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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 11 mai 2017, n° 15-01247

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

XPO Distribution France (Sté)

Défendeur :

Transbenelux (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Schaller

Conseillers :

Mmes du Besset, Castermans

Avocats :

Mes Lugosi, Chouvellon, Pineiro Cid, Denecker

T. com. Lille Métropole, du 27 nov. 2014

27 novembre 2014

Faits et procédure

La société Transbenelux, basée à Roncq dans le Nord, près de la frontière belge, exerce une activité de transport routier international de marchandises, essentiellement en Belgique, aux Pays-Bas et dans le Nord de la France.

La société Darfeuille qui était une société de transport, basée à Lesquin (Nord), a été reprise par le Groupe Christian Salvesen, qui a été lui-même racheté par la société Norbert Dentressangle Distribution à compter du 14 décembre 2007.

Les sociétés Transbenelux et Darfeuille ont entretenu des relations d'affaires, en se sous-traitant réciproquement des prestations de transport.

Courant 2010, le groupe Norbert Dentressangle a conçu un partenariat au niveau européen intitulé " Red Europe " lui permettant de proposer à l'ensemble de ses filiales un prestataire unique par pays. Pour la Belgique et la partie sud des Pays-Bas, il a sélectionné la société Transbenelux et un protocole " Red Europe " a été conclu entre les parties le 23 novembre 2010, avec prise d'effets au 1er novembre 2010, lequel protocole précisait que les marchandises devaient transiter au départ et à l'arrivée par la plate-forme de Roncq de Transbenelux.

Selon courrier recommandé AR du 12 juillet 2012, la société Transbenelux a reproché à la société Norbert Dentressangle Distribution d'avoir détourné par l'entremise de son commercial, M. Decoster, un de ses importants clients, la société belge Yvens Decroupet, pour laquelle elle intervenait jusqu'à présent seulement comme sous-traitante de Transbenelux, et l'a mise en demeure de cesser toute relation commerciale avec ce client, conformément aux conditions de leur partenariat.

Par courrier en réponse du 27 juillet 2012, la société Norbert Dentressangle Distribution s'y est opposée, faisant valoir que c'était la société Yvens Decroupet qui l'avait contactée (et non l'inverse) et qu'en tout état de cause, le partenariat tissé avec la société Transbenelux ne prévoyait pas d'accord sur la prospection de clientèle, chaque société restant maître dans le choix de ses clients.

Selon courrier recommandé AR du 10 septembre 2012, " Norbert Dentressangle " a notifié à la société Transbenelux son " intention de stopper le partenariat entre les filiales de Norbert Dentressangle et Transbenelux et en vigueur depuis le 1er novembre 2010 ", l'arrêt de partenariat devant prendre effet trois mois après la réception de la lettre en cause, conformément au protocole signé entre les parties.

S'estimant victime d'une rupture brutale des relations commerciales et d'un détournement de clientèle, la société Transbenelux a assigné la société Norbert Dentressangle Distribution devant le Tribunal de commerce de Lille Métropole en indemnisation, par exploit introductif en date du 4 juin 2013.

Par jugement en date du 27 novembre 2014, le dit tribunal a condamné, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, la société Norbert Dentressangle Distribution à payer à la société Transbenelux les sommes de :

- 114 208 euros de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales,

- 32 000 euros de dommages et intérêts pour concurrence déloyale,

- 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens, les parties étant déboutées du surplus de leurs demandes.

Vu l'appel interjeté le 19 janvier 2015 par la société Norbert Dentressangle Distribution contre cette décision ;

Vu les dernières conclusions (n° 6) notifiées par la voie électronique le 25 janvier 2017 par la société XPO Distribution France, venant aux droits de Norbert Dentressangle Distribution(suite à son rachat entre temps par un fond de pension américain), par lesquelles il est demandé à la cour, au visa des articles 1134 du Code civil et L. 442-6 du Code de commerce, de :

- infirmer le jugement et statuant à nouveau,

- débouter la société Transbenelux de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

- la condamner au paiement de la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance, distraits au profit de Maître Lugosi, avocat, sur son affirmation de droit.

Vu les dernières conclusions (n° 3) notifiées par la voie électronique le 4 octobre 2016 par la société Transbenelux, par lesquelles il est demandé à la cour, au visa des articles 1134 du Code civil et L. 442-6 du Code de commerce, de :

Dire mal appelé, bien jugé et confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Condamner la société Norbert Dentressangle Distribution au paiement d'une somme de 7 500 euros à titre de dommages et intérêts pour appel abusif et dilatoire ;

Condamner la société Norbert Dentressangle Distribution au paiement de la somme de 4 500 euros au titre des frais irrépétibles ;

La condamner aux entiers frais et dépens en ce compris tous les frais à la charge de la société Transbenelux en application de l'article 10 du tarif des Huissiers modifié par le décret du 8 mars 2001.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 26 janvier 2017.

Motifs

Sur la rupture brutale de relation commerciale établie :

La société Transbenelux fonde sa demande indemnitaire sur l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce qui dispose en substance qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

En l'espèce, les parties, qui exercent toutes deux une activité de transport routier, sont en désaccord sur l'ancienneté de leur relation commerciale qui porte sur de la sous-traitance de transport et remonterait à 1997 selon Transbenelux.

Or, dans son courrier du 12 juillet 2012, celle-ci fait état d'un partenariat commercial et économique avec Norbert Dentressangle Distribution "depuis une dizaine d'années", soit environ depuis 2002, ce que cette dernière n'a pas contesté dans son courrier de réponse du 27 juillet 2012, ni dans ses correspondances ultérieures. De plus, selon le témoignage d'un chauffeur de poids lourds salarié de Transbenelux, ce dernier a travaillé pour Darfeuille, devenu Norbert Dentressangle en décembre 2007, à compter de 1999. Enfin, selon un tableau récapitulatif de son chiffre d'affaires avec Norbert Dentressangle établi par Transbenelux, qui commence à l'année 1999 (et non 1997), les archives de cette dernière des années 1999 à 2001 auraient été détruites.

Il s'évince de ces éléments que la relation commerciale a débuté en 1999 entre les parties, étant non contesté qu'XPO Distribution France vient aux droits du co-contractant initial, Darfeuille.

Par ailleurs, la cour observe que le protocole instituant un partenariat " Red Europe " a été signé le 23 novembre 2010 entre Transbenelux et le Groupe Norbert Dentressangle (depuis dénommé XPO Logistics Europe), lequel n'est pas partie à l'instance, mais que toutefois les parties admettent manifestement que le Groupe Norbert Dentressangle a ainsi contracté pour le compte de sa filiale, la société Norbert Dentressangle Distribution (depuis dénommée XPO Distribution France) qui, elle, est bien partie à l'instance et se considère donc liée par ce protocole.

Ce protocole prévoit un préavis de trois mois en cas de volonté de résiliation par l'une ou l'autre des parties.

Or, cette durée contractuelle de préavis est identique à celle prévue pour une relation commerciale de plus d'un an - tel étant le cas - par l'article 12-2 du contrat-type applicable aux transports routiers de marchandises exécutés par des sous-traitants, approuvé par le décret n° 2003-1295 du 26 décembre 2003 pris en application de l'article 8-II de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs (dite LOTI).

Ce contrat-type étant supplétif de la volonté des parties, le débat sur le point de savoir si le protocole régit toute la relation commerciale des parties ou seulement une partie, ainsi que l'excipe Transbenelux, est indifférent, puisque dans tous les cas, la durée du préavis est de trois mois, ainsi que l'observe à bon droit XPO Distribution France.

Par ailleurs, il se déduit de la conformité du préavis contractuel au préavis prévu par le contrat-type que ce préavis est réputé correspondre aux usages commerciaux en référence desquels doit s'apprécier in concreto la durée suffisante du préavis au sens de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, au regard de la durée de la relation commerciale et des circonstances de l'affaire.

En l'espèce, il n'est pas contesté que le préavis de trois mois notifié dans le courrier de rupture du 10 septembre 2012 a effectivement été appliqué. En outre, il apparaît que cette rupture portait bien sur l'ensemble de la relation commerciale, même si elle ne visait que les prestations prévues dans le protocole du 23 novembre 2010, ainsi que l'admet implicitement Transbenelux lorsqu'elle réclame un préavis de 12 mois et demande la confirmation du jugement entrepris qui l'a suivie sur ce point et accordé une indemnité correspondant aux 9 mois manquants.

Il n'est pas contesté non plus qu'au cours de l'année 2012, Transbenelux a baissé de 40 % le volume des prestations qu'elle confiait à Norbert Dentressangle Distribution, ce qui atteste d'une fragilisation de la relation commerciale entre les parties qui a la particularité d'être bilatérale, les parties étant ici sous-traitantes l'une de l'autre (le chiffre d'affaires effectué par Transbenelux grâce aux prestations fournies par Norbert Dentressangle Distribution étant d'ailleurs supérieur à celui procuré en sens inverse).

Par suite, compte tenu de ces éléments et en dépit de l'ancienneté de la relation commerciale (13 ans), il s'avère que le préavis de trois mois, qui est tout à la fois contractuel, conforme au contrat-type et réputé correspondre aux usages commerciaux, était suffisant ce qui ôte toute brutalité à la rupture.

Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a condamné la société Norbert Dentressangle Ditribution à payer une indemnité de 114 208 euros à Transbenelux en réparation de la brutalité de la rupture de relation.

Sur le détournement de clientèle :

Il résulte des pièces et il n'est en toutes hypothèses pas contesté qu'à compter de 2010, Transbenelux a sous-traité à Norbert Dentressangle Distribution les prestations de transport à destination de la France que lui confiait la société belge Yvens Decroupet et que depuis mai 2012, cette dernière a travaillé " en direct " avec Norbert Dentressangle Distribution qui est devenu son co-contractant direct pour les prestations de transport.

Il s'en déduit en outre que du fait auparavant de sa qualité de sous-traitante effectuant matériellement les prestations, Norbert Dentressangle Distribution avait nécessairement connaissance d'un certain nombre des conditions d'intervention chez ce client.

Or, il n'est ni excipé, ni démontré que Norbert Dentressangle Distribution ait à tout le moins consulté ou informé son donneur d'ordre, Transbenelux, quant à la possibilité pour elle de traiter directement avec ce client, ce qui constitue indéniablement un manquement au devoir de loyauté présidant aux relations contractuelles, ainsi qu'un acte de concurrence déloyale, ainsi que l'ont exactement retenu les premiers juges. Et n'est pas de nature à enlever son caractère fautif au comportement de Norbert Dentressangle Distribution le fait que ce soit Yvens Decroupet qui l'ait contactée (et non l'inverse), puisque l'intéressée a accepté la relation sans en informer son donneur d'ordre, et que le volume d'affaires confié par Yvens Decroupet à Norbert Dentressangle Distribution ait été supérieur à celui qu'elle donnait à Transbenelux.

Etant non contesté que le chiffre d'affaires annuel moyen que Transbenelux réalisait auparavant avec Yvens Decroupet était de 44 466 euros, c'est à bon droit que le tribunal de commerce a estimé que le préjudice subi par la première consécutivement à la faute précitée serait réparé par l'allocation d'une indemnité de 32 000 euros.

Il est précisé que contrairement à ce qu'ont indiqué les premiers juges, cette indemnité répare uniquement le détournement de clientèle qui caractérise un acte de concurrence déloyal, mais non la brutalité de la rupture de la relation commerciale par Norbert Dentressangle Distribution, laquelle brutalité n'est pas établie ainsi que développé plus haut, étant rappelé que celle-ci demeurait libre de rompre la relation, seule l'éventuelle brutalité dans la rupture étant sanctionnée.

XPO Distribution France obtenant pour partie gain de cause en appel, il ne pourra être fait droit à la demande indemnitaire formée pat Transbenelux au titre d'un prétendu appel abusif et dilatoire.

Transbenelux qui succombe principalement supportera les dépens de l'appel. L'équité commande de ne pas faire droit à la demande d'XPO Distribution France formée en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a condamné la société Norbert Dentressangle Distribution à payer à la société Transbenelux la somme de 114 208 euros de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales ; statuant de nouveau sur le point réformé, déboute la société Transbenelux de sa demande indemnitaire formée à l'encontre de la société XPO Distribution France, venant aux droits de Norbert Dentressangle Distribution, au titre de la rupture brutale de la relation commerciale ; rejette toutes autres demandes ; condamne la société Transbenelux aux dépens, dont distraction au profit de Me Lugosi, avocat, en application de l'article 699 du Code de procédure civile.