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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 26 avril 2017, n° 15-10316

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Direction Conseil Objectif (SA)

Défendeur :

Clara Automobiles (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mme Mouthon Vidilles, M. Thomas

Avocats :

Mes Defontaine, Buffin, Ribaut, Grousseau

T. com. Lille Métropole, du 10 mars 2015

10 mars 2015

Exposé des faits

La société Direction Conseil Objectif Eurodatacar (ci-après la société DCO) commercialise des produits de tatouages automobiles destinés à la protection des vols automobiles.

La société Clara Automobiles détient un certain nombre de concessions automobiles sous la marque Peugeot.

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 31 mai 2013, la société Clara Automobiles a indiqué à la société Eurodatacar qu'elle mettait fin au contrat conclu entre elles le 27 décembre 2010, avec effet au 31 décembre 2013.

Le 8 octobre, la société DCO a, par courrier recommandé, indiqué à la société Clara Automobiles qu'au regard de l'antériorité de leurs relations commerciales, elle estimait que le préavis ne pourrait prendre fin avant le 31 décembre 2015.

La société DCO estime que ses relations commerciales avec la société Clara Automobiles sont établies depuis 1992, la société Clara Automobiles étant venue aux droits de plusieurs sociétés, à la suite d'opérations de restructuration, ayant contracté avec la société DCO.

Pour sa part, la société Clara Automobiles, considérant que sa relation commerciale avec la société DCO avait débuté par la signature du contrat le 27 décembre 2010, a estimé que le préavis accordé de 7 mois était suffisant et n'a pas donné suite aux demandes de la société DCO.

Le 11 février 2014, la société DCO a assigné la société Clara Automobiles devant le Tribunal de commerce de Lille sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce.

Par jugement en date du 10 mars 2015, le Tribunal de commerce de Lille a :

- dit que la rupture brutale des relations commerciales, au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce n'est pas établie,

- débouté la société Eurodatacar de l'ensemble de ses demandes à ce titre,

- condamné la société Eurodatacar à payer à la société Clara Automobiles la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la société Eurodatacar aux entiers dépens de l'instance,

- débouté la société Clara Automobiles de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- débouté les parties de toutes leurs autres demandes plus amples ou contraires.

La cour est saisie de l'appel interjeté par la société DCO du jugement du Tribunal de commerce de Lille en date du 10 mars 2015.

Par conclusions du 24 janvier 2017, la société DCO demande à la cour de :

vu les dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce,

vu le jugement du Tribunal de commerce de Lille du 10 mars 2015,

vu les pièces versées aux débats,

- dire recevable l'appel formé par la société DCO Eurodatacar,

à titre principal comme à titre subsidiaire,

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de commerce de Lille Métropole déboutant la société Eurodatacar de ses demandes en première instance,

à titre principal et statuant à nouveau,

- constater la rupture brutale et abusive des relations commerciales entre les parties par Clara Automobiles sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce,

- fixer la durée de préavis suffisant à une durée de 21 mois compte tenu de l'ancienneté des relations commerciales,

- calculer le montant de l'indemnité de préavis en tenant compte de la marge brute réalisée au cours des trois exercices précédents la rupture des relations commerciales entre les parties,

- condamner Clara Automobiles au paiement de la somme de 294 192,11 euros à titre d'indemnité de rupture assortie des intérêts au taux légal à compter de l'assignation devant le Tribunal de commerce de Lille Métropole,

à titre subsidiaire,

- condamner Clara Automobiles au paiement de la somme de 210 137,22 euros à titre d'indemnité de rupture assortie des intérêts au taux légal à compter de l'assignation devant le Tribunal de commerce de Lille Métropole,

en tout état de cause,

- condamner Clara Automobiles au paiement de la somme de 15 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner Clara Automobiles au paiement des entiers frais et dépens de première instance et d'appel.

Par conclusions du 20 janvier 2017, la société Clara Automobiles demande à la cour de :

- constater voir au besoin dire que la société DCO a été déréférencée par Peugeot à compter du 1er janvier 2013, ce qui a eu pour conséquences de changer substantiellement l'équilibre économique des relations contractuelles entre les parties,

- constater voir au besoin dire que la société DCO a eu largement le temps d'anticiper cette situation ayant eu nécessairement connaissance de son déréférencement depuis le mois de décembre 2010,

- constater voir au besoin dire que la société DCO a, par une réticence dolosive, occultée son déréférencement Peugeot à son cocontractant intervenu avant la signature du contrat du 27 décembre 2010,

- constater que la société DCO refuse de verser aux débats le courrier qui lui a été adressé par le groupe PSA Peugeot Citroën le 22 décembre 2010 faisant état de son déréférencement ainsi que les autres pièces sollicitées par la société Clara Automobiles,

- constater voir au besoin dire que la société Clara Automobiles a accordé un délai de préavis largement suffisant compte tenu des circonstances,

en conséquence,

- dire que la société Clara Automobiles n'a pas résilié brutalement les relations contractuelles entretenues avec la société DCO,

en conséquence,

- débouter la société DCO de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,

à titre reconventionnel,

- condamner la société DCO à payer à la société Clara Automobiles une somme provisionnelle de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts en raison de sa réticence dolosive et de la procédure particulièrement abusive et vexatoire qu'elle introduit à son encontre,

- condamner la société DCO à payer à la société Clara Automobiles une somme de 15 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile outre les entiers dépens.

Motivation

Sur l'existence d'une relation commerciale établie

La société DCO - groupe Eurodatacar soutient que les relations commerciales ont débuté en 1992, la société Clara Automobiles étant venue aux droits de différentes sociétés, par le biais de restructurations, et se sont poursuivies jusqu'en 2013.

Elle affirme avoir commencé ses relations d'affaires avec le groupe Clara automobiles par un accord commercial avec la société Garage Guerry, qui a fait l'objet en 2003 d'un apport de son fonds de commerce à la société Saca, laquelle a, en 2005, été absorbée par la société Clara, qui a changé de dénomination sociale en 2008 pour devenir la société Clara Automobiles.

Elle expose qu'en 1997, la société SNTAF, aux droits de laquelle elle soutient se trouver, a signé un " contrat pôle position " garantie neuf à neuf avec la Société Nouvelle Cognac Garage, rachetée en 1998 par la société Saca. Elle conteste la cessation de ce contrat lors de la cession du fonds de commerce de la Société Nouvelle Cognac Garage en décembre 1998, et fait état de courriers qui démontreraient sa poursuite.

Elle en déduit que les relations commerciales ont duré 21 années, leur point de départ étant en 1992 voire en 1997, de sorte qu'au vu de l'ancienneté de la relation entre les parties et de l'importance du chiffre d'affaires réalisé, elle sollicite que le délai suffisant de préavis soit arrêté au mieux à 21 mois et au pire à 17 mois.

La société Clara automobiles relève que le contrat de 1992 n'est pas produit au débat, qu'il n'est même pas précisé qui aurait signé un tel accord ni quel aurait été son objet.

Elle soutient, concernant le contrat conclu en 1997 entre la société SNTAF et la Société Nouvelle Cognac Garage, que ce contrat ne figure pas dans la liste des contrats repris ; elle ajoute que l'appelante n'établit pas le lien entre elle et la société SNTAF, le projet de fusion entre ces sociétés révélant qu'elles n'ont aucun lien en capital ni participation de l'une dans l'autre et que la société DCO n'avait pas d'activité de gravage ; elle relève enfin que jusqu'à la résiliation des relations contractuelles, la société DCO n'établit pas venir aux droits de SNTAF, et qu'elle n'établit pas être intervenue dans l'exécution de ce contrat.

Elle dénonce le flou entretenu par l'appelante avec SNTAF et Eurodatacar, qui ne serait qu'une marque.

Sur ce

Il revient à l'appelante, qui soutient l'existence d'une relation commerciale établie, au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce, depuis 1992 ou au pire 1997 par une succession de contrats, de démontrer que cette relation présente un caractère suivi, stable et habituel.

En l'espèce, la société DCO mentionne un contrat conclu en 1992 entre le groupe Eurodatacar et le garage Guerry (aux droits de laquelle serait ensuite venue l'intimée) mais ne le produit pas, et l'attestation d'un employé de l'appelante faisant état de l'existence de ce contrat ne saurait suffire à en justifier, cette attestation ne renseignant du reste pas sur l'objet de ce contrat.

Par conséquent, l'existence d'une relation commerciale établie depuis 1992 n'est pas démontrée.

S'agissant du contrat de 1997 conclu entre les sociétés SNTAF et Nouvelle Cognac Garage, il était conclu pour une durée d'une année avec reconduction automatique sauf dénonciation par lettre recommandée trois mois avant sa date de prise d'effet.

L'acte de vente du fonds de commerce de la société Nouvelle Cognac Garage à la société Saca du 21 décembre 1998 comprend une annexe listant les contrats repris dans la cession, dans laquelle ne figure pas le contrat de 1997 conclu avec la société SNTAF.

Pour autant, dans un courrier du 6 mai 1999 adressé à Eurodatacar, la société Saca indique remplacer la société Nouvelle Cognac Garage, fait état d'un volume de contrat et du remplacement des dispositions précédentes par les nouvelles.

Par ailleurs, un courrier du 13 avril 2000 de la société Saca fait état d'une date d'effet du contrat au 1er décembre 1997, mais ne porte pas d'indication de son destinataire.

Pour justifier venir aux droits de la société SNTAF, la société DCO verse un projet de fusion-absorption du 19 décembre 2014 tendant à l'absorption par elle de la société SNTAF.

Ce projet indique que si les deux sociétés sont contrôlées par la société Châteaudun Développement, elles n'ont aucun lien en capital, et aucune ne détient de participation dans l'autre.

Si ce projet de fusion-absorption a été validé par décision de l'assemblée générale extraordinaire de la société DCO (sa pièce 32), il convient de relever que la société DCO ne pouvait venir aux droits de cette société SNTAF avant cette fusion et au moment de la résiliation, dont la date d'effet avait été fixée par la société Clara automobiles au 31 décembre 2013.

Il sera relevé que la société SNTAF n'est pas intervenue à l'instance avant son absorption.

L'attestation du président de la société DCO, même confirmée par son expert-comptable (ses pièces 15/1 et 29), indiquant sa société était chargée par SNTAF d'établir les facturations pour son compte au cours des années 2011 à 2013, ne saurait fonder son intervention à la place de SNTAF, ce d'autant que l'accord en cause entre DCO et SNTAF n'est pas produit.

Enfin, la société DCO ne produit aucune pièce justifiant de l'exécution du contrat de 1997 de sorte que la date de sa signature ne sera pas retenue comme celle de début des relations commerciales entre les sociétés DCO et Clara Automobiles.

Par conséquent, le courrier du 31 mai 2013 de la société CLARA automobiles visant le contrat conclu le 29 décembre 2010 et annonçant sa volonté de le résilier avec effet au 31 décembre 2013, il convient de retenir que les relations entre les sociétés DCO et CLARA ont débuté le 29 décembre 2010, étant par ailleurs relevé que la société Clara automobiles ne peut utilement faire état d'une confusion entre DCO et Eurodatacar, qui est le nom commercial (sa pièce 33/1) de cette société.

Sur la brutalité de la rupture et sa réparation

La société Clara automobiles expose avoir été informée le 2 janvier 2013 du déréférencement par Peugeot d'Eurodatacar comme système de gravage, alors qu'elle bénéficiait précédemment d'un monopole et imposait alors des conditions peu négociables. Elle souligne que la société DCO en avait été avisée peu avant la signature du contrat du 27 décembre 2010 mais ne l'en a pas avertie, alors qu'elle-même n'aurait pas conclu autrement puisque le référencement par Peugeot conditionnait ses RFA.

Elle indique que le contrat du 27 décembre 2010 prévoyait un préavis de trois mois, et qu'en prévenant la société DCO de la fin du contrat au 31 décembre 2013 elle lui a accordé un délai très suffisant de sept mois. Elle ajoute que l'information donnée par Peugeot à la société DCO de son déréférencement lui permettait de prévoir la rupture des relations avec elle.

La société DCO soutient que la relation a duré 21 années, et que l'existence d'un préavis contractuel ne dispense pas la juridiction d'examiner s'il est suffisant compte-tenu de la durée de la relation. Elle soutient que son déréférencement par Peugeot n'empêchait pas la poursuite de la relation avec la société Clara automobiles. Elle souligne que la société Clara automobiles ne fait état dans son courrier de résiliation d'aucune difficulté dans les relations de nature à justifier une inexécution. De même conteste-t-elle avoir bénéficié de monopole, avoir abusé de sa position, et pratiqué des tarifs plus élevés que les sociétés concurrentes.

Sur ce

Comme indiqué précédemment, il convient de retenir que la relation commerciale entre les sociétés DCO et Clara automobiles a débuté par le contrat du 29 décembre 2010, dont l'article 5 prévoit qu'il est prévu pour une durée d'une année renouvelable tacitement, sauf dénonciation par lettre recommandée au moins trois mois avant la date anniversaire du contrat.

La date de prise d'effet de ce contrat est le 1er janvier 2011.

Par courrier recommandé du 31 mai 2013, la société Clara automobiles a fait part de son intention de mettre un terme au contrat, au 31 décembre 2013.

Ce faisant, elle a prévenu la société DCO sept mois avant la date d'effet de la résiliation, soit une durée supérieure à celle contractuellement prévue de trois mois.

Dans ses écritures, la société DCO reconnaît avoir bénéficié d'un préavis de sept mois, alors que la durée prévue par le contrat était de trois mois.

La durée de sept mois apparaît suffisante au regard d'une date de début des relations commerciales retenue au 29 décembre 2010 et des autres éléments du dossier relatifs aux caractéristiques de cette relation, notamment de la nature de l'activité.

Au vu de ce délai, la rupture n'apparaît pas brutale, au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce.

Le jugement du Tribunal de commerce de Lille Métropole sera confirmé sur ce point.

Sur la demande reconventionnelle

La société Clara automobiles soutient à l'appui de sa demande reconventionnelle que la société DCO aurait dissimulé la vérité en occultant certains éléments, et il ressort de ses conclusions qu'elle reproche à la société DCO de ne pas l'avoir informée de son déréférencement avant la signature du 27 décembre 2010.

Cependant, ce déréférencement n'empêchait pas la société DCO de proposer ses services à la société CLARA automobiles.

Aussi, les faits allégués par l'intimée ne semblent pas de nature à justifier l'allocation de dommages et intérêts, et le caractère vexatoire de la procédure n'est pas démontré.

L'accès au juge étant un droit fondamental et un principe général garantissant le respect du droit, ce n'est que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles que le fait d'exercer une voie de recours en justice légalement ouverte, est susceptible de constituer un abus. En l'espèce, la société Clara automobiles ne démontre pas que l'appel interjeté par la société DCO ait été abusif.

Elle sera donc déboutée de sa demande à ce titre.

Sur les autres demandes

La société DCO succombant au principal, sera condamnée aux dépens d'appel.

Il convient par conséquent de la condamner au paiement d'une somme supplémentaire de 6000 euros au titre des frais irrépétibles exposés par la société Clara automobiles en appel.

Par ces motifs, confirme le jugement du tribunal de commerce de Lille Métropole du 10 mars 2015, Y ajoutant, condamne la société DCO au paiement des dépens, condamne la société DCO au paiement à la société Clara automobiles d'une somme supplémentaire de 6000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.