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Décisions

ADLC, 4 avril 2017, n° 17-DCC-39

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

Acquisition du contrôle exclusif des sociétés Livelle et 3Suisses Belgium par Domoti SAS

ADLC n° 17-DCC-39

4 avril 2017

L'Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 7 mars 2017, relatif à l'acquisition des sociétés Livelle et 3Suisses Belgium par Domoti SAS, formalisée par un contrat d'acquisition d'actions en date du 23 janvier 2017 ; Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ; Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l'instruction ;

Adopte la décision suivante :

I. Les entreprises concernées et l'opération

1. Domoti est une société active dans le secteur de la vente à distance par le biais de cinq catalogues spécialisés : "Confort et Vie " (essentiellement destinés aux seniors), " ID Homme " (idées cadeaux pour hommes), "L'Atelier de Lucie " (broderie, point de croix, canevas et tricot), "Temps L" (objets pour la maison), ainsi que "Becquet " (linge de maison). Domoti est détenue et contrôlée par ses trois associés fondateurs MM. Tiberghien, Willot et Flipo.

2. Livelle et 3 Suisses Belgiumsont des sociétés actives respectivement sur les marchés français et belge de la vente à distance sur catalogue spécialisé et sur site internet de produits non alimentaires. Elles proposent notamment des vêtements pour femmes, des vêtements pour hommes, des vêtements pour enfants, des sous-vêtements, du linge de maison et, plus marginalement, dumobilier. Livelle est détenue par la société 3SI Holding qui est une filiale du groupe allemand Otto. 3Suisses Belgium est détenue par 3Suisses France et 3SI Commerce, elles-mêmes détenues par la société 3SI Holding.

3. L'opération consiste en l'acquisition de l'intégralité des actions de Livelle et de 3Suisses Belgiumpar Domoti. En ce qu'elle se traduit par la prise de contrôle exclusif de Livelle et de 3Suisses Belgium par Domoti, l'opération constitue une concentration au sens de l'article L. 430-1 du code de commerce.

4. Les entreprises concernées ont réalisé ensemble un chiffre d'affaires hors taxes consolidé sur le plan mondial de plus de 150 millions d'euros (Domoti : [...] d'euros pour l'exercice clos le 30 juin 2016 ; Livelle et 3Suisses Belgium: [...] d'euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2016). Chacune de ces entreprises a réalisé en France un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions d'euros (Domoti : [...] d'euros pour l'exercice clos le 30 juin 2016 ; Livelle et 3Suisses Belgium: [...] d'euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2016). Compte tenu de ces chiffres d'affaires, l'opération ne relève pas de la compétence de l'Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l'article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.

II. Délimitation des marchés pertinents

5. L'opération emporte un chevauchement dans le secteur de la distribution au détail de produits non alimentaires.

A. LES MARCHÉS AMONT DE L'APPROVISIONNEMENT

1. LES MARCHÉS DE PRODUITS

6. Les parties achètent auprès de différents fournisseurs les articles qu'ils commercialisent ensuite à destination des particuliers.

7. Dans le secteur de l'approvisionnement des distributeurs, la pratique décisionnelle nationale considère que les producteurs ne peuvent pas se convertir facilement dans la fabrication d'autres produits que les leurs1. Elle distingue ainsi autant de marchés qu'il existe de familles de produits.

8. Au cas d'espèce, les différents articles commercialisés par les parties appartiennent aux familles de produits suivants : (i) vêtements pour femmes, (ii) vêtements pour hommes, (iii) sous-vêtements, (iv) chaussures, (v) produits de cuir, (vi) électronique, (vii) petits appareils électriques, (viii) produits de décoration et de jardinage, (ix) éclairage, (x) jouets, (xi) mobilier et (xii) linge de maison.

2. LES MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES

9. Selon la pratique décisionnelle, les différents marchés de l'approvisionnement en produits non alimentaires sont de dimension au moins nationale2. S'agissant plus particulièrement des marchés de l'approvisionnement en vêtements et en chaussures, les marchés ont été définis comme étant de dimension mondiale3.

10. En tout état de cause, la question de la définition exacte de ces marchés peut être laissée ouverte, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurant inchangées quelles que soient les délimitations retenues.

B. LES MARCHÉS AVAL DE LA DISTRIBUTION DE PRODUITS NON ALIMENTAIRES

1. LES MARCHÉS DE PRODUITS

a) Segmentation par famille de produits

11. S'agissant de la distribution de produits non alimentaires, les autorités de concurrence tant nationale qu'européenne distinguent traditionnellement autant de marchés qu'il existe de familles de produits4. Elles ont ainsi retenu seize familles de produits : (i) les vêtements pour femmes, (ii) les vêtements pour hommes, (iii) les vêtements pour enfants, (iv) les sous- vêtements, (v) les chaussures, (vi) les produits de cuir, (vii) les textiles de sport, (viii) les chaussures de sport, (ix) l'électronique, (x) les gros appareils électriques, (xi) les petits appareils électriques, (xii) les produits de décoration et de jardinage, (xiii) le linge de maison, (xiv) l'éclairage, (xv) les jouets et (xvi) le mobilier. En effet, au sein de chacun des marchés ainsi définis, la concurrence varie significativement en raison du degré de spécialisation d'un nombre important d'acteurs sur une ou plusieurs familles.

12. Au cas d'espèce, les parties sont simultanément actives sur la catégorie du linge de maison, et de manière plus marginale, sur les autres catégories de produits, à l'exception des textiles de sport, des chaussures de sport, des vêtements pour enfants et des gros appareils électriques5. b) Segmentation par canal de distribution

13. Les autorités de concurrence se sont à plusieurs reprises interrogées sur la pertinence d'une segmentation dans le secteur de la vente au détail de produits non alimentaires entre la vente à distance ("VAD")6 d'une part et la vente en magasins d'autre part7.

14. Dans son avis relatif au fonctionnement concurrentiel du commerce électronique8, l'Autorité a relevé que les enseignes traditionnelles adaptent leurs stratégies commerciales pour tenir compte de la croissance des ventes par internet en adoptant un modèle de distribution "multi- canal " regroupant un réseau de magasins physiques et un site de vente en ligne. Dans ce cadre, elles peuvent créer leur propre site internet sur lequel elles proposent, en complément des produits vendus en magasin, certains produits à des prix spécifiques (distributeurs "click & mortar "), ou alors utiliser des sites pure player.

15. Les autorités de concurrence, tant nationale qu'européenne, ont toutefois relevé des différences significatives entre la vente à distance et la vente en magasins, notamment dans la manière dont les distributeurs de la VAD et de la vente "physique " communiquent et acquièrent des clients9. Elles ont ainsi relevé que, du point de vue du consommateur, l'achat en magasin offre la possibilité d'inspecter le produit souhaité et, si besoin, de bénéficier des conseils d'un vendeur spécialisé. De plus, les articles présentés sont, la plupart du temps, disponibles immédiatement. À l'inverse, la VAD présente pour sa part l'avantage de pouvoir réaliser des achats à n'importe quel moment du jour et de la semaine, depuis son lieu de résidence. La Commission européenne a ainsi noté que chaque canal de distribution présente divers avantages et inconvénients et répond à des besoins différents des consommateurs10. À ce jour, elle considère que ces deux canaux sont plus complémentaires que substituables.

16. Cependant, l'Autorité a estimé dans sa récente décision relative à l'acquisition de Darty par la Fnac11 que, s'agissant de la distribution au détail des produits bruns et gris, ces différences tendent à s'amenuiser significativement puisque les enseignes présentes sur les deux canaux de distribution adoptent une politique "omnicanal " et qu'internet a été intégré dans le comportement d'achat des consommateurs français. L'Autorité a ainsi conclu que le marché de la distribution au détail de produits bruns et gris comprend désormais les ventes en magasin et les ventes à distance.

17. En l'espèce, les parties ne détiennent aucun magasin : elles sont actives uniquement sur le segment de la vente à distance via des sites internet et des catalogues.

18. La question de la définition exacte de ces marchés peut donc être laissée ouverte, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurant inchangées, quelles que soient les délimitations retenues.

2. LES MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES

19. S'agissant du segment de la vente à distance de produits non alimentaires, les autorités de concurrence ont retenu, dans de précédentes décisions12, une délimitation nationale, eu égard aux différences linguistiques, à l'hétérogénéité des habitudes des consommateurs, ainsi qu'aux coûts et délais de livraison.

20. En l'espèce, l'analyse sera donc menée au niveau national.

III. Analyse concurrentielle

Compte tenu de la présence simultanée des parties sur les marchés amont et aval des produits non alimentaires, l'analyse portera sur les effets horizontaux que l'opération est susceptible d'entraîner sur chacun de ces marchés.

A. LES MARCHÉS AMONT DE L'APPROVISIONNEMENT EN PRODUITS NON ALIMENTAIRES

21. Au niveau mondial, les parties représentent une part très limitée des approvisionnements en produits non alimentaires, quelle que soit la famille de produits concernée.

22. Aux niveaux européen et national, elles représentent, pour chacune des familles de produits concernées, moins de 5 % du total des approvisionnements.

23. Par conséquent, l'opération n'est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur les marchés amont de l'approvisionnement en produits non alimentaires.

B. LES MARCHÉS AVAL DE LA DISTRIBUTIONDE PRODUITS NON ALIMENTAIRES

1. LE LINGE DE MAISON

24. S'agissant de la vente au détail de linge de maison, les parts de marché deDomoti et 3Suisses (Livelle et 3Suisses Belgium) sont respectivement de [0-5] % et de [0-5] %. La nouvelle entité disposera donc sur cemarché d'une position estimée à [0-5] %. Elle restera confrontée à la concurrence des grands groupes de distribution, tels que Carrefour, Auchan, Leclerc et Ikea, ainsi que des opérateurs de VAD, tels que La Redoute.

25. Sur le segment de la vente à distance de linge de maison, les parties ont estimé leur part de marché cumulée à [10-20] % en 2016 ([10-20] % pour Domoti, [0-5] % pour 3Suisses). La nouvelle entité restera confrontée à la concurrence des opérateurs de VAD, tels que La Redoute, Françoise Saget, Linvosges et Blancheporte.

26. Par conséquent, l'opération n'est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur les marchés de la distributionde linge de maison.

2. LES AUTRES FAMILLES DE PRODUITS

27. S'agissant des autres familles de produits distribués par les parties, les parts de marché sont inférieures à 10 %, quel que soit le canal de distribution et les familles de produits concernés.

28. Par conséquent, la présente opération n'est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur lesmarchés de la distribution de produits non alimentaires.

DÉCIDE

Article unique : L'opération notifiée sous le numéro 17-030 est autorisée.

NOTES

1 Décisions de l'Autorité de la concurrence n° 16-DCC-75 du 23 mai 2016 relative à l'acquisition de la société Becquet SAS par la société Domoti SAS, n° 15-DCC-101 du 30 juillet 2015 relative à la prise de contrôle exclusif de GrosBill SA par mutares AG, n° 14-DCC-28 du 5 mars 2014 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Mistergooddeal SA par le groupe Darty, n° 10-DCC-42 du 25 mai 2010 relative à l'acquisition par la société 3 Suisses International SA de certains actifs de la société La Source, n° 10-DCC-77 du 9 juillet 2010 relative à la prise de contrôle de la société Afibel SAS par la société Damartex SA, ainsi que les décisions de la Commission européenne COMP/M.070 - Otto/Gratta du 21 mars 1991, COMP/M.080 - La Redoute/Empire du 25 avril 1991 et COMP/M.5721 - Otto/Primondo Assets du 16 février 2010.

2 Id.

3 Lettres du ministre de l'économie C2008-004 du 13 février 2008 et C2008-016 du 30 avril 2008, et décision n° 10-DCC-42 précitée.

4 Décisions n° 16-DCC-75, n° 15-DCC-101, n° 14-DCC-28, n° 10-DCC-42, n° 10-DCC-77, et décisions COMP/M.070, COMP/M.080 et COMP/M.5721 précitées.

5 Les 3Suisses offrent également à la vente à distance des produits appartenant à d'autres catégories de produits sur lesquelles les risques d'atteinte à la concurrence peuvent être écartés compte tenu des très faibles parts de marché et de l'absence de chevauchement d'activité entre les parties à l'opération (les vêtements pour enfants, les textiles de sport et les chaussures de sport).

6 La VAD comprend l'ensemble des canaux de distribution spécifiques à ce mode de commercialisation (internet, catalogues et autres).

7 Décision de l'Autorité de la concurrence n° 09-DCC-26 du 24 juillet 2009 relative à l'acquisition de la société Camif Collectivités par la société Manutan International, et décisions n° 15-DCC-101 du 30 juillet 2015 et n°14-DCC-28 du 5 mars 2014 précitées.

8 Avis de l'Autorité de la concurrence relatif au fonctionnement concurrentiel du commerce électronique n° 12-A-20 du 18 septembre 2012.

9 Décisions n° 10-DCC-42 et n°11-DCC-87 précitées, et décision COMP/M.5721 précitée.

10 Décision COMP/M.5721précitée.

11 Décision n° 16-DCC-111 relative à la prise de contrôle exclusif de Darty par la Fnac.

12 Décisions n° 09-DCC-26 et n°COMP/M.5721 précitées.