuelle et non d'une marque collective qui aurait dû être déposée en tant que telle par plusieurs experts comptables respectant un règlement d'usage figurant à l'appui du dépôt de la marque.

Comme il s'agit d'un dépôt de marque individuelle, il en résulte que le défaut de dépôt de règlement d'usage ne peut constituer une irrégularité dans le dépôt de la marque.

De même, la société Conorga ne peut se prévaloir d'autorisations qui lui ont été données par des experts comptables pour leur présenter et imprimer la marque sur les produits d'imprimerie qu'elle leur fournissait puisque ces derniers, non titulaires de la marque, ne pouvaient lui délivrer une autorisation sans celle de son seul titulaire, à savoir l'ordre des experts-comptables.

- L'utilisation de la marque à titre accessoire :

La société Conorga soutient, en deuxième lieu, qu'elle n'est pas la seule utilisatrice du logo des experts comptables puisque l'on retrouve celui-ci sur les pages jaunes ou sur les panneaux publicitaires fabriqués et présentés par des professionnels qui n'ont pu être conçus et réalisés que par des fournisseurs des experts comptables apposant le logo sur les murs de leurs locaux professionnels.

Elle estime qu'elle est ainsi autorisée elle-même à utiliser la marque sur le fondement des dispositions de l'article L. 713-6 b du Code de la propriété industrielle, selon lequel l'enregistrement de la marque ne fait pas obstacle à l'utilisation du signe comme référence nécessaire pour indiquer la destination d'un produit ou d'un service notamment en tant qu'accessoire à condition qu'il n'y ait pas confusion quant à leur origine.

Or, selon elle, le document publicitaire incriminé par l'ordre des experts comptables est un accessoire indispensable détaché du principal à savoir la vente du produit.

Elle estime également qu'il ne peut y avoir confusion sur l'origine du produit puisque le catalogue est accompagné d'une lettre à la seule entête de la société Conorga.

Mais, contrairement à ce que soutient la société Conorga qui imprime des documents à l'intention de ses clients experts comptables qui sont eux-mêmes autorisés à reproduire le logo de leur profession, il ne lui est pas nécessaire sur des documents publicitaires destinés à la vente de reproduire le logo pour montrer à ses clients potentiels son savoir-faire en la matière, sans y être autorisée par le propriétaire de la marque déposée.

En effet, en agissant ainsi, elle se livre à un usage répété et non nécessaire de la marque de nature à engendrer chez le consommateur une confusion sur la réelle origine des produits en cause, l'expert-comptable pouvant ainsi croire que la société Conorga bénéficie d'une autorisation de son ordre professionnel alors que, pour éviter cette confusion, elle aurait dû seulement indiquer qu'elle était en mesure de reproduire techniquement le logo que le client souhaitait.

- La déchéance des droits du titulaire de la marque, faute d'un usage sérieux :

En troisième lieu, la société Conorga rappelle que l'article L. 714-5 du Code de la propriété industrielle fait encourir la déchéance de la marque au propriétaire qui, sans justes motifs, n'en a pas fait un usage sérieux pour les produits et les services visés dans l'enregistrement pendant une période ininterrompue de cinq ans, la preuve de l'exploitation incombant au propriétaire de la marque dont la déchéance est demandée.

Elle soutient à cet effet que l'ordre des experts comptables n'a jamais exploité sa marque depuis son enregistrement faute d'avoir exercé une activité commerciale sur les produits des classes 16 correspondant à l'imprimerie et 35 à la publicité.

Mais, si un ordre professionnel investi d'une mission de service public n'exerce pas une activité commerciale, il peut cependant faire un usage sérieux de sa marque s'il l'utilise sur des moyens de communication telles que brochures, site internet ou encore actions de publicité pour la défense des intérêts de la profession, organisation de colloques, congrès etc.

Les pièces communiquées à cet effet par le conseil de l'ordre des experts comptables démontrent que de manière continue, il utilise le logo pour ses réunions, congrès, publications de revues professionnelles, notamment en 2013, soit moins de cinq ans avant le dernier dépôt de la marque enregistrée le 2 août 2010 et qu'il a d'ailleurs édité en septembre 2010 une charte d'application de son logo type, ce qui démontre une utilisation sérieuse et continue de la marque par l'ordre des experts comptables pour ses activités d'animation, de promotion et de formation de ses membres.

En conséquence, les moyens soulevés par la société Conorga seront écartés.

Sur le préjudice :

L'article 716-14 du Code de la propriété industrielle fixe les règles qui gouvernent les modalités selon lesquelles les dommages et intérêts alloués au titulaire des droits du fait de l'atteinte qui y a été portée.

Sont indemnisés le préjudice économique subi par la partie lésée en tenant compte des bénéfices réalisés par le contrefacteur ainsi que le préjudice moral causé au titulaire des droits.

Mais la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire qui n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.

La demande de dommages et intérêts porte exclusivement sur son préjudice moral.

En effet, dans ses dernières conclusions récapitulées sous forme de dispositif, le conseil supérieur de l'ordre des experts comptables demande de condamner la société Conorga au versement de la somme de 52 600 euro à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral du fait des agissements contrefaisants.

Comme en application des dispositions de l'alinéa 2 in fine de l'article 954 du Code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif, elle n'a à se prononcer que sur le préjudice moral du conseil supérieur de l'ordre des experts comptables sans avoir à considérer les modes de calcul présentés par celui-ci qui ne déterminent, à titre d'alternative aux dispositions de l'alinéa 1er de l'article L. 716-14 du Code de la propriété industrielle, que l'allocation à titre de dommages et intérêts d'une somme forfaitaire de nature à réparer le préjudice économique subi par le titulaire des droits et les bénéfices retirés par le contrefacteur.

Aussi, le conseil supérieur de l'ordre des experts comptables sera indemnisé au seul titre de son préjudice moral qui, s'agissant d'une personne morale de droit privé exerçant une mission de service public, réside dans l'atteinte portée à son image puisqu'il pouvait être déduit par des experts comptables destinataires des catalogues publicitaires édités par la société Conorga que celle-ci, agissait avec l'accord du dit conseil dont elle utilisait le logo, moyennant rémunération ou compensation de toute nature.

Ce préjudice, en fonction de la gravité de l'atteinte portée à l'image du conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables, sera fixé à la somme de 5 000 euro.

Sur l'infraction de pratique commerciale trompeuse :

L'ancien article L. 121-1 du Code de la consommation devenu l'article L. 121-2 du même Code définit, parmi d'autres cas, une pratique commerciale comme trompeuse si elle crée une confusion avec un autre bien ou service, une marque, un nom commercial ou un autre signe distinctif d'un concurrent.

Le conseil supérieur de l'ordre des experts comptables et la société Conorga n'exerçant pas à l'évidence d'activités concurrentes, l'une étant une société commerciale et l'autre une personne morale de droit privé investie d'une mission de service public, les dispositions légales ci-dessus ne sont pas applicables de sorte que la demande de condamnation fondée sur ce texte doit être rejetée.

Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive:

La société Conorga, échouant en première instance comme en appel en ses demandes, ne peut former contre la partie adverse une demande de dommages et intérêts pour procédure abusive puisque cette procédure était nécessaire pour qu'elle soit indemnisée de l'atteinte portée à ses droits.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens :

Il sera alloué au conseil supérieur de l'ordre des experts comptables, pour les frais supplémentaires qu'il a dû exposer en raison de l'appel de la société Conorga, une somme de 2 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Conorga sera également condamnée aux dépens d'appel.

Par ces motifs : Confirme le jugement du Tribunal de grande instance de Rennes en date du 9 décembre 2014, sauf sur le montant des dommages et intérêts alloués ; Réformant de ce seul chef et statuant à nouveau ; Condamne la société Conorga à payer au conseil supérieur de l'ordre des experts comptables la somme de 5 000 euro en réparation de son préjudice moral ; Y ajoutant, Condamne la société Conorga à payer au conseil supérieur de l'ordre des experts comptables la somme de 2 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Conorga aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.