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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 29 mars 2017, n° 14-16957

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Electop products (SAS)

Défendeur :

Beurer GmbH (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mme Mouthon Vidilles, M. Thomas

Avocats :

Mes Salhab, Ingold, Durin, Lorentz

T. com. Paris, du 25 juin 2014

25 juin 2014

Faits et procédure

Au début de l'année 2009, la société Electop, ayant pour activité la vente en gros de produits manufacturés et la société de droit allemand Beurer GmbH, spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de produits "soin, beauté et bien être ", se sont rapprochées et par acte du 6 mars 2009, elles ont convenu d'un partenariat commercial.

En 2011, leurs relations commerciales ont cessé.

Estimant qu'elles avaient été brutalement rompues par la société Beurer GmbH, la société Electop l'a assignée, par exploit du 19 juin 2012, devant le Tribunal de commerce de Paris lequel a, par jugement du 25 juin 2014 :

- débouté la société Electop de l'ensemble de ses demandes,

- condamné la société Electop à payer à la société Beurer la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

- condamné la société Electop aux dépens.

Par déclaration du 5 août 2014, la société Electop a interjeté appel du jugement.

LA COUR,

Vu les dernières conclusions notifiées et déposées le 29 décembre 2016, par lesquelles la société Electop, appelante, demande à la cour, au visa des articles L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et 1382 du Code civil, de :

- infirmer dans toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 25 juin 2014,

statuant à nouveau :

- dire la société Electop recevable dans son appel,

- constater l'absence de préavis dans la rupture des relations commerciales,

- dire que la société Electop a droit au respect d'un préavis de deux mois et demi,

- dire que la société Beurer a rompu brutalement et abusivement les relations commerciales avec Electop,

- condamner la société Beurer à payer à la société Electop la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale, ladite somme augmentée des intérêts légaux à compter du jour de l'assignation,

- condamner la société Beurer à payer à la société Electop la somme de 15 000 euros en réparation des pertes de commissions consécutives aux manœuvres déloyales subies par Electop s'agissant de la société Darty,

- condamner la société Beurer à payer à la société Electop la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

Vu les dernières conclusions notifiées et déposées le 13 février 2015, par lesquelles la société Beurer GmbH, intimée, demande à la cour, au visa des articles L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et 1315 et 1382 du Code civil, de :

I. Sur la rupture de la relation commerciale ayant existé entre la société Beurer et la société Electop

à titre principal :

- constater que la société Electop a cessé, sans respecter un préavis écrit raisonnable, de passer toute commande à la société Beurer à partir du 1er juin 2011,

- constater que le mail du 10 octobre 2011 de la société Electop à la société Beurer constitue un aveu extra-judiciaire de la part de la société Electop du fait qu'elle est l'auteur de la rupture de sa relation commerciale avec la société Beurer,

en conséquence :

- dire que la société Electop a rompu brutalement sa relation commerciale avec la société Beurer,

- dire la société Electop irrecevable, et en tous cas mal fondée tendant à la condamnation de la société Beurer au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour la rupture brutale, à partir du 1er juin 2011, d'une relation commerciale établie,

- confirmer le jugement entrepris en tant que besoin par substitution de motifs, en ce qu'il a débouté la société Electop de sa demande tendant à la condamnation de la société Beurer au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale d'une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce.

Subsidiairement : si la cour devait considérer que la société Beurer est l'auteur de la rupture de sa relation commerciale avec la société Electop :

- constater que la société Beurer a mis fin à sa relation commerciale avec la société Electop à la date du 31 décembre 2011 en respectant un préavis de deux mois et cinq jours,

en conséquence :

- dire que la société Beurer a rompu sa relation commerciale avec la société Electop en respectant un préavis d'une durée raisonnable conforme aux exigences de l'article L. 442-6,

- dire la société Electop irrecevable, et en tous cas mal fondée tendant à la condamnation de la société Beurer au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale, à partir du 1er juin, d'une relation commerciale établies,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

dit que la société Beurer n'a pas rompu brutalement sa relation commerciale avec la société Electop,

débouté en conséquence, la société Electop de sa demande tendant à la condamnation de la société Beurer au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale d'une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce,

à titre subsidiaire : si la cour devait considérer que la société Beurer a rompu en mai 2011 sa relation commerciale avec la société Electop

- dire que la durée du préavis raisonnable au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce doit s'apprécier in concreto par rapport aux circonstances propres à chaque espèce,

en conséquence :

- dire la société Electop irrecevable et en tous cas mal fondée tendant à la condamnation de la société Beurer au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale en ce qu'elle repose sur une évaluation in abstracto de la durée du préavis raisonnable qui aurait dû être respecté,

- constater que la relation entre la société Electop et la société Beurer a duré de mars 2009 à mai 2011, soit pendant une durée de vingt-sept mois,

- constater que la demande d'indemnisation de la société Electop repose sur l'hypothèse que sa relation commerciale avec la société Beurer aurait duré trente mois,

en conséquence :

- dire la société Electop irrecevable et en tous cas mal fondée tendant à la condamnation de la société Beurer au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale en ce qu'elle repose sur une évaluation erronée de la durée de cette relation commerciale et donc de la durée du préavis raisonnable qui aurait dû être respecté,

- confirmer le jugement entrepris en tant que besoin par substitution de motifs, en ce qu'il a débouté la société Electop de sa demande tendant à la condamnation de la société Beurer au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale d'une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce,

- constater que la société Electop ne produit aucune pièce probante de nature à établir sa marge bénéficiaire annuelle ou mensuelle,

- dire que la charge et donc le risque de la preuve de son préjudice pèse sur la société Electop, subsidiairement : si la cour devait admettre la méthode d'évaluation proposée par la société Electop

- constater que si la marge bénéficiaire brute annuelle moyenne de la société Electop est de 37 547 euros comme elle le prétend, alors la marge bénéficiaire mensuelle moyenne est de 3 128,91 euros,

en conséquence :

- dire que la marge bénéficiaire brute de la société Electop aurait été, le cas échéant, en droit d'escompter si la société avait respecté un préavis de deux mois et demi, s'élève à un montant de 7 822,27 euros

- dire la société Electop irrecevable et en tous cas mal fondée tendant à la condamnation de la société Beurer au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale d'une relation commerciale établie,

- confirmer le jugement entrepris en tant que besoin par substitution de motifs, en ce qu'il a débouté la société Electop de sa demande tendant à la condamnation de la société Beurer au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale d'une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce,

II. Sur la demande d'indemnisation fondée sur les manœuvres déloyales imputées à la société Beurer dans l'exécution de commandes passées par la société Electop

à titre principal :

- constater que la demande d'indemnisation de la société Electop est fondée sur le régime de la responsabilité civile délictuelle,

- constater que la demande d'indemnisation de la société Electop est fondée sur des inexécutions contractuelles reprochées à la société Beurer et consistant en des défauts de livraison de produits commandés à cette dernière et destinés à la société Darty,

en conséquence :

- dire la société Electop irrecevable et en tous cas mal fondée tendant à la condamnation de la société Beurer au paiement de la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des pertes de commissions consécutives aux manœuvres soi-disant déloyales subies par elle s'agissant de la société Darty, en ce qu'elle est fondée sur le régime de la responsabilité délictuelle alors qu'elle ne peut relever que du régime de la responsabilité contractuelle,

- confirmer le jugement entrepris en tant que besoin par substitution de motifs, en ce qu'il a débouté la société Electop de sa demande tendant à la condamnation de la société Beurer au paiement de la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des pertes de commissions consécutives aux manœuvres soi-disant déloyales subies par elle s'agissant de la société Darty,

à titre subsidiaire :

- constater qu'aucun fait générateur de responsabilité ne peut être imputé à la société Beurer,

en conséquence :

- dire que les conditions de mise en œuvre de la responsabilité civile délictuelle de la société Beurer à l'égard de la société Electop ne sont pas remplies,

- constater que la société Electop ne prouve ni l'existence, ni l'étendue du préjudice qu'elle allègue et qui aurait consisté en une perte de commissions,

- dire que la charge et donc le risque de la preuve de l'existence de l'étendue du préjudice invoqué par la société Electop pèse sur cette dernière,

- dire la société Electop irrecevable et en tous cas mal fondée tendant à la condamnation de la société Beurer au paiement de la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des pertes de commissions consécutives aux manœuvres soi-disant déloyales subies par elle s'agissant de la société Darty,

- confirmer le jugement entrepris en tant que besoin par substitution de motifs, en ce qu'il a débouté la société Electop de sa demande tendant à la condamnation de la société Beurer au paiement de la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des pertes de commissions consécutives aux manœuvres soi-disant déloyales subies par elle s'agissant de la société Darty,

III. Sur les autres demandes de l'appelante

- débouter la société Electop de sa demande tendant à la condamnation de la société Beurer au paiement des intérêts légaux sur les sommes sollicitées,

- confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a condamné la société Electop à verser à la société Beurer la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Electop à payer à la société Beurer une indemnité de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

- condamner la société Electop aux dépens d'appel,

- dire que les dépens d'appel pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile,

- débouter la société Electop de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions contraires;

SUR CE,

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

La société Electop Products soutient, en substance, qu'au cours du mois de mai 2011, alors qu'elle venait de créer sa filiale, la société Beurer France, la société Beurer GmbH a brutalement rompu, sans préavis, les relations commerciales qu'elles entretenaient depuis le 6 mars 2009, en gelant les commandes en cours de son plus important client, la société Darty. La société Beurer GmbH réplique essentiellement que les relations commerciales ont cessé du fait de la société Electop Products qui n'a plus passé de commandes des produits à compter du mois de juin 2011.

L'instruction du dossier fait apparaître les éléments suivants :

- par " Gentleman Agreement " du 6 mars 2009, la société Beurer GmbH a désigné la société Electop Products " comme représentant de tous nos produits de la marque Beurer pour des clients/des chaînes particuliers (la liste des clients sera établie séparément) sur le territoire de la République française. Electop Products fera de son mieux pour promouvoir et distribuer les produits de Beurer GmbH sur le territoire et s'engage sur un volume d'achat minimum de 2 000 000 euros au cours de la première année de coopération. Electop Products percevra une commission de 10 %. Si Electop Products atteint le chiffre d'affaires susmentionné en France au cours de la première année de coopération, Beurer GmbH considérera Electop Products comme représentant exclusif pour la France ", pour une durée de validité jusqu'au 31 mars 2010,

- par " Letter of Authority " du 25 mai 2009, la société Beurer GmbH a désigné la société Electop Products comme son représentant pour tous les produits Beurer sur le marché français ayant notamment le pouvoir de négocier en son nom,

- par lettre du 18 septembre 2009 intitulée " Confirmation ", la société la société Beurer GmbH a écrit à la société Electop Products qu'elle " a l'exclusivité de mettre en vente les produits Beurer auprès des grands comptes ", lui précisant la liste des prestations incluses dans sa mission (Service après-vente, termes de paiement avec les acheteurs potentiels, logistique de livraison des marchandises commandées, négociation des prix de vente, déclarations de douanes, négociation des prix finaux),

- par lettre datée du même jour, la société Beurer GmbH et la société Electop Products ont adressé à la société Galec GT 9 Parapharmacie une proposition concernant quelques produits (chauffe-matelas, coussin chauffant), l'informant que " c'est notre distributeur exclusif en France, Electop Products qui gère la logistique et le SAV ",

- à partir du 31 mars 2010, les relations commerciales entre les parties ont perduré selon le même fonctionnement, la société Electop continuant de distribuer les produits Beurer, notamment auprès de la société Darty jusqu'en mai 2011 (pièce n° 12 appelante, relances de commandes), et percevant en échange la commission trimestrielle prévue contractuellement (pièce n° 13 appelante, commissions sur ventes : 8 452 euros en 2010, 1 283 euros à la fin avril 2011 et pièce n° 22 intimée, " notes de crédits "),

- le 23 août 2010, la société Beurer GmbH a adressé à la société Electop Products une nouvelle liste de produits Beurer à distribuer avec les conditions d'achat et un bon de commande (pièce n° 4 intimée),

- le chiffre d'affaires de la société Electop avec les produits Beurer s'est élevé à 160 075 euros en 2009, 139 940 euros en 2010 et 18 335 euros à fin avril 2011, suivant note décrivant son activité détaillée avec Beurer (pièce n° 13 appelante), étant observé que ces chiffres, non sérieusement contestés par l'intimée, sont proches de ceux que cette dernière avance pour les années 2010 et 2011 (pièce intimée n° 18),

- par mail du 14 avril 2011, la société Beurer GmbH a proposé à la société Electop Products afin de s'assurer de l'existence de marchandises commandées en stock, à sa convenance, soit de procéder en deux temps (transmission d'une facture pro-forma pour les marchandises disponibles puis une nouvelle facture pro-forma pour les marchandises restantes devenues disponibles, ce qui impliquait deux virements de sa part, soit d'établir une prévision mensuelle de roulement),

- le 21 avril 2011, la société Beurer GmbH a créé sa filiale française, la société Beurer France, ce dont elle a informé la société Electop Products par mail du 31 mai 2011, lui précisant que cette création avait pour finalité de lui permettre de "travailler en direct avec les principaux acteurs de la distribution d'électroménager en France",

- en avril et mai 2011, la société Electop Products a émis des relances de commandes non livrées par la société Beurer GmbH,

- les 27 avril, 3 et 5 mai 2011, la société Darty a adressé à la société Electop Products des relances concernant des commandes non livrées,

- par courrier du 18 mai 2011, la société Electop Products s'est inquiétée auprès de la société Beurer GmbH de l'absence de livraison des commandes en instance Darty et lui en a demandé la livraison au plus vite,

- le 31 mai 2011, M. Marc Gautheron, se présentant comme le représentant de la société Beurer France, a informé la société Darty de la réorganisation de la commercialisation des produits Beurer en France par la création d'une filiale pour travailler directement avec les acteurs de la distribution d'électroménagers et lui a proposé un rendez-vous le 15 ou 16 juin suivant afin d'en discuter,

- le même jour, la société Darty a informé la société Electop qu'elle annulait les commandes en instance et suspendait tout référencement et commandes de produits Beurer, compte tenu de la situation " beaucoup trop soudaine " et " surtout trop floue ",

- la société Darty a alors cessé toute relation commerciale avec la société Electop,

- par courriel du 6 juin 2011 adressé à la société Beurer GmbH, la société Electop Products a pris acte de son éviction auprès de la société Darty et s'est portée candidate à l'exclusivité des produits Sanitas,

- par lettre du 3 octobre 2011, adressée au siège social que pourtant, la société Electop Products avait quitté depuis plus de trois ans, M. Marc Gautheron lui a notifié, " au nom " de la société Beurer GmbH, son accord de fin de collaboration sans période de préavis,

- par lettre du 25 octobre 2011, après avoir rappelé que dorénavant, " elle envisage de travailler sur le marché français via sa propre filiale Beurer France SAS ", la société Beurer GmbH a informé la société Electop Products de la fin de leur coopération au 31 décembre 2011 et par voie de conséquence, l'annulation de " toutes les autorisations précédemment accordées pour la représenter auprès de clients tels que Darty, BHV/Galeries Lafayette, Groupe Kingfisher, etc. ".

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que le contrat de coopération commerciale passé le 6 mars 2009 est arrivé à son terme le 31 mars 2010 mais que toutefois, les relations commerciales entre les parties se sont poursuivies aux conditions antérieures (autorisations de représentation, commandes livrées et payées, paiement de commissions et service après-vente), chacune des parties continuant d'exécuter ses obligations de sorte que le contrat a été tacitement reconduit pour une durée indéterminée sans que la société Beurer GmbH puisse sérieusement faire valoir qu'il se serait agi de " simples contrats de vente indépendants les uns des autres " ou encore, l'absence d'édition de factures de commission, celles-ci étant réglées par virements annoncés par une " note de crédit ", comme l'atteste la pièce n° 22 produite par l'intimée elle-même et constituée par les notes de crédits qu'elle a adressées trimestriellement à la société Electop Products tout au long de l'année 2010.

Il en résulte également qu'en avril 2011, la société Beurer GmbH a changé de stratégie commerciale et choisi de créer une filiale en France lui permettant, selon ses propres dires, de travailler directement sur le marché français, et non plus par l'intermédiaire de la société Electop. Si ce choix de commercialiser ses produits en France par l'intermédiaire d'une filiale ne peut lui être reproché, la société Beurer GmbH étant libre d'organiser son réseau de distribution comme bon lui semble, il a eu néanmoins pour conséquence directe la rupture des relations commerciales avec la société Electop Products. En effet, en mai 2011, concomitamment à la désignation de M. Marc Gautheron à la direction de la filiale française, la société Beurer GmbH a tardé à honorer les commandes passées par la société Electop Products pour le compte de la société Darty, alors même qu'elles avaient fait l'objet de rappels les 27 avril, 3 et 5 mai 2011 (pièce n° 12 appelante) et qu'une grande partie de la marchandise était disponible comme l'atteste la pièce n° 22 de l'intimée (mails du 18 mai 2011) de sorte que le 31 mai 2011, la société Darty les a annulées (pièce n° 8 appelante, mail du 31 mai 2011) et compte tenu de la situation qu'elle a estimée " trop floue " du fait de l'interposition soudaine de la société Beurer France, a cessé à compter de cette date de commander via la société Electop Products les produits Beurer. La société Beurer GmbH ne saurait donc sérieusement invoquer l'absence de commandes par la société Electop Products à compter du mois de juin 2011, dès lors qu'elle-même a laissé en attente de livraison les précédentes commandes datant d'avril et de mai 2011, sans fournir d'explication tangible à cet égard. C'est également vainement que la société Beurer GmbH soutient que le mail adressé en réponse à sa lettre recommandée avec accusé de réception du 3 octobre 2011, par la société Electop Products le 10 octobre 2012, constituerait l'aveu extra-judiciaire de ce qu'elle se reconnaîtrait elle-même auteur de la rupture dès lors qu'elle n'aurait pas contesté avoir tenu les propos que la société Electop Products lui aurait rappelés dans son courrier du 3 octobre 2011, ce dernier courrier ne faisant nullement état d'un quelconque propos. A cet égard, il sera rappelé qu'un aveu extra-judiciaire exige de la part de son auteur une manifestation non équivoque de sa volonté de reconnaître pour vrai un fait de nature à produire contre lui des conséquences juridiques. Or, il ne ressort d'aucun document que la société Electop Products ait entendu reconnaître, même implicitement, être à l'origine de la rupture des relations commerciales. L'attestation " sur l'honneur " établie par M. Marc Gautheron, Président de la société Beurer France, le 26 octobre 2016, selon laquelle la société Electop lui aurait fait part de sa décision de stopper sa collaboration avec la société Beurer GmbH sera écartée dans la mesure où compte tenu des liens d'extrême proximité entre les sociétés Beurer, attestés par le fait qu'à compter de la création de Beurer France, M. Gautheron est devenu l'interlocuteur unique de la société Electop Products au travers de mails et est notamment, l'auteur des lettres notifiant en octobre 2011 la fin de collaboration avec la société Beurer GmbH, il existe de très forts doutes quant à l'impartialité de ce témoignage qui n'est de surcroît, corroboré par aucun élément.

La rupture des relations commerciales se situe donc au 31 mai 2011 et la société Beurer GmbH en est bien l'auteur par gel de livraison, sans motif, de commandes précédemment passées par la société Electop Products pour le compte de la société Darty.

Cette rupture des relations commerciales établies est brutale en ce que la société Beurer GmbH n'a notifié aucun préavis écrit, les lettres adressées en octobre 2011 et notamment la dernière prévoyant un préavis jusqu'au 31 décembre 2011, apparaissant comme des envois de pure forme, destinés à tenter de régulariser une rupture déjà consommée à l'initiative de la société Beurer GmbH.

Les relations commerciales ont duré 2 ans et environ 3 mois (6 mars 2009 - 31 mai 2011). La société Electop Products considère qu'un préavis de deux mois et demi aurait été raisonnable, soit un préavis d'une durée proche de celle de deux mois et 5 jours finalement proposée par la société Beurer GmbH, le 25 octobre 2011.

Il ressort de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou de l'insuffisance de la durée de ce préavis au regard des relations commerciales antérieures. L'évaluation de la durée du préavis à accorder est fonction de toutes les circonstances de nature à influer son appréciation au moment de la notification de la rupture, notamment de l'ancienneté des relations, du volume d'affaires réalisé, du secteur concerné, de l'état de dépendance économique de la victime, des dépenses non récupérables engagées par elle et du temps nécessaire pour retrouver un partenaire.

En l'espèce, eu égard tant à l'ancienneté des relations ayant lié les parties, qu'à la nature de l'activité considérée et à la réalité du marché concerné, il apparaît que le préavis de deux mois et demi sollicité par la société Electop Products est suffisant pour pallier les incidences de la perte de la distribution des produits Beurer.

Il est constant que l'action engagée au visa de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, comme tel est le cas en l'espèce, vise à réparer le seul préjudice découlant de la brutalité de la rupture et non de la rupture elle-même. Ce préjudice correspond au gain que la victime de la rupture pouvait escompter tirer pendant le temps de préavis qui aurait dû lui être accordé.

Pour évaluer le gain manqué, il y a lieu de prendre en compte la marge moyenne annuelle bénéficiaire réalisée par la société Electop Products avec les produits Beurer que la société Electop Products évalue sans être sérieusement contredite par la société Beurer GmbH, à 37 547 euros. Le gain manqué s'élève ainsi à la somme de 7 822 euros (37 547 euros /12 X 2 mois et demi) au paiement de laquelle la société Beurer GmbH sera condamnée. Le jugement entrepris sera donc infirmé de ce chef.

Sur les actes de concurrence déloyale

La société Electop Products affirme que les intentions frauduleuses et déloyales de la société Beurer GmbH qui a mis en place une stratégie commerciale réfléchie d'éviction brutale sans indemnité d'un partenaire au profit de sa filiale, ne font aucun doute. Elle considère qu'elle a ainsi commis des faits de concurrence déloyale lui créant un préjudice direct qu'elle évalue à la somme de 15 000 euros correspondant à la perte des commissions qu'elle aurait dû percevoir.

La société Beurer GmbH conteste les faits reprochés par la société Electop Products. Elle indique que si ces faits étaient avérés, ils ne pourraient relever que de la responsabilité contractuelle de sorte que l'appelante est mal fondée à invoquer l'article 1382 du Code civil au soutien de sa demande d'indemnisation. A titre subsidiaire, elle affirme que les conditions de mise en œuvre de sa responsabilité ne sont pas réunies car aucun fait générateur de responsabilité ne peut lui être imputé et que l'appelante n'apporte aucun élément de preuve quant à l'existence du préjudice qu'elle dit avoir subi.

Mais, étant rappelé que l'action en concurrence déloyale peut être exercée à l'encontre d'un cocontractant dès lors que des agissements distincts de la seule violation d'une obligation contractuelle, peuvent être identifiés, il apparaît toutefois en l'espèce, que la société Electop Products s'abstient d'une part, de caractériser les actes de concurrence déloyale qu'elle reproche à la société Beurer GmbH lesquels, pour engager la responsabilité de leur auteur, doivent être prouvés et non déduits de simples présomptions, d'autre part d'identifier les commissions qu'elle aurait perdues du fait de ces actes de concurrence déloyale de sorte que ne démontrant pas l'existence ni d'une faute ni d'un préjudice en lien direct, elle sera déboutée de sa demande d'indemnisation formée à ce titre et le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

Sur les autres demandes

La société Beurer GmbH qui succombe essentiellement, supportera la charge des dépens de première instance et d'appel et sera condamnée à verser à la société Electop Products la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, publiquement par mise à disposition au greffe, infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté la société Electop Products de sa demande d'indemnisation pour des actes de concurrence déloyale, Statuant à nouveau, condamne la société Beurer GmbH à verser à la société Electop Products la somme de 7 822 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales, déboute la société Electop Products du surplus de ses demandes d'indemnisation, Et y ajoutant, condamne la société Beurer GmbH aux dépens de première instance et d'appel, condamne la société Beurer GmbH à verser à la société Electop Products la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.