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Décisions

CA Versailles, 12e ch., 14 mars 2017, n° 16-02807

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Pabot

Défendeur :

E.S Originals Inc. (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rosenthal

Conseillers :

MM. Leplat, Ardisson

Avocats :

Mes Lissarrague, Toulouse, Rol, Fournier Gille, Nicolet

TGI Nanterre, JME, du 18 mars 2016

18 mars 2016

Vu l'appel interjeté le 14 avril 2016, par Patrick Pabot d'un ordonnance rendue le 18 mars 2016 par le juge de la mise en état du Tribunal de grande instance de Nanterre qui a :

déclaré le Tribunal de grande instance de Nanterre incompétent,

renvoyé les parties à mieux se pourvoir,

condamné Patrick Pabot à payer à la société E.S Originals la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens;

Vu les dernières écritures en date du 3 novembre 2016, par lesquelles Patrick Pabot, poursuivant l'infirmation de la décision déférée, demande à la Cour de:

dire le Tribunal de grande instance de Nanterre compétent pour connaître de sa demande,

condamner la société E.S Originals au paiement de la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens;

Vu les dernières écritures en date du 12 septembre 2016, aux termes desquelles la société E.S Originals prie la cour de:

confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance du juge de la mise en état,

débouter Patrick Pabot de ses demandes,

subsidiairement, si le contrat du 2 avril 2011 entre The Basketball Marketing Company et la société No Comment reçoit application, déclarer le Tribunal de grande instance de Nanterre incompétent ratione materiae au profit de la juridiction arbitrale désignée en application des lois du Comté d'Orange en Californie,

à titre plus subsidiaire si la cour infirmait l'ordonnance et déclarait le Tribunal de grande instance de Nanterre compétent pour connaître du litige, dire qu'il sera régi, sur le fond, en application du droit de l'Etat de Californie (Etats Unis),

en tout état de cause, condamner Patrick Pabot au versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens de la procédure;

Sur ce, LA COUR,

Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties; qu'il convient de rappeler que :

le 24 février 1999, la société No Comment, dont Patrick Pabot était le dirigeant, s'est vu confier la distribution exclusive en France de produits de la marque américaine " AND1 ", dont était titulaire la société The Basketball Marketing Company,

le contrat a été reconduit par avenant du 26 avril 2011 pour une période arrivant à expiration le 31 décembre 2013,

par jugement du 5 janvier 2012, le Tribunal de commerce de Versailles a prononcé la liquidation judiciaire de la société No Comment,

la société E.S Originals est une société de droit américain spécialisée dans l'importation aux Etats Unis de chaussures de sport en provenance d'Asie, qui a signé le 25 octobre 2011 (à effet au 4 janvier 2012) un contrat de licence de la marque " AND1 " devenue la propriété de la société Galaxy Brands,

le 10 janvier 2012, la société E.S Originals a été approchée par Patrick Pabot qui souhaitait poursuivre avec elle la relation d'agence commerciale que sa société avait nouée avec la société The Basketball Marketing Company,

par mail du 12 avril 2012, Patrick Pabot a soumis à la société E.S Originals un projet de contrat portant sur la commercialisation de chaussures de sport en France, contenant une clause d'arbitrage et une clause de droit applicable au profit du droit américain, à la suite d'échange de mails aux mois de février et avril 2013, la société E.S Originals et Patrick Pabot ont convenu du développement des relations commerciales avec la société Décathlon en France et à l'international, de la poursuite de leur collaboration, le montant des commissions étant augmenté,

le 17 décembre 2013, la société E.S Originals a rompu le contrat d'agent commercial,

le 2 octobre 2014, Patrick Pabot a assigné la société E.S Originals devant le Tribunal de grande instance de Nanterre en paiement de commissions et d'une indemnité compensatrice,

par conclusions d'incident du 1er septembre 2015, la société E.S Originals a soulevé l'incompétence matérielle du tribunal, c'est dans ces circonstances, qu'est intervenue l'ordonnance du juge de la mise en état déférée à la cour;

Sur l'exception d'incompétence:

Considérant qu'au soutien de son exception d'incompétence, la société E.S Originals a fait valoir l'existence et le contenu d'un contrat, conforme à la proposition de Patrick Pabot du 12 avril 2012, qui a été exécuté par les parties, inspiré du contrat liant précédemment Patrick Pabot et la société The Basketball Marketing Company, prévoyant une clause compromissoire;

Considérant que Patrick Pabot conteste la conclusion d'un contrat conclu au mois d'avril 2012; qu'il expose que s'il a adressé un mail à la société E.S Originals le 12 avril 2012 auquel était joint une ébauche de contrat destinée à fournir un exemple du type de relation commerciale qu'il souhaitait, néanmoins ce document n'a jamais été signé, la société E.S Originals n'a pas répondu à ce mail, aucun contrat n'a été exécuté;

Qu'il rappelle que conformément à l'article 1341 du Code civil, la preuve d'un acte juridique qui excède la somme de 1 500 euros ne peut être faite qu'au moyen d'un écrit sous seing privé et soutient que " l'idée de contrat " communiquée le 12 avril 2012 ne constitue pas un commencement de preuve au sens de l'article 1347 du même Code, qu'aucun indice concordant ne permet de conclure que les parties auraient convenu de soumettre leurs litiges à un tribunal arbitral;

Qu'il relève qu'un mail adressé le 17 août 2012 à la société E.S Originals fait référence à un contrat d'agent portant uniquement sur des chaussures et que l'ébauche de contrat qui avait été adressé le 12 avril 2012 visait expressément les vêtements;

Qu'il expose que les échanges de mails en février et avril 2013 n'évoquent aucune " idée de contrat " du 12 avril 2012 et se réfèrent au seul contrat du 26 avril 2011 conclu entre la société The Basketball Marketing Company et la société No Comment, qu'il dirigeait à l'époque;

Qu'il ajoute que si le contrat du 26 avril 2011 comprenait un article relatif à l'arbitrage, cette clause n'a pas vocation à s'appliquer, dès lors que la référence à ce contrat par les parties en avril 2013 avait uniquement pour objet de clarifier le fait que la relation continuait sur le mode de l'agence commerciale et non de la distribution (achat et revente) et non pas d'étendre toutes les dispositions de ce contrat qui n'a été conclu ni par la société E.S Originals, ni par Monsieur Pabot en son nom personnel mais par deux tiers, personnes morales (No Comment et The Basketball Marketing Company) ;

Qu'il en conclut que l'existence de la convention d'arbitrage n'est pas prouvée et que quand bien même, cette clause lierait les parties, sa rédaction n'empêche pas les parties de saisir une juridiction étatique compétente, de sorte que le Tribunal de grande instance de Nanterre pouvait être valablement saisi;

Considérant que la société E.S Originals réplique à la confirmation de l'ordonnance déférée, arguant de l'existence et du contenu du contrat, de l'applicabilité de la clause d'arbitrage conduisant à l'incompétence ratione materiae du Tribunal de grande instance de Nanterre;

Qu'elle relève que si l'article 1341 du Code civil impose pour la preuve de tout acte juridique supérieure à 1 500 euros la production d'un écrit sous seing privé, cette disposition reçoit exception en matière de commencement de preuve par écrit prévu à l'article 1347 du même Code, dès lors que, par la suite, la preuve de l'acte juridique est rapportée par des éléments extrinsèques;

Considérant que selon l'alinéa 2 de l'article 1347 du Code civil, dans sa rédaction antérieure au 1er octobre 2016, vaut commencement de preuve par écrit tout acte écrit qui est émané de celui contre lequel la demande est formée et qui rend vraisemblable le fait allégué;

Qu'il n'est pas démenti que les courriels ont la valeur d'un écrit et peuvent être produits à titre de commencement de preuve;

Considérant en l'espèce, que posant les bases de l'économie de leurs futures relations contractuelles, Patrick Pabot a souhaité les formaliser par écrit et il a ainsi soumis, par mail du 12 avril 2012, un projet de contrat à la société E.S Originals, en ces termes: (traduction non contestée):

Cher Mick,

J'espère que vous allez bien depuis notre rencontre à NY et je crois que c'est vous qui êtes en charge des contrats de distribution et d'agent. (...)

Vous trouverez ci-joint une idée de contrat (...) ;

Que ce projet de contrat, dont la traduction n'est pas davantage contestée, contient aux articles 18 et 19 une clause de droit applicable au profit du droit américain et une clause d'arbitrage, inspirées du contrat qui liait précédemment la société No Comment à la société The Basketball Marketing Company:

Article 18 :

Ce contrat sera régi et interprété conformément aux lois de l'Etat de New-York, sans considération des dispositions de ce pays en matière de conflits de lois. Les parties excluent délibérément l'application de la Convention des Nations-Unies portant sur les contrats de vente internationale de marchandises.

Article 19 :

Sauf s'ils sont résolus de manière amiable et dans un délai raisonnable, tous litiges, problèmes ou réclamations entre les Parties ou concernant le présent contrat, y compris concernant l'arbitrage, seront réglés et définitivement résolus par voie d'arbitrage dans le cadre des règles internationales d'arbitrage JAMS. Le Tribunal sera composé d'un arbitre unique. Le siège de l'arbitrage sera New-York, New-York USA (...);

Que s'il n'est pas justifié de la signature de ce document émanant de Patrick Pabot et exposant les relations contractuelles à venir, il constitue toutefois un commencement de preuve par écrit;

Que force est de constater que Patrick Pabot a reconnu l'existence de ce contrat portant sur la commercialisation de chaussures par un mail du 17 août 2012, aux termes duquel il souhaitait le compléter avec un contrat concernant l'exploitation de vêtements : Je ne dispose que d'un contrat d'agent pour les chaussures et je suis en négociation avec Tom pour un nouveau contrat;

Qu'il résulte également d'échanges de mails au mois de février 2013, que Patrick Pabot a souhaité une modification du montant de ses commissions, la société E.S Originals lui précisant par un courriel du 22 février 2013 : La collaboration entre Patrick Pabot et ES Originals se poursuit dans les mêmes termes que le contrat précédemment signé. Commissions basées sur les ventes (détaillées dans le contrat);

Que ces mails démontrent qu'un contrat avait été bien été conclu le 12 avril 2012 et exécuté, sans quoi, ainsi que le relève la société E.S Originals, ce mail n'aurait pas employé l'expression le contrat et il aurait été inutile de modifier l'accord;

Que force est de constater que ce contrat ne peut être que celui du 12 avril 2012, puisqu'il n'existait pas entre les parties d'autre document contractuel, Patrick Pabot ne pouvant sérieusement prétendre à une quelconque référence au contrat signé le 26 avril 2011 entre la société No Comment et la société The Basketball Marketing Company, auquel il n'était pas partie et pas davantage la société E.S Originals;

Que de l'ensemble de ces éléments, il résulte un faisceau d'indices établissant la relation contractuelle des parties résultant des stipulations contractuelles telles qu'élaborées par Patrick Pabot le 12 avril 2012;

Que le premier juge a justement retenu qu'il apparaît ainsi que les parties s'étaient entendues pour régir leurs relations depuis avril 2012 par les stipulations contenues dans le document envoyé par Patrick Pabot qui comprenait une clause compromissoire, que l'accord intervenu en février 2013, relatif au montant des commissions, qui a été exécuté, n'a pas remis en cause l'application des autres stipulations contractuelles et particulièrement la clause compromissoire: "Sauf s'ils sont résolus de manière amiable et dans un délai raisonnable, tous litiges, problèmes ou réclamations entre les Parties ou concernant le présent contrat, y compris concernant l'arbitrage, seront réglés et définitivement résolus par voie d'arbitrage dans le cadre des règles internationales d'arbitrage JAMS. Le Tribunal sera composé d'un arbitre unique. Le siège de l'arbitrage sera New-York, New-York USA (...)";

Que dans ces circonstances, cette clause compromissoire est opposable à Patrick Pabot qui ne saurait prétendre à la compétence subsidiaire du Tribunal de grande instance de Nanterre;

Considérant que Patrick Pabot ne saurait davantage soutenir la violation des articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce, qui constituent une loi de police communautaire, et de l'article 6.1 de la CEDH;

Qu'en effet, d'une part, les articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce instituent une loi protectrice d'ordre public interne et non pas une loi de police applicable dans l'ordre international, de sorte que la rupture du contrat de droit international peut être régie, conformément aux stipulations contractuelles, par le droit d'un autre Etat;

Que d'autre part, Patrick Pabot, qui a adressé à la société E.S Originals le projet de contrat, a exprimé son intention et sa volonté de soumettre les litiges à l'arbitrage, n'a jamais demandé que tout litige soit confié à une juridiction étatique, ne saurait soutenir à l'occasion de la présente procédure que l'application de la clause compromissoire aurait pour effet de le priver de son droit fondamental à un procès équitable;

Considérant par voie de conséquence, que la décision déférée sera confirmée en ce qu'elle a déclaré le Tribunal de grande instance de Nanterre incompétent pour connaître du litige et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir;

Sur les autres demandes:

Considérant que le premier juge a exactement statué sur le sort des dépens et les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile dont il a fait une équitable application;

Que l'équité ne commande pas de faire application de ces dispositions au titre de la procédure d'appel; que Patrick Pabot, qui succombe en son recours, supportera la charge des dépens d'appel;

Par ces motifs, Contradictoirement, Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance déférée, Rejette toutes autres demandes, Y ajoutant, Condamne Patrick Pabot aux dépens d'appel et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.