CA Bordeaux, 4e ch. civ., 1 février 2017, n° 14-04382
BORDEAUX
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Européenne de Construction (SAS)
Défendeur :
2CJS (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chelle
Conseillers :
Mme Fabry, M. Pettoello
Avocats :
Mes Pasquon, Montaut, d'Amiens, Vacarie
FAITS ET PROCÉDURE
Les relations entre les sociétés Européenne de Construction SAS et 2CJS SARL sont établies par un contrat d'agent commercial signé le 12 avril 2006, modifié en 2008 pour être transformé en contrat à durée indéterminée puis en 2010 pour étendre le secteur géographique confié de 27 à 35 départements couvrant ainsi tout le sud de la France.
L'activité porte sur le négoce de tiges filetées et tréfilées.
En date du 25 mars 2013, la société Européenne de Construction informait 2CJS de son intention de mettre fin à leurs relations commerciales à compter du 1er mai suivant.
Le 20 juin 2013, la société 2CJS assignait la société Européenne de Construction devant le Tribunal de commerce de Bordeaux aux fins de paiement d'indemnités au titre du non-respect de préavis et de rupture du contrat d'agent commercial.
Par jugement contradictoire du 7 avril 2014, le Tribunal de commerce de Bordeaux a :
- condamné la société Européenne de Construction à payer à la société 2CJS la somme de 31 720 euros au titre de dommages et intérêts pour rupture abusive de contrat commercial,
- débouté la société Européenne de Construction de l'ensemble de ses demandes,
- condamné la société Européenne de Construction à payer à la société 2CJS la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile;
- ordonné l'exécution provisoire de la décision nonobstant appel et sans caution;
- condamné la société Européenne de Construction aux entiers dépens.
Par déclaration faite au greffe le 21 juillet 2014, la SAS Européenne de Construction a interjeté appel de la décision.
Par ordonnance du 3 avril 2015, le conseiller de la mise en état de cette cour a rejeté la demande de radiation du rôle de l'affaire formée par l'intimée sur le fondement de l'article 526 du Code de procédure civile.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses dernières écritures en date du 21 décembre 2016 auxquelles il convient de se référer pour le détail de ses moyens et arguments, la SAS Européenne de Construction demande à la cour de :
Vu les articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce,
Vu les pièces justificatives,
Vu l'article 783 du Code de procédure civile.
Révoquer l'ordonnance de clôture et la reporter au jour des plaidoiries.
Infirmer en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de commerce de Bordeaux en date du 7 avril 2014
Dire que la rupture du contrat d'agent commercial de la société 2CJS repose bien sur une faute grave
Débouter la société 2CJS de l'ensemble de ses prétentions
La condamner à verser à la société Européenne de Construction la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
La condamner aux éventuels dépens de l'instance.
La société Européenne de Construction fait valoir que 2CJS a signé un contrat d'agent commercial avec une société Vacodis commercialisant des produits concurrents. Elle entend également démontrer que 2CJS n'a pas mené d'actions de prospection et que le montant de ses commissions a stagné entre 2008 et 2011 puis baissé en 2012 et 2013. Elle en déduit des fautes justifiant d'une rupture sans indemnité.
Dans ses dernières écritures en date du 13 décembre 2016 auxquelles il convient de se référer pour le détail de ses moyens et arguments, la SARL 2CJS demande à la cour de :
Vu le jugement rendu,
Vu les articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce,
Confirmer le jugement en toutes ses dispositions
Rejeter toutes les demandes adverses
Condamner en outre la Société Européenne de Construction au paiement d'une somme complémentaire de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
La société 2CJS fait valoir qu'en ne respectant pas le délai de trois mois prévu au contrat liant les parties, la société Européenne de Construction lui est redevable de la somme de 2 440 euros sur la base de la moyenne mensuelle des commissions reçues au cours des trois dernières années et correspondant aux deux mois de délai non respecté.
Elle conteste également avoir commis une faute grave justifiant la rupture sans indemnité que fait valoir l'appelante, contestant le bien fondé des faits allégués et soutenant que l'appelante tente de les justifier par des preuves qu'elle s'est constituées à elle-même.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 14 décembre 2016.
EXPOSE DES MOTIFS
Les deux parties ont conclu à la révocation de l'ordonnance de clôture du 14 décembre 2016. Au regard des intérêts en cause, du principe du contradictoire et de l'accord des parties sur la révocation de l'ordonnance, il convient de procéder à cette révocation et d'admettre la recevabilité des écritures en date des 13 et 21 décembre 2016.
Le débat est celui de la validation de la rupture d'un contrat d'agent commercial sans l'indemnisation prévue par les dispositions des articles L. 134-11 et suivants du Code du commerce justifiée par la faute grave de l'agent commercial.
C'est au mandant qui est à l'initiative de la rupture sans indemnisation de rapporter la preuve de la faute grave.
La société Européenne de Construction entend le faire en démontrant que l'agent commercial a accepté la représentation d'une entreprise concurrente sans son autorisation et qu'il a manqué à ses devoirs de loyauté visés par l'article L. 134-4 du Code du commerce en négligeant la prospection de la clientèle et en n'assistant pas aux réunions d'information qu'elle organisait sur son site.
Sur la concurrence,
La société Européenne de Construction évoque principalement un courriel de 2CJS daté du 21 mars 2013 duquel elle extrait la phrase " nous vendons des tiges fil et la qualité de nos concurrents convient aux clients ". En cause d'appel, elle ajoute que 2CJS a conclu le 15 mars 2010 un contrat d'agent commercial avec une entreprise concurrente pour en déduire la faute grave par la violation de l'obligation de ne pas représenter une société concurrente sans son accord.
C'est toutefois à juste titre que les premiers juges ont considéré que cette seule formule extraite du courriel querellé ne prouvait pas une relation commerciale avec un autre fournisseur alors que l'agent commercial avance qu'il rapportait une information communiquée par des clients.
Et s'agissant du contrat d'agent commercial conclu avec une entreprise concurrente, même si 2CJS fait valoir que de tels contrats existaient entre ce concurrent et d'autres agents de la société Européenne de Construction et que ce contrat ne s'est pas prolongé au-delà de la période d'essai de trois mois, sa signature pourrait constituer la faute grave visée à l'article L. 134-13 du Code du commerce.
Toutefois, s'il est admis que le mandant peut toujours invoquer jusqu'au jour de la décision, même si elle révélée postérieurement à la rupture du contrat, l'existence d'une faute commise antérieurement, c'est à la condition qu'il s'explique sur les circonstances dans lesquelles il en a eu connaissance pour permettre à la cour d'apprécier qu'elle a été ou non reprochée ou tolérée dès sa révélation. Or, ce n'est qu'en cause d'appel que l'appelante a invoqué un contrat signé, non par l'intimée mais par le fils de son gérant représentant 2CJS, en mars 2010 et auquel il aurait mis un terme en novembre 2010. En l'état, la faute grave n'est donc pas caractérisée de ce chef.
Sur les négligences dans l'action commerciale, l'appelante se prévaut en premier lieu d'une absence de l'intimée à une réunion sur le site de l'appelante. Il est manifeste que c'est le fait pour le représentant de 2CJS de ne pas avoir répondu positivement à la demande exprimée par courrier électronique du 20 mars 2013 qui a dégradé les relations entre les parties. Cependant, ce seul fait alors que le sujet de la réunion n'était pas même véritablement défini pour un déplacement distant ne saurait constituer une cause de rupture du contrat d'agent commercial. Quant à l'absence de prospection suffisante, l'appelante croit l'établir par les résultats d'une enquête de satisfaction qu'elle aurait adressée à l'ensemble du fichier client. Il est manifeste que c'est après la rupture que le questionnaire a été adressé. Surtout, alors qu'il est produit sans classement et analyse des " enquêtez de satisfaction client ", on ignore si les documents ont bien été envoyés à tout le fichier client et surtout s'il est produit l'intégralité des réponses. En effet, l'appelante procède par affirmation lorsqu'elle fait état de l'envoi de 524 questionnaires ayant donné lieu à 102 réponses alors qu'elle pourrait parfaitement avoir sélectionné les réponses produites. Dès lors cet élément ne peut être considéré comme une preuve valable. Il s'en déduit que l'appelante ne rapporte pas la preuve qui lui incombe d'une faute grave de l'agent privative de son droit à indemnité, la seule évolution des chiffres d'affaires réalisés étant indifférente puisqu'elle peut procéder d'autres causes. Le montant des indemnités n'est pas en lui-même spécialement discuté de sorte que le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions.
L'appel étant mal fondé, l'appelante sera condamnée au paiement de la somme de 2 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Reporte l'ordonnance de clôture au jour des plaidoiries. Admet la recevabilité des dernières écritures des parties en date des 13 et 21 décembre 2016. Confirme le jugement du Tribunal de commerce de Bordeaux du 7 avril 2014 en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Condamne la SAS Européenne de Construction à payer à la SARL 2CJS la somme de 2 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SAS Européenne de Construction aux dépens.