CA Orléans, ch. com., économique et financière, 9 février 2017, n° 16-00541
ORLÉANS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Fedex Express France (SAS)
Défendeur :
Hatman Courses (SARL) , Selarl AJ Partenaire (ès qual.), Selas MJ Lex (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Raffejeaud
Conseillers :
Mme Hours, M. Monge
Avocats :
Mes Laval, Lepage, Devauchelle, Miny-Arduin, Etienne-Martin, Roche
Exposé :
La société Hatman Courses, qui a pour objet social le transport de marchandises et la messagerie, a conclu le 18 mars 2012 avec la société TAT Express, laquelle a été ultérieurement reprise par la société Fedex Express France (Fedex), un contrat de sous-traitance en vertu duquel elle a pris en charge les tournées référencées 120, 124 et 127, auxquelles se sont ajoutées le 26 avril de la même année les tournées 121 et 123, puis le 3 mai la tournée 3801. Par courrier du 29 août 2012, elle notifiait à sa cocontractante sa décision de résilier les tournées 121, 123 et 3801, selon elle non rentables, à effet du 30 novembre. La société Fedex lui a de son côté signifié le 5 octobre 2012 la résiliation des tournées restantes à effet du 5 janvier 2013, date d'expiration du préavis de trois mois. Les parties se sont finalement accordées pour repousser la fin de leur collaboration, et ont continué à négocier, jusqu'à ce que Fedex confie en définitive l'ensemble de ces tournées à une entreprise tierce. La société Hatman Courses a alors dénoncé au président du Tribunal de commerce de Saint-Etienne ce qu'elle tenait pour une pratique déloyale, avant d'être placée quelques mois plus tard en redressement judiciaire par un jugement du 13 novembre 2013 qui a désigné la Selarl AJ Partenaire en qualité d'administrateur judiciaire et la Selas MJ Lex en qualité de mandataire judiciaire.
La société Hatman Courses, avec son administrateur judiciaire et son mandataire judiciaire, a fait assigner la société Fedex, par acte du 2 juin 2014, pour voir juger au visa de l'article L. 442-6 du Code de commerce que celle-ci avait contrevenu aux stipulations du contrat de sous-traitance du 18 mars 2011 ainsi qu'aux dispositions dudit article L. 442-6 et pour la voir condamner à lui payer 275 844 euros à titre de remboursement des pertes par elle subies entre mars 2011 et mai 2013 sur les tournées 121, 123 et 124, ainsi que 50 000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice moral subi du fait des pratiques abusives de la défenderesse, l'institution d'une expertise et l'allocation d'une provision de 150 000 euros étant sollicitées à titre subsidiaire.
Par jugement du 16 décembre 2015, le Tribunal de commerce de Tours a condamné au visa de l'article L. 442-6 du Code de commerce la société Fedex à payer à la société Hatman Courses 275 844,49 euros, 10 000 euros de dommages et intérêts et 5 000 euros d'indemnité de procédure.
Pour statuer ainsi, la juridiction consulaire a retenu qu'en ayant objecté de façon récurrente à son sous-traitant désireux d'arrêter certaines tournées non-rentables que les prestations formaient un tout indivisible, Fedex avait cherché à obtenir des conditions de prix manifestement abusives sous la menace d'une rupture, et introduit ainsi un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au sens de l'article L. 442-6.
La société Fedex a relevé appel.
Elle a bénéficié le 4 février 2015 d'un jugement homologuant son plan de redressement par voie de continuation.
Les dernières écritures des parties, prises en compte par la cour au titre de l'article 954 du Code de procédure civile, ont été déposées :
- le 3 octobre 2016 par la société Fedex Express France
- le 21 septembre 2016 par la société Hatman Courses et la Selarl AJ Partenaire ès qualités de commissaire à l'exécution du plan de redressement.
La société Fedex Express France fait valoir qu'elle a toujours respecté ses obligations, notamment en payant ponctuellement ce qu'elle devait ; qu'Hatman Courses a librement accepté l'ensemble des éléments contractuels, et œuvré pendant dix-huit mois sans doléances, en prenant même une tournée supplémentaire ; que loin de placer sa cocontractante en difficulté, elle a revalorisé temporairement la tarification fin novembre 2012 pour tenir compte de la mauvaise situation qui lui était relatée, et qu'elle a aussi proposé de prolonger les prestations sur ces bases jusqu'au 31 mai 2013. Elle rappelle que le contrat contenait une clause permettant la révision du prix en cas de variations significatives des charges de l'entreprise de transport sous-traitante. Elle récuse les affirmations adverses afférentes aux prix de revient des tournées, en affirmant que les éléments financiers saisis dans la matrice de calcul utilisés ne sont pas probants, et elle s'emploie ainsi à réfuter la pertinence du kilométrage, du montant des salaires, du coût de l'assurance ou encore du taux de charges sociales ; elle objecte aussi qu'Hatman Courses pouvait et même devait optimiser ses tournées en utilisant pour d'autres clients l'après-midi les véhicules qu'elle affectait aux tournées du matin objet des marchés conclus entre elles. Elle indique avoir procédé elle-même à des contre-simulations qui aboutissent à des résultats très différents. Elle ne se considère aucunement responsable des difficultés financières dont l'intimée fait état. Elle nie avoir fait preuve de duplicité et conteste avoir prolongé les négociations le temps de trouver un nouveau sous-traitant. Elle conclut au rejet pur et simple des demandes adverses et réclame 3 500 euros d'indemnité de procédure.
La société Hatman Courses, dans des écritures communes avec le commissaire à l'exécution de son plan de redressement, indique avoir signé dans l'urgence la convention initiale et avoir engagé de lourds investissements pour assurer les tournées de Fedex, mais avoir rapidement découvert que celles, en l'occurrence 121, 123 et 3801, qu'il lui fut demandé d'assurer aussi, étaient lourdement déficitaires, eu égard à l'étendue géographique du département de l'Ain à couvrir, parfois pour un tout petit nombre de livraisons. Elle considère que l'augmentation de tarifs à laquelle Fedex consentit alors qu'elle s'en ouvrit à elle était dérisoire. Elle maintient que sa cocontractante lui a imposé une relation déséquilibrée en liant les quelques tournées rentables à celles qui ne pouvaient pas l'être, et en rompant leurs relations lorsqu'elle-même exerça son droit de résilier les contrats exécutés à perte. Elle indique que sa situation financière était saine avant qu'elle souscrive ces marchés, et qu'elle l'est redevenue lorsqu'elle en a été délivrée. Elle assure que les éléments qu'elle a utilisés pour les simulations financières fondant sa démonstration sont exacts, sincères et pertinents. Elle reproche à l'appelante de n'avoir pas exécuté le contrat de manière loyale, d'avoir contrevenu aux dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce, de lui avoir imposé des obligations créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, et d'avoir obtenu leur maintien sous la menace d'une rupture totale des relations en prétextant que le contrat de sous-traitance formait un tout indivisible. Formant appel incident du chef du montant des dommages et intérêts, elle réitère sa demande d'une somme de 50 000 euros en insistant sur l'importance de son préjudice commercial. Elle suggère à titre subsidiaire l'organisation d'une expertise, et sollicite en ce cas que Fedex en supporte le coût et lui verse d'ores-et-déjà une provision de 200 000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice.
Il est référé pour le surplus aux conclusions récapitulatives des plaideurs.
L'instruction a été clôturée par une ordonnance du 6 octobre 2016, ainsi que les avocats des parties en ont été avisés.
À l'audience du 20 octobre 2016, la cour a invité les parties à faire toutes observations utiles sur l'incidence, en la cause, des articles L. 442-6 et D. 442-3 du Code de commerce.
La société Hatman Courses, dans des écritures communes avec le commissaire à l'exécution de son plan de redressement, indique par conclusions transmises le 16 novembre 2016, qu'il résulte des articles L. 442-6 et D. 442-3 du Code de commerce que la Cour d'appel d'Orléans était incompétente pour connaître du présent appel, qui devra donc être jugé irrecevable.
La société Fedex Express France a déclaré par conclusions transmises le 8 novembre 2016 s'en remettre à prudence de justice sur la recevabilité de son appel, en précisant - au regard de la question des dépens et de l'indemnité de procédure - que l'acte de signification du jugement qu'Hatman Courses lui a fait délivrer énonce que l'appel devait être porté devant la Cour d'appel d'Orléans.
Une nouvelle ordonnance de clôture a été rendue le 17 novembre 2016, ainsi que les avocats des parties en ont été avisés.
Motifs de la décision :
Attendu que la société Hatman Courses, avec son administrateur judiciaire et son mandataire judiciaire, invoque exclusivement dans son assignation puis ses conclusions ultérieures l'article L. 442-6 du Code de commerce comme fondement de son action, laquelle tend à faire juger que sa cocontractante a cherché à obtenir des conditions de prix manifestement abusives sous la menace d'une rupture et qu'elle aurait ainsi introduit un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;
Attendu que selon l'article D. 442-3 du Code de commerce en sa rédaction applicable en la cause issue du décret n° 2009-1384 du 11 novembre 2009, pour l'application de l'article L. 442-6, le siège et le ressort des juridictions commerciales compétentes en métropole et dans les départements d'outre-mer sont fixés conformément au tableau de l'annexe 4-2-1 du présent Livre;
Que cette annexe attribue au Tribunal de commerce de Paris la connaissance des litiges noués dans le ressort de la Cour d'appel d'Orléans ;
Attendu que le litige, relevant normalement du ressort territorial de la Cour d'appel d'Orléans, devait ainsi être porté devant le Tribunal de commerce de Paris;
Que le Tribunal de commerce de Tours n'ayant pas le pouvoir d'en connaître, a commis un excès de pouvoir ;
Que la présente cour a compétence pour le constater, en vertu de l'article R. 311-3 du Code de l'organisation judiciaire, étant observé que la Cour d'appel de Paris ne tire de l'article D. 442-3 du Code de commerce le pouvoir juridictionnel exclusif de connaître que des décisions rendues par les huit juridictions commerciales citées à l'annexe 4-2-1 ;
Qu'il y a donc lieu d'annuler le jugement, sans que la présente cour puisse connaître du litige en vertu de l'effet dévolutif, lequel n'opère pas lorsque l'introduction de l'instance est irrégulière comme en l'espèce ;
Attendu que chaque partie conservera la charge de ses dépens, sans indemnité de procédure ;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort : constate que le litige est relatif à l'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce, annule le jugement rendu le 16 décembre 2015 par le Tribunal de commerce de Tours, dit que la présente cour ne peut connaître du litige par l'effet dévolutif de l'appel, laisse à chaque partie la charge de ses dépens, sans indemnité de procédure.