CA Chambéry, 2e ch., 18 mai 2017, n° 15-02034
CHAMBÉRY
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Implants Diffusion International (SARL)
Défendeur :
Star Micronics AG (Sté), Star Machine Tool France (SAS), Axa France Iard (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Thomassin
Conseillers :
MM. Madinier, Balay
FAITS ET PROCÉDURE
Le 10 juillet 2008, une machine a pris feu dans les locaux de la société Implants Diffusion International, qui l'avait acquise de la société Star Machine Tool France quelques semaines auparavant au prix de 115 600 euro hors-taxes ; M. S. a été désigné en qualité d'expert judiciaire par ordonnance de référé du 13 août 2009 et il a déposé son rapport d'expertise le 19 octobre 2011, concluant à l'existence de non conformités par rapport à la réglementation applicable, qui n'étaient cependant pas à l'origine du sinistre, lequel aurait pour origine un ventilateur ayant projeté sur la machine des vapeurs d'acétone en aspirant l'air qui se trouvait sous le plafond.
Par exploit du 29 novembre 2013, la société Implants Diffusion International a fait assigner la société Star Machine Tool France et son assureur la compagnie Axa France Iard sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil, pour demander leur condamnation à lui payer diverses sommes et notamment le montant d'une indemnité de résiliation due à la société de crédit-bail, les frais relatifs à l'immobilisation du personnel, des frais de sous-traitance.
Par exploit du 6 mai 2014, la société Axa France Iard a appelé en cause la société de droit allemand Star Micronics Ag en garantie de toutes condamnations qui pourraient être prononcées contre elle et son assurée au titre de la responsabilité encourue par le fabricant de la machine litigieuse.
Après jonction des instances par jugement du 20 août 2015, le tribunal de grande instance de Bonneville a constaté la prescription de l'action en garantie pour vices cachés contre le vendeur et le fabricant ; il a rejeté l'action en responsabilité pour défaut de conseil et il a débouté la société Implants Diffusion International de toutes ses prétentions ; il a aussi débouté la société Star Micronics AG de ses demandes reconventionnelles en dommages-intérêts. Il a condamné la société Implants Diffusion International au paiement d'indemnités pour frais irrépétibles et aux dépens.
Par déclaration reçue au greffe le 24 septembre 2015, la société Implants Diffusion International a interjeté appel de ce jugement ; par ordonnance du 2 juin 2016, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevables les conclusions des sociétés Star Machine Tool France et Axa France Iard, en raison de leur tardiveté.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
Vu les conclusions déposées au greffe le 2 mai 2016 au nom de la société Implants Diffusion International, demandant à la Cour notamment de :
- infirmer le jugement entrepris et statuant à nouveau,
- condamner in solidum la société Star Machine Tool France et son assureur la société Axa France Iard ainsi que la société Star Micronics AG à lui payer :
La somme de 116 662 euro au titre de l'indemnité de résiliation du crédit-bail, et à titre subsidiaire après déduction du prix de revente de la machine litigieuse la somme de 81 662 euro,
La somme de 16 158 euro au titre de l'immobilisation du personnel de juillet 2008 à octobre 2008,
La somme de 45 948,30 euro hors-taxes représentant les frais de sous-traitance Alpha Num de juillet à octobre 2008,
La somme de 36 911,70 euro hors-taxes représentant des frais de sous-traitance GP Médical pour la même période,
A titre subsidiaire,
- condamner in solidum les 3 intimées à lui payer la somme forfaitaire et globale de 23 000 euro hors-taxes représentant les défauts de conformité selon l'évaluation de l'expert, à titre de dommages-intérêts,
- les débouter de toutes leurs prétentions,
- les condamner in solidum à lui payer une indemnité de 5 000 euro pour frais irrépétibles,
- les condamner in solidum aux dépens comprenant ceux de la procédure de référé, les frais d'expertise judiciaire, avec distraction au profit de son avocat.
La société appelante prétend que la société Star Machine Tool France et la société Star Micronics AG ont failli à leur devoir de conseil en n'attirant pas suffisamment son attention sur le danger de l'acétone, et sur la nécessité d'une bonne ventilation du local d'installation de la machine, alors même que ces sociétés reconnaissent émettre, notamment dans des documents postérieurs, des recommandations sur l'usage des détergents. Elle prétend donc obtenir réparation sur le fondement de la responsabilité contractuelle, et exercer son action directe à l'encontre de la compagnie Axa France Iard.
Concernant son préjudice, elle affirme qu'il faut prendre en compte l'indemnité de résiliation du crédit-bail car elle ne pouvait plus avoir confiance dans une machine présentant de nombreuses non-conformités, qu'il a donc fallu céder en l'état pour un prix de 35 000 euro hors-taxes le 23 juillet 2012, peu de temps après le rapport d'expertise. Elle souligne que la procédure a duré longtemps, et qu'en outre elle a subi un préjudice financier du fait de la différence de valeur d'achat et de revente de la machine. Elle ajoute que son personnel a été immobilisé de juillet à octobre 2008 et qu'elle a été contrainte d'exposer des dépenses de sous-traitance.
Vu les conclusions déposées au greffe le 4 mars 2016 au nom de la société Star Micronics AG, demandant à la Cour notamment de :
- confirmer le jugement entrepris,
- débouter la société Implant Diffusion International de toutes ses prétentions,
Subsidiairement,
- juger que le montant du préjudice subi ne saurait dépasser la somme de 18 750 euro en considération des conclusions du rapport d'expertise judiciaire et débouter la société Implants Diffusion International de ses autres prétentions,
- faire droit à la demande reconventionnelle en la condamnant à lui payer la somme de 5 000 euro à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et celle de 5 000 euro pour frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens avec distraction au profit de son avocat.
La société intimée prétend qu'elle ne peut pas être tenue d'un défaut de délivrance conforme en l'absence de réserves lors de la livraison.
Elle ajoute que seule l'action en garantie des vices cachés aurait pu être initiée mais qu'en raison de la qualité de professionnel de la société Implants Diffusion International aucun vice caché ne peut être allégué ; de plus une action sur ce fondement est tardive.
La société intimée ajoute que la société Implants Diffusion International n'établit aucun lien de causalité entre la machine et l'origine du sinistre, qu'elle n'est tenue d'aucune obligation particulière de conseil, alors qu'en outre il appartenait à cette société de préciser les éventuelles contraintes de l'exploitation de la machine, en particulier l'usage de l'acétone de manière intensive et le caractère confiné des lieux notamment durant le week-end.
Elle précise qu'elle ne saurait être tenue d'une obligation de conseil s'agissant de faits connus de tous, alors que l'acheteur est un professionnel, de sorte que sa responsabilité contractuelle ne peut pas être engagée.
La procédure a été clôturée le 6 mars 2017.
MOTIFS DE L'ARRET
Aux termes de l'ancien article 1147 du Code civil, dans sa rédaction applicable au litige, " le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part ".
C'est sur le fondement de ce seul texte que la société Implants Diffusion International recherche la responsabilité contractuelle des sociétés Star Machine Tool et Star Micronics Ag, demandant leur condamnation in solidum avec la compagnie d'assurances Axa France Iard à lui payer diverses sommes à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice qu'elle a subi notamment à l'occasion de l'incendie du 10 juillet 2008 endommageant une machine-outil et perturbant son exploitation.
Il lui appartient de rapporter la preuve d'une faute, d'un préjudice et du lien de causalité, dans le cadre du rapport contractuel.
Aucun contrat de vente n'est produit, et la seule pièce contractuelle aux débats est constituée du bon de commande 402 du 20 mars 2008 ; la société Implants Diffusion International a passé commande d'un tour automatique à poupée mobile de marque Star type SB 16-D avec divers accessoires au prix de 108 900 euro hors-taxes devant être payé après mise en service.
Il résulte de ce bon de commande que le contrat de vente liait directement la société Implants Diffusion International, acheteur et la société Star Machine Tool France. En revanche, la société Star Micronics Ag n'est pas partie au contrat. Sa responsabilité ne peut être recherchée qu'en qualité de constructeur.
La société Implants Diffusion International ne prétend cependant pas rechercher la responsabilité du fabricant du fait d'un produit défectueux, sur le fondement de l'article 1245 du Code civil, reprenant les dispositions de l'ancien article 1386-1. De même elle n'exerce plus d'action pour vices cachés, ni une action en responsabilité du fait d'un défaut de la chose vendue. De même, les non-conformités de la chose vendue, relevant également de la garantie des vices cachés, ne peuvent plus être invoquées.
Le moyen de responsabilité soutenu par la société Implants Diffusion International est donc exclusivement soutenu en raison d'un manquement prétendu du fabricant et du vendeur à leur obligation générale de conseil et d'information. Elle est recevable en cette action à l'encontre du vendeur et en qualité de sous acquéreur à l'encontre du fabricant.
Il doit être rappelé que l'étendue de l'obligation de conseil doit s'apprécier plus strictement pour un client profane, et à l'inverse avec moins de rigueur à l'égard d'un client professionnel. En l'espèce, la société Implants Diffusion International est un professionnel ayant pour activité la conception, la fabrication et la commercialisation d'implants dentaires et de matériels périphériques Elle dispose de salariés qualifiés et d'un ingénieur qualité.
Or, s'appuyant sur les conclusions de l'expert judiciaire, la société Implants Diffusion International affirme que l'incendie de la machine aurait pour origine le fait que le ventilateur situé sur la partie supérieure de la machine aurait aspiré l'air qui se trouvait sous le faux plafond situé à 2,90 m du sol, et qui était chargé de vapeurs d'acétone, le projetant sur le corps du moteur de broche qui avait une température très nettement supérieure à 27 °C, ce qui aurait entraîné leur inflammation.
A supposer que cette conclusion doive être retenue, nonobstant le rapport critique de l'expert Fritz S. requis à titre privé par la société Star Micronics Ag, il doit être relevé que l'usage d'acétone n'est pas exclu par le constructeur, pour le nettoyage des pièces, de sorte que l'on ne saurait reprocher à ce dernier, ni à la société Star Machine Tool, un défaut d'information et de conseil. La société Implants Diffusion International pouvait utiliser de l'Acétone. On ne saurait exiger une mise en garde sur le caractère volatile et inflammable de ce produit qu'un client professionnel ne peut pas ignorer.
De même, le professionnel doit veiller à l'utilisation d'une machine-outil de cette importance, surtout lorsqu'elle est en service 24 heures sur 24, dans des conditions normales. Or l'expert n'a jamais dit que la machine avait été installée dans un local inadapté. Il a relevé que le sinistre incendie avait eu lieu le 10 juillet 2008 vers 16h15, c'est-à-dire en plein été alors qu'il faisait très chaud : la température du local était de l'ordre de 30°. L'expert a également remarqué que le sinistre s'était produit un vendredi après le départ du personnel pour le week-end, de sorte que toutes les fenêtres étaient fermées. Pour autant, ce local de 62 m2, avec une hauteur sous plafond de 2,90 m, représentant un volume de 180 m3, n'était pas inadapté. Ce n'est que la conjonction de plusieurs facteurs de risque, si on retient la thèse de l'inflammation d'acétone, qui est à l'origine du sinistre.
Si les fabricants ont l'habitude de donner le maximum d'informations sur les précautions d'usage concernant l'exploitation d'une machine-outil de ce type, on ne saurait mettre à la charge du vendeur et encore moins du fabricant, une obligation d'information tellement étendue qu'elle pourrait se substituer aux décisions normales de gestion du client exploitant la machine en prenant en compte toutes les circonstances climatiques et les contraintes d'exploitation.
En d'autres termes, seule l'entreprise, dotée de personnel qualifié, était à même de prévenir les risques en tenant compte tout à la fois d'une exploitation en période estivale, sans surveillance, dans un local dont la température n'était pas maîtrisée, fenêtres fermées et sans ventilation du local, alors que la machine elle-même est dotée d'un système de refroidissement par ventilation, le tout en présence potentielle de produits inflammables.
La société Implants Diffusion International disposait des connaissances techniques, théoriques et pratiques, et des informations nécessaires à l'utilisation de la machine-outil dans des conditions normales. Elle n'est pas fondée à reprocher à son vendeur et au fabricant un manquement au devoir d'information ni au devoir de conseil, obligations qui ont été en l'espèce suffisamment remplies par les sociétés Star Machine Tool et Star Micronics Ag.
La preuve d'une faute n'est donc pas rapportée.
Il y a lieu en conséquence de confirmer le jugement déféré qui a rejeté la demande de dommages-intérêts, et plus généralement qui a débouté la société Implants Diffusion International de toutes ses prétentions.
De même, le tribunal doit être approuvé d'avoir rejeté la demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour procédure abusive ; en effet, la demande d'indemnisation n'est pas abusive mais relève de l'exercice légitime du droit d'agir en justice.
En équité, il convient de confirmer les dispositions du jugement entrepris, relatives aux frais irrépétibles et celles relatives aux dépens.
La société appelante, qui succombe, devra supporter les dépens d'appel dont la distraction sera ordonnée au profit de Maître Michel F., avocat, en application des articles 696 et 699 du Code de procédure civile.
De même, en application de l'article 700 du même Code, elle devra indemniser la société Star Micronics Ag de ses frais irrépétibles exposés à l'occasion de l'instance d'appel en lui payant une indemnité complémentaire de 3000 euro.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi, Confirme, en toutes ses dispositions, le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Bonneville le 20 août 2015, Y ajoutant, Déboute la société Implants Diffusion International de sa demande d'indemnisation de frais irrépétibles, La condamne à payer à ce titre la société Star Micronics Ag une indemnité complémentaire de 3 000 euro, La condamne aux dépens d'appel et autorise Maître Michel F. à recouvrer directement ceux dont il aurait fait l'avance sans recevoir de provision, sur son affirmation de droit.