CA Dijon, 2e ch. civ., 20 avril 2017, n° 14-01279
DIJON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Agence DCMF (SARL)
Défendeur :
Rubies's France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Vautrain
Conseillers :
M. Wachter, Mme Dumurgier
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Selon acte sous seing privé signé le 28 février 2007, la SAS Rubie's France, spécialisée dans la création et la commercialisation d'articles de fête et déguisements, a conclu avec la SARL Agence DCMF un contrat d'agent commercial aux termes duquel elle lui a donné mandat de prospecter la clientèle existante et potentielle sur un secteur initialement composé de tous les départements de France métropolitaine à l'exception de la Corse, à compter du 1er mars 2007.
Ce secteur géographique a ensuite été modifié par avenants.
Aux termes de ce contrat, l'agent commercial s'interdisait expressément de traiter des affaires analogues directement ou indirectement, de s'intéresser directement ou indirectement à des personnes physiques ou morales ayant les mêmes activités que le mandant ou susceptibles de la concurrencer.
A la date de signature du contrat, l'Agence DCMF était liée à la société Amscan, ayant pour activité la fabrication et la distribution de produits et accessoires festifs, qui n'était alors pas un concurrent de la société Rubie's France.
A la fin de l'année 2011, la société Amscan a fait l'acquisition de la société Christys, spécialisée dans les déguisements, et, à ce titre, est devenue directement concurrente de la société Rubie's France.
Par courrier recommandé du 27 février 2012, la société Rubie's France a demandé à l'Agence DCMF de lui confirmer qu'elle n'assurait pas la représentation des produits de la société Christys passée sous le contrôle d'Amscan.
Par courrier du 7 mars 2012, la SARL Agence DCMF lui a répondu que si elle estimait que la prise de contrôle de la société Christys par la société Amscan, indépendante de sa volonté, faisait obstacle à la poursuite de leurs relations contractuelles, elle ne pourrait qu'en prendre acte et qu'il appartiendrait alors au mandant de lui régler l'indemnité de rupture du contrat d'agent commercial.
Par lettre du 16 juin 2012, la société Rubie's France a notifié à la SARL Agence DCMF la rupture des relations contractuelles à effet immédiat, pour faute grave, considérant que l'agent commercial représentait les produits Christys.
Le conseil de l'Agence DCMF a contesté la rupture du contrat pour faute grave, par courrier recommandé du 16 juillet 2012, réclamant une indemnité de rupture de 100 000 euro ainsi qu'une indemnité de rupture de préavis de 6 000 euro.
La société Rubie's France n'ayant pas fait droit à cette réclamation alors que, selon elle, les motifs de rupture invoqués dans la lettre du 16 juin 2012, outre qu'ils sont inexacts, ne sont pas constitutifs d'une faute grave, la SARL Agence DCM l'a fait assigner devant le Tribunal de commerce de Mâcon, par acte d'huissier du 23 octobre 2012, afin d'obtenir sa condamnation, sur le fondement des articles L. 134-1 et R. 134-1 et suivants du Code de commerce, au paiement d'une indemnité de rupture du contrat de 100 000 euro et d'une indemnité de préavis de 6 000 euro, ainsi qu'au paiement d'une indemnité de procédure de 5 000 euro.
La société Rubie's France s'est opposée au paiement d'une indemnité de rupture, reprochant à l'agent commercial d'avoir manqué à son obligation d'information sur les conséquences du rachat de la société Christys par la société Amscan sur l'exécution de son contrat, alors que cette information était essentielle pour la poursuite de leurs relations contractuelles et que cette obligation d'information est une composante de l'obligation de loyauté et de non concurrence définie par la loi.
Elle a, d'autre part, fait valoir qu'il n'est pas établi qu'elle ait toléré le comportement fautif de son agent commercial, ayant vainement tenté d'obtenir l'information sur la situation de concurrence que pouvait créer le rachat de la société Christys auprès de celui-ci.
Par jugement rendu le 25 avril 2014, le Tribunal de commerce de Mâcon a :
- constaté la rupture du contrat d'agent commercial du fait de la situation de concurrence créée par le non-engagement formel de DCMF de ne pas représenter les produits Christies quand bien même cette société était contrôlée juridiquement par son ancien et toujours mandant, la société Amscan,
- constaté que la clause de loyauté et d'information n'a donc pas été respectée et constitue donc une clause (sic) de rupture pour faute du contrat,
- débouté de toutes ses demandes la société DCMF,
- condamné la société DCMF à payer à Rubie's la somme de 1 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- rejeté toutes autres demandes, fins et conclusions contraires,
- condamné la société DCMF aux dépens.
Le tribunal a retenu que le rachat de la société Christys par Amscan à la fin de l'année 2011 n'entraînait pas, de droit, que la société DCMF devienne, contre son gré, le représentant de cette société et qu'un choix était possible et s'imposait à celle-ci. Il a considéré que la société DCMF avait opté pour un non choix et une non information de son mandant, la société Rubie's, portant atteinte à l'intérêt commun des parties, et que le délai de réflexion de trois mois qui s'est écoulé entre les différentes étapes de la procédure témoignait de la volonté du mandant de trouver une réponse au problème posé et n'était pas excessif.
La SARL Agence DCM a régulièrement relevé appel de ce jugement, par déclaration reçue au greffe le 10 juillet 2014.
Par écritures notifiées le 2 février 2015, l'appelante demande à la cour, au visa des dispositions des articles L. 134-1 et R. 134-1 et suivants du Code de commerce, de :
- rejeter toutes conclusions contraires comme irrecevables et mal fondées,
- réformer le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
- condamner la société Rubie's France à lui payer les sommes de 100 000 euro à titre d'indemnité de rupture du contrat et de 6 000 euro à titre d'indemnité de préavis,
- condamner la société Rubie's France au paiement d'une indemnité de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Par conclusions notifiées le 3 décembre 2014, la SAS Rubie's France demande à la Cour, au visa des articles L. 134-4 et L. 134-13 du Code de commerce et de l'article 1315 du Code civil, de :
- dire et juger que la société Agence DCM a manqué à son obligation d'information et de loyauté à l'égard de son mandant la société Rubie's,
- dire et juger qu'elle n'a en aucun cas toléré ces manquements constitutifs d'une faute grave,
En conséquence,
- dire et juger que la rupture des relations contractuelles pour faute grave privative de l'indemnité de rupture due à l'agent commercial était justifiée,
En conséquence,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Agence DCM del'intégralité de ses demandes,
Subsidiairement,
- dire et juger la demande indemnitaire présentée par la société Agence DCM injustifiée dans son quantum dès lors que celle-ci ne peut justifier d'une perte de marché et qu'elle n'est pas fondée à invoquer l'ancienneté des relations commerciales, ni la réduction de son secteur par avenants,
- dire et juger que, faute pour la société Agence DCM de produire les éléments comptables étayant les sommes qu'elle réclame, sa demande indemnitaire comme sa demande d'indemnité compensatrice de préavis est injustifiée et, à ce titre, l'en débouter,
- condamner la société Agence DCM au paiement de la somme de 5 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- la condamner en tous les dépens.
La clôture de la procédure est intervenue le 27 septembre 2016.
En application de l'article 455 du Code de procédure civile, la Cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus-visées.
Sur quoi
Attendu que, selon l'article L. 134-12 du Code de commerce, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi ;
Que, selon l'article L. 134-13 du même Code, l'indemnité compensatrice n'est pas due lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial ou lorsque la cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent, à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent commercial, par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée ;
Attendu qu'au soutien de son appel, la SARL Agence DCM reproche au tribunal de ne pas avoir caractérisé la faute grave qui permettrait à la société Rubie's France d'échapper au paiement de l'indemnité de rupture en application de l'article L. 134-13, ni même de l'avoir évoquée ;
Qu'elle rappelle que son mandant ne l'a jamais accusée d'acte de concurrence illicite, sachant qu'elle était, de longue date, l'agent d'Amscan et qu'elle ne s'y était jamais opposée, et estime qu'elle n'est en rien responsable de la situation créée par le rachat de la société Christys par Amscan ;
Qu'elle conteste avoir manqué à son obligation de loyauté et d'information à l'égard de son mandant, faisant valoir qu'elle lui a répondu lorsqu'il l'a interrogée et qu'elle lui a communiqué les informations sollicitées, que la société Rubie's connaissait déjà ;
Qu'elle reproche en revanche à l'intimée d'avoir agi de façon déloyale à son égard, dès lors que, connaissant la situation née du rachat de la société Christys par Amscan, elle lui a adressé un courrier dans des termes la contraignant à assumer la responsabilité de la rupture et considère que le fait de ne pas répondre à un courrier selon une forme pré imposée par le mandant ne peut être qualifié de faute grave, ce qui est confirmé par le fait que la rupture du contrat n'ait pas été immédiate mais qu'elle soit intervenue plus de trois mois après réception par la société Rubie's de sa réponse ;
Attendu que la SAS Rubie's France rappelle que la faute grave est celle qui porte atteinte à l'intérêt commun, l'exercice d'une activité concurrentielle étant considérée en jurisprudence comme une faute grave justifiant la rupture du contrat sans indemnité, tout comme le manquement de l'agent commercial à son obligation de loyauté ;
Qu'en l'espèce, elle fait grief à son agent d'avoir délibérément manqué à son obligation d'information et de loyauté en refusant de lui indiquer s'il représentait ou non les articles de la société Christys et estime que les premiers juges ont parfaitement caractérisé la faute grave en retenant que le défaut d'information du mandant portait atteinte à l'intérêt commun ;
Qu'elle conteste avoir toléré la situation comme le soutient l'appelante, n'ayant à aucun moment admis que l'Agence DCM puisse représenter les produits concurrents de la société Christys et ayant au contraire tenté d'obtenir une information de son agent sur la situation de concurrence que pouvait créer le rachat de la société Christys par Amscan ;
Attendu qu'il est constant en l'espèce que la SARL Agence DCM n'a pas répondu à la demande précise d'information émanant de son mandant l'interrogeant sur sa représentation des produits de la société concurrente Christys, à la suite du rachat de cette dernière par la société Amscan à laquelle l'agent commercial était également lié ;
Que, contrairement à ce qu'affirme l'appelante, le courrier que lui a adressé la société Rubie's France le 27 février 2012 ne la contraignait pas à assumer la responsabilité de la rupture du mandat mais avait pour objet de donner connaissance à son mandant de l'existence d'une situation d'éventuelle concurrence née de la représentation par l'agent commercial des produits de la société Christys, dont le rachat par Amscan n'impliquait pas obligatoirement cette représentation ;
Qu'en refusant de communiquer cette information, la SARL Agence DCM a manqué à son devoir de loyauté et a porté atteinte à l'intérêt commun comme l'ont, à juste titre, considéré les premiers juges ;
Que les manquements de l'agent commercial sont d'une gravité suffisante pour justifier la résiliation du mandat sans indemnité compensatrice, étant observé que le fait que la rupture du mandat ne soit intervenue à l'initiative de la SAS Rubie's France que le 16 juin 2012, soit plus de trois mois après le refus de communication de l'information demandée, n'est pas de nature à faire perdre à la faute son caractère de gravité, le délai écoulé s'expliquant par les différentes tentatives du mandant d'obtenir des précisions sur l'existence d'une activité concurrente de son agent et non par la tolérance de cette situation ;
Que la décision entreprise mérite ainsi confirmation en toutes ses dispositions ;
Attendu que l'appelante qui succombe supportera la charge des dépens de première instance et d'appel ;
Qu'il serait par ailleurs inéquitable de laisser à la charge de la SAS Rubie's France les frais qu'elle a exposés à hauteur de Cour et non compris dans les dépens ;
Qu'il lui sera ainsi alloué la somme de 2 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, en sus de l'indemnité allouée en première instance au titre des frais irrépétibles ;
Par ces motifs : LA COUR, Déclare la SARL Agence DCM recevable mais mal fondée en son appel ; Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 25 avril 2014 par le Tribunal de commerce de Mâcon ; Y ajoutant, Condamne la SARL Agence DCM à payer à la SAS Rubie's France la somme de 2 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SARL Agence DCM aux dépens d'appel.