Cass. com., 11 mai 2017, n° 15-17.883
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Loisy
Défendeur :
Aloris (SARL), Polymont Engineering (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Le Bras
Avocats :
SCP Ghestin, SCP Célice, Soltner, Texidor, Périer, SCP Potier de La Varde, Buk-Lament, Robillot
LA COUR : - Statuant tant sur le pourvoi principal formé par M. Loisy que sur le pourvoi incident relevé par la société Aloris ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Loisy, directeur du département des installations industrielles de la société Arma Ingénierie (la société Arma), spécialisée dans les études et l'ingénierie pour projets industriels, a démissionné de son poste le 29 septembre 2006 et a été dispensé d'effectuer son préavis ; qu'il a constitué, le 27 novembre 2006, la société 3I Ingénierie ; qu'invoquant des actes de concurrence déloyale par débauchage de salariés et détournement de clientèle, de fichiers et de documents professionnels, la société Arma a assigné M. Loisy et la société 3I Ingénierie en paiement de dommages-intérêts ; que la société Arma a fait appel du jugement qui avait constaté que les actes établis à l'encontre de M. Loisy étaient fautifs et obligeaient ce dernier à réparer le préjudice en résultant pour la société Arma et qui, avant dire droit, avait invité cette dernière à produire le traité de cession à la société Polymont ; qu'en cours d'instance, la société 3 I Ingénierie a fait l'objet d'une fusion-acquisition par la société Aloris ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal : - Attendu que M. Loisy fait grief à l'arrêt de déclarer recevable l'appel de la société Polymont alors, selon le moyen : 1°) que les décisions qui ne tranchent pas le fond du litige et qui ne mettent pas fin à l'instance ne peuvent faire l'objet d'un appel immédiat ; qu'en l'espèce après avoir relevé que le jugement du 18 mars 2008 avait, avant dire droit, invité la société Arma Ingénierie à produire un traité de cession entre elle-même et la société Polymont, enjoint aux parties de conclure et renvoyé l'affaire à la mise en état, la cour d'appel devait en déduire qu'avant dire droit, le tribunal avait invité les parties à lui permettre de vérifier la qualité pour agir de la société Polymont qui prétendait reprendre l'instance engagée par la société Arma Ingénierie à la suite de la transmission universelle du patrimoine de la société Arma Ingénierie à la société Polymont intervenue le 30 novembre 2007 ; qu'en considérant qu'une partie du principal avait été tranchée par ce jugement qui s'était borné à constater l'intérêt à agir de la société Arma Ingénierie lorsqu'il avait constaté un fait de concurrence déloyale, pour déclarer recevable l'appel immédiat, la cour d'appel a violé l'article 544 du Code de procédure civile ; 2°) qu'à l'occasion d'une reprise d'instance, le juge doit vérifier le droit d'action de la partie qui prétend avoir intérêt et qualité à exercer cette reprise ; qu'après avoir constaté que, selon le jugement, la société Arma Ingénierie, demanderesse, avait intérêt et qualité à agir en concurrence déloyale, la cour d'appel devait rechercher si, en invitant les parties à produire le traité de cession entre la société Arma Ingénierie et la société Polymont, le jugement s'était borné, avant dire droit, à permettre au tribunal de vérifier la possibilité pour la société Polymont de reprendre l'instance ; qu'en s'abstenant de procéder à cette recherche avant de considérer qu'une partie du principal avait été tranché par le jugement, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article 30 du Code de procédure civile, ensemble les articles 544 et 373 du même Code ;
Mais attendu qu'ayant retenu que le jugement se présentait comme une décision mixte puisque celle-ci, d'une part, statuait sur le fond du litige en déclarant établis les actes fautifs retenus à l'encontre de M. Loisy, lequel était tenu de réparer le préjudice de la société Arma, et, d'autre part, ordonnait avant dire droit la communication du traité de cession de la société Arma à la société Polymont, ce dont il résultait que la décision tranchait une partie de la demande principale, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à la recherche invoquée par la seconde branche, que ses appréciations rendaient inopérante, en a exactement déduit que l'appel était recevable ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen de ce pourvoi, pris en ses deuxième et troisième branches : - Attendu que M. Loisy fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré établis à son encontre les actes fautifs l'obligeant à réparer le préjudice en résultant pour la société Polymont venant aux droits et obligations de la société Arma et de déclarer la société 3I Ingénierie responsable d'actes constitutifs de concurrence déloyale commis au préjudice de la société Polymont alors, selon le moyen : 1°) que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en fondant sa décision sur le moyen tiré de la confusion créée par usage de documents identiques, traduisant une " volonté délibérée de la part de Jean-François Loisy et de la SARL 3I Ingénierie de détenir des documents leur permettant de connaître les tarifs pratiqués par leur concurrent et d'adapter leurs propres offres ", sans provoquer les explications des parties sur ce moyen relevé d'office, la cour d'appel a violé l'article 16 du Code de procédure civile ; 2°) que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en fondant sa décision sur le moyen tiré du fait qu'en dissimulant la date exacte de la fin de son contrat ou en n'indiquant pas la date de sa démission à son interlocuteur au sein de la société Total qui était un client important de la SARL Arma, M. Loisy avait créé une confusion dans l'esprit de ce client durant son préavis auquel il a été mis fin le 20 novembre 2006, sans provoquer les explications des parties sur ce moyen relevé d'office, la cour d'appel a violé l'article 16 du Code de procédure civile ;
Mais attendu que la société Polymont, venant aux droits de la société Arma, ayant soutenu, dans ses conclusions, que M. Loisy et la société 3I Ingénierie s'étaient largement inspirés des exemples jurisprudentiels, qu'elle citait, comme celui d'un ancien employé qui avait créé sa propre entreprise et qui continuait d'agir auprès de la clientèle commune comme s'il en était toujours le représentant ou celui qui, par une utilisation de renseignements techniques et commerciaux recueillis à l'occasion de ses anciennes fonctions, détournait les commandes d'un client de son ancien employeur, c'est sans relever un moyen d'office, ni se fonder sur un fait qui n'était pas dans le débat que la cour d'appel a retenu que M. Loisy et la société 3I Ingénierie avaient commis des actes de concurrence déloyale, en favorisant la confusion par l'emploi de documents identiques, dans le dessein de connaître les tarifs pratiqués par leur concurrent et d'adapter leurs propres offres, et par la dissimulation auprès de la clientèle de la société Arma de la date exacte de la fin du contrat de M. Loisy et celle de sa démission ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident : - Attendu que la société Aloris fait grief à l'arrêt de déclarer recevables l'appel principal de la société Polymont et l'appel incident de M. Loisy, de déclarer la société 3I Ingénierie responsable d'actes constitutifs de concurrence déloyale commis au préjudice de la société Polymont, de condamner la société 3I Ingénierie, in solidum avec M. Loisy, à payer à la société Polymont la somme de 765 713,59 euros à titre de dommages-intérêts et d'ordonner la destruction de l'ensemble des données informatiques ayant trait à l'activité de l'ancienne société Arma détenues dans les mémoires et logiciels des ordinateurs utilisés par la société 3I Ingénierie alors, selon le moyen, que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement ; qu'en se prononçant, par arrêt du 12 février 2015, sur le litige opposant les sociétés Polymont et 3I Ingénierie sans que la société Aloris, qui avait absorbé la société 3I Ingénierie par traité de fusion du 28 septembre 2012, n'ait été appelée ou entendue, la cour d'appel, qui ne lui a pas permis de faire valoir ses moyens de défense, a violé les articles 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme et 14 du Code de procédure civile ;
Mais attendu que M. Loisy et la société 3I Ingénierie étaient tous deux représentés dans l'instance d'appel par le même avocat et ont déposé des conclusions communes ; qu'à la suite de la fusion, l'intégralité des droits et obligations de la société 3I Ingénierie a été transmise à la société Aloris ; qu'il s'ensuit que la procédure suivie devant la cour d'appel a permis à la société Aloris de faire valoir ses moyens de défense ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le deuxième moyen du pourvoi principal, pris en ses première, quatrième et cinquième branches, et sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche, de ce pourvoi : - Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Mais sur le troisième moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche : - Vu les articles 4, 5 et 16 du Code de procédure civile ; - Attendu que pour condamner solidairement M. Loisy et la société 3I Ingénierie à payer à la société Polymont la somme de 765 713,59 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt retient qu'il ressort des éléments du dossier et notamment des investigations menées par M. Barthel, huissier de justice, et de l'analyse effectuée par l'expert-comptable et commissaire aux comptes que l'évolution de la marge brute de la société Arma et du chiffre d'affaires réalisé pour certains clients par la société Polymont a pu être déterminée de manière suffisamment fiable par des experts du chiffre pour que la cour s'estime suffisamment informée quant à la portée du préjudice économique subi, de sorte qu'il y a lieu de rejeter la demande d'expertise comptable ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la société Polymont n'avait formulé qu'une demande d'indemnité provisionnelle, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige sans inviter les parties à compléter leur demande en vue de la réparation définitive de ce préjudice, a violé les textes susvisés ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi incident ; Et sur le pourvoi principal : casse et annule, mais seulement en ce qu'il condamne solidairement M. Loisy et la société 3I Ingénierie à payer à la société Polymont, venant aux droits de la société Arma, la somme de 765 713,59 euros à titre de dommages-intérêts et en ce qu'il statue sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile, l'arrêt rendu le 12 février 2015, entre les parties, par la Cour d'appel de Metz ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Nancy.