CA Orléans, ch. civ., 10 avril 2017, n° 15-02909
ORLÉANS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Fonroques
Défendeur :
Mennessiez
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Blanc
Conseillers :
Mmes Guyon-Nerot, Renault-Malignac
Avocats :
Selarl 2BMP, Mes Garnier, Mercy, Dousset
Rappel des faits, de la procédure et des prétentions:
M. Eddy Mennessiez et M. Lucien Fonroques, qui était agent commercial de la société Maisons Concept depuis le 2 mars 2011, ont conclu début 2012 un sous-contrat d'agent commercial pour la vente des produits maisons individuelles de la société Maisons Concept qui a été rompu le 27 mars 2013.
Par acte d'huissier de justice en date du 22 mars 2014, M. Mennessiez a fait assigner, devant le Tribunal de grande instance de Tours, M. Fonroques en paiement d'une indemnité de rupture du contrat d'agent commercial conclu entre eux, d'un montant de 20 000 euros.
Par jugement contradictoire en date du 16 avril 2015, le tribunal a accueilli cette demande, condamné en conséquence M. Fonroques à payer à M. Mennessiez la somme de 20 000 euros au titre de l'indemnité de rupture prévue par le contrat de " sous-agent " signé par les parties le 12 janvier 2012, avec intérêts au taux légal à compter du 4 janvier 2014 mais a rejeté toute autre demande et laissé les dépens à la charge du demandeur. M. Fonroques a relevé appel de ce jugement le 5 août 2015.
Les dernières écritures des parties, prises en compte par la cour au titre de l'article 954 du Code de procédure civile, ont été déposées:
- le 25 février 2016 par l'appelant,
- le 31 mars 2016 par l'intimé.
M. Fonroques poursuit l'infirmation du jugement et demande à la cour, statuant à nouveau, à titre principal, de débouter M. Mennessiez de l'ensemble de ses demandes et notamment de son appel incident, ainsi que de ses demandes d'anatocisme et d'indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, à titre subsidiaire, de réduire le montant de ses réclamations à une somme purement symbolique. Il sollicite en outre la condamnation de M. Mennessiez à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction pour ces derniers au profit de Maître Estelle Garnier.
Il fait valoir, pour s'opposer au versement de l'indemnité réclamée, que M. Mennessiez a commis des fautes graves durant l'exécution de son mandat et lui reproche, en particulier, d'avoir toujours fait preuve d'insolence et d'insubordination à son égard, traitant directement avec la société Maisons Concept sans son accord, ce qui aurait justifié un avertissement verbal, d'avoir utilisé son ordinateur professionnel dont il avait les codes, pour faire du démarchage ainsi que l'imprimante de l'agence pour imprimer ses curriculum vitae, procédant à des recherches de travail durant la relation contractuelle au lieu d'exercer son activité et enfin, d'avoir subtilisé à l'agence une souche de cheminée lors de son départ.
Subsidiairement, il conteste le montant de l'indemnité qui ne correspondrait pas aux commissions perçues. Il ajoute que ce montant doit être minoré, compte tenu de la mauvaise foi de l'intimé au moment de la signature du contrat qui n'est pas intervenue le 12 janvier 2012 mais le 7 mars 2012 mais également postérieurement, pendant la durée des relations contractuelles, au nom du principe d'équité.
M. Mennessiez conclut à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. Fonroques à lui payer la somme de 20 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 4 janvier 2014 mais à sa réformation pour le surplus. Il demande à la cour, statuant à nouveau, d'ordonner l'anatocisme des intérêts et de condamner M. Fonroques à lui payer la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.
Il souligne que si le contrat a été signé le 7 mars 2012, les relations contractuelles ont débuté dès le début du mois de janvier 2012. Il conteste les reproches formés à son encontre par M. Fonroques et fait valoir qu'il n'a jamais été question d'une faute grave de sa part au moment de la rupture contractuelle mais de la rupture par M. Fonroques du contrat qui le liait avec la société Maisons Concept. Il fait valoir que la substitution de motifs opérée par l'appelant ne permet pas de justifier la rupture opérée. Il réfute en outre l'ensemble des faits allégués par l'appelant qu'il estime soit non fondés soit dénués de tout caractère fautif et demande l'exécution de l'article 13 du contrat liant les parties.
La procédure a été clôturée le 27 octobre 2016.
Sur quoi, LA COUR:
Attendu qu'il résulte des éléments de la cause que si le contrat d'agent commercial n'a pu être signé entre les parties, avant le 7 mars 2012, puisque c'est la date à laquelle le conseil de M. Fonroques, rédacteur du contrat, l'a transmis à ce dernier qui n'avait obtenu l'autorisation de souscrire un " sous-contrat " d'agent commercial de son mandant, la société Maisons Concept que le 13 février 2012, il est manifeste que les relations commerciales entre M. Fonroques et M. Mennessiez ont débuté le 12 janvier 2012, ainsi que l'intimé en justifie par les pièces n° 14 à 21 qui attestent du travail accompli par ce dernier entre janvier et mars 2012, raison pour laquelle cette date a également été mentionnée sur le contrat; qu'il ne peut être tiré aucune conséquence de cette dualité de date sur la bonne ou mauvaise foi de M. Mennessiez puisque le contrat ne fait dépendre aucune de ses stipulations d'une durée minimale des relations contractuelles ;
Attendu qu'il est acquis que par lettre en date du 27 mars 2013, remise en mains propres, M. Fonroques a notifié à M. Mennessiez la fin de son engagement avec la société Maisons Concept ainsi que la résiliation corrélative du contrat d'agent commercial passé entre eux, à effet du 12 avril 2013, en ces termes: " Comme vous le savez et pour répondre à votre demande concernant la mise à disposition de notre mandant de plaquette publicitaire et grille tarifaire et autres obligations contractuelles sollicités dans votre courrier, celui-ci comme vous l'avez constaté le 11 mars 2013 au siège de la société et ainsi se refusant à nous les fournir donc dans ces conditions j'ai rompu le contrat qui prendra effet le 12 avril 2013. Le 11 mars tous les documents et accessoires qui nous avez été confiés ont été rendu au siège social 41 boulevard de Chinon 37300 Joue Les Tours. Egalement lors de cet entretien avec M. Leclerc, gérant, il m'a été proposé un avenant (n° 2) concernant une possibilité de remise commerciale sur le tarif en vigueur et en date avec un tableau de commission que je vous demande également de valider pour être conforme à nos obligations contractuelles. Je vous informe que notre contrat sera automatiquement annulé et par ce fait vous serez libre de pouvoir exercer votre activité dans le même secteur car je vous libère de toutes clauses de non-concurrence sauf celle de pouvoir vous lier avec la société Maisons Concept. Je vous informe également que, si je suis contractuel avec un autre mandant je vous proposerai le poste qui vous étiez confié antérieurement et en fonction des conditions connues dans le temps; "
Attendu qu'en vertu des articles L. 134-12 et L. 134-13 du Code de commerce, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice du préjudice résultant de la cessation de ses relations avec son mandant, hormis si celle-ci est provoquée par sa faute grave ou résulte de son initiative, à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou sa maladie ;
Que ces dispositions sont reprises par l'article 13 du contrat signé entre les parties qui prévoit que " l'agent commercial percevra une indemnité de rupture correspondant à deux années de commissions hors taxes, et ce, quelle que soit la cause de la cessation des relations contractuelles ", que " toutefois, cette indemnité ne sera pas due à l'agent commercial si la cessation des relations contractuelles résulte : - d'une faute grave de l'agent commercial ";
Attendu que la faute grave a été définie comme étant celle qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel et il incombe au mandant qui s'en prévaut d'en rapporter la preuve ;
Attendu que pour apprécier si les manquements de l'agent commercial à ses obligations sont suffisamment graves, il n'est pas interdit de prendre en considération toutes les circonstances de la cause intervenues jusqu'au jour de la décision;
Attendu, cependant, que la tolérance par le mandant du manquement de l'agent est de nature à influer sur la caractérisation de la faute grave et le comportement de l'agent commercial ne peut être qualifié de faute grave par le mandant qui en avait eu connaissance avant la rupture du contrat mais l'avait toléré en ne lui reprochant aucune faute grave dans le courrier qu'il invoquait (Com. 11 juin 2002, n° 01-01.710) ;
Qu'en l'espèce, ni l'insolence ni le prétendu vol d'une souche de cheminée ne sont étayées par le moindre élément ;
Que l'insubordination reprochée à M. Mennessiez qui pourrait résulter du fait que ce dernier ait pu traiter directement avec la société Maisons Concept, ce qu'il conteste, en adressant les contrats des clients sans avoir au préalable eu l'accord de M. Fonroques, ne peut être qualifié de faute grave dès lors qu'il est établi que cette pratique paraît provenir d'un mode de fonctionnement de Maisons Concept, parfaitement connu de M. Fonroques, auquel M. Mennessiez avait cherché à remédier en tenant régulièrement informé ce dernier de l'avancement des dossiers (pièce n° 11) ou en rappelant à Maisons Concept la nécessité de faire transiter les informations par M. Fonroques (pièce n° 12);
Que de la même façon, l'utilisation de l'ordinateur de l'agence pour envoyer son curriculum vitae qui résulterait d'un mail du 12 mars 2013 de M. Mennessiez à M. Fonroques, ne constitue pas une faute grave puisque cet envoi s'inscrit clairement dans le cadre de la rupture des relations commerciales avec la société Maisons Concept actée la veille, 11 mars 2013, et de la recherche par eux de nouvelles sociétés mandantes;
Que d'ailleurs, sans faire état d'aucune faute dans sa lettre de résiliation, M. Fonroques proposait même à M. Mennessiez de le reprendre comme sous-agent commercial;
Qu'en définitive, les griefs allégués, dont aucun ne revêt les caractères d'une faute grave, ne peuvent justifier a posteriori la cessation des relations contractuelles dont la cause réside, selon les termes même de la lettre du 27 mars 2013, non dans le comportement de M. Mennessiez mais dans celui de la société Maisons Concept, mandant de M. Fonroques;
Qu'en conséquence, c'est à raison que le premier juge a retenu que M. Mennessiez était fondé à réclamer à M. Fonroques l'indemnité de rupture prévue au contrat qui est due " quelle que soit la cause de la cessation des relations contractuelles ", sauf faute grave non prouvée en l'espèce;
Attendu, s'agissant de son montant, que contrairement à ce que prétend l'appelant, l'intimé justifie du montant total, hors taxe, des commissions perçues par lui pendant la durée du contrat par la production, outre des 5 factures de commission émises, des bordereaux de remises de chèques correspondant précisément aux montants des dites factures ainsi que des relevés bancaires sur lesquels figurent les encaissements de chèques précédents ; qu'il n'est pas anormal que la facture n° 6 du 6 juin 2013, produite par l'appelant (pièce n° 8), ne corresponde pas au montant de la facture définitive du 6 septembre 2013 (pièce n° 8 de l'intimé), puisque la première n'est qu'une facture d'acompte (30 %) qui n'a pas été réglée tandis que la seconde concerne l'intégralité de la commission, qui a été intégralement versée le 6 novembre 2013 ;
Qu'il résulte de ces pièces que M. Mennessiez a bien perçu, pendant l'exécution de son contrat, un total de 17 759, 43 HT de commissions;
Qu'en dépit des stipulations contractuelles prévoyant une indemnité de rupture égale à deux années de commissions hors taxe, sans aucune restriction tenant à la durée d'exécution du contrat, M. Mennessiez qui n'a pas travaillé pendant deux ans comme agent commercial, a pris en compte la durée effective de son activité (15 mois) pour réduire à un montant forfaitaire de 20 000 euros sa demande indemnitaire, en prenant pour base une commission moyenne annuelle de 1 183,96 (15 mois/17 759,43 ), selon un calcul plus favorable à son co-contractant que la prise en compte de la durée théorique du contrat depuis sa signature; que la mauvaise foi de l'intimé n'est pas démontrée et aucune considération ne permet de le priver de l'application du contrat ;
Que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a accueilli sa demande, pour son entier montant, augmenté des intérêts au taux légal depuis le 4 janvier 2014, date de la mise en demeure; que la demande d'application des dispositions de l'article 1154 du Code civil sera également accueillie dès lors que les intérêts sont dus pour au moins une année entière;
Attendu que c'est également par des motifs pertinents, que la cour fait siens, que le premier juge a rejeté la demande formée par M. Mennessiez sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, puisque par l'effet d'une convention particulièrement avantageuse, il bénéficie d'une indemnité de rupture d'un montant supérieur à la rémunération qu'il a perçue pendant son activité de sorte que l'équité ne justifie pas qu'il bénéficie de surcroît de la prise en charge de ses frais irrépétibles ;
Que de la même façon, les demandes formées à ce titre en cause d'appel seront rejetées;
Qu'en revanche, le jugement sera réformé en ce qu'il a laissé à M. Mennessiez la charge des dépens de première instance et M. Fonroques qui succombe sera, conformément aux dispositions de l'article 696 du Code de procédure civile, condamné aux entiers dépens de première instance et d'appel;
Par ces motifs, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a laissé à la charge de M. Eddy Mennessiez les dépens exposés par lui, Statuant à nouveau et y ajoutant, dit que conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil, les intérêts échus sur la somme allouée et impayés pendant plus d'un an produiront eux même intérêts; dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, condamne M. Lucien Fonroques aux dépens de première instance et d'appel.