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Décisions

CA Colmar, 1re ch. civ. A, 5 avril 2017, n° 15-03907

COLMAR

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Sasu Façadier 68

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Panetta

Conseillers :

Mme Dorsch, M. Regis

TGI Colmar, du 16 avr. 2015

16 avril 2015

FAITS ET PROCEDURE :

M. Marcel R. exploite l'enseigne Le Façadier à Sainte Croix en Plaine dans le Haut-Rhin. Par acte du 15 janvier 2015, il a fait assigner à jour fixe l'EURL Façadier 68 en concurrence déloyale, afin d'obtenir le retrait de l'expression Façadier de la dénomination sociale de cette société et le paiement de dommages-intérêts.

Par jugement du 16 avril 2015, le Tribunal de grande instance de Colmar l'a débouté de l'ensemble de ses demandes.

Par déclaration du 10 juillet 2015, M. R. a interjeté appel de cette décision.

Par arrêt du 30 novembre 2016, la Cour a réouvert les débats et enjoint les parties de régulariser leurs écritures, compte tenu du changement de forme sociale de l'Eurl Façadier 68, devenue la Sasu Façadier 68.

Dans ses dernières écritures du 9 janvier 2017, M. R. demande principalement à la Cour d'infirmer le jugement entrepris et de condamner la Sasu Façadier 68 à lui payer la somme de 10 000 euros à titre d'indemnisation de son préjudice moral, ainsi qu'à supprimer la mention Façadier de sa dénomination sociale, de tout document commercial, ainsi que de son site Internet à compter de l'arrêt à intervenir.

M. R. reproche à l'intimé un comportement d'imitation du nom de son enseigne, laquelle créé un risque de confusion et caractérise une concurrence déloyale.

Il fait valoir exploiter son activité sous cette enseigne depuis 1991, alors que la Sasu Façadier 68 a été constituée en juillet 2014 à Mulhouse. Il prétend qu'en 1991, il n'y avait aucune entreprise qui portait ce nom ou un nom similaire en Alsace.

Il soutient que les activités des deux entreprises sont identiques; qu'elles exploitent toutes les deux leur activité sur toute l'Alsace; qu'elles ne sont séparées que d'une distance de 33 kilomètres.

M. R. prétend que l'intimée affirme sur son site exister depuis 16 ans, alors qu'elle n'existe que depuis 2014, ce qui est également de nature à induire la clientèle en erreur. Il ajoute que le risque de confusion provient aussi de la publicité faite par l'entreprise; que les ouvriers de l'intimé portent des t-shirts qui ressemblent à s'y méprendre à ceux utilisés depuis longtemps par les employés de son entreprise.

Il estime que l'ensemble de ces faits revêt également la qualification de parasitisme, consistant à profiter de l'activité et de la réputation d'une autre entreprise.

M. R. considère qu'il ne lui incombe pas de rapporter la preuve de l'existence d'un préjudice s'agissant de sa demande de cessation du trouble. Il ajoute que les agissements de la Sasu Façadier 68 constituent un trouble commercial, c'est-à-dire une atteinte portée à l'enseigne ou à l'image de marque de l'entreprise, dont il demande la réparation à titre de préjudice moral.

Dans ses dernières écritures du 8 décembre 2016, la Sasu Façadier 68 demande principalement à la Cour de confirmer le jugement entrepris.

La Sasu Façadier 68 fait tout d'abord valoir que les deux enseignes ne sont pas identiques; que son enseigne a un signe distinctif avec le numéro du département. Elle considère ensuite que le fondement des poursuites de l'appelant est flou; qu'il semble invoquer des actes de concurrences déloyales et de parasitisme, d'une part, et l'usurpation d'enseigne, d'autre part.

S'agissant de l'usurpation d'enseigne, la société Façadier 68 prétend qu'une enseigne ne peut être protégée que si elle n'est pas banale ni disponible. Elle soutient qu'au moment de la création de son entreprise par l'appelant, il existait de nombreuses autres entreprises utilisant le mot Façadier dans leur enseigne; que cette enseigne n'a rien d'originale ; qu'elle est simplement constituée par la désignation banale et usuelle de son activité ; que l'expression Façadier ne peut faire l'objet d'aucune appropriation ni protection.

Elle considère ensuite que les éléments constitutifs de la concurrence déloyale et du parasitisme n'existent pas. Elle soutient ne pas avoir commis de faute. Elle fait valoir que rien n'empêchait son dirigeant de s'installer à son compte dans le même domaine d'activité que son ancien employeur; qu'elle ne travaille pas dans le même bassin d'activité; que la zone d'activité de l'appelante est Colmar et que la sienne est Mulhouse; qu'elle ne s'adresse pas à la même clientèle, puisqu'elle exerce en qualité de sous-traitant; qu'elle ne travaille pour aucun client de l'entreprise appelante; que celle-ci n'établit l'existence d'aucun préjudice; qu'elle ne démontre pas l'existence d'un détournement de clientèle ou de démarches en ce sens, telle que l'utilisation indue d'un fichier de clientèle; qu'il n'existe aucune atteinte à l'image de marque; qu'il n'est fourni aucun élément comptable susceptible d'établir une corrélation entre son activité et celle de l'appelant.

Sur quoi :

La Cour rappelle d'emblée que l'entreprise qui use, avant un concurrent, d'un nom commercial ou d'une enseigne, dont l'originalité est établie, peut demander que défense soit faite à ce concurrent de se servir d'un signe identique ou similaire, et ce en l'absence de tout droit privatif sur le signe distinctif en cause, dès lors que cet usage créé un risque de confusion auprès d'un public d'attention moyenne.

L'originalité du signe distinctif et l'atteinte à sa fonction d'identification s'apprécient de manière concrète au regard, notamment, du domaine d'activité et de la zone géographique du marché prospecté.

En l'espèce, M. R. utilise l'enseigne Le Façadier depuis la création de son entreprise en janvier 1991. Son entreprise se situe à Sainte Croix en Plaine dans le Haut-Rhin. Il justifie exercer son activité de 'protection, façades, isolation, peinture' sur toute l'Alsace et prospecter principalement cette zone géographique.

La Sasu Façadier 68 a été créée par M. Stéphane INCE en juillet 2014, juste après que ce dernier ait quitté le service de M. R., dont il a été le salarié durant quatre ans. Cette société exerce la même activité que l'entreprise Le Façadier et se trouve également localisée dans le Haut-Rhin.

M. R. justifie de ce qu'au moment de la création de son entreprise, il n'existait aucune entreprise en Alsace comprenant l'expression Façadier dans son enseigne ou sa dénomination sociale. Il produit en ce sens les impressions de pages Internet du site Societe.com qui démontrent que cette expression n'est utilisée aujourd'hui en Alsace par aucune autre entreprise que celle des parties au présent litige.

La Sasu Façadier 68 produit également plusieurs impressions de pages Internet dont il ressort que l'expression Façadier est utilisée à titre d'enseigne ou de dénomination sociale par plusieurs autres sociétés réparties dans tous les pays, lesquelles ne se trouvent toutefois pas dans la zone géographique et le marché concernés.

Si le mot Façadier appartient au langage courant et évoque une activité générique ou une profession en général, il n'en demeure pas moins que cette expression n'est pas couramment utilisée comme enseigne ou dénomination sociale en Alsace, c'est-à-dire dans la zone géographique et sur le marché concrètement appréhendés.

Au regard de ces éléments, l'expression Façadier est donc bien un signe distinctif permettant l'identification commerciale, sur ce ressort géographique, de l'entreprise de M. R.

S'agissant d'entreprises ayant la même activité et se trouvant dans le même département, il n'apparaît pas que le retrait de l'article Le de l'expression Le Façadier et l'adjonction du numéro du département soient de nature à assurer une distinction claire entre les enseignes et dénomination sociale des parties et d'éviter ainsi toute confusion dans l'esprit d'un consommateur moyen.

Par ailleurs, la Sasu Façadier 68 ne démontre pas s'adresser à une clientèle différente qui serait exclusivement composée de professionnels, par définition mieux avertis.

L'imitation de nom et d'enseigne est donc caractérisée, laquelle créé un risque certain de confusion.

L'appelant apporte en outre la preuve de ce que la Sasu Façadier 68 prétend sur son site Internet exister depuis seize ans, alors qu'elle n'a été créée qu'en juillet 2014, soit quelques temps seulement après le départ de son fondateur de l'entreprise de M. R..

Il ressort également des photographies produites par l'appelant que les employés de la Sasu Façadier 68 portent, dans le cadre de leur activité, des t-shirts utilisant la même typographie, des couleurs, ainsi qu'une présentation d'ensemble très similaire à celle reproduite sur les tenues des salariés de l'entreprise de M. R. Ce dernier démontre en outre que son logo et son impression sur les tenues de ses employées datent, à tout le moins, de 2004, soit d'une période bien antérieure à la création de la Sasu Façadier 68.

Si le fait que M. Ince soit un ancien employé de M. R. ne caractérise pas en soi un acte de concurrence déloyale, il traduit toutefois, au regard de ces derniers éléments, une volonté certaine de se placer dans le sillage de la notoriété de son ancien employeur, et ce pour en tirer avantage.

L'ensemble de ces faits caractérise donc une concurrence déloyale par imitation, laquelle comprend également une dimension parasitaire.

Partant, le jugement entrepris sera infirmé en toutes ses dispositions.

Ce risque de confusion cause à M. R. et à son activité un trouble commercial, dont il conviendra d'ordonner la cessation. La suppression de l'expression Façadier de la dénomination sociale, de tout document commercial, ainsi que du site Internet de l'intimée sera donc ordonnée. Cette suppression devra intervenir dans le délai de deux mois à compter du présent arrêt.

Ce trouble commercial constitue également un préjudice, lequel sera parfaitement réparé par l'allocation d'une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts. La Sasu Façadier 68 sera donc condamnée à payer cette somme à M. R.

La Sasu Façadier 68, qui succombe, sera condamnée aux dépens de la procédure de première instance et d'appel.

L'équité commande également d'allouer à M. R. une somme au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et de ne pas faire droit à la demande faite à ce titre par la Sasu Façadier 68.

Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement en toutes ses dispositions, Et statuant à nouveau : Ordonne la suppression de l'expression Façadier de la dénomination sociale, de tout document commercial et du site interne de la Sasu Façadier 68, Dit que cette suppression devra intervenir dans le délai de deux mois à compter du présent arrêt, Condamne la Sasu Façadier 68 à payer à M. Marcel R. la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts, Condamne la Sasu Façadier 68 aux dépens de la procédure de première instance et d'appel, Condamne la Sasu Façadier 68 à payer à M. Marcel R. la somme 1 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et celle de 3 000 euros au titre de ceux exposés en appel, Dit n'y avoir à faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de la Sasu Façadier 68.