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Décisions

ADLC, 3 mars 2017, n° 17-DCC-29

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

La prise de contrôle exclusif par la société Endemol Shine OpCo Holding B.V. de la société Shine France

ADLC n° 17-DCC-29

3 mars 2017

L'Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 2 février 2017, relatif à la prise de contrôle exclusif de la société Shine France par la société Endemol Shine OpCp Holding B.V., formalisée par une convention de cession d'actions en date du 21 octobre 2016 ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ; Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l'instruction ; Adopte la décision suivante :

I. Les entreprises concernées et l'opération

1. La société Endemol Shine OpCo Holding B.V. (ci-après, "Endemol Shine ") est contrôlée conjointement par la société Twenty-First Century Fox, Inc. (ci-après, "21st Century Fox ") et par la société Apollo Management, L.P. chargée de la gestion de plusieurs fonds d'investissement (ci-après, "groupe Apollo Management, L.P. ").

2. Le groupe Endemol Shine est actif dans le secteur de la production et de la distribution de programmes audiovisuels sur différents types de plateforme et dans plus de 30 pays. En France, il est présent au travers de sa filiale Endemol France SAS et de la société Shine France SAS, qu'il contrôle conjointement avec la société Balestra. SAS Endemol France SAS est active dans la production et la distribution de programmes audiovisuels par le biais de ses filiales Endemol Fiction SAS, Endemol ProductionsSAS, In The TargetSAS. Elle est également active dans le secteur de la production digitale de contenus audiovisuels (Endemol Beyond SAS) et dans le secteur du mannequinat (Talent LAB SAS).

3. 21st Century Fox est un groupe actif dans le secteur des médias. En France, il est actif dans le secteur de la production et de la distribution de contenus cinématographiques, audiovisuels et de divertissements à domicile, au travers de ses filiales 20th Century Fox et Fox Networks Group et du groupe Endemol Shine. Il est également actif en France dans le secteur de l'édition et de la commercialisation de chaînes de télévision payantes (National Geographic Channel, NatGeo Wild, Voyage, Fox News et Baby TV) et dans la commercialisation d'espaces publicitaires sur ces chaînes.

4. Shine France SAS est active dans le secteur de la production et de la distribution de droits audiovisuels destinés principalement à la télévision, notamment en France et à destination des marchés francophones (Belgique, Suisse, Québec, Tunisie, Algérie et Maroc) au travers de ses six filiales (Shine France Magazine et Documentaire SAS, Shine France TV du Réel, Shine Divertissement SAS, Shine France 360 SAS, Presse & Co SAS, Shine France Films SAS).

5. L'opération envisagée, formalisée par une convention de cession d'actions en date du 21 octobre 2016, consiste en l'acquisition de la participation de 49,9 % de la société Balestra au capital de Shine France par la société Endemol Shine. A l'issue de l'opération, Endemol Shine détiendra ainsi l'intégralité du capital de la société Shine France.

6. En ce qu'elle se traduit par la prise de contrôle exclusif de Shine France par le groupe Endemol Shine, l'opération notifiée constitue une opération de concentration au sens de l'article L. 430- 1 du Code de commerce.

7. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d'affaires total sur le plan mondial de plus de 150 millions d'euros (groupe Endemol Shine : [...] d'euros au cours de l'exercice clos le 31 décembre 2015 ; Shine France : [...] d'euros pour le même exercice). Chacune de ces entreprises a réalisé en France un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions d'euros (groupe Endemol Shine : [...] d'euros pour l'exercice clos au 31 décembre 2015 ; Shine France : [....] d'euros pour le même exercice). Compte tenu de ces chiffres d'affaires, l'opération ne relève pas de la compétence de l'Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l'article L. 430-2 du Code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatifs à la concentration économique.

II. Délimitation des marchés pertinents

8. Les contenus audiovisuels destinés à une diffusion à la télévision comprennent des produits hétérogènes, comme des films, téléfilms, documentaires, émissions de jeux, de divertissement, de plateau, manifestations sportives, etc. Sur les marchés amont d'acquisition des droits de diffusion, la pratique décisionnelle opère une première distinction en fonction de la nature des programmes (droits portant sur les œuvres cinématographiques et les séries télévisées, droits sportifs et droits relatifs aux autres programmes audiovisuels). Concernant les marchés amont d'acquisition d'autres programmes audiovisuels, elle considère, en particulier, que les programmes dits de stock (droits portant sur des fictions, des documentaires ou des animations, à l'exclusion des films de cinéma ou des séries américaines) ainsi que les programmes dits de flux (droits portant sur des programmes d'information, des magazines, des jeux des variétés ou des émissions de plateau) constituent deux marchés pertinents distincts (1). La pratique décisionnelle a également envisagé de segmenter ces marchés amont selon que les programmes sont des programmes inédits ou des programmes de catalogue (2) et selon le type de diffusion des contenus, linéaire (services de télévision délivrés pour le visionnage simultané de programmes sur la base d'une grille de programmes) ou non linéaire (services de télévision délivrés pour le visionnage de programmes à la demande de l'utilisateur) (3).

9. En l'espèce, les parties sont simultanément actives à l'amont sur les marchés des droits de diffusion des autres programmes télévisuels, sur lesquels elles interviennent en qualité de vendeurs. Sur ces marchés, 21st Century Fox opère également en tant qu'acheteur pour les besoins de son activité d'éditeur de chaînes.

A. MARCHES DE PRODUITS ET DE SERVICES

1. MARCHES DES AUTRES PROGRAMMES TELEVISUELS

10. La pratique décisionnelle1 a considéré qu'il convenait d'effectuer une distinction entre les programmes de stock (a) et les programmes de flux (b). Les critères traditionnels permettant de distinguer ces différentes catégories de contenus sont les différences constatées, d'une part, du côté de l'identité des vendeurs et des acheteurs et, d'autre part, en ce qui concerne les prix.

a) Les programmes de stock

11. Le marché des programmes de stock comprend un ensemble de droits portant sur des produits tels que des fictions (séries hors séries américaines récentes, téléfilms, mini-séries), des documentaires ou encore des animations, à l'exclusion toutefois des films de cinéma et des séries américaines récentes qui ont été considérés comme faisant partie de marchés pertinents distincts.

12. Il convient en outre de préciser que les œuvres audiovisuelles européennes et d'expression originale française (ci-après, "EOF ") font l'objet d'une réglementation spécifique prévoyant des obligations de contribution à la production et des quotas de diffusion, définie par décret2.

13. S'agissant des obligations de contribution, les éditeurs de services de télévision en clair par voie hertzienne terrestre en mode analogique doivent au choix investir au moins 15 % de leur chiffre d'affaires annuel net de l'exercice précédent dans des dépenses contribuant au développement des œuvres s audiovisuelles européennes ou EOF, dont au moins 10,5 % dans des œuvres s patrimoniales (première option), ou investir au moins 12,5 % de ce même chiffre d'affaires dans le financement d'œuvres patrimoniales (seconde option). Une " œuvre patrimoniale " est une émission relevant de l'un des genres suivants : fiction, animation, documentaire de création, y compris ceux qui sont insérés au sein d'une émission autre qu'un journal télévisé ou une émission de divertissement, vidéo-musique et captation ou recréation de spectacles vivants. Ainsi, sont désormais exclus de la définition les magazines et émissions de plateau. En outre, les chaînes ont une obligation d'investissement dans la production indépendante. Le taux de contribution a été fixé à 9 % pour les chaînes ayant choisi la première option, et à 9,25 % pour les chaînes ayant choisi la seconde.

14. En ce qui concerne les quotas de diffusion, les éditeurs de chaînes (quel que soit le mode de diffusion) doivent diffuser au moins 60 % d'œuvres s audiovisuelles européennes et 40 % d'œuvres EOF, sur l'ensemble des heures de programmation, mais également aux heures de grande écoute. Lorsque le chiffre d'affaires de l'éditeur est supérieur à 350 millions d'euros, 120 heures d'œuvres audiovisuelles européennes ou EOF doivent être diffusées entre 20 heures et 21 heures. Le décret n° 2010-747 du 2 juillet 2010 précité autorise les éditeurs à prendre en compte, pour justifier du respect de cette obligation, dans la limite de 25 % de ce volume annuel, des œuvres sen rediffusion.

15. Dans sa décision n° 10-DCC-11 précitée, l'Autorité a relevé qu'une grande partie des éditeurs remplissent très majoritairement leurs obligations de production et/ou de diffusion d'œuvre audiovisuelles patrimoniales EOF par des dépenses dans des œuvres de fiction. Par conséquent, l'Autorité a envisagé l'existence, au sein des programmes de stock, d'un marché spécifique des fictions EOF.

b) Les programmes de flux

16. Le marché des programmes de flux comprend différents programmes d'information, des magazines, des jeux, des variétés ou encore des émissions de plateau.

17. Par ailleurs, la pratique décisionnelle a envisagé un possible marché de l'acquisition de droits portant sur les images d'actualité (flux), tout en laissant les questions de l'existence de ce marché et de sa délimitation géographique ouvertes3. Les offreurs sur cet éventuel marché sont les deux grandes agences de presse, APTN (Associated Press Television News) et Reuters, mais aussi des sociétés de dimension plus restreinte (CAPA, Point du jour, etc.).

2. SEGMENTATION ENTRE LES PROGRAMMES INEDITS ET LES PROGRAMMES "DE CATALOGUE"

18. Dans la décision n° 16-DCC-104, l'Autorité a relevé que les chaînes gratuites disposaient de deux circuits d'acquisition pour les programmes de stock et, en particulier, les fictions EOF. Les chaînes peuvent d'abord acheter les droits de diffusion auprès du producteur du programme au moment de l'élaboration de son plan de financement. On parle alors de "préachats " de droits de diffusion, ces investissements étant comptabilisés au titre des obligations des chaînes gratuites en matière de financement de la production audiovisuelle française. Les chaînes gratuites peuvent également acheter des droits de diffusion sur des programmes existants, auprès des producteurs ou des distributeurs détenteurs de droits. On parle alors de contrat d'achat. Dans cette décision, l'Autorité a examiné la pertinence d'une segmentation entre les programmes inédits et les programmes " de catalogue ", sans toutefois trancher définitivement la question.

19. En l'espèce, la question d'une segmentation entre les programmes inédits et les programmes de catalogue peut être laissée ouverte, dans la mesure où, quelle que soit la délimitation retenue, les conclusions de l'analyse demeurent inchangées.

3. SEGMENTATION ENTRE LES SERVICES DE TELEVISION LINEAIRES ET LES SERVICES DE TELEVISION NON LINEAIRES

20. L'Autorité5 a également envisagé de segmenter l'acquisition des programmes télévisuels entre les droits destinés à des services de télévision classiques, dits linéaires de ceux destinés à des services de télévision "non linéaires " (telles que la vidéo à la demande, ouVàD, et la vidéo à la demande par abonnement, ouVàDA).

21. En l'espèce, la question d'une segmentation entre les droits destinés à la diffusion linéaire et les droits destinés à la diffusion non linéaire peut être laissée ouverte, dans la mesure où, quelle que soit la délimitation retenue, les conclusions de l'analyse demeurent inchangées.

B. MARCHES GEOGRAPHIQUES

22. La pratique décisionnelle définit les marchés amont d'acquisition des droits de diffusion de programmes de stock et de flux comme étant de dimension nationale, dans la mesure où les droits sont acquis uniquement pour le territoire national ou, tout au plus, pour une même zone linguistique6. Il en va de même en ce qui concerne le marché spécifique des droits portant sur les fictions EOF.

III. Analyse concurrentielle

23. Compte tenu des activités des parties, l'opération est susceptible d'entraîner des effets horizontaux (A) et verticaux (B).

A. EFFETS HORIZONTAUX

24. Sur le marché national des programmes de flux, les parties estiment les parts de marché à [5- 10] % pour les groupes Endemol France et 21stCentury Fox et à [0-5] % pour Shine France. A l'issue de l'opération, la nouvelle entité détiendra donc une part de marché estimée à 5,7 %, l'opération n'entraînant de surcroît qu'un incrément limité de part de marché. En outre, la nouvelle entité fera face à de nombreux opérateurs concurrents, tels que les groupes Zodiak [10-20] %), Lagardère [0-5] %) et Effervescence [0-5] %).

25. Sur le marché national des programmes de stock, les parties estiment les parts de marché à [10- 20]% pour les groupes Endemol France et 21st Century Fox et à [0-5] % pour Shine France. A l'issue de l'opération, la nouvelle entité détiendra donc une part de marché estimée à [10-20] %. Par ailleurs, quelle que soit la sous-segmentation envisagée pour le marché des programmes de stock, la position de la nouvelle entité n'excèdera pas [20-30] %. De même que pour les programmes de flux elle restera soumise à la concurrence exercée par de nombreux acteurs, tels que les groupes Zodiak [0-5] %) ou Lagardère [10-20] %).

26. Sur le marché des droits de diffusion de fictions EOF, la part de marché cumulée des parties est marginale, estimée à [0-5] %.

27. Par conséquent, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d'effets horizontaux sur les marchés amont d'acquisition des droits de diffusion de programmes de stock et de flux.

B. EFFETS VERTICAUX

28. Une concentration verticale peut restreindre la concurrence en rendant plus difficile l'accès aux marchés sur lesquels la nouvelle entité sera active, voire en évinçant potentiellement les concurrents ou en les pénalisant par une augmentation de leurs coûts. Ce verrouillage peut viser les marchés aval, lorsque l'entreprise intégrée refuse de vendre un intrant à ses concurrents en aval ou les marchés amont lorsque la branche aval de l'entreprise intégrée refuse d'acheter les produits des fabricants actifs en amont et réduit ainsi leurs débouchés commerciaux.

29. L'Autorité considère néanmoins qu'il est peu probable qu'une entreprise ayant une part de marché inférieure à 30 % sur un marché donné puisse verrouiller un marché en aval ou en amont de celui-ci7.

30. En l'espèce, sur les marchés nationaux d'acquisition des droits de diffusion de programmes de stock et de flux, les parts de marché de la nouvelle entité, en tant qu'offreur, seront inférieures à [10-20] %, quelle que soit la segmentation envisagée.

31. De plus, les chaînes éditées par 21st Century Fox sont des chaînes thématiques qui proposent des programmes spécialisés (National Geographic Channel, NatGeo Wild, Voyage, Fox News et Baby TV) ne correspondant pas aux programmes produits et commercialisés par Shine France8. Ceci est confirmé par le fait que les chaînes éditées par 21st Century Fox ne s'approvisionnent pas en programmes audiovisuels auprès de Shine France dont les principaux clients sont les chaînes TF1, France 2, Canal +, M6 et NT1 (représentant [80-90] % de son chiffre d'affaires en 2015).

32. Par conséquent, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d'effets verticaux sur les marchés amont d'acquisition des droits de diffusion des autres programmes télévisuels.

DECIDE

Article unique : L'opération notifiée sous le numéro 17-006 est autorisée.

NOTES

1 Voir notamment la lettre du ministre de l'économie du 5 décembre 1996 relative à l'opération Canal +/UGC DA et la lettre du ministre de l'économie C 2005-23 du 25 mai 2005 relative à l'opération France Télévisions/TF1/CFII et les décisions n° 10-DCC-11 de l'Autorité de la concurrence du 26 janvier 2010 relative à la prise de contrôle exclusif par le groupe TF1 de la société NT1 et Monte-Carlo Participations et n° 16-DCC-10 relative à la prise de contrôle conjoint par TF1 et FIFL de FLCP.

2 Voir le décret n° 2010-747 du 2 juillet 2010 relatif à la contribution à la production d'œuvres cinématographiques et audiovisuelles des services de télévision diffusés par voie hertzienne terrestre, modifié par le décret n° 2015-483 du 27 avril 2015 portant modification du régime de contribution à la production d'œuvres audiovisuelles des services de télévision, résultant de l'article 29 de la loi n° 2013-1028 du 15 novembre 2013 relative à l'indépendance de l'audiovisuel public.

3 Lettre du ministre de l'économie C2006-83 du 13 octobre 2006 aux conseils des sociétés France Télévisions et TF1 relative à une concentration dans le secteur des chaînes thématiques.

4 Décision n° 16-DCC-10, précitée.

5 Ibid.

6 Voir les décisions n° 10-DCC-11 et n° 16-DCC-10, précitées.

7 Lignes directrices de l'Autorité de la concurrence relatives au contrôle des concentrations, § 453.

8 Shine France produit différents types de programmes télévisuels principalement de divertissement, tels que "Le meilleur boulanger de France ", "Baby Boom", "The Island"ou "Prodiges ".