CA Paris, Pôle 4 ch. 9, 9 mars 2017, n° 14-17205
PARIS
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Voyage Prive.com (SAS) , Antipodes Voyages (SA) , Hiscox Insurance Company Limited (Sté), Hiscox Europe Underwriting Limited (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Grasso
Conseillers :
Mmes Jeanjaquet, Mongin
Avocats :
Mes Kieffer Joly, Lizop, Boccon Gibod, Hanachowicz, Houle, Thomas, Pachali
Monsieur Ludovic U, Madame Xiaohong Y, Monsieur V R, Madame Florence Q épouse R, Mademoiselle Eloïse R, Monsieur Pierre W, Madame Valérie Z épouse W, Madame T P P, Monsieur S P, Mademoiselle Alexandra P et Monsieur Patrice X ont trouvé sur internet, en consultant le site Internet www.voyage-privé.com exploité par la société VPG, une annonce publicitaire proposant un séjour en Grèce, à Corfou pour la période du 25 août au 1er septembre 2013.
Monsieur U et Madame Y ont eu connaissance en consultant le site du nom de l'hôtel indiqué comme étant le Roda Beach Resort et qu'il présentait certaines caractéristiques, alors que pour les autres appelants, les consorts W, R, P et X il s'agissait d'une publicité vantant les mérites d'un séjour au sein de ce que la société VPG présentait comme un " Hôtel Mystère " présentant aussi certaines caractéristiques.
Par ailleurs, ils ont tous reçu par mail adressé par la société VPG un document intitulé " Bon d'échange/voucher " indiquant que le nom du " prestataire ou fournisseur " est celui d'Antipodes Voyages.
Se prévalant d'un décalage considérable entre les prestations décrites par la société VPG et la réalité, tant Monsieur Ludovic U et Madame Xiaohong Y que les consorts W, R, P et X ont pris contact avec VPG pour faire part de leur profond mécontentement.
Par acte du 1er octobre 2013, ils ont assigné les sociétés VPG, Antipodes Voyages et leurs assureurs Hiscox Insurance Compagny Limited et Hiscox Europe Underwriting Limited (Hiscox France) devant le Tribunal d'instance du 2e arrondissement de Paris aux fins notamment d'indemnisation de leurs préjudices économiques et moraux. Par jugement du 26 juin 2014, le tribunal d'instance a prononcé la nullité de l'assignation et condamné proportionnellement les demandeurs aux dépens. Il retenait en effet que " les demandeurs apparaissent fonder leurs demandes successivement, simultanément, sur une supposée infraction de publicité mensongère, de dol, d'erreur, de mauvaise exécution des dispositions contractuelles liant les parties, sans pour autant exposer des moyens de fait et essentiellement de droit se rattachant sans ambiguïté à l'une ou l'autre des parties défenderesses, qu'indubitablement un tel agissement de la part des requérants ne peut que causer grief à ces dernières, dès lors que l'acte introductif d'instance les mettant dans l'impossibilité d'assurer leur défense ".
Par déclaration du 8 août 2014, Monsieur Ludovic U, Madame Xiaohong Y, Monsieur V R, Madame Florence Q épouse R, Mademoiselle Eloïse R, Monsieur Pierre W, Madame Valérie Z épouse W, Madame T P, Monsieur S P, Mademoiselle Alexandra P et Monsieur Patrice X ont interjeté appel de ce jugement.
L'assignation n'ayant pas été signifiée à la société Antipodes Voyages, la cour a prononcé la caducité partielle de l'appel à l'égard de la société Antipodes Voyages de sorte que l'appel est seulement dirigé contre la société VPG.
Dans leurs conclusions signifiées le 18 novembre 2016, les appelants demandent à la cour de réformer le jugement rendu, de déclarer en conséquence que l'assignation n'était pas nulle et que le tribunal était valablement saisi et transmettre l'intégralité du dossier au tribunal d'instance du 2ème arrondissement de Paris afin qu'il statue au fond évitant ainsi aux appelants la perte d'un degré de juridiction.
A défaut, statuant au fond, ils demandent à la cour de condamner la société VPG à payer à chacun des demandeurs les sommes suivantes :
Monsieur Ludovic U :
Préjudice économique : 2 035 euros
Préjudice moral : 7 000 euros
Madame Xiaohong Y :
Préjudice moral : 7 000 euros
Monsieur V R :
Préjudice économique : 3 352 euros
Préjudice moral : 6 000 euros
Madame Florence Q :
Préjudice moral : 9 000 euros
Mademoiselle Eloïse R, représentée par son père
Préjudice moral : 6 000 euros
Monsieur Pierre W :
Préjudice économique : 2 629,30 euros
Préjudice moral : 7 000 euros
Madame Valérie W :
Préjudice moral : 9 000 euros
Madame T P
Préjudice économique : 2 629,30 euros
Préjudice moral : 7 000 euros
Monsieur S P
Préjudice moral : 6 000 euros
Mademoiselle Alexandra P
Préjudice moral : 6 000 euros
Monsieur Patrice X
Préjudice économique : 981,70 euros
Préjudice moral : 7 000 euros
Par ailleurs, ils demandent également à la Cour, en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile, d'ordonner le paiement des sommes suivantes pour les autres appelants :
Monsieur Ludovic U 2 500 euros
Monsieur V R 2 500 euros
Monsieur Pierre W 2 500 euros
Enfin, ils demandent la condamnation de la société VPG au paiement de l'ensemble de ces sommes avec intérêts calculés au taux légal à compter de la date de l'assignation, c'est-à-dire le 1er octobre 2013 avec capitalisation desdits intérêts, d'ordonner la publication de la décision à intervenir dans au moins deux revues spécialisées et sa diffusion sur le site Internet www.voyage-prive.com de la société VPG, de la débouter de sa demande formulée au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et de la condamner en outre aux entiers dépens de la première instance et de celle relative au déféré ayant conduit à l'arrêt du 26 février 2015 avec faculté de recouvrement directement contre la partie condamnée de ceux des dépens avancés sans provision préalable.
A l'appui de leur appel, ils font tout d'abord valoir qu'ils ont bien respecté les dispositions de l'article 56 du Code de procédure civile en exposant les faits et les moyens de droit puisqu'ils ont cité, dans l'assignation, les textes sur lesquels ils se fondent. Ils ajoutent avoir annexé à l'assignation les pièces prouvant leurs prétentions.
Ils soutiennent que, dans l'assignation, au vu des faits, la simple citation des textes suffisait pour un exposé des moyens en fait et en droit, que le lien juridique était établi et qu'il y a absence de grief puisque son adversaire a pu conclure.
Ensuite, concernant les préjudices, ils font valoir que le préjudice économique est le prix des vacances annoncées et le préjudice moral, le prix des vacances gâchées et correspondent à la frustration qu'ils auraient éprouvé sur place selon eux et son chiffrés sans explication individuelle.
Enfin, concernant l'irrecevabilité des actions et celles des parties qui n'auraient pas acheté elles-mêmes leur séjour payé par leurs parents dont se prévaut la société VPG, ils soutiennent qu'il n'est réclamé pour ces parties là qu'un préjudice moral, que leur intérêt à agir est indiscutable. Ils ajoutent que l'argument de prétendue irrecevabilité tiré de l'absence de reprise dans le dispositif des conclusions des appelants des textes invoqués en droit dans l'exposé des motifs est totalement dérisoire et doit être rejeté puisque le dispositif n'a pas pour objet de reprendre ce qui est développé dans l'exposé des motifs et le visa des textes dans le dispositif n'est nulle part prévu dans le Code de procédure civile.
Dans ses conclusions signifiées le 30 novembre 2016, la société VPG demande à la cour de confirmer le jugement concernant la nullité de l'assignation, de constater que concernant la fin de non-recevoir, Monsieur U, Mesdames Y, W, et R, Mesdemoiselles R et P d'Intignagno, Messieurs P et Monsieur X sont irrecevables à agir à son encontre et les débouter de leurs demandes.
Sur le fond, à titre principal, elle demande à la cour de constater qu'elle n'a pas trompé les appelants dans le séjour touristique qu'elle leur a vendu, n'a pas commis de faute engageant sa responsabilité et n'a pas usé de manœuvres dolosives ayant déterminé le consentement des appelants.
En tout état de cause, elle demande à la cour de constater que les appelants ne démontrent pas le préjudice économique et moral qu'ils prétendent avoir subi, que ce soit dans son principe ou son montant, de les débouter en conséquence de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions et les condamner solidairement à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
A titre subsidiaire, elle fait valoir que l'hôtel Mitsis Rhoda Beach Restort & Spa est un produit proposé par Antipodes Voyages à la société VPG, que si la description mise en ligne par elle, conforme à celle transmise par son partenaire, était considérée comme trompeuse, non conforme au produit vendu, alors Antipodes Voyages aurait commis une faute contractuelle engageant sa responsabilité, et demande de la condamner à la garantir de toutes les condamnations qui pourraient être mises à sa charge dans le cadre de la présente procédure, de condamner Hiscox Insurance Company Limited à relever et garantir VPG de toutes les condamnations qui pourraient être mises à sa charge dans le cadre de la présente procédure, dans la limite des conditions prévues à son contrat d'assurance et de condamner les demandeurs, et, en tant que de besoin Antipodes Voyages et Hiscox
Insurance Company Limited, solidairement, à lui payer VPG la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de la Selarl Lexavoué Paris-Versailles.
A l'appui de ses prétentions, elle fait tout d'abord valoir que l'assignation est dépourvue de qualification juridique, qu'il n'y a pas de lien juridique établi entre les faits et moyens de droit, qu'aucune des dispositions précitées n'est reprise dans le dispositif de l'assignation qui se contente de reproduire les demandes pécuniaires des appelants donc son absence de motivation en droit est une nullité de forme.
Elle ajoute qu'il lui est reproché des manquements sur les obligations du Code du tourisme mais qu'ils ne disent pas en quoi, de même concernant les dispositions contractuelles visées, certains appelants n'ont pas conclu de contrat.
Elle soutient que ces manquements dans l'assignation lui ont causé grief puisqu'elle ne peut organiser sa défense et notamment son appel en garantie auprès de son assureur.
Ensuite, elle prétend que Monsieur U, Mesdames Y, W, et R, de Mesdemoiselles R et P, Messieurs P P ET X n'ont pas contracté avec la société VPG et que donc leurs demandes sont irrecevables pour défaut d'intérêt à agir. En effet, elle soutient que les enfants n'ayant pas choisi les vacances, ils ne peuvent avoir été trompé et qu'aucune responsabilité délictuelle ne peut être retenue puisqu'ils ne rapportent ni la faute, ni le préjudice et le lien de causalité. Elle ajoute que contrairement aux autres appelants, il apparaît en tout état de cause que Monsieur U et Madame Y connaissaient, au moment de leur réservation, le nom de l'hôtel dans lequel ils allaient séjourner puisqu'ils auraient réservé ce séjour après avoir notamment pris connaissance d'un descriptif conforme et loin de la publicité mensongère qu'ils font valoir. Elle précise que les familles R et W de même que la famille P et Monsieur X ont effectué la commande en sachant qu'ils ne connaissaient pas le nom de l'hôtel, ils ont donc choisi malgré cela d'effectuer l'achat et ne peuvent le reprocher ensuite. Par ailleurs, elle soutient qu'il apparaît que Madame P a également effectué la réservation pour le compte de Monsieur X mais que ce dernier sollicite le remboursement du prix de son voyage, à hauteur de 981,70 euros alors qu'aucune preuve d'un paiement distinct le concernant n'est rapportée.
Enfin, sur le fond, elle avance qu'aucun manquement ne peut lui être reproché, qu'elle a respecté son obligation d'information issue du Code du tourisme puisqu'a été joint à l'offre un descriptif complet de la prestation et que les dispositions dudit code ont été reprises dans les conditions générales auxquelles les parties ont adhéré.
Concernant les dispositions du Code de la consommation, elle soutient que la tromperie doit porter sur des qualités substantielles de la prestation, ce qui n'est pas le cas, que les appelants se sont concentrés sur les détails et qu'aucun grief n'est individualisé.
Elle précise qu'ils ne peuvent se constituer de preuve à eux-mêmes concernant les photographies.
Concernant les dispositions du Code civil, elle rappelle que l'exagération publicitaire n'est pas à elle-seule constitutive de dol qui n'est pas démontré en l'espèce, que les préjudices ne sont pas justifiés tant dans leur principe que leur quantum.
Enfin, elle fait valoir que les appelants doivent être déboutés de leurs demandes complémentaires de capitalisation des intérêts, d'exécution provisoire et de publication de la décision à intervenir, faute de justifier de la nécessité de ces mesures au regard des circonstances et de la nature de l'affaire.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 4 janvier 2017.
Sur ce, Sur la nullité de l'assignation
Considérant que le tribunal d'instance a fait droit à la demande, soulevée avant toute défense au fond, tendant à la nullité de l'assignation délivrée par les onze demandeurs à l'instance en raison de la confusion dont cet acte était affecté au regard de l'obligation posé par l'article 56-2° du Code de procédure civile de contenir un " exposé des moyens en fait et en droit ", retenant, conformément aux dispositions de l'article 114 dudit code, que cette confusion causait un grief aux défendeurs qui étaient, par conséquent, dans l'impossibilité d'assurer leur défense ; Qu'en effet, l'assignation dont était saisi le tribunal, après avoir exposé les conditions dans lesquelles les demandeurs avaient acheté ce voyage, pour l'essentiel en achetant un séjour dans un " hôtel mystère " dont le nom n'était pas révélé mais dont une description flatteuse était faite, comporte sur plus de deux pages une énumération de critiques de l'hôtel où ils étaient logés : pas de " décoration design ", des couloirs étroits, un mobilier vétuste, l'hygiène " perfectible ", des piscine " saturées en sel " et " surpeuplées d'enfants bruyants ", un buffet " pauvre ", un " service désorganisé ". ; que s'agissant de la partie intitulée : " discussion en droit ", elle est introduite par le constat qu'il " suffit donc de fonder les actions des demandeurs en citant les dispositions reproduites ci-après : ", et composée, sur cinq pages, de la reproduction de divers textes extraits du Code du tourisme, du Code de la consommation portant essentiellement sur les pratiques commerciales trompeuses et de nature à induire en erreur, et du Code civil relatives au dol et à la réparation contractuelle ; Que l'assignation conclut ces reproductions de textes par cette affirmation que " les demandeurs ont amplement, juridiquement fondé leurs actions par la simple citation des textes applicables " et se poursuit par l'énumération des montants réclamés par chacun des demandeurs en réparation de ses préjudices ; Considérant, cependant, que la notion de " moyen " au sens de l'obligation visée par l'article 56 du Code de procédure civile impose que les faits invoqués à l'appui d'une demande soient articulés avec la règle de droit dont se prévaut le demandeur, au moins de façon telle que le défendeur soit en mesure d'assurer sa défense, tant en fait qu'en droit ; que cette articulation des moyens est d'autant plus nécessaire lorsque de nombreux faits ainsi que de nombreuses qualifications juridiques sont invoqués ; Qu'en l'espèce, au regard de la quantité importante de griefs formulés, du nombre de textes de différents codes reproduits dans l'assignation et de l'absence d'articulation des faits avec ces règles de droit, c'est à juste titre que le tribunal a considéré que l'acte introductif d'instance ne répondait pas aux exigences de l'article 56-2° du Code de procédure civile dans des conditions telles que ce manquement faisait grief aux défendeurs en ne leur permettant pas d'assurer leur défense et a, par conséquent, prononcé la nullité de cet acte ;
Que le jugement sera confirmé, sans que des considérations d'équité conduisent à faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; que les appelants seront condamnés, in solidum, aux dépens d'appel ;
Par ces motifs : Confirme le jugement rendu par le Tribunal d'instance du 2e arrondissement de Paris le 26 juin 2014 ; Y ajoutant, Dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de quiconque ; Condamne in solidum Monsieur Ludovic U, Madame Xiaohong Y, Monsieur V R, Madame Florence Q épouse R, Mademoiselle Eloïse R, Monsieur Pierre W, Madame Valérie Z épouse W, Madame T P, Monsieur S P, Mademoiselle Alexandra P et Monsieur Patrice X aux dépens d'appel dont distraction au profit de la Selarl Lexavoué Paris-Versailles et de maître Chantal Rodène Bodin Casaliselarl Recamier Avocats Associes dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.