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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 31 mars 2017, n° 15-07149

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Revilliod, Optimum Consulting (SAS)

Défendeur :

Avery Dennison Systèmes d'étiquetage France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mme Lis Schaal, M. Thomas

Avocats :

Mes Delay Peuch, Savereux, Guizard, Toulouse

T. com. Paris, du 25 févr. 2015

25 février 2015

Faits et procédure

Monsieur Régis Revilliod, exerçant sous le nom commercial Optimum Consulting, éditeur de logiciels de traçabilité de produits destinés à l'industrie, a régularisé, le 30 mars 2011, avec la SAS Avery Dennison un contrat pour la distribution, par cette dernière, de ses logiciels.

Se prévalant de ce que la société Avery Dennison restait redevable de la somme de 400 000 euros relative à des logiciels pour l'acquisition desquels elle se serait engagée, Optimum Consulting a assigné la SAS Avery Dennison devant le Tribunal de commerce de Paris.

Par jugement rendu le 25 février 2015, le Tribunal de commerce de Paris a :

- dit Monsieur Revilliod, exerçant sous l'enseigne commercial Optimum Consulting, recevable en sa demande ;

- condamné la SAS Avery Dennison Système d'Etiquetage France à payer à la société Optimum Consulting la somme de 60 550 euros HT ;

- condamné la SAS Avery Dennison Système d'Etiquetage France à payer à Monsieur Revilliod, exerçant sous l'enseigne commercial Optimum Consulting, la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- débouté les parties de leurs demandes, autres, plus amples ou contraires ;

- condamné la SAS Avery Dennison Système d'Etiquetage France aux dépens de l'instance.

Monsieur Revilliod et [sic] ont régulièrement interjeté appel de ce jugement.

Prétentions des parties

Monsieur Régis Revilliod et la SAS Optimum Consulting, intervenante volontaire, par dernières conclusions déposées et notifiées le 5 décembre 2016, demandent à la cour de :

- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a déclaré recevable en toutes ses demandes Monsieur Revilliod ;

- déclarer recevable en son intervention volontaire la société Optimum Consulting ;

Statuant à nouveau,

A titre principal,

- réformer la décision du Tribunal de commerce de Paris en date du 25 février 2015 en ce qu'elle a condamné la SAS Avery Dennison à indemniser la société Optimum Consulting et à payer à cette dernière la somme de 60 550 euros HT ;

Sur le quantum de la demande en principal

- réformer la décision entreprise en ce qu'elle a condamné la société Avery Dennison à payer la société Optimum Consulting en lieu et place de Monsieur Revilliod ;

- réformer la décision entreprise en ce qu'il a condamné la société Avery Dennison à payer à la société Optimum Consulting la somme de 60 550 euros ;

- condamner la société Avery Dennison à payer à Monsieur Revilliod la somme de 4 412 548 euros HT ;

Si la cour de céans décidait que Monsieur Revilliod ne peut solliciter la condamnation au paiement de la société Avery Dennison,

- condamner la société Avery Dennison à payer à la société Optimum Consulting la somme de 4 412 548 euros HT ;

Sur l'engagement d'Avery Dennison au titre de la pré commande

- réformer la décision entreprise en ce qu'elle a débouté Monsieur Revilliod de sa demande au titre de la précommande du 31 août 2012 ;

- dire que Monsieur Alter, directeur Europe de la société Avery Dennison, avait mandat pour signer ;

- dire que la société Avery Dennison est engagée par la pré-commande signée le 31 août 2012 par Monsieur Alter à l'égard de Monsieur Revilliod ;

- dire que la société Avery Dennison ne rapporte absolument pas la preuve d'une quelconque contrainte de Monsieur Revilliod à l'encontre de Monsieur Alter et qu'il n'y a eu aucune contrainte d'exercée par Monsieur Revilliod ;

- dire que la société Avery Dennison ne rapporte pas la preuve d'un quelconque dol de Monsieur Revilliod à l'encontre de la société Avery Dennison, ni de son directeur Europe, Monsieur Alter ;

- condamner la société Averey Dennison à payer à Monsieur Revilliod la somme de 478 400 euros au titre de la pré commande du 31 août 2012 ;

Et si la cour de céans décidait que Monsieur Revilliod ne peut solliciter la condamnation au paiement de la société Avery Dennison, elle ne pourra que :

- dire que Monsieur Alter, directeur Europe de la société Avery Dennison, avait mandat pour signer ;

- dire que la société Avery Dennison est engagée par la pré commande signée le 31 août 2012 par Monsieur Alter à l'égard de la société Optimum Consulting ;

- dire que la société Avery Dennison ne rapporte absolument pas la preuve d'une quelconque contrainte de M. Revilliod à l'encontre de M. Alter et qu'il n'y a eu aucune contrainte d'exercée par M. Revilliod ;

- dire que la société Avery Dennison ne rapporte absolument pas la preuve d'un quelconque dol de M. Revilliod à l'encontre de la société Avery Dennison ni de son directeur Europe, Monsieur Alter ;

- condamner la société Avery Dennison à payer à la société Optimum Consulting la somme de 478 400 euros au titre de la pré-commande ;

Sur les obligations d'Avery Dennison au titre du contrat :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'elle a jugé que la clause de rendement s'analysait comme une promesse d'achat et que la société Avery Dennison avait une obligation de résultat ;

- le réformer en ce qu'il a condamné la société Avery Dennison à payer à la société Optimum Consulting la somme de 60 550 euros HT ;

- condamner la société Avery Dennison à payer à M. Régis Revilliod la somme de 4 000 000 euros HT au titre des obligations de résultat du contrat de distribution en date du 30 mars 2011 ;

Si la cour de céans jugeait que M. Revilliod n'est pas fondé à solliciter la condamnation de la société Avery Dennison au titre de ses obligations de résultat contractuel,

- condamner Avery Dennison à payer à la société Optimum Consulting la somme de 4 000 000 euros au titre des obligations du contrat de distribution et de l'obligation de résultat ;

Sur les obligations de formation du personnel d'Avery Dennison :

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il n'a pas condamné la société Avery Dennison au titre de ses obligations de formation,

- condamner la société Avery Dennison à payer à M. Régis Revilliod la somme de 5 100 euros ; Si par impossible, la cour de céans jugeait que M. Revilliod n'est pas fondé à solliciter la condamnation de la société Avery Dennison au titre de ses obligations de formation,

- condamner Avery Dennison à payer à la société Optimum Consulting la somme de 5 100 euros au titre de l'obligation de formation ;

Sur la demande au titre des dommages et intérêts,

- réformer la décision entreprise en ce qu'il a débouté M. Régis Revilliod de sa demande de dommages et intérêts et jugeant à nouveau condamner la société Avery Dennison à payer à M. Régis Revilliod la somme de 100. 000 euros au titre des dommages et intérêts ;

Si la cour de céans jugeait que M. Revilliod n'est pas fondé à solliciter la condamnation de la société Avery Dennison au titre des dommages et intérêts,

- condamner Avery Dennison à payer à la société Optimum Consulting la somme de 100 000 euros à titre des dommages et intérêts ;

Sur la demande au titre des obligations de promotion

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Monsieur Revilliod de sa demande au titre de l'obligation de promotion ;

- condamner la société Avery Dennison à lui payer la somme de 10 000 euros à Monsieur Revilliod ;

Si la cour de céans jugeait que M. Revilliod n'est pas fondé à solliciter la condamnation de la société Avery Dennison au titre de ses obligations de promotion,

- condamner Avery Dennison à payer à la société Optimum Consulting la somme de 10 000 euros au titre des obligations de promotion.

Sur les demandes reconventionnelles d'Avery Dennison,

- dire que M. Revilliod n'a pas agi de manière déloyale et fautive, la société Avery Dennison n'ayant pas atteint les objectifs contractuels de chiffre d'affaires ;

- dire que la rupture du contrat et des relations commerciales n'est pas abusive qu'elle n'est dû qu'au comportement abusif de la société Avery Dennison et à la non réalisation des objectifs de chiffre d'affaire et aux torts exclusifs de Avery Dennison ;

En conséquence,

- débouter Avery Dennison de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions à titre reconventionnel ;

- débouter la société Avery Dennison de l'ensemble de ces demandes au titre du prétendu gain manqué sur le marché Veuve Cliquot, comme étant un moyen nouveau en cause d'appel et la perte de chance n'étant jamais indemnisable ;

- débouter la société Avery Dennison la demande d'indemnisation du préjudice au titre de la perte de chance de la société Avery Dennison, comme étant un moyen nouveau en cause d'appel et la perte de chance n'étant jamais indemnisable ;

- condamner la société Avery Dennison à payer à Monsieur Revilliod la somme de 2 500 euros et aux entiers dépens.

Ils invoquent l'intérêt à agir de Monsieur Revilliod dans la présente instance : ils soulignent que Monsieur Revilliod n'a entretenu aucun trouble entre son activité en nom propre et la société Optimum Consulting, qu'il a communiqué à Avery Dennison une copie de la convention confiant à Optium Consulting la gestion du contrat de distribution en date du 30 mars 2011 et que la convention conclue avec Optimum Consulting ne peut lui être opposée par Avery Dennison. Ainsi,

Ils précisent que, dès lors que Monsieur Alter a signé, le 31 août 2012, une pré-commande ferme de 400 000 euros HT et qu'Optimum Consulting a adressé une facture du même montant, l'accord des parties sur la chose et sur le prix de vente au 31 août 2012 a été établi, de sorte que la vente était parfaite.

Ils indiquent que la société Avery Dennison ne rapporte nullement la preuve d'une quelconque contrainte qui aurait été exercée à l'encontre de Monsieur Alter et de la société Avery Dennison, que le dol ne se présume pas et doit être prouvé et qu'en l'espèce la société Avery Dennison ne le prouve pas.

Dans un deuxième temps M. Revilliod indique que le contrat signé le 30 mars 2011 est un contrat de type de marque de distributeur tel que le précisait l'article 6. Ainsi il ajoute qu'Avery Dennison avait l'obligation d'atteindre les chiffres d'affaires visés au contrat. Il cite a cet effet l'alinéa 4 de l'article 7.2 du contrat et montre que cet alinéa renforce l'obligation de résultat contractée par Avery Dennison. A ce sujet il ajoute que Avery Dennison France est une filiale d'une société des Etats Unis présente sur les 5 continents et qu'elle ne pouvait ignorer les engagements contractuels qu'elle signait.

S'agissant de l'obligation de formation Avery Dennison a sollicité Optimum Consulting afin de délivrer une formation à certains de ses collaborateurs, mais Monsieur Revilliod indique qu'Avery Dennison ne répond absolument pas à ses interrogations sur la qualité des stagiaires et donc du programme de formation. Il ajoute qu'il était totalement impliqué dans la réalisation du projet Veuve Cliquot et qu'il ne pouvait de ce fait organiser la session de formation demandée et cela Avery Dennison ne pouvait l'ignorer.

Il poursuit en indiquant qu'Avery Dennison devait mobiliser les moyens marketing et commerciaux afin d'atteindre les objectifs de chiffres d'affaires contractés.

La SAS Avery Dennison Système d'Etiquetage France, par ses dernières conclusions déposées et notifiées le 29 novembre 2016, demande à la cour de :

- infirmer en toutes ses dispositions, la décision du Tribunal de commerce de Paris du 25 février 2015;

Statuant à nouveau,

A titre principal,

Sur les demandes de Monsieur Revilliod,

- dire que Monsieur Revilliod n'a pas d'intérêt à agir pour réclamer le paiement de la facture de 478 400 euros puisqu'il n'a jamais émis cette facture ;

- dire que la demande de paiement de la facture de 478 400 euros est de surcroît infondée ;

- dire que l'article 7-2 du contrat de distribution du 30 mars 2011 constituait une clause d'objectifs dont la sanction exclusive, en cas de non-atteinte, était la possibilité, pour Monsieur Régis Revilliod, de résilier le contrat ;

- dire que la demande de paiement de la somme de 4 000 000 euros HT est infondée ;

- dire que les demandes de paiement de dommages et intérêts à hauteur de 5 100 euros, 10 000 euros et 100 000 euros, formulées par Monsieur Revilliod, non justifiées, sont également infondées ;

En conséquence,

- débouter Monsieur Régis Revilliod de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions;

Sur les demandes de la société Optimum Consulting,

- dire que la société Optimum Consulting, avec laquelle la société Avery Dennison Système d'Etiquetage France n'a jamais conclu de contrat de distribution, n'a pas qualité pour agir et réclamer de quelconques sommes à Avery Dennison Système d'Etiquetage France ;

- débouter la société Optimum Consulting de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

A titre reconventionnel,

- dire que Monsieur Régis Revilliod a agi de manière déloyale et fautive à l'égard de la société Avery Dennison Système d'Etiquetage France ;

- dire que Monsieur Régis Revilliod a rompu brutalement et fautivement le contrat de distribution du 30 mars 2011 ;

En conséquence,

- condamner Monsieur Revilliod à verser 106 350 euros à la société Avery Dennison Système d'Etiquetage France à titre de dommages et intérêts pour le gain manqué sur le projet Veuve Clicquot;

- condamner Monsieur Revilliod à verser la somme de 116 661 euros à la société Avery Dennison Système d'Etiquetage France à titre de remboursement des services et licences achetées et non fournies par Monsieur Régis Revilliod ;

- condamner Monsieur Revilliod à verser la somme de 280 000 euros à la société Avery Dennison Système d'Etiquetage France de dommages et intérêts au titre du préjudice qu'elle a subi en raison de la résiliation brutale du contrat de distribution ;

En toute hypothèse,

- condamner Monsieur Revilliod au paiement de la somme de 20 000 euros à la société Avery Dennison Système d'Etiquetage France sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile;

- condamner la société Optimum Consulting au paiement de la somme de 5 000 euros à la société Avery Dennison Système d'Etiquetage France sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner solidairement Monsieur Revilliod et la société Optimum Consulting aux entiers dépens de la procédure.

Elle indique que les demandes de Monsieur Revilliod sont irrecevables et infondées, que la demande initiale de Monsieur Revilliod, introduite le 23 octobre 2012, portant sur le paiement de la facture de la société Optimum Consulting, d'un montant de 478 400 euros, relative à la " pré-commande " d'Avery Dennison est à la fois irrecevable et totalement infondée en ce que :

- Monsieur Revilliod, qui demande qu'on lui paie une facture émise par un tiers (la société Optimum Consulting qui a une personnalité juridique propre), n'a pas d'intérêt à agir ;

- la pré-commande rédigée par le directeur commercial d'Avery Dennison est nulle car elle a été obtenue au moyen de manœuvres dolosives ;

- cette pré-commande ne peut en aucun cas engager Avery Dennison, le directeur commercial n'étant pas représentant légal de la société et n'ayant pas le pouvoir de l'engager pour un tel montant, en l'absence de délégation de pouvoir à cet effet ;

- Avery Dennison a bien adressé un bon de commande sous conditions, mais ces conditions ont été rejetées par Monsieur Revilliod, de sorte qu'Avery Dennison n'a eu d'autre choix que d'annuler la " pré-commande ".

Elle ajoute que Monsieur Revilliod a prétendu, par suite de la résiliation du contrat de distribution du 30 mars 2011, avoir droit à une indemnité de 4,4 millions d'euros et qu'Avery Dennison s'était engagée sur ce volume de commandes de licences de son logiciel Traceability Manager, cette demande ne repose sur aucun fondement dès lors que :

- la clause a toujours été considérée par les parties, et particulièrement par Monsieur Revilliod lui-même, comme une clause d'objectifs, laquelle ne constituait donc qu'une obligation de moyens pour Avery Dennison ;

- Avery Dennison a parfaitement rempli ses obligations de moyens, investissant massivement sur la promotion autour de la solution Traceability Manager ;

- l'unique sanction convenue entre les parties, en cas de non-atteinte des objectifs, était la résiliation du contrat, de sorte que Monsieur Revilliod est totalement infondé à réclamer le versement d'une quelconque indemnité à ce titre ;

- subsidiairement, le montant de 4 millions d'euros n'a aucun rapport avec le préjudice éventuellement subi par Monsieur Revilliod.

Elle ajoute que Monsieur Revilliod a prétendu subir trois préjudices additionnels, qu'il a chiffrés " sans jamais en justifier " à 5 100, 10 000 et 100 000 euros, au titre de l'inexécution, par Avery Dennison, de ses obligations contractuelles. Elle souligne que ces demandes sont révélatrices du manque de sérieux des demandes de Monsieur Revilliod qui ne pourront pas davantage être accueillies.

Elle expose, que les demandes formulées par la société Optimum Consulting pour la première fois en septembre 2015, soit trois ans après les faits, sont tout aussi infondées et incohérentes que celles de Monsieur Revilliod ; elle précise à cet égard qu'elle n'a jamais signé de contrat de distribution avec la société Optimum Consulting qui autoriserait celle-ci à émettre une facture et lui en réclamer le paiement ou à lui demander une indemnité fondée sur de prétendus manquements contractuels.

Elle indique enfin qu'elle a subi un important préjudice en raison du comportement déloyal de Monsieur Revilliod qui a manoeuvré pour l'évincer du projet "Veuve Clicquot", qui a rompu le contrat de distribution de manière brutale, qui l'a sciemment privée de gains sur le projet "Veuve Clicquot" et qui l'a privée de la possibilité de mener à bien d'importants projets qui auraient dû aboutir en 2013. Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.

Motifs

Sur les demandes de Monsieur Revilliod

Sur la recevabilité des demandes de Monsieur Revilliod

Considérant qu'Avery Dennison fait valoir que Monsieur Revilliod est irrecevable pour défaut d'intérêt à agir en ce que :

- il demande le paiement d'une facture émise par un tiers, la société Optimum Consulting, dotée d'une personnalité juridique propre ;

- l'action a été engagée par Monsieur Revilliod, et non par la société Optimum Consulting, auteur de la facture ;

Considérant que, les fins de non-recevoir pouvant, conformément à l'article 123 du code de procédure civile, être proposées en tout état de cause, Avery Dennison est recevable à opposer l'irrecevabilité des demandes de Monsieur Revilliod pour défaut d'intérêt à agir ;

Considérant que Monsieur Revilliod, en qualité d'entrepreneur individuel, est le signataire du contrat du 30 mars 2011 ; que, Monsieur Revilliod disposant d'un intérêt à agir, la décision déférée sera confirmée en ce qu'il l'a dit recevable en ses demandes ;

Sur le fond

Considérant que Monsieur Revilliod réclame la condamnation de la société Avery Dennison au paiement des sommes de 4 412 548 euros HT au titre des obligations de résultat du contrat de distribution, de 400 000 euros HT (478 400 euros TTC) au titre de la pré-commande du 31 août 2012 et des sommes de 5 100, 10 000 et 100 000 euros ;

Sur l'exécution du contrat de distribution

Considérant que, le 30 mars 2011, Monsieur Revilliod et Avery Dennison, représenté par Monsieur Alter, directeur Europe de la société Avery Dennison, ont conclu un contrat de distribution non-exclusif d'une durée de trois ans ; qu'aux termes de l'article 7.2 de ce contrat, Avery Dennison " s'oblige à ce que le montant hors taxes de ses commandes des produits contractuels (le logiciel Traceability Manager) ne soit pas inférieur à 20 packs de base la première année calendaire,

soit 800 000 euros de licence au prix catalogue, 40 packs de base la deuxième année calendaire,

soit 1 600 000 euros de licences au prix catalogue, 60 packs de base la deuxième année calendaire, soit 2 400 000 euros de licences au prix catalogue " ;

Considérant que Monsieur Revilliod affirme que cette clause mettait à la charge d'Avery Dennison une obligation de résultat qui l'obligeait, en cas de non atteinte, à lui verser une indemnité équivalente, soit 4 800 000 euros HT ;

Mais considérant qu'en stipulant que " l'éditeur se réserve le droit de pouvoir unilatéralement dénoncer ce contrat si les objectifs ne sont pas atteints par le distributeur ", le même article 7.2 prévoit bien que le volume de commandes prévu ne constituait qu'un objectif ; que Monsieur Revilliod a lui-même reconnu, par sa lettre de mise en demeure à Avery Dennison du 22 août 2012, que " le contrat de distributeur de nos produits ne repose pas sur une obligation de résultats, mais sur une obligation de moyens pour garantir le succès commercial " (pièce Avery Dennison n° 5), position confirmée le 5 septembre 2012, par la lettre de Monsieur Revilliod à Avery Dennison aux termes de laquelle Monsieur Revilliod indiquait à la direction d'Avery Dennison qu'elle était engagée par une obligation de moyens (" obligation of means ") et non de résultat (" obligation of outcome ") (pièce Avery Dennison n° 29) ; que le contrat du 30 mars 2011 n'a dès lors pas entendu soumettre le distributeur à une obligation de résultat annuel, mais une obligation de moyens ;

Que Monsieur Revilliod ne conteste pas les moyens mis en œuvre pour promouvoir sa solution logicielle, ainsi que l'expose Avery Dennison dans sa lettre à Optimum Consulting du 24 octobre 2012 (pièce Avery Dennison n° 32), en l'espèce :

- la réalisation d'une brochure commerciale trilingue ;

- la préparation de power point de présentation d'une soixantaine de slides trilingue ;

- la réalisation d'un site dédié à Traceability Manager en trois langues ;

- la réalisation d'un film de présentation trilingue ;

- la réalisation de fiches clients en cinq langues ;

- l'ouverture d'un show-room dans les locaux d'Avery Dennison ;

- la traduction du logiciel en anglais et allemand (prise en charge à hauteur de 34 500 euros) ;

- les publicités et articles sur le logiciel, au nombre de quarante, publiés dans la presse ;

- la présentation du logiciel dans le cadre de salons internationaux ;

Qu'aucun manquement d'Avery Dennison à son obligation de moyens ne pouvant, dans ces conditions, être retenu, Monsieur Revilliod n'est pas fondé à réclamer le paiement d'indemnités au titre de l'obligation de résultat ; qu'en conséquence, la cour le déboutera de sa demande de ce chef et infirmera en ce sens le jugement entrepris ;

Sur la pré-commande du 31 août 2012

Considérant que, selon " pré-commande " en date du 31 août 2012, Monsieur Alter, directeur Europe de la société Avery Dennison, a, sur une impression d'écran de deux commandes à venir de licences du logiciel Traceability Manager - l'une de 125 000 euros pour le projet Veuve Clicquot, l'autre de 75 000 euros pour diverses commandes au titre d'autres projets, soit un total de 200 000 euros, ajoutés aux 160 000 euros déjà commandés - porté la mention manuscrite " Pré commande ferme de 400 000 €. Paiement par virement à réception de facture. Prestations à définir au fur et à mesure des besoins. Le 31 août 2012. A Courbevoie. Jean-Paul Alter " ;

Considérant qu'Avery Dennison n'est fondée à soulever la nullité de la pré-commande :

- ni pour dol, Avery Dennison, qui se borne à affirmer, sans l'établir, que, lors de la négociation préalable à la signature de la pré-commande du 31 août 2012, Monsieur Revilliod aurait " exigé de recevoir une commande ferme de 400 000 euros avant le 31 août 2012 à minuit sous peine de résiliation du contrat de distribution ", ne rapportant pas la preuve, qui lui incombe en application de l'article 1116, alinéa 2, du Code civil dans sa rédaction applicable à la cause (" le dol ne se présume pas et doit être prouvé ") des contraintes qui auraient été exercées à l'encontre de Monsieur Alter ;

- ni pour défaut de pouvoir de Monsieur Alter, dès lors d'une part que la capacité de ce dernier à engager Avery Dennison n'a pas été contestée lors de la signature du contrat du 30 mars 2011, d'autre part que Monsieur Revilliod est fondé à invoquer l'existence d'un mandat apparent, sa croyance aux pouvoirs de Monsieur Alter étant légitime au regard à la fois de la participation de ce dernier à toutes les négociations intervenues avec Monsieur Revilliod et du niveau hiérarchique et décisionnel particulièrement élevé de Monsieur Alter, directeur Europe d'Avery Dennison ;

Considérant que Monsieur Revilliod prétend que les parties ont, dans le document du 31 août 2012, exprimé leur accord sur la chose et le prix de vente et que la vente était donc parfaite à cette date en application de l'article 1589 du Code civil ;

Mais considérant que le document du 31 août 2012 n'est identifié que comme " pré-commande " ; que Monsieur Revilliod reconnaît, en page 10 de ses conclusions, que " les prestations demeuraient à définir au fur et à mesure des besoins du distributeur, Avery Dennison " ; que cette pré-commande ne valait donc pas accord sur une chose déterminée et devait se décliner par l'envoi ultérieur de commandes précisant les prestations à réaliser ; que tel a été l'objet de la commande n° 13011 émise par Avery Dennison le 4 septembre 2012 pour un montant de 400 000 euros HT, soit 478 000 euros TTC (pièce Avery Dennison n°14) ; qu'il ne peut donc être soutenu que la pré-commande du 31 août 2012 valait accord sur la chose et sur le prix ;

Considérant que, si la commande du 4 septembre 2012 était soumise à trois conditions (fourniture d'une garantie bancaire à hauteur de 478 000 euros, engagement du propriétaire des codes source du logiciel à fournir les licences en toutes circonstances, fourniture de la preuve de la résolution de l'assemblée générale extaordinaire et copie des minutes démontrant le mandat officiel donné à Monsieur Revilliod pour obtenir d'Avery Dennison le paiement de 400 000 euros de licences et services pré-achetés avant le 31 août 2012), Monsieur Revilliod ne rapporte la preuve ni qu'il ait contesté ces conditions - son courriel du 5 septembre 2012 à Monsieur Alter (pièce Avery Dennison n° 17) n'en faisant nullement état - ni que ces conditions étaient " extravagantes ", voire contraires aux stipulations du contrat du 30 mars 2011 ; qu'il n'est pas contesté par Monsieur Revilliod que ces conditions n'ont pas été remplies ; que, par suite, Avery Dennison était autorisée à procéder, le 6 septembre 2012, à l'annulation de cette commande (pièce Avery Dennison n° 28) ; que Monsieur Revilliod ne saurait, dans ces conditions, en réclamer le paiement à hauteur de 400 000 euros HT ; qu'il sera débouté de sa demande de ce chef ;

Sur les autres demandes de condamnation

Considérant, sur les demandes de condamnation d'Avery Dennison au paiement des sommes de 5 100 euros pour violation, par Avery Dennison, de son obligation contractuelle au titre de la formation, par Monsieur Revilliod, du personnel d'Avery Dennison, de 10 000 euros au titre des obligations de promotion et de 100 000 euros au titre du préjudice subi, que Monsieur Revilliod :

- ne conteste pas que la formation invoquée n'a pas été réalisée, alors qu'il est établi que, saisi le 20 décembre 2012, Monsieur Revilliod a refusé de fournir cette formation ;

- n'oppose aucun élément à ceux produits par Avery Dennison établissant les moyens qu'elle a mis en œuvre pour promouvoir la solution logicielle de Monsieur Revilliod et d'Optimum Consulting ;

- n'apporte aucune précision sur le préjudice correspondant à sa demande de 100 000 euros de dommages et intérêts, demande dont il ne démontre pas qu'elle soit distincte de sa demande d'indemnité au titre des obligations de résultat du contrat de distribution ;

Que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté Monsieur Revilliod de ses demandes de ces chefs ;

Sur les demandes de la société Optimum Consulting

Considérant que l'article 325 du Code de procédure civile dispose que " l'intervention volontaire n'est recevable que si elle se rattache aux prétentions des parties par un lien suffisant " ;

Considérant que, si Monsieur Revilliod et Optimum Consulting invoquent une convention en date du 5 juin 2011 aux termes de laquelle Monsieur Revilliod aurait confié à la société Optimum Consulting la gestion commerciale, technique et financière du contrat conclu entre Monsieur Revilliod et Avery Dennison, la réalité de cette convention n'est nullement établie, Avery Dennison en contestant l'existence et Monsieur Revilliod ne la versant pas aux débats ; qu'il n'est, dans ces conditions, pas démontré que la société Optimum Consulting dispose d'un intérêt à intervenir volontairement à la procédure au soutien de l'action de Monsieur Revilliod ; qu'il convient en conséquence de dire la société Optimum Consulting irrecevable en son intervention volontaire ;

Sur les demandes reconventionnelles de la société Avery Dennison

Considérant que la société Avery Dennison fonde en premier lieu sa demande sur les fautes de Monsieur Revilliod ;

Mais considérant qu'Avery Dennison ne rapporte la preuve d'aucune des fautes alléguées :

- ni sur le chantage ou les manœuvres qui auraient été exercés le 22 août 2012 par la menace de résilier le contrat de distribution si une commande de 400 000 euros ne lui était pas passée avant le 31 août 2012, Avery Dennison ne démontrant pas que la simple information donnée par Monsieur Revilliod dans sa lettre en date du 22 août 2012 (pièce Avery Dennison n° 5) sur les suites susceptibles d'être données à l'absence de solution au litige en cours présentait le caractère d'un chantage ou de manœuvres dolosives ;

- ni au titre des propos tenus par Monsieur Revilliod lors de la réunion du 31 août 2012 (pièces Avery Dennison n° 7 et 9) ou dans sa lettre à Avery Dennison du 5 septembre 2012 à la direction américaine d'Avery Dennison (pièce Avery Dennison n° 29) n'excédant pas ceux qui s'inscrivent dans le cadre de négociations commerciales difficiles ;

Qu'Avery Dennison sera en conséquence déboutée de sa demande de ce chef ;

Considérant qu'Avery Dennison invoque en second lieu la rupture brutale du contrat du 30 mars 2011 par Monsieur Revilliod, rupture qui l'a sciemment privée de gains sur le projet " Veuve Clicquot " et sur d'autres projets qui auraient dû aboutir en 2013 ;

Considérant que la rupture du contrat de distribution est intervenue le 8 janvier 2013 ; qu'aucun élément n'établit une notification de la rupture antérieure à cette date, la mise en demeure du 11 septembre 2012 invoquée par Monsieur Revilliod ne pouvant valoir décision de résiliation du contrat ; que cette rupture n'a été assortie d'aucun préavis ;

Mais considérant que, le préjudice réparable en application de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce étant seulement celui causé par la brutalité de la rupture, et non par le rupture elle-même, Avery Dennison ne rapporte la preuve du préjudice qu'elle allègue :

- ni au titre de l'annulation de la commande " Veuve Clicquot ", annulation notifiée à Avery Dennison le 27 décembre 2012 (pièce Avery Dennison n° 39), soit antérieurement à la rupture du contrat ;

- ni à celui des projets présentés comme étant en cours en janvier 2013 (Bakkersland, Sonneveld, Savic, Koppert, Mytilimer, Cafés Malongo, Sud'n Sol, Caussade Semences, GVG, Provimi, Lactalis, Bongrain, André Laurent, Lindt) dont Avery Dennison ne démontre pas qu'ils étaient suffisamment avancés pour être concrétisés durant la durée d'un préavis de rupture ;

Qu'Avery Dennison sera en conséquence déboutée de sa demande de ce chef ;

Considérant que l'équité ne commande pas de faire en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs, la cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, dit la société Optimum Consulting irrecevable en son intervention volontaire, confirme le jugement entrepris en ce qu'il a dit Monsieur Régis Revilliod recevable en ses demandes, l'infirme pour le surplus, statuant à nouveau, déboute les parties de l'intégralité de leurs demandes, dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile, laisse à chaque partie la charge de ses dépens.