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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 23 février 2017, n° 15-09856

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

ESM (SARL) , Baronnie (ès qual.), Pellegrini (ès qual.)

Défendeur :

April Fleurs (EURL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dabosville

Conseillers :

M. Loos, Mme Schaller

Avocats :

Mes De Silva, Benveniste, Boré

T. com. Créteil, 2e ch., du 9 déc. 2014

9 décembre 2014

Faits et procédure

La société Entreprise Service Manutention - ci-après ESM - exerce une activité de manutention sur le quai du pavillon aux fleurs du Min de Rungis.

La société April Fleurs qui exerce l'activité de grossiste au Pavillon aux fleurs a refusé de lui payer ses factures dont le total s'élève à 28 866,13 € arguant de ne pas être en relation contractuelle avec elle.

La société ESM a dès lors fait assigner, le 2 septembre 2013, la société April Fleurs pour voir déclarer la société ESM recevable et bien fondée, constater que la société ESM et la société April Fleurs sont liées par un contrat, constater que les factures impayées par la société April Fleurs correspondent à des prestations contractuelles réalisées par la société ESM, en conséquence condamner la société April Fleurs au paiement de la somme de 26 056?23 euros au titre des factures restant dues, avec intérêt au taux légal à compter du 2 novembre 2011, et à compter du 27 septembre 2012 pour les factures depuis le 15 septembre 2011.

Par jugement rendu le 9 décembre 2014, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Créteil a :

- Condamné la société April Fleurs à payer à la société ESM et à Me Gilles Baronnie ès qualités, la somme de 16 380, 08 euros avec intérêts au taux légal à compter du 2 novembre 2011 pour les factures jusqu'au 15 septembre 2011, et à compter du 2 septembre 2013 pour les factures jusqu'au 17 novembre 2011, et débouté la société ESM et Me Baronnie ès qualité du surplus de leur demande.

- Dit la société ESM et Me Gilles Baronnie, ès qualités, mal fondés en leur demaès qualitéès qualitésnde de dommages et intérêts et les en déboute.

- Condamné la société April Fleurs à payer à la société ESM et à Me Gilles Baronnie, ès qualités, une somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du CPC, débouté la société ESM et Me Gilles Baronnie, ès qualités, du surplus de leur demande et débouté la société April Fleurs de sa demande formée en ce chef.

- Condamné la société April Fleurs aux dépens.

- Liquidé les dépens à recouvrer par le Greffe à la somme de 105,084 euros TTC (dont 20 % de TVA).

Vu l'appel interjeté par Me Gilles Pellegrini le 24 avril 2015, contre cette décision.

Vu les dernières conclusions signifiées le 1er décembre 2016, par la société ESM par lesquelles il est demandé à la cour de :

- Confirmer jugement attaqué en ce qu'il a condamné la société April Fleur au paiement de la somme de 16 380,08 euros au titre des factures restant dues, avec intérêt au taux légal à compter du 2 novembre 2011 pour les factures jusqu'au 15 septembre 2011,

- L'infirmer le surplus et statuant à nouveau sur la demande en paiement des prestations exécutées depuis le 17 novembre 2011, les intérêts et la demande de dommages et intérêts,

- Constater la SARL ESM et l'EURL April Fleur sont toujours liées par un contrat après le 17 novembre 2011,

- Constater les factures postérieures au 17 novembre 2011 impayées par l'EURL April Fleur correspondent à des prestations contractuelles réalisées par la SARL ESM,

En conséquence,

- Condamner l'EURL April Fleur au paiement de la somme de 12486.05 euros correspondant au montant des prestations exécutées et non réglées, pour les factures postérieures au 17 novembre 2011,

- Constater l'assignation en référé du 27 septembre 2012 constitue une mise en demeure.

En conséquence,

- Condamner l'EURL April Fleur au paiement des intérêts à compter du 27 septembre 2012 pour les factures à compter du 15 septembre 2011,

- Condamner l'EURL April Fleur au paiement de la somme de 1 000 euros au titre des dommages et intérêts,

- Condamner l'EURL April Fleur au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- La Condamner aux entiers dépens.

Vu les dernières conclusions signifiées le 25 août 2015, par la société April Fleurs par lesquelles il est demandé à la cour de :

- Dire et juger la société ESM et Me Baronnie ès qualités irrecevables et en tout cas mal fondés en leur appel,

- Dire et juger la société April FleurS recevable et bien fondée en son appel principal.

À titre principal,

- Infirmer le jugement en toutes ses dispositions.

Et statuant à nouveau,

- Débouter la société ESM et Me Baronnie ès qualités de toutes leurs demandes.

À titre subsidiaire,

- Confirmer le jugement en ce qu'il a limité la condamnation de la société April Fleurs à la somme de 16 380,08 €,

- Fixer au passif de la société ESM la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Condamner la société ESM aux entiers dépens de première instance et d'appel.

La société ESM soutient que, nonobstant l'existence d'un écrit, elle est en relation d'affaires avec la société April Fleurs depuis " de nombreuses années ", ce qui justifie de son droit au paiement des prestations correspondantes, issu des usages au marché Rungis ; que les prestations facturées avant le 17 novembre 2011 n'avaient jamais été contestées auparavant et même acquittées jusqu'en février de cette même année et que, nonobstant l'ouverture injustifiée, en mars 2012, aux produits hollandais du Pavillon des Fleurs de Rungis, au mépris de l'exclusivité accordée à la société ESM, la société April Fleurs a continué à faire appel à ses services pour les colis issus d'autres destinations; qu'en atteste un constat du 14 mars 2014, qui confirme en outre le fait qu'à l'heure des livraisons, soit entre 22 h et 6 h du matin, les locaux de la société April Fleurs sont fermés, ce qui justifie la pratique des commandes livrées sans que le bon ou la facture soit signés.

La société ESM argue en outre de l'existence d'un contrat passé le 17 novembre 2011, dès lors que sa résiliation unilatérale alléguée est nulle comme non conforme aux dispositions de l'article 1184 du Code civil et non conforme au Règlement intérieur de Rungis.

A titre subsidiaire la société ESM soutient l'existence implicite d'un nouveau contrat conclu comme en attestent les prestations de manutention qui ont perduré après le 17 novembre 2011-et qui n'ont pas plus été réglées.

La société April Fleurs oppose l'absence de toute preuve d'un contrat ni d'un quelconque accord de sa part sur la réalité ou la facturation des prestations invoquées, arguant de ce que la société ESM réclame des règlements de prestations pour lesquelles elle se devait d'obtenir l'accord de chacun des grossistes, ce qui n'a pas été le cas de la société April Fleurs qui n'a elle-même aucun intérêt à investir dans les livraisons faites directement devant les locaux des grossistes, et non à quai ; qu'il lui est ainsi réclamé le paiement de prestations inexistantes, peu important en outre que soit invoqué un " courant d'affaires " antérieur, du reste non établi, ni antérieurement à février 2011, ni postérieurement à cette date ; qu'en outre les factures produites relèvent de tarifs très variables et non contractuels, que les " bons de livraison " ne figurent que pour la période de février à mars 2012, et ne sont, en tout état de cause, que des pièces établies unilatéralement ; que les " usages " invoqués ne sont pas caractérisés et ne peuvent aboutir à des pratiques validant le libre arbitre de leur auteur.

S'agissant de la période postérieure au 17 novembre 2011, la société April Fleurs fait valoir qu'elle a clairement rejeté le principe d'une collaboration avec la société ESM, ce qu'elle était parfaitement en droit de faire, et qu'elle a en outre interdit à la société ESM de toucher à ses chariots ; que néanmoins, si l'existence d'une rupture brutale de relations commerciales établies devait être reconnue, elle accepte de régler la somme de 500 € réclamée à titre de dommages et intérêts.

Cela étant exposé, LA COUR,

Le fondement des moyens opposés par la société April Fleurs aux demandes présentées par la société ESM repose sur une remise en cause des pratiques commerciales usuelles, et plus spécifiquement celles en cours à Rungis. Il est évident que ce type de relations, impliquant nécessairement des modes de preuve quant à la facturation des prestations issues de ce marché, basée sur la confiance mutuelle entre des professionnels habitués à collaborer sur ce mode de pratiques échappe à la rigueur d'autres types de marchés. Pour autant cet usage a été reconnu et validé dès lors qu'il est permis de vérifier qu'il ne donne pas lieu à une facturation fantaisiste ou abusive.

En l'espèce la société ESM revendique sur la base de factures qui ne sont certes pas signées, comme il est d'usage, mais qui sont détaillées et précises et qui ne sont pas utilement discutées : Force est ainsi de constater que le courrier de rappel du 5 septembre 2011 - réitéré le 2 novembre suivant - est accompagné des pièces permettant à la société April Fleurs de les contester mais que la réponse de cette dernière, qui consiste à remettre en cause l'existence même de cette collaboration est insuffisante.

Le jugement est en conséquence confirmé sur ce point.

Du reste cette lettre ne peut nullement valoir rupture brutale d'une relation déniée en son principe, abstraction faite des moyens inutilement soutenus sur ce point par la société ESM, et qui invoquent des principes de droit civil tout en revendiquant l'application des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, selon lesquelles "engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

5) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (...) ".

Il est avéré au vu des factures concernant la période postérieure que les prestations fournies par la société ESM ont perduré dans la continuation de la relation antérieure, et sans opposition de la société April Fleurs autre que celle manifestée lors de leur paiement.

La demande de dommages et intérêts, censée sanctionner une rupture brutale qui ne figure dans le dispositif des conclusions que par référence implicite à cette demande, dont le montant a en outre varié par rapport à ces écritures, est en conséquence rejetée.

L'examen des pièces produites ne prête de nouveau pas à discussion : ainsi si la société April Fleurs remet en cause les bons de livraison qui ne figurent que pour la période de février à mars 2012 et qui ne mentionneraient pas son nom force est de constater que cette absence ne concerne que deux de ces documents, qui ne constituent par ailleurs qu'un élément parmi d'autres.

Le jugement est en conséquence infirmé sur ce deuxième point.

La demande de dommages et intérêts est également rejetée.

La société ESM est fondée à revendiquer que l'assignation en référé du 27 septembre 2012 constitue une mise en demeure, portant sur les factures à compter du 15 septembre 2011, soit la somme de 26 056, 23 € figurant dans cette assignation.

Les intérêts seront dus pour le surplus à dater du 2 novembre 2011.

Ni les circonstances du litige, ni les éléments de la procédure ne permettent de caractériser à l'encontre de la société ESM une faute de nature à faire dégénérer en abus le droit de se défendre en justice ; il n'est pas fait droit à la demande de dommages intérêts formée à ce titre.

L'équité commande d'allouer à la société ESM la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et de rejeter la demande de la société April Fleurs de ce chef.

Par ces motifs, Confirme le jugement en ce qu'il a : condamné la société April Fleurs à payer à la société ESM et à Me Gilles Baronnie ès qualités, la somme de 16 380, 08 euros avec intérêts au taux légal à compter du 2 novembre 2011 pour les factures jusqu'au 15 septembre 2011, et à compter du 2 septembre 2013 pour les factures jusqu'au 17 novembre 2011, et débouté la société ESM et Me Baronnie ès qualité du surplus de leur demandes ; dit la société ESM et Me Gilles Baronnie, ès qualités, mal fondées en leur demande de dommages et intérêts et les en a débouté ; condamné la société April Fleurs à payer à la société ESM et à Me Gilles Baronnie, ès qualités, une somme de 1 200,00 euros au titre de l'article 700 du CPC, et débouté la société April Fleurs de sa demande formée en ce chef ; condamné la société April Fleurs aux dépens. L'infirme pour le surplus. Statuant à nouveau, Condamne la société April Fleurs à payer à la société ESM la somme de 12 486,05 euros pour les factures postérieures au 17 novembre 2011. Condamne la société April Fleurs au paiement des intérêts à compter du 27 septembre 2012 sur la somme de 26 056,23 €. Y ajoutant, Condamne la société April Fleurs à payer à société ESM la somme de 2 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile. Rejette toutes autres demandes. Condamne société April Fleurs aux dépens.