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Décisions

CA Amiens, ch. économique, 28 mars 2017, n° 15-03790

AMIENS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Albert Travaux (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gilibert

Conseillers :

Mmes Pelissero, Paulmier-Cayol

Avocats :

Mes Guyot, Hombecq Delemotte, Dubos

T. com. Amiens, du 30 juin 2015

30 juin 2015

La société Albert Travaux, qui exerce une activité de travaux de maçonnerie générale et de gros œuvre de bâtiment, a conclu avec M. Thierry X un contrat d'agent commercial selon acte sous-seing privé du 30 octobre 1995. A ce titre, M. Thierry X était chargé de prospecter la clientèle agricole ou industrielle en vue de la construction de bâtiments dans le département de la Somme, de l'Oise et de l'Aisne, selon le tracé de la carte jointe au contrat. Il bénéficiait en outre de l'exclusivité de la représentation de la société Albert Travaux pour la vente de bâtiments à usage de stockage de pommes de terre sur les différents territoires définis. A titre de rémunération, M. Thierry X recevait sur les ventes une commission dont le pourcentage variait en fonction du type de matériaux vendu. Le contrat prévoyait enfin un préavis de trois mois au-delà de la deuxième année de son exécution, et stipulait que M. Thierry X ne percevrait aucune indemnité de rupture.

En avril 2006, M. Thierry X a constaté que des commissions ne lui avaient pas été versées. Après l'envoi à la société Albert Travaux d'une lettre de mise en demeure par l'intermédiaire de son conseil en vue d'obtenir le paiement des dites commissions, demeurée infructueuse, M. Thierry X a diligenté une procédure contentieuse qui s'est achevée par un arrêt de la cour d'appel de céans en date du 13 novembre 2014 qui a confirmé le jugement rendu par le Tribunal de commerce d'Amiens ayant condamné cette société à payer à son agent commercial la somme de 11 786 euros à ce titre.

Suite à cette procédure, M. Thierry X a assigné la société Albert Travaux devant le Tribunal de commerce d'Amiens par acte d'huissier du 3 mars 2015 aux fins de voir prononcer la résiliation du contrat d'agent commercial aux torts exclusifs de la société Albert Travaux. Il demandait alors le paiement de l'indemnité de préavis (7 899,77 euros) ainsi que le paiement de l'indemnité compensatrice (52 665,12 euros). Par jugement du 30 juin 2015, le tribunal de commerce a fait droit à ses demandes et a assorti la décision de l'exécution provisoire à hauteur du tiers des condamnations prononcées. Le tribunal a, en outre, condamné la société Albert Travaux, à lui payer une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à hauteur de 1 500 euros.

La société Albert Travaux a interjeté appel de ce jugement par déclaration d'appel transmise par voie électronique le 22 juillet 2015.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 6 juin 2016, la société Albert Travaux, demande à cour, de :

- débouter M. Thierry X de toutes ses demandes, fin, moyens, et conclusions,

- infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions,

A titre principal

- dire et juger que la cessation du contrat est intervenue en avril 2006 à l'initiative de M. Thierry X,

- dire et juger M. Thierry X déchu de sa demande indemnitaire au sens de l'article L. 134-12 alinéa 2 du Code de commerce,

- en conséquence, débouter M. Thierry X de ses demandes.

A titre subsidiaire

- dire et juger que la cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent au sens de l'article L. 134-13 2°,

- en conséquence, dire et juger que la réparation prévue à l'article L. 134-12 du Code de commerce n'est pas due,

- dire et juger que M. Thierry X a commis plusieurs fautes graves professionnelles dans l'exécution du contrat au sens de l'article L. 134-13, 1°,

- en conséquence, débouter ainsi M. Thierry X de ses demandes,

- ordonner sous astreinte de 50 euros par jour de retard la restitution des fonds versés soit 19 749,42 euros au titre de la consignation réalisée et 2 640,42 euros au titre de la saisie abusive et ce à compter de la signification de la décision à intervenir.

A titre infiniment subsidiaire

- constater que l'indemnité doit être fixée en fonction des données concrètes de chaque espèce,

- dire et juger que l'agent commercial a eu un comportement fautif qui a provoqué la rupture du contrat,

- dire et juger que l'agent commercial a retrouvé sans difficulté une activité similaire,

- en conséquence, débouter de plus fort M. Thierry X de sa demande d'indemnité compensatrice.

En tout état de cause

- Constater que M. Thierry X n'a pas versé et communiqué les documents suivants demandés :

- les bilans et comptes de résultat détaillés ainsi que tout document comptable des exercices de 2006 à 2008 afin de rechercher les prestations effectuées par M. Thierry X avec des entreprises concurrentes de la société Albert Travaux, de quantifier le montant des commissions encaissées à ce titre ;

- l'existence de commandes et de contrats établis au profit de ces entreprises ;

- en conséquence, débouter M. Thierry X de ses demandes ;

A titre encore plus subsidiaire, sur le quantum de l'indemnité compensatrice,

- fixer l'indemnité de préavis à la somme de 3 351,93 euros TTC ;

- fixer l'indemnité compensatrice à la somme de 22 420,80 euros

- constater la consignation de la somme de 19 749,42 euros au titre de la saisie abusive pratiquée ;

- ordonner la compensation desdites sommes ;

En tout état de cause et au final

- condamner M. Thierry X à lui verser la somme de 2 500 euros à titre de dommages et intérêts de celle de 2 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- le condamner enfin en tous les dépens de la présente instance, dont distraction est requise au profit de Maître G. avocat aux offres de droit.

Par ordonnance du 6 juin 2016, la clôture de l'instruction a été prononcée et l'affaire renvoyée pour être plaidée à l'audience du 21 juin 2016.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 7 juin 2016 soit après l'ordonnance de clôture, M. Thierry X, demande à la cour, de :

- Vu la signification de conclusions par l'appelant le 6 juin 2016, ordonner le rabat de l'ordonnance de clôture rendue par le conseiller de la mise en état,

- recevoir la société Albert Travaux en son appel et la déclarer mal fondée,

- prononcer la résiliation du contrat d'agent commercial conclu entre lui et la société Albert Travaux aux torts exclusifs de celle-ci pour manquement à l'obligation d'information et à défaut de paiement de commissions,

- condamner la société Albert Travaux à lui régler :

- au titre de l'indemnité de préavis : une somme de 7 899,77 euros TTC,

- au titre de l'indemnité compensatrice : une somme de 52 665,12 euros, avec intérêts de droit à dater de l'assignation avec le bénéfice de l'article 1154 du Code civil.

- condamner la société Albert Travaux à lui régler une somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Par un arrêt de cette cour du 18 octobre 2016, en raison d'un changement dans la composition de la chambre devant laquelle l'affaire a été plaidée l'ayant empêché de délibérer, la réouverture des débats a été ordonné à l'audience de plaidoiries du 1er décembre 2016.

Par ailleurs, le premier président saisi en matière de référé par la société Albert Travaux d'une demande de suspension de l'exécution provisoire, par ordonnance du 19 novembre 2015 l'a déboutée de sa demande et ordonné la consignation de la somme de 19 749,42 euros à la Caisse des dépôts et consignation.

Ceci étant exposé, LA COUR,

Les moyens de l'appelante

A titre préalable, la société Albert Travaux expose dans le corps de ses dernières conclusions que M. Thierry X n'ayant pas conclu dans le délai qui lui est imparti par l'article 909 du Code de procédure civile, il ne pourra déposer ni conclusions, ni pièces à l'audience de plaidoiries.

La société Albert Travaux soulève l'irrecevabilité de la demande en paiement d'une indemnité de rupture réclamée par M. Thierry X aux motifs qu'il a lui-même pris l'initiative de la rupture et entend s'appuyer sur les termes de la lettre recommandée avec accusé de réception adressée par son conseil le 24 octobre 2007 et dont les termes, selon elle, sont clairs et dénués d'équivoque : " je vous remercie dans ces conditions de bien vouloir me faire parvenir la liste quantifiée des travaux pour l'exercice 2000 à 2006, sachant que mon client a cessé toutes prestations pour vous en avril 2006, de fait puisqu'une fois encore le contrat n'a jamais été dénoncé ". Elle rappelle qu'il s'agissait d'un contrat à durée indéterminée pouvant être dénoncé par l'une ou l'autre des parties à tout moment, en vertu de la prohibition des engagements perpétuels et qu'en l'espèce l'article 6 du contrat prévoyait la faculté pour chacune des parties de le résilier à tout moment sous réserve de respecter un préavis (un mois la première année, deux mois la deuxième année, trois mois pour la suite). En outre, l'impératif exigé par la jurisprudence selon lequel la décision de résilier doit être exprimée clairement et sans équivoque a été respecté.

Le second moyen d'irrecevabilité soutenu par l'appelante est tiré de la déchéance de M. Thierry X à demander le paiement de l'indemnité compensatrice, prévue par l'alinéa de l'article L. 134-12 du Code de commerce et selon lequel l'agent commercial perd le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat qu'il entend faire valoir ses droits. Elle s'appuie sur une jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle la cessation du contrat s'entend par la cessation des relations contractuelles, c'est à dire la date où le contrat a cessé d'être exécuté et soutient qu'en l'occurrence, les relations contractuelles ont cessé au mois d'avril 2006 comme il résulte des termes du courrier ci-dessus rappelés ou au plus tard à la date de ce courrier (24 octobre 2007). Or, la première demande en paiement de l'indemnité prévue à l'article L. 134-12 de M. Thierry X figure dans ses écritures devant la cour d'appel de céans dans le cadre de l'instance ayant abouti à l'arrêt du 13 novembre 2014 ; cette demande qui fut déclarée par cet arrêt irrecevable comme étant nouvelle, a été formée bien après l'expiration du délai prévu à cet article et est par conséquent tardive.

Elle reproche aux premiers juges d'avoir retenu que le contrat avait été suspendu alors que seul un cas de force majeure pourrait autoriser une suspension, ce que ne constitue manifestement pas la volonté unilatérale exprimée par M. Thierry X de ne plus exécuter le contrat. Elle soutient que la cessation des relations contractuelles résulte également du désintérêt de M. Thierry X pour son mandat d'agent commercial, ayant commencé à travailler avec un de ses concurrents.

Pour s'opposer sur le fond à cette demande, elle invoque également les dispositions de l'article 7 du contrat selon lesquelles les parties ont prévu qu'en cas de rupture ou de résiliation du contrat par l'une ou l'autre des parties, M. Thierry X ne percevra aucune indemnité.

A titre subsidiaire, pour s'opposer aux demandes en paiement de M. Thierry X, la société Albert Travaux fait valoir que l'indemnité compensatrice prévue à l'article L. 134-12 n'est pas due en application de l'article L. 134-13 si la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial. Elle soutient qu'en l'espèce, M. Thierry X a pris l'initiative de cesser unilatéralement et brutalement d'exécuter son contrat d'agent commercial, que cette cessation ne lui est pas imputable quelque soit les difficultés d'interprétation du contrat d'agent commercial ayant nécessité une instance qui s'est achevée par l'arrêt du 13 novembre 2014, mais a été provoquée par la faute grave de M. Thierry X, qui a été tenté de détourner la clientèle de la société Albert Travaux au bénéfice d'une société concurrente et produit à l'appui une attestation émanant d'un Monsieur R.

A titre encore plus subsidiaire, la société Albert Travaux conteste le quantum de l'indemnité compensatrice allouée par les premiers juges à hauteur de deux années de commissions qu'elle estime sans lien avec la réalité du préjudice subi par M. Thierry X qui ne justifie pas de ses activités depuis 2006 notamment auprès des établissements F. et de ses activités de vente par l'intermédiaire d'entreprises concurrentes de produits d'isolation et d'accessoires aux bâtiments, faisant en outre valoir que cette indemnité doit être minorée en cas de fautes de l'agent, lesquelles sont constituées par sa décision unilatérale et brutale de cesser d'exécuter son contrat ; l'arrêt de l'envoi de ses rapports d'activité l'a privée d'une source régulière d'informations ce qui a entrainé une diminution de son chiffre d'affaires.

Elle invoque également des erreurs de calcul de la part de M. Thierry X pour chiffrer le montant des commissions qu'il a perçues au titre des trois dernières années et sur la base de laquelle, il a fixé ses demandes en paiement de sorte que même si était retenue une fixation de l'indemnité compensatrice à concurrence de deux années de commission, la moyenne mensuelle des commissions s'établissant à hauteur de 934,20 euros, il en résulterait une indemnité à hauteur de la somme de 22 420 euros.

Pour s'opposer à la demande d'indemnité de préavis, elle fait valoir que le délai de préavis a été largement respecté entre le mois d'avril 2006 et la lettre du 24 octobre 2007 et qu'en conséquence, aucune indemnité ne saurait être due.

Les moyens de l'intimé

Au soutien de sa demande en paiement, M. Thierry X dément formellement que la lettre adressée par son avocat dont l'objet était uniquement d'obtenir de la société Albert Travaux des documents en vue d'un rappel de commissions en vertu du droit qui est reconnu à l'agent commercial d'accéder aux éléments comptables du mandat par l'article R. 134-3 du Code de commerce, puisse valoir rupture du contrat d'agent commercial et fait valoir avoir seulement fait jouer le principe d'exception d'inexécution, cessant de prospecter pour le compte de la société Albert Travaux la clientèle, celle-ci ne lui ayant pas réglé les commissions dues comme il résulte de l'arrêt de la Cour d'appel d'Amiens du 13 novembre 2014.

Il demande donc le prononcé de la résiliation du contrat d'agent commercial aux torts et griefs de la société Albert Travaux en application de l'article 1184 du Code civil en raison du non-paiement par cette dernière des commissions qui constitue un manquement grave à ses obligations sanctionné par la jurisprudence par la résolution du contrat d'agent commercial.

Il soutient en conséquence n'encourir aucune déchéance en vertu de l'article L. 134-12 du Code de commerce, la résiliation du contrat intervenant au jour du jugement qui prononce la résiliation du contrat d'agent commercial.

Il fait valoir que l'article 7 du contrat d'agent commercial contraire au caractère d'ordre public de l'article L. 134-16 du Code de commerce ne saurait le priver de son droit au paiement de l'indemnité compensatrice.

Il se défend d'avoir commis une faute grave de nature à le priver de son droit à l'indemnité compensatrice, l'arrêt du 13 novembre 2014 auquel s'attache l'autorité de la chose jugée ayant définitivement jugé que la société Albert Travaux ne démontrait pas le caractère concurrentiel de l'activité de revente de matériel d'isolation à des entreprises concurrentes. De plus, la faute grave invoquée par la société Albert Travaux n'ayant pas provoqué la rupture, elle ne peut être privative du droit au paiement de cette indemnité en application de l'article L. 134-13 du Code de commerce.

Sur le quantum des indemnités lui revenant, il fait valoir qu'elles doivent être calculées en application des usages validés par une jurisprudence constante sur le montant total des commissions perçues sur les trois dernières années d'exécution normale du contrat d'agent commercial, ce qui exclut l'année 2006. Compte tenu des sommes déjà perçues (67 210,52 euros) auxquelles s'ajoute le montant du rappel au titre de la condamnation judiciaire (11 786,88 euros), ce montant s'élève à hauteur de 78 997,40 euros, soit une moyenne mensuelle à hauteur de 2 194,38 euros H.T.

Le montant de son préavis étant d'une durée de trois mois en application de l'article L. 134-11 du Code de commerce, l'indemnité y afférente s'élève à hauteur de 7 899,77 euros {(2 194,38 x 3 + 1 316,63 euros (TVA)}

S'agissant de l'indemnité compensatrice, il soutient qu'en application des usages validés par la jurisprudence, elle doit correspondre à deux années de commissions, soit à hauteur de la somme de 52 665,12 euros (2 194,38 x 24).

Sur ce,

L'action en justice opposant les parties ayant été introduite avant le 1er octobre 2016, date d'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-31 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, celle-ci n'est pas applicable au présent litige ; il sera donc fait référence aux articles du Code civil selon leur numérotation antérieure à cette entrée en vigueur.

Sur la recevabilité des conclusions de l'intimé et sur la demande de rabat de l'ordonnance de clôture

La cour d'appel en raison du dessaisissement du conseiller de la mise en état par l'effet de l'ouverture des débats, est compétente pour déclarer les conclusions irrecevables en application des articles 909 et 910 du Code de procédure civile.

L'article 909 du Code de procédure civil prescrit à l'intimé de conclure dans d'un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant et de former le cas échéant, appel incident à peine d'irrecevabilité relevée d'office.

En l'espèce, l'appelante ayant transmis par voie électronique ses conclusions au fond le 22 octobre 2015, M. Thierry X disposait jusqu'au 22 décembre 2015 pour conclure. Il résulte de la consultation du dossier électronique tenu par le greffe de la cour qu'il n'a pas conclu dans le délai ainsi imparti.

Les parties ayant été invitées par le greffe à faire parvenir leurs observations écrites sur l'irrecevabilité à conclure susceptible d'être encourue par M. Thierry X au visa de l'article 909 du Code de procédure civile, le principe du contradictoire a été respecté.

En conséquence, l'intimé est déclaré irrecevable à conclure sur le fondement de l'article 909 précité, irrecevabilité qui affecte ses conclusions transmises par voie électronique le 7 juin 2016 postérieurement de surcroît au prononcé de l'ordonnance de clôture.

Sur le fond

Il résulte de l'article 472 du Code de procédure civile que si en appel, l'intimé ne conclut pas, il est néanmoins statué sur le fond et le juge ne fait droit aux prétentions et moyens de l'appelant que dans la mesure où il les estime, réguliers, recevables et bien fondés.

En l'occurrence, l'irrecevabilité de l'intimé à conclure résultant de l'application de l'article 909 du Code de procédure civile équivaut à un défaut de conclusions de sa part.

Sur l'indemnité compensatrice

L'article L. 134-12 du Code de commerce dispose qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi. La même disposition prévoit toutefois que ce dernier perd le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits.

Il est admis par une jurisprudence constante et non démentie que le point de départ de ce délai de déchéance s'entend de la cessation effective de l'exécution des relations contractuelles, sans qu'il n'y ait lieu de rechercher son imputation à l'une ou l'autre des parties.

En l'espèce, il ressort du courrier envoyé le 24 octobre 2007 par le conseil de M. Thierry X, versé au dossier, que ce dernier a cessé définitivement toutes prestations pour le compte de la société Albert Travaux en avril 2006, s'étant prévalu du principe de l'exception d'inexécution du fait de la dissimulation par cette dernière de commissions lui étant dues. Il ressort ainsi que la cessation effective des relations contractuelles remonte au mois d'avril 2006.

M. Thierry X n'ayant pas notifié à son mandant sa volonté que lui soit versée l'indemnité compensatrice, dans le délai d'un an imparti par l'article L. 134-12 du Code de commerce et ayant couru à compter du mois d'avril 2006, il se trouve déchu de ce droit et sera déclaré irrecevable en sa demande.

Sur la résiliation du contrat et l'indemnité compensatrice

S'agissant de la demande de résiliation et relative à l'indemnité de préavis, d'une part, l'article 7 du contrat en cause selon lequel l'agent commercial ne percevra aucune indemnité à quelque titre que ce soit en cas de rupture du contrat, doit être réputé non écrit en application de l'article L. 134-16 du Code de commerce. D'autre part, il n'est pas démontré que M. Thierry X ait commis une faute grave qui le priverait du droit à percevoir l'indemnité de préavis en application de l'article L. 134-11 du Code de commerce. La Cour d'appel d'Amiens, dans son arrêt en date du 13 novembre 2014, a en effet écarté la thèse d'une activité concurrente exercée par M. Thierry X Cette même cour a d'ailleurs constaté la carence de la société Albert Travaux dans le versement des commissions et l'a condamnée à verser lesdites sommes à l'agent commercial. Enfin, le courrier en date du 24 octobre 2007 ne saurait valoir rupture du contrat en cause, M. Thierry X s'y bornant à réclamer des documents comptables en vue d'un rappel de commissions et à constater la cessation de l'exécution de ses obligations contractuelles en vertu du principe de l'exception d'inexécution.

Les obligations contractuelles ayant cessé d'être exécutées depuis avril 2006, la reprise des relations contractuelles qui n'est voulue par aucune des parties est manifestement impossible. Le jugement en qu'il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat d'agent commercial, est en conséquence confirmé.

S'agissant du montant de l'indemnité de préavis, elle est égale en vertu de l'article L. 134-11 du Code de commerce à trois mois de commissions dès la troisième année du contrat d'agent commercial commencée et les années suivantes. En l'absence de critique pertinente quant au montant moyen des commissions retenu par le tribunal à partir des calculs faits par M. Thierry X et dont il n'est pas soutenu qu'ils reposent sur des bases inexactes, pour fixer le montant de l'indemnité due à ce titre à hauteur de la somme de 6 583,14 euros, la cour confirmera le chef du jugement qui a condamné la société Albert Travaux à verser à M. Thierry X cette somme, laquelle, en outre, donnera lieu à intérêts au taux légal à compter du 3 mars 2015, date de l'assignation devant le tribunal de commerce. De plus, les intérêts dus pour une année entière produiront eux-mêmes des intérêts en application de l'article 1154 du Code civil dans sa rédaction applicable au litige.

Sur les dépens et les sommes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

Compte tenu de la solution apportée au litige, la cour décide qu'il n'y aura pas lieu à l'application en cause d'appel de l'article 700 du Code de procédure civile et que chaque partie conservera la charge de ses dépens. Les chefs du jugement ayant statué sur les dépens et l'indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile étant confirmés.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe, Déclare irrecevables les conclusions en appel de M. Thierry X ; Confirme le jugement rendu le 30 juin 2015 par le Tribunal de commerce d'Amiens sauf en ce qu'il a condamné la société Albert Travaux au paiement de la somme de 52 665,12 euros au titre de l'indemnité compensatrice. Statuant à nouveau du chef infirmé : Déclare M. Thierry X irrecevable en sa demande de paiement de l'indemnité compensatrice ; Y ajoutant, Dit que l'indemnité de préavis à hauteur de la somme de 6 583,14 euros produira intérêts au taux légal à compter du 3 mars 2015 ; Dit que les intérêts échus depuis plus d'une année entière porteront intérêts ; Dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ; Dit que chaque partie conserve la charge des dépens par elle engagés.