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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 11 mai 2017, n° 15-09855

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Parkage (SARL)

Défendeur :

Demagis Interactive (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Schaller

Conseillers :

Mmes du Besset, Castermans

T. com. Paris du 20 janv. 2015

20 janvier 2015

Faits et procédure

La société Parkage, créée en 1999, ayant pour gérant M. Eric B., exerce une activité de vente de jeux à collectionner, de jeux de société et de figurines.

Elle disposait de deux sites internet : un site marchand " Parkage.com " par lequel elle commercialisait la majeure partie de ses produits et un site communautaire Magic Trade (" tcgtrade.com "), plateforme dédiée au jeu de cartes " Magic the gathering " et à son actualité.

En 2011, elle a décidé de procéder à la refonte des deux sites, en raison de leur obsolescence notamment eu égard aux nouvelles technologies digitales.

Par suite, selon " contrat de prestations de service au forfait " signé le 18 juillet 2012, la société Parkage a confié à la société Demagis Interactive la création (comprenant : étude détaillée, conception technique, réalisation, intégration, recette, pilotage/encadrement, démarrage/garantie) du " E Commerce Magento Parkage.Com " et celle de la " Plateforme Magic Trade ", un planning prévisionnel des travaux étant fixé avec une date de début remontant au 18 mars 2012 et une date de fin au " 5/11/2011 " (sic). L'article 2 du contrat précisait que la société Demagis Interactive avait une obligation de résultat.

Le prix global forfaitaire des prestations était de 75 000 euros HT, payable selon les modalités suivantes :

- 25 % (18 750 euros HT) à la signature du contrat,

- 25 % (18 750 euros HT) le 15 septembre,

- 25 % (18 750 euros HT) le 15 novembre,

- 25 % (18 750 euros HT) à la livraison.

La société Parkage s'est acquittée des deux premiers termes, soit de 2 x 18 750 = 37 500 euros, outre taxes.

Des difficultés sont apparues lors de l'exécution des prestations, difficultés à la suite desquelles les parties ont convenu, en avril 2013, d'exclure de la mission de la société Demagis Interactive la création du site Magic Trade (alors confiée à la société Fractale Corp), et de réduire à 45 000 euros le prix HT de la prestation résiduelle, relative au site Parkage.com.

Les 17 et 18 octobre 2013, un échange de mails est intervenu entre les parties aux termes duquel Demagis Interactive indiquait que les derniers points en suspension étant clos, la plate-forme était livrable et une date de mise en production pouvait être prévue, sous condition préalable du transfert des derniers fonds (7 500 euros) ; Parkage lui répondait qu'elle refusait le site proposé en l'état car non conforme à ses demandes et non terminé, certains bugs déclarés comme résolus ne l'étant pas ; Demagis Interactive proposait in fine à Parkage de " prendre [ses] codes sources et de chercher un autre prestataire pour finir la mission de mise en production de [son] site internet (bien sûr après transfert des derniers fonds) ".

Selon lettre recommandée avec avis de réception non datée mais postérieure, Demagis Interactive a reproché à Parkage de ne pas avoir accepté le site proposé, malgré le travail important fourni par Demagis Interactive pendant près d'un an pour le créer, travail ayant excédé les spécifications contractuelles pour un coût de plus de 100 000 euros, en se disant in fine ouverte à un règlement amiable du litige.

Selon lettre recommandée avec avis de réception du 6 décembre 2013, Parkage a maintenu sa position, faisant valoir qu'aucun travail n'avait été livré et que le travail présenté n'était pas conforme au cahier des charges sur plusieurs points et fonctionnalités, contestant en outre que le travail demandé ait excédé la mission prévue dans le contrat.

C'est dans ces conditions, que la société Parkage a fait assigner le 12 mars 2014 la société Demagis Interactive pour voir prononcer la résolution judiciaire du contrat et condamner celle-ci à lui rembourser la somme de 37 500 euros et à lui payer celle de 47 800 euros à titre de dommages intérêts.

Par jugement réputé contradictoire rendu le 20 janvier 2015, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Paris a:

- débouté la société Parkage de sa demande de résolution ;

- condamné la société Demagis Interactive à payer à la société Parkage la somme de 6 350 euros au titre de dommages-intérêts et celle de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- débouté la société Parkage de ses autres demandes plus amples ou contraires ;

- condamné la défenderesse aux dépens.

Vu l'appel interjeté par la société Parkage le 24 avril 2015 contre cette décision ;

Vu les dernières conclusions déposées au greffe et signifiées par la société Parkage respectivement les 23 et 28 juillet 2015 par lesquelles il est demandé à la Cour de:

Vu l'article 1184, 1615, 1134 et 1135 du Code civil,

Dire et juger que la société Demagis Interactive a méconnu ses obligations contractuelles essentielles et que ces manquements ont occasionné un préjudice matériel et d'image à la société Parkage,

En conséquence,

Prononcer la résolution judiciaire du contrat de prestation de services,

Condamner la société Demagis Interactive à rembourser à la société Parkage la somme de 37 500 euros,

Condamner la société Demagis Interactive à payer à la société Parkage la somme de 47 800 euros à titre de dommages et intérêts,

Condamner la société Demagis Interactive à payer à la société Parkage la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Le 24 septembre 2015, le Tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société Demagis Interactive, Me Martine C.-M. étant désigné liquidateur.

Selon courrier recommandé AR du 2 novembre 2015, la société Parkage a déclaré sa créance à hauteur de 89 347,60 euros, au titre des sommes réclamées dans le cadre de la présente instance, outre dépens.

Assignée en intervention forcée dans la présente instance le 17 mars 2016, ès qualités de liquidateur de la société Demagis Interactive, Me Martine C.-M. n'a pas constitué avocat.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 2 février 2017.

La Cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et des prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

Motifs

L'article 472 du Code de procédure civile dispose que si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond, le juge ne faisant droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée.

L'article 1184 du Code civil dispose que la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement ; que dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit ; que la partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts ; et que la résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances.

En l'espèce, il est rappelé que selon l'article 2 du contrat, Demagis Interactive était tenue à une obligation de résultat quant à la livraison des sites internet.

En outre, selon le planning prévisionnel stipulé au contrat, les travaux devaient débuter le 18 mars 2012 et se terminer le 5 novembre 2012 (et non le 5 novembre 2011, comme alors indiqué par suite d'une erreur de plume manifeste, ici rectifiée).

Or, il résulte des échanges de mails intervenus entre les parties de septembre 2012 à octobre 2013 produits par l'appelante, que ce délai, même s'il était certes indicatif, a été largement dépassé par Demagis Interactive qui a annoncé à plusieurs reprises que la livraison était imminente, sans que cela soit effectif (par exemple, dans son mail du 4 septembre 2012 : " Livraison toujours prévue pour la mi- octobre ", ou lors d'un mail du 15 février 2013 : " On est toujours dans les rails pour livrer tout le projet la semaine prochaine (donc avant fin du mois, comme on sait (sic) engagé fermement auprès d'Eric) "...), ce que Parkage lui a reproché à de nombreuses reprises (en particulier dans ses courriels des 19 janvier 2013 ou 31 mai 2013 : " les délais sont inacceptables ").

Demagis Interactive avait d'ailleurs reconnu un problème de gestion interne, suite à l'arrêt de travail d'un de ses cogérants, M. Freddy C., consécutif à un accident.

Il en ressort également que l'accord des parties d'avril 2013 consistant à avoir limité le périmètre d'intervention de Demagis Interactive au site Parkage.com, avec réduction consécutive du prix à 45 000 euros, est une conséquence du retard dans la livraison des sites à cette époque, ce, afin manifestement de lui permettre de concentrer ses efforts sur un seul chantier au lieu de deux.

Il apparaît en outre qu'un désaccord a opposé les parties quant à une date de livraison début juillet 2013, proposée par Demagis Interactive, mais qui ne convenait pas à Parkage, mais que finalement la période de " recette " (pendant laquelle le client se voit ouvrir un accès au site à distance pour procéder à des tests, vérifier que le site correspond à ses besoins et détecter la présence éventuelles de bugs) a pu finalement avoir lieu à compter du 23 août 2013.

Enfin, il ressort de l'échange final de courriels des 17 et 18 octobre 2013 que confrontée aux réserves que lui opposait Parkage quant à l'aspect fini et livrable du site (certains bugs persistant selon elle), Demagis Interactive a enjoint à Parkage d'accepter sa livraison, ce, par la seule fourniture des codes sources mais sans mise en production qui devrait être confiée à un autre prestataire, livraison qu'elle a au surplus conditionnée au paiement par Parkage du solde du prix (soit de 7 500 euros), en méconnaissance des stipulations du contrat qui prévoyaient, d'une part, après la période de recette la mise en fonction avec assistance (sous les termes " pilotage/encadrement, démarrage/garantie'), et, d'autre part, un paiement du dernière acompte " à la livraison " ce qui doit logiquement se comprendre comme après que la livraison ait eu lieu.

Demagis Interactive n'avait d'ailleurs pas contesté être tenue à la mise en production dans ses écrits antérieurs. Et en toutes hypothèses, comme l'observe à bon droit Parkage, la mise en production d'un site internet fait partie de l'obligation de délivrance conforme d'un tel produit, qui est un produit complexe.

La proposition de fourniture des seuls codes sources, sous condition de paiement du solde du prix, ne pouvait donc constituer une réponse valable aux réserves opposées au cours de la période de test et s'analyse en une mesure de chantage, nécessairement illégitime.

Par suite, la résolution du contrat au 18 octobre 2013 doit être prononcée pour inexécution de ses obligations contractuelles par Demagis Interactive.

Une telle solution s'impose en effet, compte tenu de l'obligation de résultat de Demagis Interactive et de ce que le dossier fourni ne fait pas ressortir que le défaut de livraison serait imputable aux atermoiements et aux tergiversations dans la définition de ses besoins de Parkage ou à son manque de collaboration, comportement dénoncé par Demagis Interactive dans certains courriers, mais non corroboré, voire à un cas de force majeure. Il convient en outre de relever que s'il apparaît que Demagis Interactive a consacré un nombre important d'heures de travail à sa mission, il n'est pas établi que la nature et la durée de ce travail aient excédé sa mission, ainsi que celle-ci le met en avant dans ses correspondances, étant rappelé le caractère forfaitaire de la rémunération convenue et son obligation de livrer un produit fini, c'est-à-dire un site internet fonctionnel et conforme aux spécifications du cahier des charges.

En conséquence, le Tribunal de commerce ne sera pas suivi en ce qu'il a estimé que Parkage était responsable pour moitié de la rupture du contrat.

La résolution remettant les parties en l'état antérieur au contrat, la demande de Parkage tendant à se voir restituer les deux acomptes versés pour un montant total de 37 500 euros sera accueillie, par fixation au passif de Demagis Interactive, les pièces versées étayant l'affirmation de Parkage selon laquelle les codes sources ne lui ont finalement jamais été livrés.

Faisant valoir qu'elle a finalement fait effectuer en interne le site Parkage.com de novembre 2012 à mars 2014, Parkage réclame en outre une indemnité de 47 800 euros, qui avant " arrondissement " manifeste se décompose comme suit d'après son tableau récapitulatif (pièce n°60) :

1°/ - 20 500 euros, au titre du salaire de M. Guillaume M. recruté comme " technicien informatique multimédia " à compter du 24 septembre 2012 (inoccupé en raison du retard de livraison, puis chargé du développement du site à la place de Demagis Interactive),

2°/ - 8 562 euros, au titre du salaire de M. Florent R., son webmaster depuis le 1er juin 2011, " sur-sollicité " en raison des carences de Demagis Interactive,

3°/ - 4 500 euros, au titre de la facture Fractale chargée de l'architecture extérieur et du référencement du site Parkage.com,

4°/ - 3 861,85 euros, au titre du coût de l'emprunt bancaire pour le paiement de la prestation Fractale pour le site social " Plateforme Magic Trade ",

5°/ - 10 000 euros, au titre du préjudice d'image et de communication.

Or, elle sera totalement déboutée de cette demande indemnitaire, en ce qu'elle ne justifie pas de l'inoccupation dans un premier temps alléguée de M. Guillaume M. (poste 1), de ce que le travail de collaboration de M. Florent R. aurait excédé ses propres obligations contractuelles (poste 2), de ce que la réalisation du site Parkage.com devrait avoir lieu sans bourse délier pour elle (postes 1 et 3, qui ne sont pas directement imputables à Demagis Interactive, puisque le remboursement des acomptes est ordonné), du motif du prêt souscrit (poste 4) et enfin de l'incidence des carences de Demagis Interactive sur son image, faute de toutes pièces comptables et/ou relatives à la prétendue réaction d'internautes, étant observé en outre que pendant la création du nouveau site, l'ancien site, même obsolète, devait continuer à fonctionner (poste 5).

Le jugement entrepris sera en conséquence entièrement infirmé, sauf sur les dépens et l'indemnité fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile.

Demagis Interactive qui succombe supportera les dépens de l'appel. Au vu de la situation économique des parties, il ne sera pas alloué d'indemnité supplémentaire à Parkage pour ses frais irrépétibles.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Statuant de nouveau, prononce la résolution du contrat au 18 octobre 2013 ; fixe la créance de la société Parkage au passif de la société Demagis Interactive à la somme de 37 500 euros, correspondant au remboursement des deux acomptes versés ; rejette toutes autres demandes ; dit que les dépens doivent être inscrits au passif de la société Demagis Interactive.