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Décisions

CA Rennes, 4e ch., 16 mars 2017, n° 13-08821

RENNES

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Hubert

Conseillers :

Mmes Rauline, Gros

CA Rennes n° 13-08821

16 mars 2017

Faits et procédure

Par acte authentique en date du 1er août 2007, Monsieur et Madame Bernard J. ont vendu à Madame Evelyne M. une maison d'habitation sise [...] moyennant le prix de 470 000 euro.

Peu après son entrée dans les lieux, Madame M. a dû procéder au remplacement de la chaudière et a constaté divers dysfonctionnements et désordres. Elle a obtenu du juge des référés du Tribunal de grande instance de Saint Nazaire la désignation d'un expert, Monsieur T., par une ordonnance du 19 mai 2009. L'expert judiciaire a déposé son rapport le 20 janvier 2012.

Par acte d'huissier en date du 17 août 2012, Madame M. a fait assigner Monsieur et Madame J. devant le tribunal de grande instance sur le fondement des articles 1109, 1116, 1604, 1641 et suivants du Code civil pour obtenir diverses sommes à titre de dommages-intérêts.

Par un jugement en date du 7 novembre 2013, le tribunal a débouté Madame M. de l'intégralité de ses demandes, débouté Monsieur et Madame J. de leurs demandes de dommages-intérêts et au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, dit n'y avoir lieu à exécution provisoire et mis les dépens, y compris les frais de référé et d'expertise judiciaire, à la charge de Madame M.

Madame M. a interjeté appel de ce jugement le 11 décembre 2013.

Les parties ont conclu. L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 décembre 2016.

Prétentions et moyens des parties

Dans ses dernières conclusions en date du 4 mars 2016, Madame M. demande à la cour de :

- infirmer le jugement,

- condamner solidairement, in solidum ou à défaut conjointement, Monsieur et Madame J. à lui payer les sommes suivantes : 49 366,84 euro au titre de la restitution d'une partie du prix de vente, outre actualisation selon l'indice BT 01 publié lors de l'exécution de l'arrêt, sur 39 278,55 euro, et 10 000 euro à titre de dommages et intérêts,

- voir condamner in solidum Monsieur et Madame J. à lui verser la somme de 7 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens comprenant les frais de référé et d'expertise judiciaire.

Dans leurs dernières conclusions en date du 7 mai 2014, Monsieur et Madame J. demandent à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, de débouter Madame M. de l'intégralité de ses demandes et de la condamner à leur payer la somme de 7 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

Motifs

Madame M. fonde sa demande à titre principal sur le dol, à titre subsidiaire, sur les vices cachés.

Sur le dol

Le dol peut être constitué par le silence d'une partie dissimulant à son cocontractant un fait qui, s'il avait été connu de lui, l'aurait empêché de contracter.

Madame M. invoque quatre vices dont elle affirme qu'ils lui avaient été sciemment dissimulés par les intimés alors que, si elle les avait connus, elle aurait négocié une réduction du prix de vente tenant compte du coût des travaux nécessaires pour y remédier.

Sur le remplacement de la chaudière

Il ressort des pièces versées aux débats que :

- la chaudière avait environ 27 ans au moment de la vente, bien au-delà de la durée de vie moyenne d'un tel équipement selon l'expert qui a également relevé que celle-ci était particulièrement sollicitée car elle produisait aussi l'eau chaude et chauffait les 50 m3 de la piscine, que les époux J. n'avaient souscrit aucun contrat de maintenance et se contentaient d'appeler le chauffagiste lorsqu'elle tombait en panne ;

- la chaudière ne fonctionnant pas lorsqu'elle a emménagé, Madame M. a pris contact avec la société Proxitherm qui lui a alors appris qu'elle était intervenue le 8 juin précédent, qu'elle avait dit à M. J. que la chaudière devait être remplacée et avait émis un devis le 12 juin suivant,

- le notaire est intervenu auprès du notaire des vendeurs par un courrier du 17 août 2007 pour signaler qu'il s'agissait d'un vice caché et lui demander d'inviter ses clients à se rapprocher de Madame M. en vue d'une solution amiable,

- la chaudière a été remplacée en février 2008.

Au regard de ces éléments, les intimés sont malvenus à évoquer une simple proposition commerciale de la part de la société Proxitherm le 8 juin 2007.

S'il leur était loisible de s'accommoder d'une chaudière vétuste lorsqu'ils étaient propriétaires, il leur incombait d'informer leur acquéreur de l'âge de la chaudière qui n'était pas apparent et qui rendait inéluctable son changement à court terme.

En outre, la signature de la promesse de vente trois semaines plus tôt, le 15 mai, leur imposait de signaler à Madame M. la nécessité de procéder à son remplacement dont ils avaient été informés par le chauffagiste.

Sur l'affaissement du plancher

L'expert a confirmé l'affaissement au centre du salon et mesuré la flèche qui est de 4,5 cm. Il a indiqué qu'il était sans doute très ancien, dû à la mauvaise qualité du remblai d'origine et à une insuffisance de tassement avant la pose du parquet. Selon lui, compte tenu de cette ancienneté, le désordre n'est pas évolutif et ne rend pas nécessaire de procéder à des travaux de consolidation. Il estime que, pour un profane, l'affaissement n'était pas nécessairement décelable surtout si la pièce était meublée. Il a conclu que ce défaut ne pouvait être imputé aux vendeurs dans la mesure où il s'agissait d'un vice de construction.

En concluant ainsi, l'expert a émis un avis d'ordre juridique qui n'entrait pas dans sa mission et qui est de plus erroné puisque l'action de Madame M. est fondée sur le dol et la garantie des vices cachés, c'est à dire la dissimulation de cet élément à l'acquéreur.

Madame M. indique sans être démentie que, lors de la visite, il y avait une grande table au milieu du salon.

Une flèche de 4,5 cm caractérise un affaissement particulièrement important.

Si les époux J. ne peuvent naturellement être tenus responsables d'un vice constructif, en revanche, il leur incombait de porter à la connaissance de l'appelante ce défaut afin qu'elle puisse examiner ses inconvénients pour la stabilité des meubles et prendre sa décision en connaissance de cause.

Sur la cheminée

L'expert a constaté que la cheminée du salon était désolidarisée du plancher, ayant suivi en partie l'affaissement, et que les jambages étaient désolidarisés du mur, ce qui était apparent compte tenu de l'existence de fissures. Il n'a observé ni traces de suie ni noir du fumée et aucune fumée dans la pièce lorsque Madame M. a fait flamber du papier journal. Il a constaté un bon tirage et une bonne étanchéité de l'avaloir. Il a préconisé de l'équiper d'une amenée d'air, la faible étanchéité à l'air des menuiseries extérieures à l'époque de construction faisant alors office d'amenée d'air. Il estime que l'absence d'amenée d'air peut être à l'origine des odeurs de fumée ressenties par Madame M.

Madame M. ne rapporte pas la preuve de fumée dans le salon lorsqu'elle fait du feu. Quant aux odeurs, elles n'ont pas été constatées par l'expert. Elles sont par nature subjectives et il n'est pas démontré ni même allégué qu'elles rendraient la maison impropre à sa destination.

Ce vice n'est donc pas caractérisé.

Sur l'inondation en sous-sol

Il ressort du rapport d'expertise que Madame M. a constaté que la pompe de relevage fonctionnait de manière permanente, que de l'eau suintait sur la paroi du sous-sol côté rue et s'écoulait sur la chaussée, qu'après des investigations, il est apparu que la canalisation enterrée était cassée en deux endroits et refoulait l'eau de pluie et l'eau de vidange de la piscine sur la paroi, qu'il a été mis fin à ce désordre par la réparation de la canalisation en juin 2008. L'expert estime que le fonctionnement de la pompe dès qu'il pleuvait ou lors de la vidange de la piscine et l'humidité anormale du mur auraient dû alerter les vendeurs et les amener à faire pratiquer des investigations pour en déterminer la cause, à tout le moins lorsqu'ils ont mis en vente leur maison.

Monsieur T., un voisin, a attesté que M. J. lui avait demandé s'il avait une cave et s'il connaissait également des arrivées d'eau perpétuelles.

Les intimés, tout en admettant que la pompe fonctionnait régulièrement, font valoir que ce sont les opérations d'expertise qui leur ont révélé la fuite de la canalisation enterrée. Mais l'attestation de M. T. démontre qu'ils avaient conscience du caractère anormal du fonctionnement d'un équipement censé se déclencher uniquement en cas de remontées de la nappe phréatique.

Force est de constater là encore qu'ils se sont abstenus d'informer Madame M. de ce dysfonctionnement.

Il s'ensuit que la preuve est rapportée que les époux J. savaient que la chaudière devait être remplacée, que le sol était affaissé de manière importante dans le salon et qu'il existait un dysfonctionnement de la pompe de relevage et une humidité anormale du sous-sol et qu'ils ont sciemment dissimulé ces éléments qui étaient de nature à avoir des conséquence sur le prix de vente de la maison, ce qui caractérise une attitude dolosive au sens de l'article 1116 du Code civil dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.

Le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions.

Sur les dommages-intérêts

Madame M. rappelle justement que le dol peut être invoqué pour obtenir une réduction du prix de vente. Elle justifie avoir calculé celle-ci par rapport au montant des travaux nécessaires pour y remédier.

Au regard de ce qui vient d'être évoqué, la cour évalue à 35 000 euro l'indemnité lui revenant au titre de la réduction du prix de vente.

L'appelante sera déboutée de sa demande tendant à l'actualisation sur l'indice BT 01 qui concerne les travaux de reprise.

Elle sollicite, en outre l'octroi, d'une indemnité de 10 000 euro.

Elle est fondée à invoquer, d'une part, un préjudice de jouissance résultant de l'absence de fonctionnement de la chaudière pendant sept mois, d'autre part, un préjudice moral résultant de la tromperie dont elle a fait l'objet sur l'état réel de la maison et des tracas liés à la nécessité de recourir à une expertise amiable, puis à une expertise judiciaire puis à une action en justice pour obtenir satisfaction, au total pendant neuf ans.

Les époux J. seront condamnés in solidum à lui payer la somme de 8 000 euro à titre de dommages-intérêts.

Succombant en leurs prétentions, ils seront condamnés aux dépens de première instance et d'appel comprenant les frais de référé et d'expertise et une somme de 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile comprenant les frais du cabinet Amotex.

Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement : Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Statuant à nouveau, Condamne Monsieur et Madame Bernard J. à payer à Madame Evelyne M. la somme de 43 000 euro à titre de dommages-intérêts, Déboute Madame M. du surplus de ses demandes, Condamne Monsieur et Madame J. à payer à Madame M. la somme de 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne Monsieur et Madame J. aux dépens de première instance, comprenant les frais de référé et d'expertise, et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.