Cass. com., 15 mars 2017, n° 15-26.706
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Ferreira
Défendeur :
Bernard Raffi Diffusion (SAS), Bernard Raffi Agency (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Rapporteur :
Mme Laporte
Avocat général :
Mme Beaudonnet
Avocats :
SCP Gatineau, Fattaccini, SCP Lyon-Caen, Thiriez
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Ferreira a conclu avec la société Bernard Raffi diffusion (la société BRD), aux droits de laquelle vient la société Bernard Raffi Agency (la société BRA), un contrat d'agence commerciale pour la distribution de chaussures de la marque Clarks, à titre exclusif dans le secteur Nord et Nord-Est de la France ; que le contrat stipulait que les ventes réalisées auprès de clients dénommés "grands comptes", dont il donnait une énumération à titre indicatif, n'ouvriraient pas droit à commission pour l'agent ; que se prévalant de manquements de la société BRD à ses obligations, M. Ferreira l'a assignée ainsi que la société BRA en résiliation du contrat à leurs torts et en paiement de commissions ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident, qui est préalable : - Attendu que les sociétés BRD et BRA font grief à l'arrêt de dire que M. Ferreira est créancier au titre des ventes réalisées dans le magasin exploité par la société BRD à Lille, dans la galerie des Tanneurs, d'une commission de 5 % calculée suivant les conditions définies par le contrat, de leur ordonner la production d'un état récapitulatif du chiffre d'affaires réalisé dans ce magasin, après déduction des rabais, remises et ristournes depuis le début de son exploitation en novembre 2008, de condamner la société BRA à payer à ce titre à M. Ferreira une somme provisionnelle et de renvoyer les parties à faire le compte entre elles des commissions dues sur la période considérée sauf à saisir la cour d'appel si elles ne parvenaient pas à un accord alors, selon le moyen : 1°) que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; qu'il n'est pas permis aux juges de modifier les stipulations qu'elles renferment ; que l'arrêt constate que, en cas d'ouverture de magasins à enseigne Clarks, le contrat prévoyait seulement "d'étudier au cas par cas l'éventualité d'un commissionnement sur le chiffre d'affaires généré par ces structures, ainsi que le taux à appliquer", si bien qu'en décidant que la société BRA devrait payer à M. Ferreira une commission de 5 % sur les ventes réalisées par le magasin Clarks de Lille, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ; 2°) que la lettre du 27 septembre 2007 de la société BRD indiquait "le taux de commission de 5 % s'appliquera pour tout magasin à enseigne Clark qui se situe sur le secteur de M. Ferreira et dont la facturation a également lieu sur ce même secteur", si bien qu'en se fondant sur cette lettre qu'elle a dénaturée pour décider que la société BRA devrait payer à M. Ferreira une commission de 5 % sur les ventes réalisées par le magasin Clarks de Lille, sans avoir constaté que la facturation de ce magasin avait lieu sur le secteur de l'agent, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ; 3°) qu'en retenant, pour exclure le magasin de la galerie des Tanneurs à Lille de la catégorie des "grands comptes" qu'il était "de taille modeste", ce qu'aucune des parties n'avait soulevé, la cour d'appel s'est fondée sur des faits qui n'étaient pas dans le débat, violant ainsi l'article 7 du Code de procédure civile ; 4°) que l'arrêt retient que la catégorie "grands comptes" désigne "une entreprise générant un chiffre d'affaires important nécessitant un traitement particulier et relevant le plus souvent d'un responsable spécifique", si bien qu'en se fondant, pour exclure, les ventes réalisées auprès du magasin Clarks de Lille de la catégorie "grands comptes" sur la taille du lieu de vente et non sur le chiffre d'affaires réalisée par son propriétaire, la cour d'appel n'a pas déduit de ses propres constatations les conséquences légales s'en évinçant au regard de l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir relevé que l'éventualité d'un commissionnement sur les ventes réalisées par les magasins à l'enseigne Clarks dans le secteur de M. Ferreira était prévue par le contrat, que la société BRD avait accepté le principe d'un tel commissionnement dans la lettre qu'elle avait adressée le 27 septembre 2007 à l'agent et que celui-ci avait manifesté sa volonté d'en obtenir un pour le magasin de Lille, la cour d'appel, qui n'a pas dénaturé les termes de cette lettre, lesquels subordonnaient seulement le taux des commissions à deux conditions sans remettre en cause le droit de M. Ferreira d'en bénéficier, a pu retenir que celui-ci en était créancier ;
Attendu, en second lieu, qu'ayant pu se référer à la taille du magasin de Lille, constitutive d'un élément du débat, pour déterminer s'il relevait de la catégorie "grand compte", la cour d'appel, en qualifiant cette taille de modeste a, implicitement mais nécessairement, retenu qu'elle ne pouvait générer qu'un chiffre d'affaires réduit de nature à l'en exclure ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en sa troisième branche : - Vu les articles 1315, devenu 1353 du Code civil, ensemble les articles L. 134-4 et R. 134-3 du Code de commerce ; - Attendu que pour rejeter les demandes de M. Ferreira de résiliation du contrat aux torts des sociétés BRD et BRA et de paiement de commissions, à l'exception de celles relatives aux ventes réalisées dans le magasin exploité par la société BRD à Lille dans la galerie des Tanneurs, l'arrêt retient que M. Ferreira prétend, sans autre précision, que 14 323 paires de chaussures de marque Clarks ont été vendues par la société BRD à des revendeurs situés dans son secteur et se borne à produire au soutien de cette allégation un tableau établi par ses propres soins sans indication de la période visée ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il appartenait à la société BRD de justifier du chiffre d'affaires qu'elle avait réalisé auprès des groupements situés dans le secteur de M. Ferreira, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé les textes susvisés ;
Et sur le même moyen, pris en sa cinquième branche : - Vu les articles 1147 et 1184 du Code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ; - Attendu que pour statuer comme il fait, l'arrêt retient encore que le défaut de paiement par la société mandante de commissions sur les ventes effectuées dans le magasin Clarks de la galerie des Tanneurs à Lille n'est pas, à lui seul, de nature à justifier la résiliation du contrat à ses torts, eu égard à l'acceptation au moins tacite par M. Ferreira de cette situation jusqu'en 2012 ;
Qu'en statuant ainsi, après avoir relevé que la société BRD, qui, bien qu'ayant accepté auparavant le principe du droit à commissionnement de M. Ferreira, ne lui avait pourtant réglé, en dépit de ses réclamations, aucune commission du mois de novembre 2008 au 31 décembre 2014 sur les ventes conclues lors de l'exploitation de ce magasin, alors que le paiement des commissions à bonne date constitue une obligation essentielle à la charge du mandant, lequel ne peut s'en exonérer au prétexte de l'inaction de l'agent face à une situation qui lui a été imposée, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal : Rejette le pourvoi incident ; Et sur le pourvoi principal : casse et annule, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de M. Ferreira de résiliation du contrat aux torts des sociétés Bernard Raffi diffusion et Bernard Raffi Agency et de paiement de rappel de commissions, à l'exception de celles relatives aux ventes réalisées dans le magasin exploité par la société Bernard Raffi diffusion à Lille dans la galerie des Tanneurs, l'arrêt rendu le 10 septembre 2015, rectifié le 15 octobre 2015, entre les parties, par la Cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel d'Amiens.