Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 24 février 2017, n° 15-16659

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

CSCE (SARL)

Défendeur :

Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Brie Picardie (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mme Lis Schaal, M. Thomas

Avocats :

Mes Vignes, Attal, Bohbot, Pillot

T. com. Lille-Métropole, du 23 juin 2015

23 juin 2015

Faits et procédure

La SARL CSCE, ayant pour activité le négoce de matériel informatique, a développé, en 2011, une activité de vente en ligne et s'est, à cet effet, dotée d'un site Internet ; une plate-forme de paiement a été mise en place par le Crédit Agricole. Le 8 novembre 2011, la société CSCE a souscrit un contrat d'acceptation des cartes bancaires en paiement à distance sécurisés selon la procédure " Secure 3D ".

De novembre 2011 à avril 2013, le compte a fonctionné sans problème particulier, avec en moyenne quatre transactions mensuelles pour de faibles montants - en moyenne inférieures à 200 euros - et un taux de fraude sur transaction nul.

A compter du mois de mai 2013, le nombre de transactions et le chiffre d'affaires ont très sensiblement augmenté. Sur les mois de mai, juin et juillet 2013, 240 transactions ont été effectuées en moyenne par mois, pour une valeur moyenne par transaction d'environ 1 000 euros. Sur cette période, le taux de fraude a atteint un pic de 93,54 % et une moyenne de 82,56 % sur les trois mois. Les opérateurs Mastercard et Visa ont alerté le Crédit Agricole. Ce dernier, par lettre recommandée du 12 juin 2013, a averti la société CSCE du montant exceptionnel des fraudes constatées et lui a demandé de mener des contrôles efficaces afin de mettre un terme à ces fraudes qui généraient des coûts importants pour le Crédit Agricole. En effet la banque devait supporter les impayés.

Par ce même courrier du 12 juin 2013, le Crédit Agricole a rappelé à la société CSCE qu'elle disposait contractuellement d'un délai de 30 jours pour mettre en œuvre tous moyens pour résorber le taux d'impayés. Malgré cette lettre, le taux de fraudes s'est aggravé en juillet 2013. Le 12 août 2013, le Crédit Agricole a résilié, par lettre recommandée, le contrat la liant à CSCE.

Invoquant le caractère brutal de la rupture du contrat, CSCE a, le 17 décembre 2013, assigné le Crédit Agricole, sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, devant le Tribunal de commerce d'Amiens qui, au visa de l'article D. 442-3 du Code de commerce, s'est déclarait incompétent au profit du Tribunal de commerce de Lille Métropole.

Par son jugement rendu le 23 juin 2015, le Tribunal de commerce de Lille Métropole a :

- dit que la rupture brutale des relations commerciales, au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, n'était pas établie ;

- débouté la société CSCE de l'ensemble de ses demandes à ce titre ;

- condamné la société CSCE à payer au Crédit Agricole la somme de 60 776,51 euros ;

- condamné la société CSCE à payer au Crédit Agricole la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

- condamné la société CSCE aux entiers frais et dépens de l'instance, taxés et liquidés à la somme de 81,12 euros (en ce qui concerne les frais de greffe) ;

- débouté les parties de toutes leurs autres demandes plus amples ou contraires.

La SARL CSCE a régulièrement interjeté appel de cette décision.

Prétentions des parties

La SARL CSCE, par conclusions du 1er février 2016, demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris,

- dire la demande de CSCE recevable, bien fondée en toutes ses demandes ;

- rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions de CRCA ;

- l'en débouter ;

- dire que CRCA a engagé sa responsabilité mettant un terme brutalement, de manière injustifiée et fautive à sa relation de plus de 15 ans avec CSCE ;

- condamner CRCA à réparer l'entier préjudice causé à CSCE par la rupture brutale, abusive et fautive de leurs relations contractuelles ;

- condamner CRCA à payer à CSCE les sommes ci-après :

- la somme TTC de 478 400 euros au titre du préjudice financier ;

- la somme TTC de 23 312 euros au titre des dépenses exposées pour la mise en place du site ;

- la somme TTC de 6 544,51 euros au titre du contrat TD Webshop ;

- la somme TTC de 185 176,23 euros au titre du contrat de licence de marque ;

- la somme TTC de 75 000 euros au titre du préjudice moral, commercial et d'image ;

- condamner CRCA à payer à CSCE la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens.

Elle soutient que la demande de sursis à statuer sollicitée par le Crédit Agricole est sans fondement : elle souligne que la banque a déposé plainte auprès du Procureur de la République, puis a réitéré par une plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d'instruction du Tribunal de grande instance de Meaux, qu'aucune infraction ne lui est reprochée dans cette plainte déposée contre X pour des faits d'escroquerie ; elle ajoute qu'un sursis à statuer ne peut être sollicité sur la base d'une plainte qui ne vise que des personnes qui ne peuvent être identifiées, que ce sursis à statuer irait à l'encontre du droit positif actuel puisque " le criminel tient le civil " exclusivement pour l'action civile au sens strict, c'est-à-dire pour l'action en réparation du dommage causé par l'infraction et que le Crédit Agricole n'apporte aucun élément de droit ni de fait nouveau au soutient de sa demande de sursis à statuer, par rapport à sa demande formulée devant la juridiction de premier degré.

Sur le fond, la société CSCE indique qu'elle n'a commis aucune faute et ne s'est livrée à aucune fraude contrairement à ce qu'avance le Crédit Agricole ; elle souligne que :

- la rupture de sa relation commerciale de plus de 15 ans avec le Crédit Agricole est intervenue de manière injustifiée et fautive ;

- cette rupture se caractérise par sa brutalité, aucune mise en demeure ne lui ayant été adressée ;

- la lettre du 12 juin 2013 ne constituait ni une mise en demeure, ni un préavis de rupture, le contrat s'étant poursuivi sans remarque ni mise en garde, et le Crédit Agricole continuant de percevoir les redevances dues en exécution des contrats signé avec elle.

Elle indique qu'elle a toujours exécuté son contrat loyalement et qu'aucune faute ou fraude ne peut lui être reprochée. Elle ajoute que le Crédit Agricole a totalement manqué à ses obligations découlant de l'application du contrat 3D secure et de la notice Paybox. Elle soutient qu'elle a toujours respecté les préconisations du Crédit Agricole, notamment celles contenues dans sa lettre du 12 juin 2013, et a toujours fourni des réponses à ses demandes ainsi que tous documents justificatifs.

Elle indique enfin qu'elle a subi de multiples préjudices dont elle réclame l'indemnisation notamment un préjudice économique, financier et moral.

La société Crédit Agricole Brie Picardie, par conclusions du 12 mai 2016, demande de :

A titre principal,

- ordonner un sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la plainte pénale ;

A titre subsidiaire,

- dire que la résiliation n'est nullement abusive et fautive ;

- débouter la société CSCE de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

Ajoutant au jugement de première instance,

- condamner la société CSCE à payer au Crédit Agricole la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile en sus de la somme allouée à ce titre en première instance ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Elle demande de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de la plainte pénale et de l'instruction en cours ; elle fait valoir que les faits invoqués à l'appui de la plainte pénale sont de nature à influer sur la présente instance, et que le dépôt de plainte contre X n'est pas de nature à exclure le sursis car les faits invoqués dans la plainte sont en relation avec l'instance.

A titre subsidiaire, le Crédit Agricole indique que la résiliation du contrat est parfaitement fondée par les circonstances qui ont amené à la résiliation du contrat :

- l'explosion du chiffre d'affaires avec des taux de fraude démesurés ; il indique que, sur les 738 transactions par cartes bancaires réalisées, de janvier à juillet 2013, et pour un montant cumulé de 751 947 euros, le taux de fraude moyen s'est établi à 82,56 %, déclenchant immédiatement les procédures d'alertes automatiques ;

- son courrier d'avertissement du 12 juin 2013 par lequel CSCE s'est vue indiquer les mesures à prendre pour faire baisser le taux de fraude, mesures de prévention des fraudes, prévues par l'article 8 du contrat d'acceptation du paiement par carte Bancaire par Internet, que CSCE n'a pas prises.

Le Crédit Agricole fait part de la persistance du taux de fraude élevé et indique qu'il ne pouvait laisser perdurer la situation et n'a pas eu d'autre choix que la résiliation des contrats par courrier recommandée du 12 août 2013 ; il ajoute que cette résiliation est également prévue par les stipulations contractuelles.

La banque ajoute que CSCE a disposé d'un délai de 30 jours, prévu contractuellement, pour lui permettre d'appliquer les mesures de nature à faire baisser le taux de fraude ; dès lors, la rupture brutale de la relation n'est pas caractérisée puisque l'inexécution des mesures de prévention indiquées dans la lettre du 12 juin 2013 justifiait la rupture intervenue en août 2013.

Sur ce

Sur le sursis à statuer

Considérant que l'article 4 du Code de procédure pénale dispose : " L'action civile en réparation du dommage causé par l'infraction prévue à l'article 2 peut être exercée devant une juridiction civile, séparément de l'action publique.

Toutefois, il est sursis au jugement de cette action tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement.

La mise en mouvement de l'action publique n'impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu'elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d'exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil " ;

Considérant qu'en l'espèce, le Crédit Agricole justifie avoir déposé plainte contre X avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d' instruction du Tribunal de grande instance de Meaux le 5 septembre 2014 pour escroqueries ; qu'aucun élément n'établit les suites données à cette plainte ; que le criminel tient le civil en l'état uniquement pour l'action en réparation du dommage causé par l'infraction ; que tel n'est pas le cas en l'espèce, le manque de vigilance reproché par le Crédit Agricole à la société CSCE n'équivalant pas à une escroquerie ; qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande de sursis à statuer ;

Sur le fond

Considérant que l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, sur lequel la société CSCE fonde ses demandes, dispose qu'" Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait (...) 5°) de rompre brutalement, même partiellement une relation commerciale établie, sans préavis écrit, tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. "

Considérant que la société CSCE a souscrit avec le Crédit agricole le 8 novembre 2011 un contrat d'acceptation des cartes " CB " ou agréées 3 CB " en paiement à distance ou adhésion au système de paiement à distance par carte " CB " ou agréées CB " dont l'article 8 " Mesures de prévention et de sanction " stipule :

" En cas de manquement de l'Accepteur " CB " aux dispositions du Contrat ou aux lois en vigueur ou en cas de constat d'un taux d'impayés anormalement élevé ou d'utilisation anormalement élevée de Cartes " CB " perdues, volées ou contrefaites, la Banque Acquéreur " CB " peut prendre des mesures de sauvegarde et de sécurité consistant, en premier lieu, en un avertissement à l'Accepteur " CB " valant mise en demeure précisant les mesures à prendre pour remédier au manquement ou résorber le taux d'impayés constaté. Si dans un délai de trente jours, l'Accepteur " CB " n'a pas remédié au manquement ayant justifié l'avertissement ou n'a pas mis en œuvre les mesures destinées à résorber le taux d'impayés constaté, la Banque Acquéreur " CB " peut résilier de plein droit avec effet immédiat le Contrat par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. De même, si dans un délai de trois mois à compter de l'avertissement, l'Accepteur " CB " est toujours confronté à un taux d'impayés anormalement élevé, la Banque Acquéreur " CB " peut décider la résiliation de plein droit avec effet immédiat du Contrat notifiée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception " ;

Que le contrat de paiement sécurisé par Internet " E-transactions " assorti de la garantie de paiement 3D Secure conclu le 25 octobre 2011 dont les conditions générales relatives au service e-transactions viennent compléter le contrat sus-visé et prévalent sur ce dernier, précise en son article 6 " durée - résiliation du contrat " :

" A tout moment, le Crédit Agricole a la faculté de résilier immédiatement le présent contrat :

- en cas de non-paiement de la cotisation,

- en cas de non-respect par l'Accepteur CB des engagements cités,

- en cas d'augmentation rapide du chiffre d'affaires, si la réalité économique de ce chiffre d'affaires n'est pas justifiée au crédit Agricole, à la première demande par des documents suffisamment probants ;

- en cas de révélation d'un impayé dont le motif pourrait laisser supposer que l'Accepteur CB n'a pas fourni la prestations de service ou le produit convenu, à moins que ce dernier ne justifie du contraire, à sa première demande au Crédit Agricole, par la fourniture de documents suffisamment probants " ;

Que, le 12 juin 2013, le Crédit Agricole a écrit à la société CSCE qu'elle avait constaté un accroissement important de son chiffre d'affaires depuis le mois de mai 2013 (transactions d'un montant sensiblement supérieur à celles enregistrées habituellement avec une forte proportion de cartes étrangères) et lui a rappelé ses obligations en matière de vérification et de contrôles tels que la surveillance des comportements suspects au moment de la commande, la vigilance lors d'opérations multiples avec la même carte, le rappel de l'interlocuteur, la vérification de la concordance entre l'adresse de livraison et le numéro de téléphone, la vérification de la concordance entre adresse et nom, etc. ;

Que, par lettre recommandée avec accusé de réception du 12 août 2013, le Crédit Agricole a notifié à la CSCE la résiliation du contrat de paiement sécurisé en application de l'article 6 du contrat, rappelant que, depuis la lettre du 12 juin 2013, la situation n'avait pas évolué ;

Considérant qu'il résulte des pièces produites que le chiffre d'affaires de CSCE a considérablement augmenté en 2013 ; que, sur 738 transactions par cartes bancaires réalisées de janvier à juillet 2013 pour un montant total de 751 947 euros, le taux de fraude moyen s'est établi à 82,56 % ; que la CSCE ne démontre pas qu'elle a pris en compte le courrier d'avertissement du Crédit Agricole du 12 juin 2013 et quelles mesures elle a mises en œuvre pour y remédier alors qu'elle proposait ses produits par le biais d'un site Internet Promostore et que, les commandes étant passées sur son site, elle était la seule à pouvoir exercer ce contrôle ; que son manque de vigilance est caractérisé par son indifférence au fait que les ventes de marchandises sont passées de 296 686 euros à 930 391 euros entre 2012 et 2013 sans qu'elle ne soit attentive au taux élevé de fraudes ;

Qu'en conséquence, les manquements de la CSCE à ses obligations autorisaient la banque à rompre la relation commerciale ; qu'en conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris qui a débouté la CSCE de l'ensemble de ses demandes fondées sur le préjudice découlant de la rupture brutale des relations commerciales et qui a condamné la société CSCE à payer au Crédit Agricole la somme de 60 776, 51 euros correspondant aux sommes qui sont restées à sa charge et qui n' ont pas été prises en compte par le réseau Visa, la société CSCE ayant été classée en " High Fraud " en juillet 2013 ;

Considérant que l'équité impose de condamner la société CSCE à payer au Crédit Agricole Brie Picardie la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Condamne la société CSCE au paiement de la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel, la Condamne aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.