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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 28 février 2017, n° 16-10894

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Galax (SAS)

Défendeur :

Challenge International (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rajbaut

Conseillers :

M. Peyron, Mme Douillet

Avocats :

Mes Boccon Gibod, de Galembert, Fromantin, Leclerc

T. com. Bobigny, du 26 avr. 2016

26 avril 2016

EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

La cour rappelle que la société Galax, qui exerce une activité de transitaire et commissionnaire en douane, notamment dans son agence de Roissy, a fait citer la société Challenge, qui exerce la même activité, en concurrence déloyale et dénigrement pour avoir, entre le 7 juin 2011 et le 18 mai 2012, de première part, débauché les cinq salariés composant son service périssable, de seconde part, ostensiblement dénigré ses services aux fins de détourner sa clientèle ;

La Cour statue sur l'appel interjeté le 31 mai 2016 par la société Challenge du jugement contradictoire rendu le 26 avril 2016 par le Tribunal de commerce de Bobigny qui a

- ordonné à la société Challenge de cesser toute pratique constitutive de concurrence déloyale,

- condamné la Société Challenge à payer à la société Galax la somme de 390 000 euros à titre de dommages-intérêts,

- condamné la Société Challenge à payer à la société Galax la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions du 5 janvier 2017, la société Challenge demande à la Cour de :

- réformer en toutes ses dispositions le jugement,

- débouter la société Galax de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la Société Galax à payer à la Société Challenge la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la Société Galax aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions du 10 janvier 2017, la société Galax demande à la Cour de :

- Confirmer le jugement entrepris en date du 26 avril 2016 en ce qu'il a constaté que Challenge s'était rendue coupable d'actes de concurrence déloyale et a ordonné à la société Challenge de cesser toute pratique constitutive de concurrence déloyale,

- Réformer le jugement entrepris en date du 26 avril 2016 pour le surplus, et statuant à nouveau,

*Condamner la société Challenge à verser la somme de 2 881 050 euros de dommages et intérêts,

*Condamner la société Challenge à verser la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture est du 10 janvier 2017.

Sur ce

I - Sur la concurrence déloyale

Considérant que pour critiquer le jugement qui l'a déclarée coupable de concurrence déloyale, la société Challenge International, qui rappelle que l'embauche de salariés d'une entreprise concurrente n'est pas en soi un acte de concurrence déloyale, soutient, de première part, que les démissions des cinq salariés était prévisible dès lors, en premier lieu, que la société Galax, malgré l'ancienneté de ses salariés, ne leur laissait pas entrevoir de possibilités d'évolution de carrière, en deuxième lieu, que le service manquait de personnel et une organisation sous forme de permanences amenait les salariés affectés à l'import à travailler douze jours d'affilée sans repos, en troisième lieu, le service manquait de moyens matériels, notamment de véhicules de service qui contraignait les salariés à utiliser, sans indemnité, leur véhicule personnel, d'une surface de manutention inadaptée et d'une chambre froide dont l'accès avait été restreint ; de deuxième part, que les démissions ont été étalées dans le temps dès lors qu'entre la démission du premier salarié, le 7 juin 2011, et le départ effectif du dernier, le 11 juin 2012, il s'est écoulé pas moins d'une année ; de troisième part, que ce serait de manière délibérée, ou en tout cas fautive que la société Galax aurait négligé de réagir sur le plan commercial ; de quatrième part, qu'il ne peut être fait grief à Thierry Passage, d'avoir, après son embauche, pris contact avec certains clients de Galax et leur avoir proposé les services de son nouvel employeur ; que s'il est vrai qu'il a pu tenir certains propos dénigrants, il n'est pas démontré que les clients qui en ont été destinataires se sont retrouvés dans la clientèle de la société Galax et que, s'ils y sont, ce sont ces courriels qui les ont déterminés à changer de prestataire ;

Que la société Galax vient au soutien du jugement pour les motifs qu'il comporte ;

Considérant qu'il ressort de la procédure qu'au cours de l'année 2011, la société Challenge International, commissionnaire en douane, a ouvert sur le site de Roissy une cellule spécialisée dans l'organisation de transport aérien de marchandises périssables ; qu'à cette fin, entre le mois de juin 2011 et le mois de juin 2012, elle a recruté cinq salariés lesquels travaillaient tous chez son concurrent la société Galax à Roissy et qui composaient la totalité du personnel de son propre service périssable, en l'espèce, entre le 7 juin 2011 et le 7 octobre 2011, les trois membres constituant le service import, puis, les 30 avril 2012 et 18 mai 2012, les deux membres formant le service export ;

Considérant qu'il résulte encore de l'examen de courriels que ces embauches ont été accompagnées de manœuvres ;

Qu'en premier lieu, il ressort d'emails échangés les 20 mars 2012, 28 mars 2012 et 11 mai 2012 entre, d'une part, Didier Ferlat, ancien chef du service import de la société Galax, parti le 7 octobre 2011, d'autre part, son nouveau directeur chez Challenge, que le premier restait en contact avec ses deux collègues Thierry Passage et Mickaël Moreau restés chez Galax, écrivant qu'alors que cela commençait à chauffer, il fallait leur fournir un portable pour qu'ils puissent recevoir des emails lesquels étaient surveillés ; que le second donnait des instructions quant aux conditions dans lesquelles Mickaël Moreau devait partir, pour ne pas se voir reprocher un abandon de poste ou un non-respect de ses engagements vis à vis de Galax, ajoutant prudence, prudence ;

Qu'en second lieu, il ressort d'emails des 17 mai 2012, 24 mai 2012, 29 juin 2012 et 6 juillet 2012, adressés par Thierry Passage, ancien chef du service export de la société Galax ayant rejoint la société Challenge International le 30 avril 2012, à trois clients de son ancienne entreprise, qu'il allègue que celle-ci ne dispose pas de chambre froide contrairement à son nouvel employeur, qu'il ne veut pas être mauvaise langue mais j'ai pu suivre votre cargaison depuis ma fenêtre et je suis persuadé que vous recevrez votre fromage en très mauvais état, soutenant que Galax ne respecte pas ses accords d'exclusivité, et leur demandant si dans ces conditions vous ne préféreriez pas travailler avec nous ;

Considérant qu'il résulte enfin des éléments financiers certifiés par son expert-comptable que la marge brute de la société Galax correspondant à cette activité de service périssable a été notablement affectée ;

Que concernant l'activité d'export, elle a évolué de la manière suivante :

Évolution de la marge brute du service périssable import de la société Galax année marge brute départ des salariés 2010 541 873 euros 2011 486 873 euros 7 juin 2011, 15 juillet 2011 et 7 octobre 2011 2012 266 900 euros 2013 257 949 euros 2014 262 972 euros 2015 222 676 euros

Que concernant l'activité d'import, l'évolution a été la suivante :

Évolution de la marge brute du service périssable export de la société Galax année marge brute départ des salariés 2010 247.005 euros 2011 326.371 euros 2012 138.183 euros 30 avril et 18 mai 2012 2013 28.692 euros 2014 43.184 euros 2015 47.258 euros

Considérant qu'il est suffisamment établi par ce qui précède que la société Challenge International s'est livrée à l'encontre de la société Galax à des actes déloyaux, de première part, en débauchant la totalité du personnel de son service périssable, les premiers salariés l'ayant rejointe l'ayant aidée à faire venir les derniers, de deuxième part, en la dénigrant auprès de ses clients pour les inciter à la rejoindre, de troisième part, en provoquant la désorganisation du service périssable de son concurrent, lequel a perdu plus de 50 % de sa marge brute sur l'import et plus de 80% sur l'import ;

Que les éventuelles carences de la société Galax quant à l'insuffisance de perspectives d'évolution de carrière, le manque de personnel, la mauvaise organisation des permanences, le manque de moyens matériels ou son insuffisante réactivité sur le plan commercial ne peuvent justifier les moyens frauduleux utilisés pour débaucher la totalité du personnel et les écrits dénigrants adressés aux clients ;

Que s'il est vrai qu'une année s'est écoulée entre la démission du premier salarié, le 7 juin 2011, et le départ effectif du dernier, le 11 juin 2012, cet argument est particulièrement inopérant dès lors, de première part, qu'il a été examiné ci-dessus que les premiers salariés ayant rejoint la société Challenge International l'ont aidée à faire venir les derniers qui étaient restés chez la société Galax, de seconde part, que l'examen de l'évolution des marges brutes démontre que celle du service import s'est effondrée en 2012, après le départ de ses trois salariés en 2011, et celle du service export en 2013, après le départ de ses deux salariés en 2012 ;

Que l'allégation d'une insuffisante démonstration que les clients qui ont été destinataires de courriels dénigrants se sont retrouvés dans la clientèle de la société Galax et que, s'ils y sont, ce sont ces courriels qui les ont déterminés à changer de prestataire n'est pas de nature à retirer le caractère fautif de ces faits ;

Que le jugement sera dès lors confirmé en ce qu'il a déclaré la société Challenge coupable de concurrence déloyale et en ce qu'il lui a ordonné de cesser toute pratique constitutive de concurrence déloyale ;

II - Sur les dommages et intérêts

Considérant que pour demander l'infirmation du jugement qui a condamné la société Challenge à lui payer une somme de 390 000 euros à titre de dommages et intérêts, la société Galax, après avoir rappelé que le principe de réparation intégrale commande de l'indemniser sur toute la durée pendant laquelle son activité périssable a été affectée par les agissements déloyaux, estime qu'en l'occurrence, sa perte de marge brute ne saurait être indemnisée sur une période inférieure à cinq années ; qu'analysant les tableaux examinés ci-dessus, elle estime que sa perte annuelle en marge brute a été en moyenne de 289 550 euros entre 2012 et 2015 ce qui concerne son activité import et de 286 660 euros entre 2013 et 2015 pour son activité export ; qu'elle sollicite en conséquence une somme de 576 210 euros sur cinq ans, soit 2 881 050 euros ;

Considérant, en sens inverse, que la société Challenge estime que société Galax ne rapporte pas suffisamment la preuve de ses préjudices, qu'il n'est pas établi que les clients qu'elle allègue avoir perdus ont rejoint Challenge, qu'il n'a pas été demandé d'expertise judiciaire, qu'il s'agit pour partie de la perte d'une chance ;

Mais considérant, de première part, qu'il résulte suffisamment des tableaux ci-dessus examinés, établis sur la base de données certifiées par un expert-comptable, que les marges brutes des services périssables de la société Galax se sont effondrées à compter du départ de ses salariés, pour le service export entre le 7 juin et le 7 octobre 2011, pour le service import, entre le 30 avril et le 18 mai 2012 ; de seconde part, que la cour considère aussi que l'évolution de cette marge brute n'est pas exclusivement imputable aux agissements frauduleux de la société Challenge, mais aussi à d'autres variables prenant une importance croissante au fil de l'écoulement du temps, telles que la réactivité de la direction de la société Galax, ou l'évolution de la conjoncture économique ;

Que prenant en compte l'ensemble de ces éléments, la cour évaluera le préjudice subi par la société Galax à une somme de 800 000 euros ;

Que le jugement sera infirmé en ce sens ;

III - sur les dépens et les frais irrépétibles

Considérant que la société Galax succombe ; que le jugement sera confirmé en ses dispositions concernant les dépens et les frais irrépétibles ; qu'ajoutant, la cour condamnera la société Challenge aux dépens d'appel et au paiement d'une somme complémentaire de 15 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts, Infirmant de ce seul chef, condamne la société Challenge à payer à la société Galax une somme de 800 000 euros (huit cent mille euros) à titre de dommages et intérêts, Ajoutant, condamne la société Challenge : 1 - à payer à la société Galax une somme de 15 000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel en application de l'article 700 du Code de procédure civile, 2 - aux entiers dépens d'appel.