CA Paris, Pôle 2 ch. 7, 29 mars 2017, n° 15-01699
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
GDP Vendôme (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Portier
Conseillers :
M. Dillange, Mme Chateau
Jean-François G. est le gérant d'une société GDP Vendôme (ci-après GDP), qui s'est associée à une société APIS pour créer la SCI La résidence dun Port, destinée à vendre en l'état d'achèvement des logements dans une résidence médicalisée. Les investisseurs étaient supposés bénéficier d'avantages fiscaux, et ce placement, censé s'autofinancer par les revenus locatifs, était présenté comme un produit d'épargne retraite. Il doit être précisé que GDP était en charge de la commercialisation du projet, mais n'en était pas le promoteur.
Courant 1998, 76 investisseurs adhéraient à ce projet qui n'a pas vu le jour à la date initialement prévue. Ces personnes ont considéré avoir été trompées par Jean-François G. et sa société qui les ont invitées à cesser leurs payements en raison de graves non-conformités supposées de l'opération, après que ces payements ont été effectués, puis, ont fait procéder à une saisie-arrêt sur les comptes de la SCI, empêchant l'achèvement des travaux avant 2010, pour aboutir à un produit inférieur au projet initial, réduisant d'autant le revenu espéré par les investisseurs.
En réaction, s'est créée en mars 2012 une Association des victimes de Jean-François G. et de GDP Vendôme (ci-après l'Association), dont l'objet est la défense des investisseurs et la mise en garde de nouveaux clients.
Cette association échouait dans des actions pénales dirigées tant contre la SCI que contre GDP, en raison de la prescription acquise des infractions visées.
En conséquence de ces actions Jean-François G. et GDP ont également poursuivi l'Association : ils ont tout d'abord été déboutés par le juge des référés de Paris, le 11 juillet 2014, d'une demande tendant à la modification de la dénomination de l'association précitée.
A la suite de quoi, ils ont demandé, par assignation à jour fixe du 18 août 2014, sur le fondement notamment des articles 9, 16, et 1382 ancien du code civil, qu'il soit dit que l'utilisation par l'association du patronyme de Jean-François G. était une atteinte aux droits de la personnalité, que l'utilisation par la même association de la marque GDP Vendôme était à la fois un dénigrement et une atteinte à son image, que l'association de ces deux noms au terme " victimes " établissait une volonté de nuire. Les demandeurs ont ainsi sollicité la modification sous astreinte de la dénomination de la défenderesse, ainsi que diverses réparations pécuniaires.
Par jugement contradictoire du 14 janvier 2015, la 17eme chambre du tribunal de grande instance de Paris a débouté les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes, les a condamnés à payer à la défenderesse une somme de 3000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'au entiers dépens. L'Association a été déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Pour se déterminer ainsi, le tribunal a estimé en premier lieu que l'usage par la défenderesse du patronyme de Jean-François G. n'entraînait pas pour lui le risque d'une confusion dans un cadre commercial ou publicitaire et ne procédait pas d'une intention malveillante. En deuxième lieu une motivation similaire a fondé le débouté de GDP.
Jean-François G. et GDP ont relevé appel de cette décision le 26 janvier 2015.
Ils ont sollicité son infirmation et ont repris l'ensemble de leurs demandes de première instance, sauf en ce qu'ils demandent désormais la condamnation de l'intimée à leur payer une somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'intimée a demandé confirmation du même jugement, ainsi que la condamnation des appelants à lui payer les sommes de 25 000 euro à titre de dommages et intérêts et de 10000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
SUR CE,
Jean-François G. et GDP ont fait valoir que la création de l'Association n'avait pour objet que de faire pression sur lui et son entreprise, en ternissant leur image pour obtenir des indemnisations qui leur paraissent indues. Ils rappellent qu'une ordonnance de référé du 7 août 2012, confirmée par un arrêt de la chambre 1-2 de la cour d'appel de Paris a ordonné la suppression de propos diffamatoires à leur égard sur le site de l'Association.
Ils considèrent que le Tribunal n'a pas tiré les conséquences exactes de l'ordonnance de référé du 11 juillet 2014 décision, en indiquant que l'usage du nom de l'appelant et de sa société n'était pas intervenue " dans le cadre de la vie des affaires ".
L'Association a longuement relaté les relations de ses membres avec les intimés depuis 1998, ainsi que les conflits qui les ont opposés. Notamment, ils rappellent qu'en parallèle avec la présente instance Jean-François G. et la société GDP ont été déboutés par la 17eme chambre du Tribunal correctionnel, d'une action pénale en diffamation dirigée contre Jean R., son ancien président, aujourd'hui décédé, au bénéfice de l'excuse de bonne foi. Elle estime que la motivation de cette décision légitime ses différentes actions contre les appelants
Elle maintient encore que l'usage par elle du patronyme de l'appelant et de la dénomination de son entreprise ne sauraient être à l'origine d'un confusion dans l'esprit du public, notamment en regard de la modeste notoriété de ces deux parties.
Elle exclut comme le premier juge, qui fut également juge pénal, que la malveillance soit à l'origine de la dénomination de l'Association. De même, l'usage de la marque GDP Vendôme, ne saurait, selon elle, être contrefaisant, à défaut de parasitisme. Par ailleurs elle rappelle différentes jurisprudences, qui ont admis, que, dans un cadre polémique, des raisons sociales soient citées ou détournées pour critiquer leur politique sociale, économique ou écologique.
Elle estime également que, d'une part la dénomination de l'Association correspond à son objet social, et non à l'activité économique des intimés, et d'autre part, que les actions répétitives de ceux-ci n'auraient pour objet que " d'assécher " les ressources d'une association dédiée à la défense de gens modestes vis à vis de personnes physique et morale dont elle estime être la victime. Ils se réfèrent encore à l'ordonnance de référé précitée du 11 juillet 2014 qui a débouté les appelants d'une demande similaire, soit la modification de la dénomination de l'Association, aux motifs qu'à cette demande se heurtait à une contestation sérieuse sur une question qui ne constituait pas un péril imminent.
La cour relèvera, en premier lieu, que les décisions judiciaires antérieures, outre le jugement dont elle est saisie, ne la lient nullement. Ainsi l'ordonnance de référé précitée du 7 août 2012, et l'arrêt qui l'a confirmée, ainsi que celle du 11 juillet 2014, qui n'ont pas tranché le fond de la présente instance : la première intéressant des propos mis en ligne, la seconde n'ayant tranché que du mal fondé de la procédure de référé.
Elle observera en deuxième lieu que les articles 9 et 16 du Code civil sont inapplicables à la cause, la vie privée des appelants n'étant à aucun titre intéressée par la dénomination de l'association, l'atteinte à leur dignité n'étant même pas argumentée.
De fait l'essentiel de leurs écritures porte sur une volonté de nuire de l'Association qui relèverait de l'article 1382 ancien du Code civil, alléguant que son action n'aurait pour objet que de battre monnaie à leur détriment, en dépit de ce que ses membres ont été déboutés de différentes actions pénales et civiles engagées contre elles.
Il est encore exact que le nom de l'Association est sans relation avec un parasitisme qui pourrait relever d'une concurrence déloyale.
En revanche, le fait que soit mis en avant, dans la dénomination de l'association, le prénom et le patronyme de Jean-François G., et non seulement la raison sociale de son entreprise, marque une volonté de le mettre personnellement en cause. L'association du mot " victimes ", à ce patronyme et à cette raison sociale relève d'une volonté de stigmatisation de ces personnes physique et morale nécessairement malveillante, en ce qu'elle suppose que les déboires financiers des membres de l'Association sont la conséquence d'une volonté délibérée de celles-ci, supposant a minima de leur part une malhonnêteté au sens moral du terme, sinon la commission d'infractions pénales.
Les décisions de référé antérieurement rendues, sont encore de nature à ne pas justifier le maintien d'une telle appellation. Le jugement déféré sera en conséquence infirmé.
Sur la réparation du préjudice, la cour observera que les appelants, ne justifient pas d'un préjudice commercial en relation avec l'action de l'Association : les pièces relatives au coût de son activité de communication n'apparaissant pas comme un " contre-feu ", mais comme nécessaire à leur activité. Par ailleurs, la cour n'a été rendue destinataire d'aucune pièce relative à l'activité de l 'Association intimée.
Aussi l'intimée sera-t-elle seulement condamnée à payer aux appelants, pris ensemble, une somme de 1000 euro au titre de leur préjudice moral.
Par ailleurs, il sera ordonné à l'Association des victimes de Jean-François G. et de GDP Vendôme de modifier sa dénomination tant en ce qui concerne la référence à l'identité de la personne physique que de la personne morale, sous astreinte de 100 euro par jour de retard, après le délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt.
Les appelants seront déboutés de leurs autres demandes de réparation.
L'intimée sera condamnée à payer aux appelants une somme de 3000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle sera encore condamnée aux entiers dépens.
Par ces motifs, LA COUR statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition au greffe, Infirme le jugement du 14 janvier 2015, Constate le caractère dénigrant de la dénomination de l'Association des victimes de Jean-François G. et de GDP Vendôme, Dit que cette association devra modifier sa dénomination, sans référence au patronyme de Jean-François G., ni à la raison sociale de la GDP Vendôme, ce sous astreinte de 100 euro par jour de retard, à compter du délai d'un mois après signification du présent arrêt, La Cour se réservant la liquidation de l'astreinte, Condamne l'Association des victimes de Jean-François G. et de GDP Vendôme à payer à Jean-François G. et à la société GDP Vendôme, pris ensemble, la somme de 1000 euro à titre de dommages et intérêts, au titre de leur préjudice moral, Condamne l'Association des victimes de Jean-François G. et de GDP Vendôme, à payer aux appelants pris ensemble la somme de 3000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute les parties de toutes demandes autres ou plus amples, Condamne l'Association des victimes de Jean-François G. et de GDP Vendôme aux entiers dépens.