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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 29 mars 2017, n° 15-16932

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Mod Passion (SAS)

Défendeur :

UJA (SAS) , Bauland Gladel Martinez (SELARL), Martinez (ès qual.), Lévy (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mme Mouthon Vidilles, M. Thomas

Avocats :

Mes Aidi, Hoffman Attias, Zafrani

CA Paris n° 15-16932

29 mars 2017

Faits et procédure

La société Mod Passion est spécialisée dans le secteur d'activité de la fabrication de vêtements de dessous.

La société Vetsoca, aux droits de laquelle vient la société UJA., est spécialisée dans le secteur d'activité du commerce de détail d'habillement en magasins spécialisés. Elle commercialise ses vêtements sous l'enseigne " Un jour ailleurs" par l'intermédiaire de nombreux magasins en France et en Europe.

Depuis 2006, la société Mod Passion fabriquait des vêtements pour la société Vetsoca qui lui passait commandes, sans qu'aucun contrat écrit n'ait été formalisé.

En 2013, la société Vetsoca a cessé de passer des commandes à la société Mod Passion.

Estimant être victime d'une rupture brutale des relations commerciale, la société Mod Passion a assigné, par exploit du 27 septembre 2013, la société Vetsoca devant le Tribunal de commerce de Paris en indemnisation.

Par jugement du 26 janvier 2015, le Tribunal de commerce de Paris a :

- condamné la société Vetsoca à payer à la société Mod Passion la somme de 72 250 euros à titre de dommages-intérêts,

- condamné la société Mod Passion à payer à la société Vetsoca la somme de 5 000 euros,

- ordonné la compensation judiciaire entre ces condamnations,

- condamné la société Vetsoca à payer à la société Mod Passion la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire sans caution,

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

- condamné la société Vetsoca aux dépens.

Par déclaration du 4 août 2015, la société Mod Passion a interjeté appel de la décision.

La Cour,

Vu les dernières conclusions notifiées et déposées le 3 novembre 2015 par la société Mod Passion, appelante, par lesquelles il est demandé à la Cour, au visa de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, de :

- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a jugé que la société Vetsoca a rompu de façon brutale et sans préavis la relation commerciale qu'elle entretenait depuis 6 ans avec la société Mod Passion,

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Vetsoca à payer à la société Mod Passion la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouter la société Vetsoca de l'ensemble de ses voies, fins et conclusions,

- l'infirmer pour le surplus en ses dispositions contraires aux présentes,

Y ajoutant,

- condamner la société Vetsoca à verser à la société Mod Passion la somme de 310 000 euros au titre de la perte de chiffre d'affaires,

- condamner la société Vetsoca à verser à la société Mod Passion la somme de 195 070 euros au titre de la perte de revenus,

- dire qu'il conviendra de déduire de ces condamnations la somme de 67 250 euros versée par la société Vetsoca au titre de l'exécution provisoire prononcée par le Tribunal de commerce de Paris,

- condamner la société Vetsoca au paiement d'une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens dont distraction est requise au profit de Maître Mounir Aidi, membre de la SELARL DCA, avocat aux offres de droit conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions notifiées et déposées le 8 décembre 2016 par la société U.J.A., la selafa MJA ès qualités de mandataire judiciaire de la société UJA et la selarl Bauland-Gladel-Martinez, ès qualités de commissaire à l'exécution du plan de la société U.J.A., ces dernières ayant été désignées par jugement du 16 juin 2014 arrêtant le plan de redressement de la société, par lesquelles il est demandé à la Cour, au visa des articles 1382 du Code civil et L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de commerce du 26 janvier 2015,

en conséquence :

- débouter la société Mod Passion de l'intégralité de ses nouvelles demandes, fins et conclusions d'appel,

- condamner la société Mod Passion à verser à la société U.J.A. " Un jour ailleurs " la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- ordonner l'exécution provisoire,

- condamner la société Mod Passion aux entiers dépens.

Sur la demande d'indemnisation au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies

Les parties s'accordent à reconnaître que la société Vetsoca a brutalement rompu les relations commerciales qu'elle entretenait avec la société Mod Passion depuis 2006, faute d'avoir respecté un préavis suffisant de six mois correspondant à une période de production. Elles sollicitent toutes deux la confirmation du jugement à ce titre.

En revanche elles s'opposent sur la réparation des préjudices invoqués tant dans leur principe que dans leur quantum.

Rappelant que le chiffre d'affaires qu'elle a facturé pendant presque six ans n'a jamais été inférieur à " 320 000 " euros hors taxes, l'appelante soutient que le préjudice commercial qu'elle a subi, doit être évalué à 310 000 euros en situation d'exploitation dite " de croisière ". Elle estime avoir subi des préjudices complémentaires dont elle demande l'indemnisation. Elle se réfère au calcul du cabinet Celexpert, expert-comptable, qui a chiffré à 195 070 euros, le montant de son manque à gagner du fait de la rupture des relations commerciales, correspondant à la différence de situation nette, entre sa situation réelle et celle qui aurait subsisté si elle avait continué à travailler avec la société Vetsoca.

Elle précise que cette évaluation englobe également les coûts supplémentaires de sorte qu'elle correspond au chiffre d'affaires perdu diminué des coûts économisés en distinguant la période à court terme sur laquelle elle n'a pas eu le temps de réajuster ses charges de structure et au cours duquel son préjudice est égal à la marge contributive (chiffre d'affaires manqué - coûts variables sur ces ventes- coûts fixes spécifiques) . Elle présente la méthodologie retenue afin de déterminer le taux de marge sur coûts variables applicable au client Vetsoca qu'elle évalue à 61,64 %.

La société Vetsoca affirme que le principe de l'indemnisation en matière de rupture brutale des relations commerciales établies résulte du caractère brutal de la rupture et non du préjudice découlant de la rupture elle-même. Elle indique que le chiffre d'affaire moyen, au regard des éléments comptables, est de 298 000 euros. Elle acquiesce au taux de marge brute de 50% pris en considération par le tribunal de commerce de Paris pour le calcul de la réparation du préjudice. Elle ajoute que les sommes demandées par l'appelante sont disproportionnées et injustifiées en ce que le chiffre d'affaires de 310 000 euros n'est pas expliqué, d'autant plus qu'elle aurait dû prendre en compte le chiffre d'affaires moyen. Concernant les demandes de la société Mod Passion au titre de la prétendue perte de revenus, l'intimée affirme qu'aucune pièce n'est visée à l'appui des affirmations de l'appelante. Par ailleurs, la société Vetsoca soutient que le mode de calcul appliqué par l'appelante n'est pas conforme au droit positif, notamment en ce qu'il prend en compte un " chiffre d'affaires manqué " de 310 000 euros non justifié dont elle soustrait des coûts variables calculés sans justification. Dès lors, l'intimée sollicite la confirmation du jugement du tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a considéré que le seul préjudice subi par la société Mod Passion était limité à six mois de marge, soit à la somme de 72 250 euros.

Il est constant que l'action engagée au seul visa de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, comme tel est le cas en l'espèce, vise à réparer le seul préjudice découlant de la brutalité de la rupture et non de la rupture elle-même. Ce préjudice correspond au gain que la victime de la rupture pouvait escompter tirer pendant le temps de préavis qui aurait dû lui être accordé.

Pour évaluer le gain manqué, il y a lieu de prendre en compte le chiffre d'affaires moyen mensuel réalisé par la société Mod Passion avec la société Vetsoca, calculé à partir des chiffres d'affaires des trois dernières années précédant la rupture (2010 à 2012), et qui s'établit à 289.000 euros (324.168 + 332.287 + 210.549 / 3 / 12), comme attesté par l'expert-comptable de la société Mod Passion, retenu

à juste titre par le tribunal et non contesté par l'intimée qui sollicite la confirmation du jugement, soit la somme mensuelle de 24.083 euros.

La société Mod Passion avance un taux de marge sur coûts variables moyen de 61,64 %. Toutefois, cette estimation résulte de calculs de l'entreprise réalisés pour les exercices 2009 à 2011, alors que la période à retenir est celle de 2010 à 2012. Compte tenu des éléments comptables produits aux débats et des tableaux détaillés non contestés de façon pertinente par la société Vetsoca, il y a lieu d'évaluer le taux de marge sur coûts variables à 50 %. Dès lors, le manque à gagner de la société Mod Passion s'établit à 72 250 euros (24 083 X 6 X 50 %). Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a condamné la société Vetsoca à verser cette somme.

La société Mod Passion ne saurait utilement solliciter, en outre, sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5°du Code de commerce, la somme de 310 000 euros correspondant à la perte d'une année complète de chiffre d'affaires pour l'année 2013, postérieure à la rupture, cette perte, à la supposer établie, étant la conséquence de la rupture et non de la brutalité de la rupture, seule réparable sur ce fondement. Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il l'a déboutée de la demande formée à ce titre.

Sur les actes de concurrence déloyale

La société Vetsoca rappelle que la marque " Un jour ailleurs " dispose d'un réseau de distribution qui lui est propre, qu'elle limite sa commercialisation au travers de son réseau de magasins à son enseigne et qu'elle n'a jamais autorisé la société Mod Passion à livrer ses produits à d'autres entités. Elle se prévaut de sa découverte, au mois de mai 2012, de la vente de vêtements de la marque " Un jour ailleurs ", fabriqués par la société Mod Passion, dans un magasin à l'enseigne " Dynamit ", société qui lui est inconnue, et d'un constat d'huissier établissant l'achat auprès du magasin Dynamit d'un tee-shirt portant la marque " Un jours ailleurs ". Elle considère que l'argument de Mod Passion consistant à dire qu'il s'agit d'un seul et unique tee-shirt, démontre la mauvaise foi de cette dernière qui s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale.

La société Mod Passion conteste la commission de tels actes et indique que le procès-verbal de constat ne permet pas de démontrer dans quelles conditions le responsable du magasin Dynamit a pu acquérir un article portant la marque " Un jour ailleurs ". Elle estime que cet argument invoqué par la société Vetsoca ne sert qu'à justifier a posteriori de la rupture des relations commerciales.

La Cour relève que le constat d'huissier date du 24 avril 2013 et qu'il a donc été établi postérieurement à la rupture des relations commerciales alors que la société Vetsoca faisait fabriquer les vêtements sous la marque " Un jour ailleurs " par une autre entreprise. Il ne ressort aucunement de ce constat que le tee-shirt vendu et celui présent sous blister dans la boutique Dynamit ont été fabriqués par la société Mod Passion et ont été fournis par cette dernière. Faute de produire un quelconque élément démontrant que la société Mod Passion a vendu des vêtements " Un jour ailleurs " hors du réseau, la société Vetsoca sera déboutée de sa demande d'indemnisation formée à ce titre. Par suite, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a considéré que la société Mod Passion avait commis un acte de concurrence déloyale et l'a condamnée à verser la somme de 5 000 euros de ce chef.

Par contre, il sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Vetsoca aux dépens de première instance et à verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à la société Mod passion.

La société Vetsoca qui succombe essentiellement en appel, en supportera les dépens et sera condamnée à verser à la société Mod Passion la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.