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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 23 juin 2017, n° 15-15219

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Lantek (SARL)

Défendeur :

Association Ambroise Croizat

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mme Lis Schaal, M. Thomas

Avocats :

Mes Olivier, Dumitresco, Dupuy, Tondriaux-Gautier

TGI Paris, du 12 juin 2015

12 juin 2015

Faits et procédure

La SARL Lantek a pour activité la production et le service dans le domaine informatique.

L'association Ambroise Croizat, financée essentiellement par des fonds publics, a pour objet la mise en œuvre d'actions dans le domaine de la santé et du handicap. Elle intervient notamment pour la gestion de l'Hôpital Pierre Rouquès Les Bluets, dans le 12e arrondissement de Paris.

Depuis 1999, l'association Ambroise Croizat et la SARL Lantek entretenaient des relations régulières.

Par une dernière convention du 1er janvier 2005, la société Lantek a fourni à l'hôpital Pierre Rouquès Les Bluets (HPRLB) du matériel informatique ainsi que des prestations de conseil, de gestion et de maintenance de son service informatique, notamment par la fourniture d'un prestataire plusieurs jours par semaine.

Par courrier recommandé du 25 mars 2013, l'association Ambroise Croizat a informé la société Lantek de la cessation de leurs relations contractuelles, avec effet au 31 octobre 2013, en précisant la durée mensuelle de la prestation jusqu'à cette date.

La société Lantek contestant les conditions de la rupture du contrat de prestation de service et sollicitant un allongement de la durée du préavis, elle a assigné l'association Ambroise Croizat devant le Tribunal de grande instance de Paris à titre principal, pour rupture brutale des relations contractuelles établies sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, subsidiairement, pour rupture abusive du contrat sur le fondement de l'article 1134 ancien du Code civil.

Par jugement rendu le 12 juin 2015, le Tribunal de grande instance de Paris a :

- débouté la société Lantek de l'ensemble de ses demandes ;

- l'a condamnée à payer à l'association Ambroise Croizat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens avec faculté de recouvrement direct ;

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la décision ;

- rejeté tout autre demande.

Le tribunal a écarté l'application de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce au motif que l'association Ambroise Croizat, désignée comme l'auteur de la rupture brutale des relations commerciales établies, est une association exerçant une activité exclusive de toute activité économique. Sur la demande subsidiaire présentée sur le fondement contractuel, le tribunal a estimé que l'association avait octroyé un préavis effectif à la société Lantek et que le délai de préavis était suffisant.

La société Lantek a interjeté appel de cette décision.

Prétentions des parties

La société Lantek, par conclusions signifiées par le RPVA le 14 mars 2017, la cour de :

- infirmer le jugement de première instance en ses entières dispositions ;

Statuant à nouveau,

- juger la société Lantek recevable et bien fondée en ses demandes,

A titre principal,

- juger que l'association de gestion Ambroise Croizat, représentant l'hôpital Pierre Rouquès les Bluets, a rompu brutalement ses relations contractuelles avec la société Lantek ;

A titre subsidiaire,

- juger que l'association Ambroise Croizat a commis une faute en rompant brutalement, sans préavis suffisant, le contrat à durée indéterminée qui le liait à la société Lantek ;

En tout état de cause,

- condamner l'association Ambroise Croizat à payer à la société Lantek les sommes de 250 000 euros à titre de dommages et intérêts et de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de Maître Olivier ;

- débouter l'association Ambroise Croizat de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions ;

- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

A titre principal, sur la rupture brutale de relations contractuelles établies, elle fait valoir que le tribunal de grande instance a méconnu les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce, lequel sanctionne la rupture brutale de relations commerciales établies au préjudice de l'ensemble des catégories juridiques de victimes potentielles. Elle indique que la jurisprudence admet que ce texte peut s'appliquer à un non-commerçant et l'a étendu à d'autres personnes que ceux visés par l'article (" producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers ").

Elle expose que les conditions d'application de l'article L. 442-6 I 5° sont en l'espèce réunies : la société Lantek et l'association entretenaient des relations stables ininterrompues depuis 1999, soit presque 15 ans ; la décision de rompre les relations par l'association était imprévisible pour Lantek qui n'avait aucun moyen de s'y préparer, cette rupture étant intervenue sans préavis et ayant donné lieu à une réduction soudaine et drastique des prestations confiées à Lantek.

A titre subsidiaire sur la rupture abusive du contrat de prestation de service à durée indéterminée à défaut de préavis raisonnable, elle explique que, contrairement à ce que les premiers juges laissent entendre, l'absence d'engagement sur un volume d'interventions dans la convention ne fait pas obstacle à la reconnaissance de relations commerciales établies. La société Lantek et l'HPRLB entretiennent des relations stables ininterrompues depuis 1999, soit presque 15 ans, peu important que la convention formalisée en 2005 ne fasse pas état d'un engagement de volume s'agissant des interventions réalisées. Elle soutient que la liberté de résiliation unilatérale ne constitue pas une prérogative discrétionnaire, que l'HPRLB devait assurer la réalité d'un préavis en poursuivant ses commandes en volume équivalent, ce qu'elle n'a pas fait, que l'association a donc engagé sa responsabilité contractuelle sur le fondement de l'article 1134 ancien du code civil ; elle précise, que, si les relations ont officiellement été maintenues pendant sept mois, l'HPRLB a immédiatement imposé à Lantek une réduction drastique des prestations (réduction de 30% de son activité en avril 2013 et de 50 % en mai 2013), ce qui est manifestement incompatible avec le respect d'un préavis effectif.

Sur les préjudices subis, la société Lantek précise qu'elle n'a pas disposé du temps nécessaire pour s'adapter à la situation nouvelle crée par la rupture des relations commerciales notamment afin de rechercher de nouveaux clients, ce qui a induit pour elle une perte importante de chiffre d'affaires (plus d'un tiers du chiffre d'affaires réalisé avec HPRLB). Le préjudice financier subi résulte également des charges engendrées par l'ingénieur recruté exclusivement du fait de l'augmentation des besoins en prestations et fourniture sollicité par l'HPRLB à l'occasion de son agrandissement/déménagement, représentant un salaire à verser mensuellement de 5 625 euros. De plus, à la suite de cette rupture brutale, Lantek a dû faire face à des difficultés de trésorerie induite par la diminution de ses entrées d'argent et a donc été contrainte d'investir en matière commerciale, ce qui a aggravé son déficit, lequel s'élevait, au premier semestre 2013, à 100 000 euros.

L'association Ambroise Croizat, par conclusions signifiées par le RPVA le 30 mars 2017, demande à la cour de confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris et de condamner la société Lantek au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile de ainsi qu'aux entiers dépens d'instance.

Elle fait valoir que la société Lantek est irrecevable en sa demande formée au titre de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, dès lors que, s'agissant de l'auteur de la rupture, ces dispositions ne s'appliquent qu'aux sociétés commerciales ou assimilées ou aux personnes inscrites au répertoire des métiers, que force est de constater que l'association Ambroise Croizat, association de la loi du 1er juillet 1901, n'est ni l'une, ni l'autre, qu'elle n'exerce aucune activité commerciale proprement dite puisque son domaine d'activité est la santé et touche à la prise en charge médicale et l'accompagnement psycho-social de la grossesse. Elle ajoute qu'en tout état de cause, la société Lantek est mal fondée en sa demande présentée sur ce fondement : si Lantek estime que les relations commerciales ont été stables et ininterrompues de 1999 à 2013, la stabilité des relations n'est en réalité établie qu'à compter de 2005 ; avant cette date, les volumes des interventions variaient chaque mois et étaient parfois extrêmement limitées : 1/2 ou une simple journée, parfois aucune prestation facturée (en juillet 2000, septembre 2000, mai 2001, juillet 2001, janvier 2002, janvier 2003, janvier 2004) ; dans ces conditions, il n'est pas possible de considérer cette relation comme "établie".

Elle ajoute que l'association a informé son partenaire de sa décision de mettre un terme à leurs relations en respectant un préavis de sept mois, ce qui correspond à la durée de préavis généralement retenu par les tribunaux ; en effet, pour huit années de prestations, un préavis de 18 mois comme réclamé est disproportionné et n'est accordé en jurisprudence que pour des relations commerciales ayant duré de 15 à 20 années. Elle précise que la réduction des prestations avait été annoncée à Lantek, laquelle avait pris connaissance du rapport d'audit de maintenance informatique prévoyant que le prestataire extérieur ne serait présent que trois jours au maximum par semaine ; de plus, le contrat liant Lantek et l'association ne fait nullement mention d'un minimum garanti de prestations.

Sur le préjudice, si la société Lantek avance qu'elle a procédé à l'embauche d'un nouveau salarié dont l'unique fonction était d'assurer la gestion et la maintenance trois jours par semaine dans les locaux de l'hôpital, elle ne produit aucune pièce à l'appui de cette affirmation, les pièces produites par la société Lantek ne permettant pas de justifier que le salarié en cause était exclusivement dédié aux prestations fournies à l'Association Ambroise Croizat.

Elle précise qu'aucune exclusivité n'a été imposée par l'association Ambroise Croizat, et que le marché de la maintenance informatique ne présente aucune particularité constituant un obstacle à la signature de nouveaux contrats pour la société Lantek, de sorte que celle-ci ne peut invoquer un état de dépendance économique ; la situation dans laquelle se trouve aujourd'hui la société Lantek est la conséquence de l'absence de diversification de sa clientèle, et est une faute dont les conséquences ne sauraient être supportées par l'association.

Elle ajoute que Lantek ne procède aucun calcul motivé de son préjudice pour lequel elle demande l'allocation de 250 000 euros, somme qui correspond à presque deux fois le chiffre d'affaires réalisé pour l'année 2012; ce préjudice ne saurait d'ailleurs être évalué au prix des prestations qui auraient dû être réalisées.

SUR CE

Sur la demande principale relative à la rupture brutale des relations commerciales établies

Considérant que l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce dispose qu' " engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan :

(...) 5°) De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit (...) " ;

Considérant qu'en l'espèce, l'auteur de la rupture, l'association Ambroise Croizat, association de la loi du 1er juillet 1901, qui a pour objet la mise en œuvre d'actions dans le domaine de la santé et du handicap, n'est ni un producteur, ni un commerçant, ni un industriel ou un artisan, ni qu'elle soit immatriculée au répertoire des métiers ; que son activité exclusive de toute activité économique, est non commerciale et son objet non lucratif conformément à la loi de 1901 ; qu'en conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que l'article sus-visé n'était pas applicable à l'espèce ;

Sur la demande subsidiaire relative à la rupture fautive de la relation contractuelle fondée sur les articles 1134 et 1147 anciens du Code civil

Considérant que les premiers juges ont fait une juste appréciation de la cause, des faits et des moyens des parties en ce qu'ils ont constaté :

- l'absence d'abus de droit de la part de l'association qui a usé de sa possibilité de résiliation du contrat à durée indéterminée ;

- l'existence d'un préavis effectif qui a consisté à réduire progressivement les prestations de la société Lantek ;

- une durée suffisante du préavis de rupture " compte tenu de la durée des relations contractuelles, des modalités d'exécution des contrats conclus par les parties par le passé et de la part du chiffre d'affaires réalisée par les prestations accomplies pour l'association Ambroise Croizat par la société Lantek " ;

Qu'adoptant les motifs du jugement entrepris, la Cour confirmera la décision déférée en ce qu'elle a débouté la société Lantek de sa demande fondée sur la rupture fautive du contrat conclu avec l'association Ambroise Croizat ;

Considérant que l'équité impose de condamner la société Lantek à payer à l'association Ambroise Croizat la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ;

Par ces motifs, LA COUR statuant publiquement et contradictoirement, confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; condamne la SARL Lantek à payer à l'association Ambroise Croizat la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel; la condamne aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.