CA Colmar, 2e ch. civ. A, 26 mai 2017, n° 15-01102
COLMAR
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Flexi Bogdahn (Sté), International GmbH & CO.KG, AOK Gesundheitskasse, Caisse d'Assurance Maladie Allemande
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pollet
Conseillers :
Mme Diepenbroek, M. Pallieres
Exposé du litige
Par acte introductif d'instance du 10 février 2006, signifié aux défendeurs résidant en Allemagne le 14 mars 2006, Mme Margarita S., invoquant avoir eu une phalange de pouce arrachée par une laisse pour chien, a introduit une action devant la chambre civile du Tribunal de grande instance de Mulhouse contre la SAS Carrefour, à qui elle avait acheté la laisse, et contre la société de droit allemand Flexi-Bogdahn international GmbH, fabricant de la laisse, en responsabilité pour produit défectueux, en appelant à l'instance son organisme de sécurité sociale, la caisse d'assurance maladie Aok die Gesundheitskasse.
Par jugement mixte du 29 mai 2009, ledit tribunal a :
- mis hors de cause la SAS Carrefour,
- condamné Mme Margarita S. à payer à la SAS Carrefour la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, et les dépens,
- rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription, et déclaré l'action recevable,
- sur la responsabilité de la société de droit allemand Flexi-Bogdahn international GmbH, invité la demanderesse à produire tous éléments de preuve (emballage de produit, laisse ayant occasionné les blessures) permettant de déterminer l'origine et les caractéristiques de la laisse.
Le tribunal a considéré, sur la recevabilité de l'action, que le délai triennal de l'article 1386-17 du Code civil, ancien, alors applicable, avait été interrompu par des lettres recommandées avec accusé de réception de la demanderesse adressées au fabricant.
Par ordonnance du 28 septembre 2012, le juge de la mise en état du Tribunal de grande instance de Mulhouse a rejeté la requête aux fins d'expertise médicale.
Par jugement du 19 décembre 2014, ledit tribunal a :
- débouté Mme Margarita S. de ses fins et conclusions,
- condamné Mme Margarita S. à payer à la société de droit allemand Flexi-Bogdahn international GmbH la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, et les dépens.
Le tribunal a considéré que :
- Mme Margarita S. disposait d'une information suffisante sur les conditions d'utilisation de la laisse rétractable et sur les dangers encourus en cas de mauvaise utilisation,
- les circonstances de l'accident, relatées par la demanderesse, font apparaître un non-respect des conseils d'utilisation et de sécurité dont elle a pu bénéficier, dès lors qu'elle avait saisi son chien par le cordon enrouleur tendu par les mouvements de son chien, alors que les instructions d'utilisation, en possession de son avocat allemand, indiquaient qu'il ne fallait pas saisir la laisse par le milieu, ni l'enrouler autour du corps ou d'un des membres, sous peine de blessure.
Par déclaration du 24 février 2015, Mme Margarita S. a interjeté appel de ce dernier jugement.
Par déclaration du 17 août 2015, la société de droit allemand Flexi-Bogdahn international GmbH a interjeté appel du jugement mixte du 29 mai 2009, en toutes ses dispositions.
Par ordonnance du conseiller de la mise en état du 2 février 2016, cette nouvelle instance a été jointe à la précédente.
Par écritures du 1er septembre 2016, Mme Margarita S. conclut à l'infirmation totale du jugement du 19 décembre 2014.
Elle sollicite que :
- la société de droit allemand Flexi-Bogdahn international GmbH soit déclarée responsable des conséquences de son accident du 21 mai 2002,
- une expertise médicale soit ordonnée aux frais de la société de droit allemand Flexi-Bogdahn international GmbH,
- il lui soit donné acte de la réserve de ses droits à conclure sur l'évaluation du préjudice après dépôt du rapport d'expertise,
- l'appel de la société de droit allemand Flexi-Bogdahn international GmbH sur le jugement de 2009 soit rejeté,
- la société de droit allemand Flexi-Bogdahn international GmbH soit condamnée à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, et les dépens des deux instances,
- l'arrêt soit déclaré commun à la caisse d'assurance maladie AOK Gesundheitskasse.
Elle soutient avoir acheté une laisse rétractable de marque Flexi en 2001, et que, le 21 mai 2002, elle avait attaché son chien à un poteau avec la laisse, qui s'est enroulée autour de son pouce, alors qu'elle tenait, par le collier, son chien, lui occasionnant des déchirures audit pouce, qui a finalement du être amputé à l'hôpital.
Elle invoque, à titre principal, la responsabilité du fait des produits dangereux de l'article 1386-4 du Code civil, ancien, alors applicable, subsidiairement un manquement à une obligation d'information, très subsidiairement, la responsabilité délictuelle.
Elle soutient que son action en indemnisation pour produit défectueux est recevable, subsidiairement qu'elle peut invoquer la prescription trentenaire de l'ancien article 2262 du Code civil, antérieur à la loi du 17 juin 2008, ou l'ancienne prescription de dix ans des actions en responsabilité délictuelle.
Sur le fond, elle indique produire une attestation de témoin des faits, et que la traduction de sa plainte de l'allemand à l'espagnol, par le gendarme espagnol, comporte des erreurs, car elle conteste avoir retenu son chien par la laisse.
Elle fait valoir que le fabricant a commis un manquement à une obligation d'information du consommateur, dès lors qu'il n'a pas mentionné la nature des blessures éventuelles et leur gravité.
Elle invoque que les moyens nouveaux sont recevables à hauteur de cour.
Elle précise qu'il appartient au fabricant de rapporter la preuve de la faute de la victime en lien avec le dommage, et que cette faute doit revêtir les caractères de la force majeure pour être totalement exonératoire de responsabilité.
Par écritures du 28 février 2017, la société de droit allemand Flexi-Bogdahn international GmbH conclut à l'infirmation du jugement du 29 mai 2009 sur la recevabilité de l'action, et, subsidiairement, à la confirmation du jugement du 19 décembre 2014.
En tout état de cause, la société de droit allemand Flexi-Bogdahn international GmbH sollicite la condamnation de Mme Margarita S. à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens avec distraction au profit de son avocat.
Elle soutient que son appel du jugement du 29 mai 2009 est recevable dès lors que ce dernier a statué sur une fin de non-recevoir sans mettre fin à l'instance.
Elle fait valoir que l'action, uniquement fondée, en premier ressort, sur la responsabilité du fait des produits défectueux, est irrecevable, comme ayant été introduite plus de quatre ans après le sinistre invoqué, alors que, d'une part, l'article 1386-17 du Code civil, ancien, alors applicable, édicte une prescription triennale, et que, d'autre part, une lettre recommandée n'a pas d'effet interruptif de prescription au regard de l'article 2244 du Code civil, ancien, alors applicable.
Elle ajoute que la responsabilité prévue par l'article 1386-1 du Code civil est exclusive des autres régimes de responsabilité contractuelle fondés sur le défaut d'un produit qui n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitiment s'attendre.
Subsidiairement, sur le fond, elle relève que la demanderesse reconnaît, à hauteur de cour, avoir eu une notice d'information avec le produit, dont les préconisations d'utilisation sont identiques à celles qu'elle produisait, et que le fabricant n'a pas d'obligation de préciser la nature des blessures éventuelles.
Elle soutient que la demanderesse n'a pas respecté les instructions d'utilisation et la destination du produit, puisque, d'une part, elle a attaché son chien avec la laisse rétractable, alors que la notice précise qu'il ne faut pas fixer la laisse, et que, d'autre part, le procès-verbal de gendarmerie du 25 mai 2002 mentionne clairement que Mme Margarita S. a saisi le cordon de la laisse, et non le collier du chien.
Elle conteste la force probante de l'attestation de témoin de M. P., produite près de treize ans après l'accident, et pour la première fois à hauteur de cour.
Elle ajoute, très subsidiairement, qu'elle n'a commis aucun manquement à une obligation d'information, ou faute, dès lors que la notice d'utilisation comportait des instructions claires.
La déclaration d'appel de Mme S. et les dernières écritures de cette dernière ont été signifiées à l'organisme Aok die Gesundheitskasse, par acte remis à l'Amtsgericht de Lorrach le 28 novembre 2016, notifié à l'organisme destinataire le 2 février 2017. La preuve étant rapportée de ce que celui-ci a eu connaissance de l'acte, le présent arrêt sera réputé contradictoire.
Motifs
Vu l'ordonnance de clôture du 7 mars 2017,
Sur la recevabilité de la recevabilité de l'appel contre le jugement du 29 mai 2009
En application des articles 544 et 545 du Code de procédure civile, un jugement qui statue sur une exception de procédure, ou une fin de non-recevoir ou tout autre incident, sans mettre fin à l'instance, est insusceptible d'appel immédiat.
Mais une partie à une instance est recevable à former un appel dirigé contre un tel jugement lorsqu'une autre partie a fait appel du jugement rendu sur le fond dans la même instance, les deux appels devant être jugés ensemble.
Or, le jugement du 29 mai 2009 n'a statué que sur la recevabilité de l'action de Mme S. et n'a pas mis fin à l'instance.
Dès lors que Mme S. a interjeté appel du jugement sur le fond du 19 décembre 2014, antérieurement à l'appel interjeté par la société de droit allemand Flexi-Bogdahn International GmbH, l'appel de cette dernière, dirigé contre la décision écartant la fin de non- recevoir de prescription, est recevable.
Sur la recevabilité de l'action de Mme S.
La recevabilité de l'action fondée sur la responsabilité des produits défectueux
Selon l'article 1386-17, ancien, alors applicable, du Code civil, l 'action en réparation fondée sur les dispositions du titre relatif à la responsabilité du fait des produits défectueux se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut du produit et de l'identité du producteur.
Le point de départ du délai de prescription
À hauteur de cour, Mme S. modifie quelque peu son exposé des faits, puisqu'elle reconnaît, dorénavant, être restée en possession du mode d'emploi de la laisse achetée comportant les conditions d'utilisation, et qu'elle produit ledit mode d'emploi. Ce mode d'emploi comporte, de manière claire et apparente, le nom du fabricant et les coordonnées de ce dernier. Mme S. connaissait donc l'identité précise du producteur ou fabricant de la laisse, au moins à compter du 21 mai 2002, date de l'accident.
En outre, elle a connu le défaut invoqué, dès le 21 mai 2002.
Enfin, elle a connu le dommage, dans toute son étendue, à tout le moins à compter du 27 mai 2002, date de l'amputation d'une phalange de son pouce.
Ainsi, le délai de prescription, prévu par l'article 1386-17, ancien, alors applicable, du Code civil, a commencé à courir à compter du 28 mai 2002.
L'interruption du délai de prescription
Selon l'article 2244, ancien, du Code civil, alors applicable, une citation en justice, même en référé, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire, interrompent la prescription ainsi que les délais pour agir.
Il n'est pas justifié d'une citation en justice délivrée à la société de droit allemand Flexi-Bogdahn International GmbH, avant l'expiration du délai triennal, soit au plus tard le 30 mai 2005 (le 28 étant un samedi).
En effet, une lettre recommandée avec accusé de réception ne constitue pas une citation en justice, au sens de l'article 2244, ancien, alors applicable, du Code civil. Une telle lettre n'a, en conséquence, contrairement à ce qui a été retenu par le premier juge, aucun effet interruptif de prescription d'une action.
En conséquence, l'action fondée sur le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux est irrecevable.
La recevabilité de l'action fondée sur la responsabilité contractuelle ou délictuelle
Si le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux qui ne sont pas destinés à l'usage professionnel, ni utilisés pour cet usage, n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité, contractuelle ou extra contractuelle, c'est à la condition que ceux-ci reposent sur des fondements différents de celui d'un défaut de sécurité du produit litigieux, telles la garantie des vices cachés ou la faute.
Un régime de responsabilité de droit commun repose sur le même fondement que la responsabilité du fait des produits défectueux lorsque le fait générateur allégué au titre du premier se ramène, en pratique, au défaut de sécurité d'un produit.
En l'espèce, force est de constater que les fondements juridiques invoqués subsidiairement par Mme S. au soutien de ses prétentions reposent tous sur le défaut de sécurité du produit litigieux.
Il en est ainsi de la responsabilité contractuelle du fabricant pour manquement à son obligation d'information, dès lors que le défaut d'information allégué concerne les conditions d'utilisation du produit à respecter pour éviter un accident et les conséquences éventuelles du non-respect de ces conditions, c'est-à-dire la sécurité du produit.
Il en est de même de la responsabilité délictuelle fondée sur l'article 1382, ancien, alors applicable, du Code civil, la seule faute invoquée à l'encontre du fabricant étant un prétendu défaut d'information et de conseil sur la dangerosité du produit. En effet, les obligations qui n'auraient pas été respectées par le fabricant ne trouvent leur source que dans le contrat de vente et la chaîne des contrats de vente (d'abord entre le fabricant et la société Carrefour, puis entre la société Carrefour et Mme S.), de telle sorte que Mme S. n'invoque aucune faute délictuelle, mais, de nouveau, le défaut de sécurité du produit.
Il y a lieu, en conséquence, d'infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Mulhouse du 29 mai 2009, sur la recevabilité de l'action de Mme S. dirigée contre la société de droit allemand Flexi-Bogdahn International GmbH, et le jugement du tribunal de grande instance de Mulhouse du 19 décembre 2014, qui a statué au fond alors que l'action était irrecevable.
Sur les demandes accessoires
En application de l'article 696 du Code de procédure civile, Mme S. sera condamnée aux dépens d'appel.
Le jugement du 19 décembre 2014 sera confirmé sur les dépens et les frais irrépétibles.
L'équité commande qu'il n'y ait pas condamnation au titre des frais irrépétibles à hauteur de cour.
par ces motifs, LA COUR, statuant par arrêt réputé contradictoire, après débats en audience publique, déclare recevable l'appel de la société de droit allemand Flexi-Bogdahn International GmbH contre le jugement du Tribunal de grande instance de Mulhouse du 29 mai 2009; déclare recevable l'appel de Mme Margarita S. contre le jugement du Tribunal de grande instance de Mulhouse du 19 décembre 2014; infirme le jugement du Tribunal de grande instance de Mulhouse du 29 mai 2009 , sauf en ce qu'il a mis hors de cause la SAS Carrefour, condamné Mme Margarita S. à payer à la SAS Carrefour la somme de 1 000 euro (mille euros) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, et les dépens de l'appel en cause; infirme le jugement du tribunal de grande instance de Mulhouse du 19 décembre 2014 , sauf en ses dispositions afférentes aux dépens et à l'application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Statuant à nouveau, déclare irrecevable l'action en responsabilité de Mme Margarita S. dirigée contre la société de droit allemand Flexi-Bogdahn International GmbH; Ajoutant aux deux jugements déférés, dit n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à hauteur d'appel ; condamne Mme Margarita S. aux dépens d'appel.