CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 26 avril 2017, n° 15-15356
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
United Dutch Breweries BV (Sté), Nanumea Export SL (Sté)
Défendeur :
Procom International (SA) , Texom (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Luc
Conseillers :
Mme Mouthon Vidilles, M. Thomas
Avocats :
Mes Fanet, Larue, Paulhan, Gasquez, Cancel
Faits et procédure
La société United Dutch Breweries BV (ci-après "la société UDB ") exerce une activité de brasseur.
La société Nanuméa est une société espagnole, qui assure le service export externalisé de la société UDB.
La société Procom International (ci-après Procom) est une société de négoce, dont le siège social est situé à Montpellier et qui distribue la bière de la société UDB à Mayotte et dans les Comores et dont M. Salinier est le dirigeant.
La société Texom exerce une activité de négoce alimentaire.
Les sociétés UDB et Texom ont conclu un contrat entré en vigueur le 1er janvier 2006, par lequel la société Texom est devenu l'agent commercial de la société UDB dans certains territoires d'outre-mer, dont Mayotte et les Comores.
Les sociétés Nanuméa et UDB sont en relations commerciales depuis le 1er juin 2009.
Selon les dires de la société UDB, la société Nanuméa assure son service export externalisé.
Selon les dires de la société Procom, la société Nanuméa est agent intermédiaire de la société UDB avec ses distributeurs.
Selon les dires de la société Procom, la société UDB aurait manifesté sa volonté, dès mai 2013, de vendre sa bière directement aux clients de la société Procom.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 16 mai 2013, adressée à " Procom International-Texom ", la société UDB a rompu ses relations avec les sociétés Procom et Texom à compter du 30 septembre 2013 : " il nous est apparu évident de mettre fin à notre accord avec votre entreprise Procom-Texom afin d'assurer nous-mêmes la distribution de nos produits sur le territoire ".
Par lettre avec accusé de réception du 12 juin 2013, la société UDB a offert à la société Texom de la dédommager par l'allocation d'une indemnité correspondant à quatre mois de préavis selon les dispositions de l'article 12 du contrat d'agence et d'indemniser également la société Procom, qui, en 2008 " a(vait) commencé à acheter à ses propres risques et pour son compte pour revendre au client SNIE à Mayotte et NICOM aux Comores ". Elle proposait pour les deux postes de réparation la somme forfaitaire de 15 000 euros payable au 1er octobre 2013. Par un courrier de Monsieur David Salinier, du 21 juin 2013, les sociétés Procom et Texom ont manifesté leur désaccord avec ces modalités de rupture. Par courrier du 12 juillet 2013, la société UDB a répondu qu'elle portait sa proposition à 20 000 euros mais que celle-ci serait maintenue uniquement pendant 14 jours.
Par courrier du 28 octobre 2013, la société Procom International a décidé de retenir le paiement des factures de marchandises commandées émises par la société UDB à compter du 7 août 2013. Ces factures, d'un montant total de 159 694,12 euros arrêté à la date du 2 décembre 2013 sont restées impayées, en dépit de la mise en demeure de la société UDB du 2 décembre 2013.
Par acte du 27 mars 2014, la société Procom a fait assigner les sociétés UDB et Nanuméa devant le Tribunal de commerce de Marseille, invoquant une rupture brutale des relations commerciales établies, des pratiques discriminatoires ainsi que des actes contraires aux usages loyaux du commerce.
Par conclusions du 15 octobre 2014, la société Texom est intervenue volontairement à l'instance au côté de la société Procom, afin d'obtenir des dommages et intérêts en réparation de la rupture de son contrat d'agent commercial.
Par jugement du 26 mars 2015, le Tribunal de commerce de Marseille a :
pris acte de l'intervention volontaire de la société Texom, et l'a reçue en son intervention volontaire,
dit que le litige opposant la société Texom à la société UDB ne relève pas de la compétence du Tribunal de commerce de Marseille,
renvoyé les parties à mieux se pourvoir, conformément aux dispositions de l'article 96 alinéa 1 du Code de procédure civile,
dit que la société UDB a mis un terme de manière brutale aux relations établies qu'elle entretenait avec la société Procom,
fixé la durée du préavis à dix mois,
condamné la société UDB à payer à la société Procom la somme de 217 445 euros à titre de dommages et intérêts,
condamné la société Procom à payer à la société UDB la somme de 159 694,12 euros avec intérêts de retard contractuels de 1 % par mois à compter du 2 décembre 2013, date de la mise en demeure,
ordonné la compensation entre les deux condamnations ci-dessus prononcées, à due concurrence des sommes dues,
dit que sur présentation de l'expédition du présent jugement passée en force de chose jugée, la société Procom pourra se faire remettre des fonds consignés à la Carpa à titre d'acompte à valoir sur le montant total de son préjudice causé par la société UDB,
rejeté la demande de mise hors de cause de la société Nanuméa,
rejeté pour le surplus les demandes reconventionnelles de la société UDB à la société Nanuméa,
condamné conjointement la société UDB et la société Nanuméa à payer à la société Procom la somme de 20 000 à titre de dommages et intérêts, assortie des intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement conformément aux dispositions de l'article 1153-1 du Code civil et celle de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
fait masse des dépens toutes taxes compris liquidés à la somme de 128,88 euros et les partage à raison de moitié à la charge de la société UDB et de la société Nanuméa,
dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
rejeté pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires aux dispositions du présent jugement.
Le 28 mai 2015, les sociétés UDB et Nanuméa ont interjeté appel du jugement devant la Cour d'appel d'Aix-en-Provence. Par décision du 22 octobre 2015, la Cour d'Aix-en-Provence s'est déclarée incompétente et a mis fin à l'instance.
Par déclaration du 16 juillet 2015, les sociétés UDB et Nanuméa ont interjeté appel devant la Cour d'appel de Paris.
Les sociétés Procom et Texom ont fusionné.
LA COUR,
Vu l'appel interjeté par les sociétés UDB et Nanuméa et leurs conclusions du 21 décembre 2015, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- déclarer les sociétés UDB et Nanuméa recevables et bien fondées en leurs conclusions,
- confirmer le jugement prononcé par le Tribunal de commerce de Marseille le 26 mars 2015 en ce qu'il a :
- dit que le litige opposant la société la société Procom, venant aux droits la société Texom, à la société UDB ne relève pas de la compétence du Tribunal de commerce de Marseille,
- renvoyé les parties à mieux se pourvoir,
- condamné la société la société Procom à payer à la société UDB la somme de 159 694,12 euros avec intérêts de retard au taux contractuel de 1 % par mois à compter du 2 décembre 2013, date de la mise en demeure,
- l'infirmer pour le surplus,
Et, statuant de nouveau :
- se déclarer incompétente au profit du Tribunal néerlandais de Breda pour connaître des demandes résultant du contrat d'agent commercial à effet au 1er janvier 2006 signé le 4 mai 2006, et renvoyer la société la société Procom à mieux se pourvoir,
- débouter les sociétés Procom et Texom de l'intégralité de leurs demandes, comme étant non fondées,
- déclarer la société Nanuméa hors de cause,
- déclarer suffisant le préavis de 4 mois observé par la société UDB,
- dire que sur présentation de l'arrêt à intervenir, la société UDB devra se faire remettre les fonds consignés à la Carpa,
- condamner la société Procom à payer à la société UDB la somme de 15 000 euros, à titre de dommages intérêts pour résistance abusive et exécution de mauvaise foi,
- condamner la société Procom à payer à la société UDB la somme de 287 015 euros, à titre de dommages intérêts pour pratiques restrictives de concurrence,
- condamner la société Procom à payer à la société UDB et à la société Nanuméa chacune la somme de 20 000 euros, à titre de dommages intérêts pour procédure abusive,
- condamner la société Procom à payer à la société UDB et à la société Nanuméa chacune la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société Procom aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Jean-Jacques Fanet en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions du 12 décembre 2016 de la société Procom, agissant pour son compte et venant aux droits de la société Texom, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- dire que la Cour d'appel d'Aix-en-Provence est incompétente pour trancher du litige,
- dire que seule la cour d'appel de Paris demeure compétente,
réformant partiellement la décision déférée,
- condamner la société UDB au versement d'une somme de 260 000 euros à titre d'indemnisation principale liée à la perte de bénéfice calculée sur la moyenne de marge brute,
- condamner la société UDB au versement d'une somme de 50 000 euros supplémentaires au titre des préjudices annexes,
- dire que la société Procom se verra attribuer, à titre d'acompte à valoir sur le montant total de son préjudice causé par la société UDB la somme de 159 694,12 euros détenue sur le compte CARPA au titre de l'encours du au 31/12/2013, cette somme lui étant définitivement acquise,
- condamner la société Nanuméa et la société UDB au paiement d'une somme de 250 000 euros à titre de dommages et intérêts,
- dire que toutes les sommes allouées à la société Procom porteront intérêts au taux légal à compter du 16 mai 2013, date de la rupture des relations commerciales,
- dire en tout état de cause que la créance de la société UDB au titre de l'encours de factures ne saurait produire un quelconque intérêt contractuel faute de mise en demeure au sens de la loi et de CGV opposables, celles-ci n'apparaissant pas sur les documents contractuels produits spontanément,
- subsidiairement dire que la créance de la société UDB ne saurait produire que des intérêts au taux légal,
- donner acte à la SARL Texom de son intervention volontaire aux débats en première instance,
constatant l'absorption de Texom par la société Procom en cause d'appel,
- condamner la société UDB à verser à la société Procom la somme de 7 129,34 euros au titre des commissions restant dues à Texom,
- dire que la créance sera compensée avec les sommes dues par la société Procom à la société UDB,
- dire que les sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter du 16 mai 2013, date de la rupture des relations commerciales,
en tout état de cause,
- condamner la société Nanuméa et la société UDB au paiement d'une somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- les condamner aux entiers dépens comprenant, le coût des traductions assermentées, les coûts de saisies conservatoires et autres frais de signification à l'étranger notamment dont distraction au profit de Maître Gasquez sur ses offres de droits ;
Sur ce,
Sur l'exception d'incompétence
Les sociétés UDB et Nanuméa soutiennent que le contrat d'agent commercial conclu entre la société UDB et la société Texom, qui est soumis au droit néerlandais et à la juridiction exclusive du Tribunal néerlandais de Breda aux Pays-Bas, ne relève pas de la compétence du Tribunal de commerce de Marseille.
Ce point n'est pas contesté par la société Procom, agissant au nom de la société Texom, qui sollicite néanmoins que la Cour d'appel de Paris condamne la société UDB à lui rembourser le solde de commissions restant dues à la société Texom, soit la somme de 7 129,34 euros, dont elle demande compensation avec la créance de la société UDB sur la société Procom.
Mais les commissions dont le paiement est sollicité sont des commissions du contrat d'agent commercial du 1er janvier 2006 qui stipule en son article 14 qu'il est régi par le droit néerlandais et en son article 15 que les tribunaux des Pays-Bas sont compétents pour résoudre les litiges différents qui peuvent survenir entre les parties dans le cadre de ce contrat. Cette clause élective de compétence est donc opposable à la société Procom, agissant au nom de la société Texom, et celle-ci sera sur ce point renvoyée à mieux se pourvoir, cette demande ne relevant pas de la compétence des juridictions françaises.
Sur la relation entre la société UDB et la société Nanuméa
Les sociétés UDB et Nanuméa soutiennent que la société Nanuméa doit être mise hors de cause, n'ayant jamais pris la place de la société Texom en tant qu'agent commercial.
Mais la société Nanuméa, qui exerce une fonction d'agent spécialisé dans la distribution des boissons, présentée comme le service export de la société UDB, n'agit pas comme un représentant de la société UDB, mais en son nom propre, comme intermédiaire entre UDB et les distributeurs ou les clients, allant jusqu'à contacter elle-même la clientèle de la société Procom, en son nom. Société indépendante, elle doit assumer sa responsabilité éventuelle dans les pratiques ici reprochées. Il n'y a donc pas lieu de la mettre hors de cause.
Sur la rupture brutale des relations commerciales
Si aux termes de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, "Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels", la société qui se prétend victime de cette rupture doit établir au préalable le caractère suffisamment prolongé, régulier, significatif et stable du courant d'affaires ayant existé entre elle et l'auteur de la rupture, qui pouvait lui laisser augurer que cette relation avait vocation à perdurer.
Les deux parties s'opposent sur la nature de leurs relations, le point de départ de la rupture et son caractère brutal.
Sur la nature des relations
Les sociétés UDB et Nanuméa soutiennent que la société Texom a imposé à la société UDB la société Procom, en 2008, qui a agi pour l'exécution du mandat d'agent commercial de Texom, sans que son intervention ne soit nécessaire. Elles estiment que la société Procom n'était impliquée que dans la facturation. Elles contestent donc l'existence de toutes relations commerciales avec la société Procom.
Selon les dires de la société Procom, les relations commerciales auraient débuté en 2003, et elle aurait été, dès ce moment, chargée d'effectuer des opérations d'achat/vente pour UDB.
Il résulte des pièces du dossier que la société Procom de Paris a travaillé avec la société UDB, dès 2003, pour la promotion et l'implantation de ses produits, sur Mayotte et les Comores, conjointement et parallèlement à la société Texom, son agent commercial, même si aucun contrat n'a été signé entre les parties. La société Procom a implanté les produits sur place en exerçant une activité de négoce. C'est sur elle que reposaient les risques financiers puisqu'elle achetait les produits à la société UDB avant de les revendre.
Il résulte en effet des factures de la société Procom que, dès le 3/9/2003, elle vendait la bière Three Horses à la société Nicom, dans les Comores. Dès le 7 août 2003, elle vendait cette bière à la société Simex à Mayotte. La société intimée verse aux débats les factures correspondantes de la société UDB pour les livraisons du 7 août et du 3 septembre 2003 (pièce 44 de la société Procom), qui ne peut dès lors, aujourd'hui, nier que les relations commerciales avec la société Procom ont commencé en 2003, et non en 2009.
Les relations se sont ensuite poursuivies dans la continuité. La société Bourbon Distribution Mayottes (groupe SNIE) était également approvisionnée, dès le 12/10/2004 par la société Procom International. La société Nicom était également approvisionnée par elle les 18 août et 6 décembre 2004, ainsi qu'il résulte des factures versées aux débats.
La société Texom percevait, de la société Procom, des commissions au titre de son contrat d'agent commercial, ainsi qu'il ressort des factures versées aux débats, par lesquelles, de 2003 à 2013, Texom facturait à Procom ses commissions, s'agissant des clients de Procom (BDM et Nicom).
Deux systèmes de distribution coexistaient donc : la distribution par le biais de Texom, dès 2000, et celle par le biais de Procom, dès 2003, et concernant certains clients, tels Nicom à Mayotte et BDM SNIE dans les Comorres, ainsi que l'atteste un message électronique adressé par la société UDB à Didier Salinier, de la société Procom (pièce 38 d'UDB), qui fait bien le départage entre les deux types de commandes. Il en résulte que la société Procom était facturée selon un tarif net-net et que la société Texom percevait des commissions sur les ventes de la société Procom.
La société UDB soutient donc à tort qu'elle facturait directement les compagnies SNIE et Nicom, tout en versant une commission à la société Texom, son agent commercial, et que la société Texom lui aurait imposé, par mail du 29 octobre 2008, un changement de mode de facturation impliquant la société Procom International en ces termes : " à partir du mois de novembre, la facturation se fera par notre société de négoce Procom International. À cet effet merci de nous adresser un tarif départ usine et FOB en Triple Net sans commission ". Ce message ambigu ne saurait renverser les preuves versées aux débats par la société Procom.
Il y a donc lieu de conclure à l'existence de relations commerciales établies entre la société UDB et la société Procom.
Sur le point de départ de la rupture
Les sociétés UDB et Nanuméa soutiennent que la société UDB n'a rompu la relation contractuelle, dans le courrier du 16 mai 2013, qu'avec la société Texom, mais qu'elle était tenue de s'adresser à la fois à la société Texom et à la société Procom, dans la mesure où celle-ci était impliquée dans la facturation. Elles exposent que la société UDB a respecté un préavis de rupture des relations contractuelles de quatre mois, qui était conforme aux stipulations du contrat d'agent commercial, ainsi qu'à la durée des prétendues relations commerciales avec la société Procom.
La société Procom, agissant pour son compte et venant aux droits de la société Texom, soutient que le courrier du 16 mai 2013 caractérise une rupture brutale, ce courrier ne pouvant faire valablement faire courir un délai car ayant été adressé à une entité juridique inexistante. Il contenait par ailleurs une mention erronée quant à l'origine des relations contractuelles, qui ont duré dix ans, et prévoyait un préavis insuffisant.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 16 mai 2013, adressée à " Procom International-Texom ", la société UDB a mis fin à ses relations avec cette société Procom-Texom, à compter du 30 septembre 2013, en se référant au contrat d'agent commercial la liant à Texom : " il nous est apparu évident de mettre fin à notre accord avec votre entreprise Procom-Texom afin d'assurer nous-mêmes la distribution de nos produits sur le territoire ".
Cette lettre manifeste la décision de la société UDB de distribuer ses produits sans l'intermédiation de la société Texom, son agent commercial. Toutefois, en visant aussi le nom de Procom, c'est la relation avec cette société qui est également visée et qui s'explique par le contexte général. Cette décision a d'ailleurs été préparée tout au long des années 2012 et 2013, la société UDB ou la société Nanuméa, ayant manifesté leur souhait de contrôler les prix de la bière UDB jusqu'au consommateur final, de supprimer les doubles marges et de faire ainsi face à la concurrence de bière étrangère, moins chère.
A plusieurs reprises, la société Nanuméa a cherché à tarifer directement les clients de la société Procom. C'est ainsi que par message du 15 février 2011, Monsieur Sébastien Defawe, de la société Nanumea, agissant pour la société UDB, faisait part à Monsieur David Salinier, de la société Procom, de son insatisfaction sur ce système de facturation : " sachez que nous nous sommes centrés sur ce point important de notre collaboration car nous sommes insatisfaits de l'actuel système de facturation à Procom (et non à SNIE/Nicom en incluant la commission de Texom) tel que nous opérions dans le passé. En interne nous avons discuté du déroulement de notre réunion et nous avons abouti, tous ensemble, à la conclusion suivante : UDB a décidé de rechanger le système de travail en facturant directement les compagnies SNIE/Nicom tout en incluant, bien évidemment, la commission de Texom ". Par message du 11 mars 2011 Monsieur Salinier a menacé la société UDB de conséquences financières en cas de changement et la société UDB a renoncé à appliquer le nouveau système.
Le préavis de quatre mois prévu dans la lettre de résiliation s'applique seulement au contrat d'agence de la société Texom, et non aux relations avec la société Procom.
Or, si tout fabricant est libre de réorganiser la distribution de ses produits, il ne peut le faire que dans le respect d'un préavis raisonnable. Or, aucun préavis n'a été octroyé à la société Procom. A supposer même que le préavis de quatre mois aurait été octroyé également à la société Procom, il aurait été en toute hypothèse insuffisant. La rupture intervenue le 16 mai 2013 est donc brutale.
Sur la durée du préavis
Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné. La durée du préavis doit être fixée à une durée suffisante pour permettre à l'entreprise de se réorienter, c'est-à-dire pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une autre solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont l'ancienneté des relations, le volume d'affaires et la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, les relations d'exclusivité, la spécificité des produits et la dépendance économique. Le délai de préavis suffisant s'apprécie au moment de la notification de la rupture.
Il résulte des pièces du dossier, non sérieusement contestées par la société UDB, que les relations ont duré dix ans et que la société Procom réalise 10 % de son chiffre d'affaires avec la société UDB, sans justifier de relations d'exclusivité. Elle justifie avoir implanté les marques de bière de la société UDB, sans attester d'investissements dédiés à ses marques qui ne seraient pas amortis.
Il y a lieu, au vu de ce qui précède, d'évaluer à dix mois le préavis à lui consentir. Le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point.
Sur le préjudice
La société Procom, agissant pour son compte et venant aux droits de la société Texom, soutient qu'elle a subi un préjudice constitué par la perte directe de bénéfices du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies.
Les sociétés UDB et Nanuméa soutiennent qu'en l'absence de faute de la société UDB et en l'absence de rupture brutale, le préjudice résultant de la perte de marché subi par la société Procom ne peut leur être imputé. A titre subsidiaire, elles exposent que si la cour confirmait la rupture brutale des relations commerciales établies, la société Procom ne pourrait obtenir indemnisation de la perte de bénéfice qui ne représente pas le préjudice qu'elle a réellement subi. Elles exposent, à titre infiniment subsidiaire, que le calcul effectué par le tribunal de commerce pour calculer le préjudice est erroné en considération de la marge brute réellement dégagée par la société Procom, soit une marge brute de 80 000 euros, et non de 262 600 euros.
La victime de la rupture brutale peut, sur le fondement des dispositions de l'article 1149 du Code civil, réclamer à son cocontractant une indemnisation au titre du gain manqué et de la perte subie.
Le gain manqué correspond à la marge que la victime de la rupture pouvait escompter tirer pendant la durée du préavis qui aurait dû être respecté. Il correspond au chiffre d'affaires perdu pendant cette période dont il faut déduire les charges variables qui auraient dû être engagées pour réaliser ce chiffre d'affaires et que l'entreprise a pu économiser.
Il y a lieu d'allouer à la société Procom la marge perdue sur la durée du préavis de dix mois qui aurait dû lui être consenti. Selon l'attestation de son expert-comptable, la moyenne de sa marge annuelle sur les trois dernières années, s'agissant de BDM Mayotte et de Nicom, s'élevait à 262 646 euros ((241 387 + 200 283 + 346 268)/3). Rapportée à dix mois, la marge perdue s'élève à 218 871 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 26 mars 2015, date du jugement.
La société UDB prétend que le seul préjudice susceptible d'être invoqué par la société Procom tiendrait à la perte de marge générée par le seul client Nicom, soit la somme de 3 546 euros, la société SNIE et la société Somaco étant directement facturées par la société UDB.
Mais la société UDB ne démontre pas l'absence de ventes de la société Procom aux sociétés SNIE et Somaco. Par ailleurs, l'état de la facturation qu'elle verse aux débats, sous forme de tableaux sans titre ni origine établie, n'a pas davantage de valeur probante que l'attestation de l'expert-comptable de la société UDB. Ces arguments seront donc rejetés.
La société UDB soutient également que le calcul du préjudice doit être corrigé en considération de la marge brute réellement dégagée par la société Procom, qui obligerait à retrancher les frais de transport évalué à 160 800 euros. Enfin, compte tenu du préavis déjà octroyé de quatre mois, seuls six mois de préavis devraient être dédommagés.
Mais la société DB n'apporte aucune pièce au soutien de sa demande de déduction. En outre, il ne peut être considéré qu'un préavis de quatre mois aurait été octroyé à la société Procom, dès lors que la société UDB a toujours contesté avoir entretenu avec cette société des relations commerciales établies et que de facto, dès cette période de quatre mois, elle a contracté directement avec les clients de la société Procom, ainsi qu'il résulte de plusieurs pièces versées au dossier.
La société UDB sera donc condamnée au paiement, à la société Procom, de la somme de 218 871 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 26 mars 2015, date du jugement, in solidum avec la société Nanuméa, qui a agi de concert avec elle, contactant directement les clients de la société Procom, comme il a été vu supra.
Sur les préjudices annexes
La société Procom, agissant pour son compte et venant aux droits de la société Texom, soutient qu'elle a subi divers préjudices, notamment un préjudice moral, et de désorganisation, justifiant l'octroi de dommages et intérêts à hauteur de 50 000 euros.
Mais n'est donc réparable que le préjudice entraîné par le caractère brutal de la rupture et non le préjudice découlant de la rupture elle. Les sociétés UDB et Nanuméa soutiennent à juste titre que la société Procom n'apporte aucune justification que les préjudices annexes qu'elle estime avoir subis seraient la conséquence de cette brutalité.
Les dépenses de promotion qu'elle a effectuées en faveur de la bière l'ont été pendant la durée des relations et ont été amorties et il n'est pas démontré que des dépenses dédiées aux bières UDB auraient été engagées juste avant la rupture, de sorte qu'elles auraient été perdues, à cause de la brutalité de la rupture.
Ces demandes seront donc rejetées.
Sur les pratiques anticoncurrentielles
La société Procom, agissant pour son compte et venant aux droits de la société Texom, soutient que la société UDB est responsable d'un refus de vente au sens de l'article L. 420-2 du Code de commerce. En effet, la rupture des relations contractuelles résulte de la volonté de la société UDB de traiter directement avec la clientèle, en écartant la société Procom. Or, la société UDB a remplacé la société Procom par la société Nanuméa, agent commercial.
Les sociétés UDB et Nanuméa répliquent à juste titre que la société Procom ne peut obtenir indemnisation de préjudices sur le fondement de l'exploitation abusive d'une position dominante, dans la mesure où elle n'apporte aucune justification de cette position dominante, ni de l'abus prétendu. Cette demande sera donc rejetée.
Sur les usages déloyaux du commerce
La société Procom, agissant pour son compte et venant aux droits de la société Texom soutient que les sociétés UDB et Nanuméa ont commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Procom, de nature à engager leur responsabilité sur le fondement des articles 1383 et 1383 du code civil. Elle allègue que les sociétés UDB et Nanuméa ont commis plusieurs actes déloyaux :
parasitisme, en évinçant la société Procom tout en tirant profil de son renom, de son travail et de ses investissements,
confusion, en prenant directement contact avec les clients de la société Procom,
démarchage déloyal de la clientèle développée et fidélisée par la société Procom, puisque la société Nanuméa a contacté la clientèle de la société Procom avant la fin de la relation commerciale,
détournement de fichiers, par la société Nanuméa qui a obtenu frauduleusement les fichiers clientèle de la société Procom,
détournement de commande, puisque la société Nanuméa a passé commande auprès du groupe BDM.
Mais la société Procom ne justifie d'aucun des actes de concurrence déloyale qu'elle invoque. En effet, si elle verse aux débats des messages électroniques démontrant que la société UDB a ponctuellement démarché directement ses clients, il n'en résulte aucune pratique déloyale, car elle ne jouissait d'aucun droit exclusif sur ces clients et aucun détournement massif de clientèle n'en est résulté qui aurait été obtenu par des procédés déloyaux. Aucun détournement de fichiers ou de commandes n'est au surplus démontré. Cette demande sera donc rejetée. Le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.
Sur la créance de la société UDB
Si les sociétés UDB et Nanuméa soutiennent que la société Procom reconnaît être redevable d'une somme de 159 694,12 euros envers la société UDB au titre du paiement de factures de marchandises, outre intérêts contractuels, la société Procom conteste être redevable des intérêts ainsi que la validité de la mise en demeure.
Mais la mise en demeure résulte bien d'un e-mail interpellatif du 2 décembre 2013 dans lequel la société UDB exige le paiement de factures impayées. Par ailleurs, il résulte de l'article 10 c des conditions générales de vente de la société UDB figurant au recto des factures restant à payer, que " le vendeur se réserve le droit, en cas de dépassement du délai de paiement convenu, de facturer à l'acheteur un intérêt de 1 % par mois, pour lequel tout mois commencé sera considéré comme un mois complet sans préjudice de l'obligation de l'acheteur de procéder au paiement immédiat du montant dû en principal ".
Le montant en principal n'étant pas contesté, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Procom à payer à la société UDB la somme de 159 654,12 euros avec intérêts de retard au taux contractuel de 1 % par mois à compter de la mise en demeure du 2 décembre 1013.
Sur la résistance abusive et l'exécution de mauvaise foi de la société Procom
Les sociétés UDB et Nanuméa soutiennent que la société Procom a consenti à la société UDB une garantie bancaire à première demande sur la somme de 100 000 euros, a consigné la somme qu'elle devait à la société UDB, soit 159 694,12 euros sur le compte Carpa de son conseil puis a fait pratiquer deux saisies conservatoires sur le solde de ce compte Carpa et sur le montant de la garantie à première demande. Il s'agirait d'une résistance abusive et d'une exécution de mauvaise foi du contrat, dont les sociétés UDB et Nanuméa sollicitent indemnisation à hauteur de 15 000 euros.
Mais la société Procom a été autorisée par décisions de justice à pratiquer ces deux saisies sans qu'aucune mauvaise foi ne puisse lui être reprochée. Cette demande sera donc rejetée.
Sur la compensation
Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a ordonné la compensation entre les créances réciproques des sociétés UDB et Procom. (218 871 euros et 159 654,12 euros).
Sur les pratiques restrictives de concurrence de la société Procom
Les sociétés UDB et Nanuméa soutiennent que la société Procom a commis des pratiques restrictives de concurrence. En effet, en s'imposant à partir de 2009 comme intermédiaire entre la société UDB et ses clients avec l'aide de la société Texom, elle aurait obtenu un avantage injustifié constitué par la marge indûment perçue par la société Procom, ce qui aurait causé un préjudice à la société UDB.
Mais la société UDB ne démontre pas que ce mode opératoire aurait été mis en place sans son accord. Il a au contraire été mis en place avec l'accord de tous les intéressés et a fonctionné pendant plusieurs années, à compter au moins de 2003, comme il a été vu plus haut. Il y a donc de confirmer le jugement entrepris sur ce point.
Sur la procédure abusive
Les appelantes ne démontrent aucunement que les intimées auraient abusé de leurs droits d'ester en justice. Elles seront donc déboutées de ce chef.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Succombant au principal, les sociétés UDB et Nanuméa Export supporteront in solidum les entiers dépens de l'instance d'appel et seront condamnées in solidum à payer à la société Procom la somme de 20 000 euros titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ces motifs, confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a fixé à la somme de 217 445 euros, le montant du préjudice commercial subi par la société Procom et en ce qu'il a condamné conjointement la société UDB et Nanuméa Export à payer à la société Procom la somme de 20 000 euros au titre de la concurrence déloyale, l'infirme sur ces points, Et, statuant à nouveau, déboute la société Procom de sa demande pour concurrence déloyale, condamne les sociétés UDB et Nanuméa Export à payer in solidum à la société Procom la somme de 218 871 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 26 mars 2015, condamne les sociétés UDB et Nanuméa Export in solidum aux entiers dépens de l'instance d'appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, condamne les sociétés UDB et Nanuméa Export à payer à la société Procom la somme de 20 000 euros titre de l'article 700 du Code de procédure civile.