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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 1, 23 mai 2017, n° 16-25311

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Cevede (Sté), Yabe (Sté), Moberd (SCPI), Jacmar (SCI), Le Diouris (Consorts)

Défendeur :

Système U - Centrale Régionale Est (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Guihal

Conseillers :

Mme Salvary, M. Lecaroz

Avocats :

Mes Vallee, Dumas, Tessler

T. com. Nancy, du 25 nov. 2016

25 novembre 2016

La société Cevede, qui exploitait une grande surface de distribution sous l'enseigne " Intermarché ", dans des murs et sur des terrains appartenant pour partie à la société Jacmar, a, au mois de juin 2002, déposé l'enseigne et lui a substitué celle de " Super U ". A l'occasion de cette opération, M. Bernard Le Diouris et son épouse, actionnaires majoritaires et dirigeants de la société Cevede, ont souscrit au profit de la société Système U Centrale Regionale Est (la société Système U) des offres préalables de vente (OPV) portant sur les droits sociaux et sur le fonds de commerce de la société. Après avoir acquis les actions de la société Bauval exploitant une autre grande surface sous l'enseigne " Intermarché ", les époux Le Diouris et la société Bauval ont, lors de l'adhésion de la société aux statuts de la société Système U et de la substitution d'enseigne, souscrit également des OPV au profit de celle-ci. Parallèlement, la société Yabe contrôlée par le fils des époux Le Diouris, Yann, a acquis 50 % des actions de la société Cevede, et la société Moberd 49,9 %. Enfin à la suite d'une réduction de capital, les actions détenues par celle-ci dans le capital de la société Bauval ont été transférées aux époux Le Diouris pour être à nouveau transmises par voie de cession à la société Moberd. Les sociétés Cevede et Bauval ont, en décembre 2007 et avril 2008, déposé l'enseigne " Super U " pour lui substituer la première l'enseigne " Carrefour " et la seconde celle de " Carrefour Market ".

Les parties et la société Système U sont convenus dans les statuts, règlement intérieur et OPV d'une clause compromissoire réservant " par dérogation " la possibilité de soumettre " à la compétence et à la décision des tribunaux de droit commun du siège de la Coopérative [...], toutes mesures conservatoires et/ou urgentes ".

La société Système U a mis en œuvre la procédure d'arbitrage en application de ses statuts, du règlement intérieur et des conventions d'OPV.

Par sentence du 6 décembre 2010, le tribunal arbitral, statuant en amiable composition, a notamment :

- annulé l'apport effectué par M. Bernard Le Diouris au bénéfice de la société Moberd des 7 986 actions qu'il détenait dans la société Cevede et substitué la société Système U dans les droits et obligations de la société Moberd, à égalité de prix et conditions,

- ordonné en conséquence la cession de ces 7 986 actions de la société Cevede,

- condamné solidairement la société Moberd et les époux Le Diouris à payer à la société Système U la somme de 200 000 euros au titre de la clause pénale prévue à l'article 9 de l'OPV ainsi que celle de 100 000 euros au titre de l'indemnité contractuelle prévue à l'article 19-14 du règlement intérieur en cas de violation du droit de préemption, et, au même titre, condamné solidairement les sociétés Cevede et Jacmar à payer à la société Système U une autre somme.

Les sociétés Cevede, Bauval, Yabe, Moberd, les époux Le Diouris, leur fils Yann et la SCI Jacmar ont formé un recours en annulation de la sentence arbitrale qui a été définitivement rejeté par la Cour de cassation en 2013 (1re Civ., 4 décembre 2013, pourvoi n° 13-10.530).

Par assignation du 9 décembre 2015, les sociétés Cevede, Yabe, Moberd, Jacmar, M. et Mme Le Diouris et leur fils, Yann, ont assigné la société System U centrale régionale Est devant le Tribunal de commerce de Nancy en annulation de droits de préemption prévus par les divers documents de la société Système U et son règlement intérieur, en annulation des OPV sur parts sociales et sur fonds de commerce et en saisine de l'Autorité de la concurrence. Ils soutenaient que les conditions d'application des droits de préemption ne figuraient pas dans les statuts de la coopérative, que le droit de préemption attaché aux OPV avaient pour effet de restreindre les conditions d'exercice de leur droit de retrait, qu'elles produisent des effets anticoncurrentiels et un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

In limine litis, la société Système U a soulevé l'incompétence du Tribunal de commerce de Nancy et lui a demandé de se déclarer incompétent au profit du tribunal arbitral.

Par un jugement du 25 novembre 2016, le Tribunal de commerce de Nancy s'est déclaré incompétent au profit du tribunal arbitral. Le tribunal a principalement retenu que l'instance introduite par les sociétés Cevede, Yabe, Moberd, Jacmar, M. et Mme Le Diouris, et leur fils, Yann, tendait à remettre en cause la décision du tribunal arbitral du 6 décembre 2010, devenue définitive ou son exécution, et qu'elle ne pouvait être considérée comme une " mesure conservatoire et/ou urgente ", autorisant la compétence des juridictions judiciaires selon la clause compromissoire. Le Tribunal de commerce a ajouté que les dispositions législatives relatives aux pratiques restrictives de concurrence invoquées par les demandeurs n'avaient pas pour effet d'exclure le recours à l'arbitrage. Les sociétés Cevede, Yabe, Moberd, Jacmar, M. et Mme Le Diouris, et leur fils, Yann ont formé contredit de cette décision par lettre reçue au greffe du tribunal le 9 décembre 2016. Dans leurs dernières conclusions reprises à l'audience du 28 mars 2017, les contredisants soutiennent que selon la clause compromissoire, les tribunaux judiciaires sont compétents pour trancher toute question urgente et non pas seulement conservatoire ; Ils invoquent l'urgence qui résulte, selon eux, de l'exécution de la sentence arbitrale du 6 décembre 2010, d'une action introduite par la société Système U devant le tribunal de grande instance de Cusset en annulation d'un contrat de crédit-bail immobilier et en substitution de la société Système U dans les droits des sociétés de crédit-bail entreprises et de la violation par les droits de préemption de l'ordre public résultant de la loi du 10 septembre 1947 relative aux coopératives et au droit de retrait des associés, de l'interdiction des pratiques anticoncurrentielles et des déséquilibres significatifs.

Dans ses dernières conclusions reprises à l'audience du 28 mars suivant, la société Système U demande à la cour de rejeter le contredit des consorts Le Diouris et de les condamner in solidum à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens avec distraction au profit de la Selarl Tessler.

Sur quoi,

Considérant que selon l'article 1448 du Code de procédure civile, " Lorsqu'un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'État, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable. La juridiction de l'État ne peut relever d'office son incompétence. Toute stipulation contraire au présent article est réputée non écrite " ;

Considérant que les clauses compromissoires convenues entre les parties dans les statuts, règlement intérieur et OPV sont ainsi rédigées :

" Tous les litiges auxquels les présents Statuts (...) pourraient donner lieu, notamment en ce qui concerne sa validité, son interprétation, son exécution, seront soumis à arbitrage. Par dérogation aux dispositions ci-dessus, toutes mesures conservatoires et/ou urgentes, de quelle que nature que ce soit, en ce compris le référé provision, pourront être soumis à la compétence et à la décision des tribunaux de droit commun du siège social de la Coopérative " ;

Considérant que les mesures demandées par les contredisants au Tribunal de commerce de Nancy consistant en l'annulation des OPV, des droits de préemption et des OPV à effet post-contractuel, à titre subsidiaire, de saisine de l'Autorité de la concurrence, ne constituent pas des " mesures conservatoires ou urgentes " au sens de la clause compromissoire ; que, comme l'ont relevé les premiers juges, ces demandes relatives au fond du litige opposant les contredisants à la société Système U ne tendent qu'à remettre en cause l'exécution de la sentence arbitrale du 6 décembre 2010, qui a autorité de la chose jugée en application de l'article 1484 du Code de procédure civile et qui est définitive à la suite de l'épuisement des recours dirigés contre cette décision ;

Considérant que la violation alléguée par les contredisants des dispositions législatives issues de la loi du 10 septembre 1947 et de l'article L. 231-6 du Code de commerce régissant l'exercice du droit de retrait dans les coopératives, ainsi que l'inopposabilité des clauses dont il est prétendu qu'elles sont contraires à la loi ou qu'elles ne figurent pas dans les statuts, ne constitue pas un cas d'urgence en l'absence de toute autre circonstance ; que, si la circonstance tirée de la violation alléguée des dispositions des articles L. 341-1, L. 420-1 et L. 442-6, I, 2° du Code de commerce et du caractère anticoncurrentiel est de nature à caractériser une violation de l'ordre public économique, il n'en résulte pas pour autant que serait exclu le recours à l'arbitrage pour trancher les litiges nés, entre opérateurs économiques, de l'application de ces textes ; qu'en application de la clause compromissoire liant les parties, seule la nécessité de mesures urgentes ou conservatoire autorisait la saisine des juridictions de droit commun ;

Considérant que le pourvoi en cassation formé par les contredisants contre l'arrêt du 9 septembre 2015 rendu par la Cour d'appel de Riom ordonnant la cession de parts sociales en vertu du droit de préemption, ne constitue pas un événement justifiant que des mesures urgentes ou conservatoires soient prises ; qu'en cas d'annulation de cet arrêt, les mesures d'exécution entreprises par la société Système U le seront aux risques et périls de cette dernière ;

Que, de même, l'introduction d'une instance par la société Système U devant le Tribunal de grande instance de Cusset en annulation d'un contrat de crédit-bail immobilier et en substitution de la société Système U dans les droits de sociétés de crédit-bail entreprises, ne caractérise pas un cas justifiant que soit prise une mesure conservatoire ou urgente au sens de la clause compromissoire ;

Considérant que c'est donc par des motifs exacts et pertinents, que la cour adopte, que le tribunal s'est déclaré incompétent pour connaître des demandes des contredisants ; qu'il convient donc de confirmer le jugement ;

Considérant que, succombant à l'instance, les contredisants sont déboutés de leur demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile et condamnés à ce titre à payer à la société Système U la somme de 10 000 euros, outre les dépens avec distraction au profit de la Selarl Tessler ;

Par ces motifs : Confirme le jugement, Rejette toutes les demandes des sociétés Cevede, Yabe, Moberd, Jacmar, de M. et Mme Le Diouris et de leur fils, Yann, Condamne les sociétés Cevede, Yabe, Moberd, Jacmar, M. et Mme Le Diouris et leur fils, Yann à payer à la société Système U la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne les sociétés Cevede, Yabe, Moberd, Jacmar, M. et Mme Le Diouris et leur fils, Yann aux dépens, avec distraction au profit de la Selarl Tessler.