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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 28 juin 2017, n° 15-24422

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Conserves France (Sté)

Défendeur :

L'Autorité de la concurrence

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Fusaro

Avocats :

Mes Oster, Touzi-Luond

TGI Paris, du 11 sept. 2015

11 septembre 2015

Faits et procédure

Le 11 septembre 2015, le juge des libertés et de la détention (ci-après JLD) de Paris, a rendu en application des dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce, une ordonnance de visite et de saisie dans les locaux des sociétés suivantes :

- Materne (groupe Mom), adresse [...], 69570 Dardilly, et les sociétés du même groupe sises aux mêmes adresses,

- Andros, zone industrielle, 46130 Biars-sur-Cere et les sociétés du même groupe sises à la même adresse,

- Charles Z Monteux,

- Valade, ZI du Verdier et/ou adresse [...], 19210 Lubersac,

- Novandie (groupe Andros), lieu-dit Telifau, 28700 Auneau, et les sociétés du même groupe sises à la même adresse,

- Delis et Vergers de Chateaubourg " Unifruit " (groupe Lactalis), adresse [...] 65 220 Chateaubourg, et les sociétés du même groupe sises à la même adresse, ci-après " Delis "

- Groupe Lactalis 10 à adresse [...], 53000 Laval et Les Placis, 35230 Bourgbarré, et les sociétés du même groupe sises aux mêmes adresses, ci-après " Lactalis "

- Conserves France, 556 chemin du Mas de Cheylon, 30000 Nimes, ci-après " Conserves France " et " Saint Mamet ".

Cette ordonnance faisait suite à une requête présentée suite à l'enquête des services de l'Autorité de la concurrence (ci-après ADLC) aux fins d'établir si lesdites entreprises se livreraient à des pratiques prohibées par les articles L. 420-1 2° et 4° du Code de commerce et 101-1 a) et c) du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après TFUE).

Cette requête concernait le secteur des fruits vendus en coupelles et en gourdes et était consécutive à la demande de clémence d'une entreprise présentée par son conseil, le 28 janvier 2014, au rapporteur général adjoint de l'Autorité de la concurrence.

A l'appui de cette requête, était jointe une liste de 33 pièces ou documents en annexe.

Qu'il était allégué d'informations selon lesquelles les entreprises susvisées auraient convenu, d'une part, de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché, en favorisant artificiellement leur hausse par l'imposition de hausses tarifaires à l'occasion d'appels d'offres lancés par leurs clients constitués des grandes et moyennes surfaces de la distribution (ci-après GMS) et de la restauration hors foyer (ci-après RHF), d'autre part, de se répartir les marchés, et ce, en violation des articles L. 420-1 2° et 4° du Code de commerce et 101-1 a) et c) du TFUE.

Ces informations émanaient d'une entreprise (désignée ci-après comme étant " le demandeur de clémence " laquelle a sollicité l'Autorité de la concurrence afin de bénéficier d'une mise en œuvre de la procédure de l'article L. 464-2 IV du Code de commerce (ci-après " la clémence ") dans le secteur des fruits vendus en coupelles et en gourdes. Il s'en est suivi qu'ayant obtenu le bénéfice d'une mesure de clémence conditionnelle, le demandeur de clémence a souhaité garder l'anonymat.

Il était précisé que le demandeur de clémence a déposé auprès de l'ADLC des pièces relatives à des pratiques d'échanges d'informations commercialement sensibles aux fins d'une coordination des fournisseurs sur les hausses tarifaires à pratiquer lors des appels d'offres lancés par leurs clients de la GMS et de la RHF et d'une répartition des marchés en vue de conserver leurs volumes de vente et leurs clients, étant précisé que ces agissements prohibés soupçonnés se seraient déroulés de 2010 à 2014.

Il résulterait de ces pièces que des comportements illicites présumés auraient été décidés à l'occasion de réunions impliquant tous les concurrents concernés (réunions plénières), soit plusieurs d'entre eux et que l'existence de ces réunions serait corroborée par des éléments documentaires, notamment des extraits du procès-verbal de la demande de clémence et des notes de frais, un tableau joint précisant les principaux lieux et dates de rencontres (notamment des hôtels) et le type de rencontres (plénières, bilatérales).

Il était également fait état de plusieurs appels téléphoniques passés avec ses homologues concurrents. En effet le demandeur de clémence a remis à l'ADLC aux fins d'exploitation un téléphone portable utilisé lors de ces échanges et l'analyse de ce téléphone ferait apparaître des appels correspondant aux numéros de cadres dirigeants ou de salariés des sociétés visées dans l'ordonnance du JLD, notamment les sociétés Materne et Z.

Par ailleurs, des courriels auraient été échangés entre concurrents sur leurs messageries personnelles.

Il ressortirait de ces divers contacts que les informations échangées seraient de nature anticoncurrentielle et relatives aux appels d'offres initiés par les clients de la GMS et de la RHF concernant les prix des produits et leurs variations, les volumes de vente ou encore les tonnages. Il serait peu probable que ces pratiques émanent des clients eux-mêmes mais, eu égard à la précision des informations communiquées par le demandeur de clémence, résulteraient d'échanges d'informations commercialement sensibles entre fournisseurs.

Une première pratique prohibée consisterait pour les fournisseurs du secteur à se concerter pour imposer des hausses tarifaires à leurs clients de la GMS et de la RHF lors des appels d'offres, cette présomption reposant sur des notes prises par le demandeur de clémence à l'occasion des réunions et des conversations téléphoniques avec ses concurrents.

Ces notes révéleraient qu'à l'occasion de leurs contacts, les fournisseurs rapporteraient à leurs concurrents les variations tarifaires à la hausse qu'ils envisageraient de proposer à leurs clients. A titre illustratif, pour des produits des clients Carrefour, les concurrents auraient envisagé, lors de la réunion plénière du 6 octobre 2010, des hausses tarifaires et au cours de la même réunion, les fournisseurs auraient été informés de l'augmentation des prix des coupelles proposée par la société Z pour son client Leclerc en 2011, un échange d'information aurait eu lieu pour la hausse tarifaire proposée par Conserves de France pour un produit distribué par Carrefour, enfin un échange d'information aurait existé relatif à la hausse pour 2013 du prix des gourdes Materne et des coupelles Z, envisagée par le distributeur Leader Price.

Il était également relevé que des tableaux d'appels d'offres mettraient en exergue les augmentations tarifaires qu'un fournisseur s'apprêtait à proposer en 2012 au client Sodexo pour les différents produits à base de " compote de pomme " et celles envisagées en 2013 par Delis et Z pour le distributeur Carrefour.

Dès lors, le JLD de Paris a estimé que ces éléments d'information pourraient constituer un indice suffisamment sérieux d'une concertation entre les entreprises visées pour coordonner l'application des hausses tarifaires à leurs clients.

Par ailleurs, une seconde pratique illicite présumée serait relative à la répartition par les industriels susmentionnés des marchés initiés par leurs clients de la GMS et RHF. Ainsi, ce partage de volumes entre concurrents se traduirait par une coordination portant sur les réponses aux appels d'offres et s'appuierait sur l'élaboration d'offres dites " de couverture " ou l'absence de soumission et serait garanti par un mécanisme de compensation et sembleraient attester de l'existence d'offres dites " de couverture " conduisant à un partage des marchés de la GMS et de la RHF entre concurrents du secteur des fruits vendus en coupelles et en gourdes.

Il en serait déduit que la réussite d'un tel système reposerait sur un mécanisme de compensation entre concurrents visant à indemniser des pertes de volumes subies et que cette affirmation reposerait sur la production de pièces par le demandeur de clémence, qui constituerait un état des lieux des tonnages des produits par fabricants ainsi que des gains et pertes de volume de chacun des fournisseurs visés, chez leurs clients de la GMS et RHF.

Dès lors, cette connaissance approfondie des tonnages alloués à chacun des fournisseurs suspectés pourrait être le signe d'une surveillance étroite des opérateurs et la condition nécessaire au succès du pacte de non agression présumé.

Il en serait conclu que cet ensemble de faits rapportés ferait présumer que les fournisseurs de fruits vendus en coupelles et en gourdes se coordonneraient pour répondre aux appels d'offres de leurs clients de la GMS et de la RHF afin que chacune entreprise conserve ses volumes de vente et ses clients et que des hausses de prix soient passés annuellement aux clients. De même, les agissements de trucages d'appels d'offres consisteraient à s'abstenir de soumissionner ou à proposer des offres dites " de couverture " et ces comportements concerneraient l'approvisionnement des clients de la RHF et de la GMS sous marques de distributeurs (ci-après MDD) et sous marques à petit prix (ci-après MPP).

Il s'en suivrait que ces pratiques prohibées seraient préjudiciables aux consommateurs car tendant à la mise en place d'un système de hausse artificielle du prix des fruits vendus en coupelles et en gourdes et constituerait, selon le JLD de Paris, les premiers éléments d'un faisceau d'indices laissant présumer l'existence d'un système d'ententes horizontales, à dimension nationale, entre producteurs de fruits vendus en coupelles et en gourdes susceptibles de relever des pratiques prohibées par l'article L. 420-1 2° et 4° du Code de commerce.

Sur la base de ces éléments, le JLD de Paris a délivré une ordonnance de visite et de saisie à l'encontre des sociétés Materne, Andros, Z, Valade, Novandie, Delis et VERGERS de Chateaubourg, Groupe Lactalis et Conserves France, autorisant les enquêteurs de l'Autorité de la concurrence à rechercher dans les locaux des sociétés précitées, les documents utiles à l'apport de la preuve recherchée et a donné commission rogatoire aux JLD de Carpentras, Nimes, Rennes, Lyon, Brive la Gaillarde, Cahors, Chartres et Laval territorialement compétents, dans les ressorts desquels lesdites opérations devaient s'effectuer.

Les opérations se sont déroulées les 22 et 23 septembre 2015 simultanément dans plusieurs locaux de la société Conserves France, sis 556, chemin du Mas de Cheylon, 30000 Nimes et une réunion a été fixée les 19 et 20 octobre 2015 afin de procéder à l'extraction des documents confidentiels figurant dans un scellé provisoire. Un scellé définitif a été réalisé.

L'audience s'est déroulée le 15 mars 2017 et l'affaire a été mise en délibéré pour être rendue le 24 mai 2017 et prorogée au 28 juin 2017.

Dans l'intérêt d'une bonne administration de la Justice, il convient en application de l'article 367 du Code de procédure civile, et eu égard aux liens de connexité entre les deux affaires, de joindre les instances enregistrées sous les numéros RG 15/24422 (appel) et 15/24429 (recours), lesquelles seront regroupées.

I- L'APPEL

Par conclusions récapitulatives en date du 16 janvier 2017, la société Conserves France fait valoir :

I) l'absence de contrôle effectif par le juge des libertés et de la détention de la demande d'autorisation des opérations de visite et de saisie

Il est soutenu que l'analyse de l'ordonnance et de ses annexes permet de conclure à l'absence de contrôle effectif du JLD tant sur la requête que sur les pièces annexées à cette même requête.

En l'espèce, plusieurs éléments permettent de conclure que le JLD n'a pas rempli son office.

En premier lieu, l'ordonnance constitue une copie quasi conforme de la requête, ce qui laisse penser que le JLD n'a pas procédé à un contrôle attentif de la requête et s'est contenté de la reprendre in extenso.

Il est argué que l'Autorité, dans ses observations, opère une confusion sur ce point puisque ce qui est en cause ici, c'est le caractère pré-rédigé de l'ordonnance et non la rapidité avec laquelle le JLD aurait statué.

En effet, le délai d'examen n'est aucunement remis en cause. C'est l'absence d'analyse de la requête et des pièces qui est en l'espèce invoquée. Bien que le JLD, qui a rendu son ordonnance en 4 jours, disposait du temps nécessaire pour procéder à une analyse de ces pièces, il ne semble pourtant pas avoir rempli son office.

Il est argué que la comparaison ligne par ligne de la requête et de l'ordonnance montre très clairement que l'ordonnance constitue effectivement une copie quasi-identique de la requête de l'Autorité.

L'appelante n'ignore pas que la Cour de cassation a précédemment admis la validité de la pratique des ordonnances pré-rédigées par l'administration, cependant elle relève que cette pratique est loin de faire l'unanimité au sein de l'ordre judiciaire et cite, à l'appui de son argumentation, une jurisprudence de la Cour d'appel de Metz de 2011.

Au-delà du caractère pré-rédigé de l'ordonnance, la société Conserves France dénonce le fait que le JLD n'ait pas, en l'espèce, relevé les incohérences figurant dans la requête elle-même et qu'il les ait reprises in extenso dans le texte de l'ordonnance, ce qui laisse douter sérieusement quant au degré de contrôle opéré par le JLD sur les éléments que lui a soumis l'Autorité au soutien de sa demande.

Ainsi, la page 2 de l'ordonnance indique que l'annexe 4 contient des " extraits de l'agenda de son directeur des ventes remis par le demandeur de clémence en version anonymisée ". Or, ces documents, soumis en annexe 4, peuvent difficilement s'apparenter à des extraits d'agenda, dans la mesure où ils ne contiennent aucune date, mais seulement quelques horaires, indiqués en page 4, 6, 7, et 8.

Ces documents prennent la forme de pages blanches sur lesquelles figurent quelques mentions dactylographiées, dont il est impossible de comprendre l'origine, la date et l'auteur.

Dans ces conditions, les informations fournies ne permettent aucunement de vérifier s'il s'agit d'extraits d'agenda, il pourrait s'agir d'une simple création, et la preuve de l'authenticité et de la fiabilité de ces documents fait manifestement défaut.

Ainsi, si ces prétendus " extraits " sont des retranscriptions de l'agenda du directeur des ventes réalisées par le demandeur de clémence, il existe un risque que les données retranscrites aient pu faire l'objet d'une manipulation, qu'elle soit intentionnelle ou fortuite, et le JLD aurait dû opérer un contrôle sur l'origine et l'authenticité de ces " extraits ".

Par ailleurs, l'anonymisation de l'annexe ne peut justifier le fait que les extraits d'agenda ne comportent aucune date. Il semble difficilement envisageable de soutenir que les dates de l'agenda ont été supprimées pour répondre à ce double objectif de protection du secret des affaires et des données personnelles.

Il est argué que tous ces éléments troublants auraient dû être relevés par le JLD.

Dans ses conclusions, l'Autorité indique qu'il est possible de comprendre l'origine, la date et l'auteur des documents par recoupement, en combinant cette annexe avec l'annexe 3 bis qui contient la demande de clémence.

Cependant, ce qui pose question ici n'est pas de savoir s'il est possible de deviner par recoupement l'auteur ou la date du document, mais de savoir si le JLD a opéré le contrôle attendu de lui, alors qu'aucun de ces documents n'a de valeur probante.

En effet, l'annexe 4 contient des notes dactylographiées. Il ne s'agit donc non pas d'une copie de document, mais d'un document créé de toutes pièces, et ce document se lit en " combinaison " avec l'annexe 3 bis, soit la demande de clémence qui elle-même n'est qu'une déclaration.

Autrement dit, cette annexe qui est censée étayer et soutenir la demande de clémence n'a aucune valeur probante, le JLD aurait dû relever ce fait et demander à ce que lui soit communiquée une copie des originaux.

Il est soutenu qu'un autre exemple de l'absence de contrôle effectif de la requête et de ses annexes est fourni par l'annexe 8. Cette annexe, sur laquelle se fonde principalement l'Autorité dans la requête (annexe citée 20 fois), est identifiée dans la liste des pièces soumises par l'Autorité comme contenant des " notes versées au dossier par le demandeur de clémence ".

Or, une revue même sommaire de cette annexe permet de constater qu'il ne s'agit nullement de notes. Ces prétendues notes se présentent en effet ici sous la forme de feuilles blanches sur lesquelles sont contenues des informations dactylographiées, dont il est impossible d'identifier l'origine et le contexte.

Dans ces conditions, il semble difficile de déterminer si ces notes sont des originaux ou des retranscriptions réalisées par le demandeur de clémence, et il ne peut être exclu qu'elles aient pu faire l'objet de manipulations intentionnelles ou fortuites dans le cadre de leur retranscription.

Il est argué que le fait que le JLD n'ait pas cherché à obtenir plus d'informations démontre qu'il n'a pas opéré le contrôle qui lui incombe.

S'agissant plus particulièrement de l'annexe 8.6, il est soutenu que le JLD aurait dû relever les incohérences dans la désignation du contenu de cette annexe. En effet, en page 2 de l'ordonnance, la liste des pièces fournies mentionne l'annexe 8,6 comme contenant des " notes concernant Z, Andros, Materne, Conserves France (Saint-Mamet), les distributeurs Leader Price, Casino, Lidl, Aldi, Carrefour et le client Sodexo, en version anonymisée ", alors qu'en page 6 de l'ordonnance, il est fait référence à l'annexe 8.6 qui contiendrait des " courriels(.) échangés entre concurrents notamment via leurs adresses emails personnelles ".

Dans ces conditions, le JLD aurait dû procéder à une revue plus approfondie de l'annexe 8.6, qui l'aurait conduit à établir les constats suivants :

- les notes auxquelles il est fait référence sont très vraisemblablement des notes manuscrites qui ont été retranscrites sur support numérique par le demandeur de clémence. Or, il ne peut être exclu que ces " notes " aient fait l'objet de manipulations intentionnelles ou fortuites dans le cadre de leur retranscription (ex. erreurs de frappe) ;

- les " courriels " auxquels il est fait référence non seulement sont difficilement identifiables et compréhensibles, mais en outre il ne s'agit manifestement pas de copie d'e-mails anonymisés mais de retranscriptions, comme en atteste le fait que la police de caractère et que la mise en page de ces prétendus e-mails soient identiques à la police et à la mise en page utilisées pour les " notes ", comme le montre l'extrait de l'annexe 8,6 reproduit dans les conclusions de l'appelante en page 9.

Ainsi, ce document constitue manifestement une création qui aurait parfaitement pu faire l'objet de manipulations intentionnelles ou fortuites.

Par ailleurs, le prétendu " courriel ", contenu dans l'annexe 8.6, semble, en particulier, reproduit de façon tronquée, alors que rien ne faisait obstacle à ce que le demandeur de clémence fournisse une copie des courriers électroniques dans leur intégralité et les anonymise en tant que de besoin.

Il est fait observer que cet extrait ne contient aucun des champs traditionnels permettant l'identification d'un courrier électronique : aucune mention précise s'agissant des expéditeur/destinataire(s) du courrier électronique (même anonymisés), aucune indication de la date, ni de l'heure, ni de l'objet de la correspondance.

Au-delà de l'altération de la forme des documents produits en annexe de la requête et intégralement repris en annexe de l'ordonnance, c'est l'altération du contenu même de ces documents qui pose question et aurait dû être relevée par le JLD.

Il est argué que le JLD aurait dû procéder à un contrôle effectif de la demande en relevant les incohérences qui y sont contenues et en demandant la production de documents originaux présentant un risque d'altération moins élevé.

L'administration soutient qu'il " peut arriver que des erreurs typiquement matérielles aient échappé tant à la vigilance de l'administration qu'à celle du JLD ", mais s'agissant d'erreurs aussi manifestes, une explication alternative est que le JLD n'a pas lu avec l'attention requise le document.

Ainsi, au vu de ces éléments, il apparaît très clairement que le JLD n'a pas procédé au contrôle qu'il aurait dû exercer conformément à l'article L. 450-4 alinéa 2 du Code de commerce.

II) la demande soumise au juge ne comportait pas tous les éléments d'information de nature à éclairer pleinement le JLD sur la nécessité de la visite.

Il est soutenu que cette condition de fond doit permettre au JLD d'exercer son contrôle, en incluant l'ensemble des informations en la possession de l'Autorité saisissante de nature à éclairer pleinement le JLD, y compris, le cas échéant, les éventuels éléments à décharge que l'Autorité détiendrait et qui seraient susceptibles de remettre en cause l'appréciation du JLD.

Il ne s'agit pas pour l'ADLC de communiquer tous les éléments du dossier au magistrat de l'autorisation mais de lui communiquer l'ensemble des documents en lien direct avec la demande et qui lui permettrait de prendre une décision éclairée.

Or, en l'espèce, l'Autorité n'a pas communiqué au JLD une information pourtant essentielle, à savoir le fait qu'une demande de clémence portant sur les mêmes faits ait été rejetée par la Commission européenne de 18 juin 2014 et elle n'a pas non plus précisé les raisons ayant conduit la Commission européenne à rejeter cette demande de clémence. L'existence de cette procédure est mentionnée seulement dans le procès-verbal de réception de la demande de clémence contenue en annexe 3 bis à la requête (page 2).

L'administration soutient dans ses conclusions qu'elle n'avait pas à informer le JLD de cette demande de clémence communautaire, ni à lui communiquer une copie de la décision de rejet, et qu'elle peut sélectionner librement les éléments à soumettre au JLD au soutien de sa requête et ne retenir que les éléments à charge.

Il est argué que l'Autorité fait une lecture restrictive de l'article L. 450-4 alinéa 2 du Code de commerce, et que pour se forger une opinion sur la nécessité d'autoriser des opérations de visite et de saisie, le JLD doit disposer de tous les éléments d'informations pertinents.

En effet, cette obligation de communiquer au JLD toutes les informations pertinentes, à charge ou à décharge, n'est que la conséquence d'une obligation de loyauté qui pèse sur l'Autorité et dont l'existence a été rappelée par la Cour de cassation.

La société Conserves France ne conteste pas que l'Autorité n'est tenue de ne communiquer au JLD que les informations utiles, mais il ne fait guère de doute qu'il aurait été pour le moins " utile " que le JLD ait eu connaissance de la décision de rejet de la demande de clémence de la Commission européenne, et cette information est non seulement utile mais elle aurait surtout été de nature à remettre en cause l'appréciation du JLD sur les présomptions de pratiques anticoncurrentielles dont se prévalait l'ADLC.

Ainsi, le point en débat est de savoir si le JLD a pu avoir accès aux pièces et informations utiles lui permettant de se déterminer en toute connaissance de cause.

La société Conserves France fait valoir qu'il est déloyal d'omettre la communication d'un document affaiblissant la portée de la demande d'autorisation et pouvant conduire à ce que le JLD puisse refuser de délivrer l'ordonnance requise, fautes de présomptions suffisantes s'agissant des pratiques anticoncurrentielles alléguées.

Selon la société appelante, l'ADLC aurait du communiquer une copie de la décision de cette lettre de non traitement par la Commission européenne et qu'il ne peut être nié que la raison qui a poussé celle-ci à considérer que l'affaire ne méritait pas l'ouverture d'une enquête constitue un élément absolument fondamental dans l'analyse du bien-fondé de la demande d'opération de visite et de saisie.

Dans ce contexte, le fait que l'ADLC n'ait pas fourni ce document n'a pas permis au JLD d'exercer un contrôle se basant sur l'ensemble des documents utiles à sa prise de décision d'autorisation des opérations de visite et de saisie et l'a privé de sa possibilité de vérifier que la demande était fondée.

Dès lors le JLD a délivré une autorisation de conduire des opérations de visite et de saisie dans les locaux de la société Conserves France ne répondant pas aux prescriptions légales et ne satisfaisant pas aux exigences de l'article L. 450-4 alinéa 2 du Code de commerce.

En conséquence, il est demandé de constater que le JLD n'a pas exercé le contrôle des présomptions présentées par l'ADLC qui lui incombait en vertu de l'article L. 450-4 du Code de commerce et partant, d'annuler l'ordonnance rendue par le JLD de Paris en date du 11 septembre 2015, ordonner la restitution de l'ensemble des documents saisis par l'ADLC dans les locaux de la société Conserves France et de condamner l'ADLC aux entiers dépens ainsi qu'au versement d'une somme de dix mille (10 000) euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par conclusions en réponse en date du 22 août 2016, l'Autorité de la concurrence soutient que :

I) Sur la prétendue absence de contrôle effectif par le JLD du TGI de Paris

L'administration soutient qu'elle présente au JLD, dans un souci de commodité, une requête et un projet d'ordonnance, elle le fait toujours en version papier accompagnée d'une version numérique, ce qui permet au magistrat, qui n'a nullement l'obligation d'en faire un quelconque usage, de modifier s'il désire s'en servir le projet d'ordonnance d'autorisation qui lui est soumis autant qu'il le souhaite, et si le juge n'est pas convaincu par les indices et présomptions apportés par l'administration, il peut tout simplement refuser de donner son autorisation.

Ainsi, soutenir comme le fait l'appelante que le juge n'a pas examiné le dossier pour effectuer son contrôle est inexact, les juges sont formés et habitués à traiter des dossiers fournis en quelques heures.

En l'espèce, en 4 jours le JLD a pu parfaitement procéder aux vérifications qui s'imposaient.

Ainsi, aucun élément ne permet à l'appelante de dire qu'il n'y a pas eu un examen attentif par le juge des 12 annexes utiles jointes à la requête afin de s'assurer de l'adéquation entre les pièces produites et énonciations de l'ordonnance, ainsi que de la pertinence de ces pièces au regard de l'appréciation qu'il doit opérer quant à l'existence d'une présomption d'entente.

En outre, les motifs et le dispositif de l'ordonnance d'autorisation sont réputés être établis par le juge qui l'a rendue et signée, lequel en endosse la responsabilité, et la circonstance que l'ordonnance soit la reproduction de la requête de l'administration est sans incidence sur la régularité de la décision.

Ainsi, il en résulte que la similarité de l'ordonnance du JLD au regard de la requête de l'Autorité de la concurrence est sans effet sur sa régularité.

Ainsi, les incohérences et inexactitudes reprochées, à tort, par l'appelante, au JLD du TGI de Paris, concernant les annexes à la requête n°4 et 8, sont en réalité inexistantes.

L'administration fait valoir qu'il peut arriver que des erreurs typiquement matérielles aient échappé tant à la vigilance de l'administration qu'à celle du JLD sans que celles-ci ne remettent en cause l'autorisation judiciaire prise dans sa globalité.

Concernant la critique de l'annexe 4 à la requête listée en page 2 de l'ordonnance d'autorisation et intitulée " extraits de l'agenda de son directeur des ventes remis par le demandeur de clémence, en version anonymisée ", il est soutenu qu'elle est citée deux fois dans le corps de l'ordonnance, la première fois en page 4 pour justifier de son anonymisation afin de conserver l'anonymat du demandeur de clémence et la seconde fois, en page 5 dans le tableau pour étayer l'existence de deux réunions bilatérales établies par l'annexe 3 bis à la requête, elle-même intitulée en page 2 de l'ordonnance d'autorisation " extraits du procès-verbal de réception de la demande de clémence du 2 juillet 2014, en version anonymisée ".

Il est argué que l'appelant allègue que l'annexe 4 dactylographiée ne permet pas de comprendre son origine, sa date et son auteur.

Ainsi, Conserves France feint d'ignorer que la lecture de l'annexe 4 se fait en combinaison avec celle de l'annexe 3 bis parfaitement compréhensible quant à son origine, sa date et son auteur et produit insidieusement des images de documents de l'annexe 4 en pages 5 et 6 de ses conclusions, qui n'ont absolument rien à avoir avec les deux réunions bilatérales précitées afin de créer une confusion dont elle voudrait tirer le meilleur profit.

L'administration fait valoir que la déclaration écrite de 30 pages ne saurait constituer une déclaration anonyme dès lors que les éléments qu'elle consigne émanent des deux avocats du demandeur de clémence, également signataires de la contribution écrite du demandeur de clémence accompagnée de pièces jointes, ainsi l'annexe 3 bis constituée de la contribution écrite du demandeur de clémence signée par ses deux avocats était à elle seule une pièce pertinente et suffisante et permettait sans difficulté de comprendre l'origine (le demandeur de clémence), la date (les réunions bilatérales des 6 avril 2011 à l'hôtel Hyatt de Roissy et 2 mars 2012 à l'hôtel Novotel de Lille entre le demandeur de clémence et la société Materne en la personne de Mr Hervé Petitcolas ou Mr Pascal Colas) et l'auteur des informations dactylographiées figurant à l'annexe n°4 (le Directeur des ventes du demandeur de clémence).

En d'autres termes les indications et explications figurant à l'annexe 3 bis permettent sans difficulté de comprendre les mentions des deux documents dactylographiées contenus à l'annexe 4 provenant de la retranscription des annotations de l'agenda du directeur commercial du demandeur de clémence [" 9:30 Cok+Gerard, parler de RO DO CVG BO, Aldi Holz hammer, Mr Anthony (Aldi FR), Hyat (Roissy) ; Lille à 11.00 heures, 9am Novotel "].

Par conséquent, des pièces émanant du demandeur de clémence, y compris en version dactylographiée, notamment celles remises par ses avocats, auxiliaires de justice quoi doivent prêter leur concours à la manifestation de la vérité, peuvent tout à fait convenir pour justifier les deux réunions bilatérales mentionnées ci-dessus, dès lors que ces documents ont été obtenus licitement par l'exercice de son droit de communication par l'administration.

Il en a va exactement de même pour les documents de l'annexe 8 à la requête critiquée par l'appelante, ainsi une lecture attentive et sérieuse de l'ordonnance d'autorisation permet de constater que l'annexe 8 est à chaque fois combinée avec l'annexe 3bis, et cette corrélation entre les deux annexes autorise sans difficulté l'identification de l'origine, de l'auteur, et du contexte.

L'annexe 8,6 contient bien parmi d'autres informations la mention d'une adresse email personnelle " [email protected] " que vient expliciter l'annexe 7 à la requête. On peut y lire un échange éloquent sur cette adresse. @live.fr ayant pour objet " aperçu cdp [cdp voulant dire compotes de pomme, voir annexe 6 à la requête] " entre le demandeur de clémence et l'un de ses concurrents qui utilise l'adresse précitée, en date du 6 septembre 2011 à 18h29 : "comme convenu l'aperçu, autres marchés, merci de me communiquer une RV avec Andros pour cette démarche. Salutations ".

Par conséquent et contrairement à l'affirmation péremptoire de l'appelante, la lecture combinée de ses deux annexes, comme le suggère l'ordonnance du JLD du TGI de Paris, permet de connaître sans ambiguïté l'expéditeur (le directeur des ventes du demandeur de clémence), le destinataire (son concurrent qui utilise l'adresse. @live.fr), la date, l'heure et l'objet de ce courrier électronique.

Il est demandé le rejet de ce moyen.

II) Sur la demande au JLD du TGI de Paris qui ne comporterait pas tous les éléments d'information de nature à éclairer le juge sur la nécessité de la visite

Conformément à l'alinéa 2 de l'article L450-4, la décision d'autorisation du 11 septembre 2015 du JLD au TGI de Paris a été rendue sur le fondement des seules pièces annexées à la requête du 7 septembre 2015, ainsi le dossier n'était pas incomplet et le juge a souverainement caractérisé l'existence de présomptions des pratiques anticoncurrentielles d'actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions qui auraient pour objet ou effet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse et se répartir les marchés, justifiant sa décision.

Ainsi, l'appelante ne saurait faire grief de ce que des documents, notamment la décision de la commission européenne, n'aient pas figuré à la procédure de demande d'autorisation de visite et saisie.

Ainsi le JLD a pu autoriser la mesure sollicitée sur la base des pièces laissées au greffe de son tribunal. De plus, et bien que certaines pièces soient pour partie occultées, l'appelante a pu décortiquer, analyser et contester chacun des éléments d'information retenus par le juge dans son ordonnance, même si les conclusions qu'elle tire de ce travail sont, à tout le moins, erronées.

En d'autres termes, tous les éléments d'information sur lesquels repose l'ordonnance d'autorisation figurent bien en clair et de manière compréhensible dans les annexes à la requête.

L'ADLC fait valoir que l'appelante fonde sa conviction sur la méconnaissance de la procédure devant la Commission européenne, la décision de celle-ci de retenir ou pas une demande de clémence formulée par une entreprise reposant avant tout sur une lettre de réponse non motivée et non publique, dans la mesure où il s'agit d'un choix purement administratif d'allocation des cas à l'intérieur du réseau européen de la concurrence en fonction du calendrier, du nombre d'affaires ou de la possibilité de faire traiter le cas directement par une autorité nationale de concurrence.

Ainsi, la production de ce document n'apporte rien de plus quant à la décision de la Commission européenne de ne pas traiter le cas, cette information a bien été portée à la connaissance du JLD du TGI de Paris puisqu'elle figure à l'annexe 3 bis en page 2.

Dès lors que l'ordonnance du JLD du TGI de Paris fait état de présomptions d'entente anticoncurrentielle et de l'éventualité que des documents incriminant puissent se trouver dans les locaux de l'entreprise Conserves France, le Premier Président ne pourra que conclure à la validité de l'autorisation de visiter ses locaux et rejeter le moyen tiré d'une violation de l'article L. 450-4 du Code de commerce et de la jurisprudence en vigueur.

En définitive, il est soutenu que l'ordonnance du JLD de Paris du 11 septembre 2015, est à l'abri de toute critique et ne souffre d'aucune incomplétude ou vice susceptible d'en affecter la légalité et d'aboutir à son annulation.

Il est demandé la confirmation de l'ordonnance d'autorisation rendue le 11 septembre 2015 par le JLD de Paris et, par voie de conséquence, l'ordonnance rendue sur commission rogatoire par le JLD de Nîmes du 18 septembre 2015, de condamner la société Conserves France au paiement de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par avis du 3 mars 2017, le Ministère public fait valoir :

I) sur le contrôle effectif réalisé par le JLD

- La procédure classiquement utilisée pour les ordonnances sur requête a ici été régulièrement mise en œuvre

Il est soutenu qu'une requête et un projet d'ordonnance sont présentées au JLD, en version papier accompagnée d'une version numérique, ainsi le JLD garde la maîtrise totale de sa décision, puisqu'il peut rejeter, amender ou valider, après examen des termes de la requête au regard des pièces qui lui sont attachées, le projet d'ordonnance qui lui est présenté.

Dès lors, le JLD a rendu sous sa responsabilité, son ordonnance d'autorisation, après avoir vérifié la nécessité des mesures ordonnées au regard de l'ensemble des indices de pratiques anticoncurrentielles qui lui ont été communiqués.

Il est argué que l'autorité de la concurrence justifie de ce que la pièce figurant à l'annexe 4 à la requête listée en page 2 de l'ordonnance d'autorisation est citée deux fois dans le corps de l'ordonnance du JLD du TGI de Paris, par lecture combinée avec l'annexe 3bis permet de comprendre l'origine, la date, et l'auteur du document. De plus, les images de documents de l'annexe 4, produites en page 5 et 6 des conclusions de la requérante n'ont rien à voir avec les deux réunions bilatérales en cause.

Ainsi la déclaration écrite du demandeur de clémence (annexe 3bis à la requête) ne peut, être considérée comme une déclaration anonyme et est à elle seule pertinente et suffisante pour comprendre que la procédure est engagée sur demande de clémence, quelles qu'en soient les dates des réunions en cause et, notamment, quelque soit l'auteur des informations dactylographiées figurant à l'annexe 4 (le directeur des ventes du demandeur de clémence).

Par ailleurs, l'ordonnance d'autorisation fait une analyse combinée de l'annexe 8 à la requête avec l'annexe 3bis, qui permet d'identifier que l'origine de l'enquête est une demande de clémence, l'auteur du document étant le directeur des ventes du demandeur de clémence et le contexte d'échanges d'informations sensibles entre concurrents dans le secteur des fruits vendus en coupelles et en gourdes.

Le Ministère public soutient qu'il n'existe pas dans l'annexe 8,69 " d'incohérence " qui justifierait que le JLD de Paris n'ait pas exercé son contrôle.

Par conséquent, il n'existe aucune incertitude sur l'identité de l'expéditeur (le directeur des ventes du demandeur de clémence), le destinataire (son concurrent qui utilise l'adresse. @live.fr), la date, l'heure et l'objet de ce courrier électronique et la critique sera rejetée.

II) Le JLD de Paris a disposé des éléments d'information utiles à éclairer sa décision

Il est de jurisprudence constante que l'Autorité de la concurrence n'a pas à communiquer à l'appui de la requête qu'elle adresse au JLD l'ensemble des éléments dont elle dispose, mais seulement les éléments utiles à la prise de décision du magistrat.

Ainsi, le JLD a été mis en mesure, à l'examen des pièces produites, de caractériser l'existence de présomptions de pratiques prohibées, actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions qui auraient pour objet ou effet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse et se répartir les marchés et peu importait que ces pièces aient été en partie occultées, pour des raisons légitimes tenant à ce stade de la procédure à la protection de l'anonymat du demandeur de clémence ou à la sauvegarde du secret des affaires.

En outre, la procédure ici suivie n'est pas celle qui est spécifiquement applicable devant la commission européenne.

Il est argué que l'information utile a été portée à la connaissance du JLD de Paris à l'annexe 3bis de la requête, page 2.

Ainsi, le JLD n'a pas estimé qu'il devait être procédé à la communication de la lettre de la Commission européenne, du fait que l'information sur l'allocation du cas à traiter était sans incidence sur l'appréciation de l'existence d'indices permettant d'asseoir des présomptions simples de pratiques anticoncurrentielles.

Par conséquent, le fait que le JLD ait relevé la présence possible dans les locaux de l'entreprise Conserves France, d'éléments de preuve de comportements anticoncurrentiels prohibés, au vu de l'ensemble des indices dont il disposait, établit la régularité de l'ordonnance rendue.

Il est demandé la confirmation en tous ses éléments l'ordonnance d'autorisation rendue le 11 septembre 2015 par le JLD de Paris et, par suite, l'ordonnance rendue sur commission rogatoire par le JLD de Nîmes le 18 septembre 2015.

II- LE RECOURS

Par conclusions récapitulatives en date du 16 janvier 2017, la société Conserves France fait valoir :

I) l'utilisation de méthodes disproportionnées en violation de l'article 8 CESDH

- Les atteintes au principe d'inviolabilité du domicile des personnes morales doivent être strictement proportionnées à l'objectif poursuivi

Il est fait valoir que l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après CESDH) consacre le principe d'inviolabilité du domicile des personnes, auquel il ne peut être porté atteinte qu'en cas d'extrême nécessité. Ce principe est également énoncé à l'article 7 de la Charte des Droits Fondamentaux de l'Union européenne.

Par ailleurs, la Cour européenne des droits de l'Homme (ci-après CEDH) a étendu ce principe d'inviolabilité du domicile aux personnes morales, en assimilant les locaux commerciaux des sociétés au domicile des personnes privées.

Ainsi, conformément à l'article 8 § 2 CESDH, toute restriction à ce principe doit respecter les conditions cumulatives suivantes : que l'exigence soit prévue par la loi, que le but soit légitime et que la mesure soit nécessaire dans une société démocratique.

En droit français, le législateur a considéré que les opérations de visite et de saisie portent une atteinte au principe d'inviolabilité du domicile et plus généralement aux droits de la défense qu'elles doivent être encadrées par le JLD qui doit être garant de ce que les mesures coercitives envisagées ne soient ni arbitraires, ni excessives.

Le JLD fixe donc le champ de l'enquête, qui délimite l'action de l'administrateur, qui ne doit saisir que les documents en rapport avec ce dernier, en laissant aux services de l'Autorité la possibilité d'utiliser les moyens de leur choix afin de saisir les documents, sous la nécessaire réserve qu'ils soient proportionnés et qu'ils ne conduisent pas à dépasser le champ de l'autorisation. Contrairement à ce que laisse croire l'Autorité, ce point n'est nullement contesté par la société Conserves France.

Il est argué que le recours à des outils informatiques permettant une saisie massive de documents ne peut se concevoir que pour autant qu'un tel recours ne conduise pas à saisir des documents en dehors de champ de l'enquête.

Ainsi, ce principe semblait acquis mais il semblerait que l'Autorité, sous couvert de ce qu'elle pourrait présenter comme des nuances, veuille le remettre en cause.

L'Autorité dans ses observations, indique qu'elle ne comprend pas en quoi la présence de documents hors champ dans les saisies ferait grief à la société Conserves France, et indique que les documents ont été saisis de manière non-intentionnelle et sont sans intérêt pour l'instruction.

Dès lors, l'Autorité ne reconnaît pas que le respect de la vie privée est un droit protégé qui lui interdit par principe de saisir des documents que le JLD ne l'a pas autorisé à saisir. En effet, elle requiert une autorisation du JLD afin d'organiser une apparence de légalité, mais elle ne se sent nullement tenue de respecter les limites imposées par le juge à son action.

Il est soutenu que d'autres autorités ont mis en place des méthodes d'enquête permettant de concilier efficacité et respect des droits fondamentaux. Une jurisprudence récente de la High Court irlandaise est citée à l'appui de cette argumentation.

- En procédant à une saisie massive des fichiers de messageries informatiques sans prévoir les garanties permettant d'assurer le respect des droits de la défense, les enquêteurs ont violé l'article 8 CESDH et ont outrepassé les limites de l'autorisation délivrée par le JLD.

Il est soutenu que dans le cadre des opérations de visite et de saisie qui se sont déroulées dans les locaux de la société Conserves France, les services de l'Autorité, plutôt que d'individualiser les seuls documents et messages informatiques rentrant dans le champ de l'ordonnance autorisant les enquêtes, ont procédé à la saisie massive de fichiers de messageries informatiques dans les bureaux de plusieurs salariés de la société visitée.

La requérante tient à préciser que ce qu'elle dénonce c'est la saisie massive de fichiers électroniques, à savoir les e-mails et les pièces jointes contenues dans les messageries électroniques ayant été saisies dans leur intégralité.

En effet, les enquêteurs ont procédé à une copie intégrale de messageries électroniques sur les ordinateurs de 7 salariés ou anciens salariés de la société Conserves France, ce qui a conduit à la saisie de plusieurs dizaines de milliers d'e-mails et de documents informatiques de manière indifférenciée. Un tel procédé a inévitablement conduit à la saisie de documents se situant hors du champ de l'enquête diligentée.

Alors que l'ordonnance du JLD a exclusivement habilité les enquêteurs à procéder aux opérations de visite et de saisie dans le secteur des fruits en coupelle et en gourde, les enquêteurs ont saisi un grand nombre de documents personnels ou privés ou relevant d'autres activités de la société, telles que la transformation et la commercialisation de légumes.

En effet, il convient d'observer que outre l'activité de commercialisation de fruits en conserve, dont les fruits vendus en coupelles et en gourdes ne représentent qu'une partie, la société Conserves France est également active dans la commercialisation de légumes en conserve, cette dernière activité représentant plus de 40% de son activité. Les salariés qui ont été ciblés dans le cadre de l'enquête ont des fonctions qui couvrent non seulement l'activité " fruits " mais également l'activité " légumes ". Dans ces circonstances, il était parfaitement clair qu'une saisie massive et indifférenciée des messageries électroniques de ces salariés conduirait à la saisie de documents sans rapport avec le champ de l'enquête.

Par ailleurs, il est précisé que les documents manifestement hors champ de l'autorisation que la requérante produit en annexe à ses conclusions (pièce n° 5) ne sont qu'un simple échantillon, les enquêteurs en ayant saisi une quantité innombrable.

Il est soutenu que dans la mesure où l'Autorité a fait le choix de saisir globalement les fichiers informatiques et que l'entreprise visée ne se voit pas offrir la possibilité de revoir la sélection des documents issus de cette saisie massive, en particulier le contenu des messageries électroniques, la société Conserves France n'a disposé d'aucune garantie adéquate empêchant les enquêteurs de saisir et de prendre connaissance ultérieurement de documents ne relevant pas du champ de l'enquête.

Par ailleurs, si les juridictions d'appel ont pu admettre le recours aux saisies globales de messageries informatiques, au motif, éminemment contestable, de leur insécabilité, il en demeure pas moins que la Cour d'appel de Paris a toujours été soucieuse du respect des libertés fondamentales, ce qui doit la conduire à vérifier qu'il n'existait pas d'autres procédés moins attentatoires aux libertés fondamentales pour réaliser l'objectif poursuivi par une visite domiciliaire, à savoir la saisie des seuls documents se rapportant aux pratiques suspectées.

Il est argué que les évolutions apportées par d'autres autorités européennes de concurrence aux méthodes qu'elles mettent en œuvre pour la saisie de fichiers informatiques démontrent qu'il est possible de procéder à des saisies informatiques, en ayant recours à des procédés moins attentatoires aux droits des entreprises tout en permettant aux autorités de remplir leur mission.

- La saisie massive était injustifiée car des méthodes plus respectueuses des droits de la défense existent et sont d'ores et déjà utilisées par des autorités de concurrence et par l'Autorité elle-même

Il est soutenu qu'il n'existe en réalité aucune nécessité de recourir à des saisies globales de messageries informatiques pour permettre aux enquêteurs de mener à bien leur mission lors des perquisitions réalisées dans les locaux d'une entreprise, ainsi que l'exemple d'autres autorités de concurrence européennes (a) o d'autres autorités européennes (b) ou de l'ADLC elle-même (c) le montre.

a) l'exemple de la pratique de la Commission européenne

Il est fait observer que la Commission européenne s'est toujours montrée soucieuse du respect des libertés fondamentales et qu'il conviendrait de s'inspirer de sa pratique.

Il est argué que l'affirmation de l'administration selon laquelle cet exemple ne lui serait pas opposable au motif que les règles procédurales appliquées par la Commission sont différentes, notamment en ce que la Commission agit sur décision sans le contrôle du juge, est erronée dans la mesure où, conformément à l'article 20 du Règlement 1/2003 du 16 décembre 2002, lorsque la Commission diligente une enquête en France et qu'elle souhaite imposer des mesures coercitives, elle doit obtenir l'autorisation du JLD, cette autorisation pouvant être obtenue à titre préventif.

b) l'exemple d'autres autorités de concurrence

Il est cité l'exemple d'autres autorités de concurrence, à savoir l'autorité de concurrence des Pays-Bas, d'Irlande, des Etats-Unis, d'Australie, du Japon et du Royaume-Uni.

c) la nouvelle méthode de l'Autorité relative à la saisie de fichiers susceptibles de contenir des correspondances avocat-client, bien que perfectible, aurait dû être étendue à la saisie de fichiers susceptibles de contenir des documents hors champ

La requérante relève que l'Autorité a déjà été obligée, suite à la décision de la Cour de cassation du 24 avril 2013, n° 12/-80331 " Medtronic ", de faire évoluer les modalités de mise en œuvre de l'article L. 450-4 du Code de commerce en matière de saisie de documents et supports numériques en ce qui concerne la saisie de fichiers informatiques susceptibles de contenir des documents couverts par la protection des correspondances avocat-client.

En effet, c'est dans ce contexte que l'Autorité a introduit en octobre 2014 une nouvelle procédure, dite " des scellés fermés provisoires ", qui démontre que l'administration dispose de moyens lui permettant d'exclure des saisies les documents dont elle n'a pas à prendre connaissance.

Or, l'Autorité n'a à prendre connaissance ni des documents couverts par le secret de la correspondance avocat-client, ni des documents qui sont en dehors du champ de l'autorisation.

Dans un courrier du 1er octobre 2015, la société Conserves France avait expressément indiqué qu'elle souhaitait pouvoir éliminer du scellé fermé provisoire non seulement les correspondances couvertes par le secret de la correspondance avocat-client, comme elle y était invitée, mais également les documents hors champ de l'autorisation d'enquête fixée par l'ordonnance du JLD. Il semblait en effet parfaitement logique que cette même procédure soit appliquée aux documents hors champ.

Il est donc incompréhensible que l'Autorité ait refusé à la requérante la possibilité d'exclure du scellé fermé provisoire les documents se trouvant en dehors du champ de l'enquête.

Dans ces conditions, il est demandé d'invalider la pratique actuelle de l'ADLC et prononcer, comme la Cour de cassation l'a fait dans l'arrêt sus-mentionné, la nullité pure et simple des opérations de visite et saisies qui se sont déroulées dans les locaux de la société Conserves France.

II) une protection inadéquate des correspondances avocat-client

Il est soutenu que la méthode des scellés fermés provisoires n'offre pas, et n'a pas offert à la société Conserves France, une garantie effective des droits de la défense et des libertés fondamentales.

- L'interdiction de saisir des documents couverts par la correspondance avocat-client pèse sur l'Autorité à qui il incombe par conséquent d'identifier ces documents

Il est argué qu'il appartient à l'Autorité de s'assurer spontanément qu'elle ne saisit aucun document couvert par le secret de la correspondance avocat-client afin de ne pas violer les termes de l'ordonnance autorisant les enquêtes et les dispositions de la loi du 31 décembre 1971.

Or, la procédure mise en place par l'Autorité a opéré un renversement de ce principe. En effet, conformément à cette procédure, l'administration saisit sans limite et sans discernement l'ensemble des documents contenus dans des fichiers électroniques, en laissant le soin à l'entreprise, Conserves France en l'occurrence, de lui indiquer quels sont les documents qu'elle n'aurait pas dû saisir, pour en obtenir leur suppression.

Il s'agit là d'un travail important pour la société Conserves France, qui a identifié 5.867 documents protégés au titre de la correspondance avocat-client, ce chiffre démontrant l'importance du travail qui a dû être effectué par la société requérante.

- La société Conserves France n'a pas été mise en mesure d'obtenir la suppression de l'ensemble des correspondances couvertes par le secret de la correspondance avocat-client

Il est soutenu que la société Conserves France a été dans l'impossibilité matérielle de revoir l'ensemble des fichiers placés dans le scellé fermé provisoire et de lister l'intégralité des documents protégés au titre de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée.

2.2.1. L'absence de remise par les enquêteurs d'une copie des fichiers placés dans le scellé fermé provisoire a rendu particulièrement difficile l'identification des documents saisis

La requérante ne s'est pas vue remettre par les enquêteurs de copie des fichiers placés dans le scellé fermé provisoire. En lieu et place, les agents de l'administration se sont contentés de fournir un inventaire sommaire des fichiers copiés, à charge pour la société requérante de reconstituer elle-même une copie des fichiers saisis, ce qu'elle n'a cependant que partiellement réussi à faire.

2.2.2 Le délai imparti pour l'identification des documents susceptibles de contenir des correspondances avocat-client n'a pas permis à la société Conserves France de bénéficier de la protection absolue des correspondances avocat-client à laquelle elle avait pourtant droit

Il est argué que le délai de 10 jours qui a été imparti à la société Conserves France pour lister l'ensemble des correspondances relevant de la confidentialité avocat-client ne pouvait pas raisonnablement permettre, et en fait n'a pas permis, à la requérante d'identifier l'ensemble de ces correspondances.

En effet, les messageries électroniques saisies par l'Autorité, notamment celle de Monsieur Ferrari, contenaient un nombre considérable de documents couverts par le secret de la correspondance avocat-client. Ceci s'explique notamment par le fait que la société Conserves France ne dispose pas de service juridique et que, dans ce contexte, Monsieur Ferrari, Directeur d'exploitation, dont la messagerie Lotus Notes a été placée dans le scellé n°2 (scellé ferme provisoire), a constitué l'interlocuteur direct et principal des avocats de la société. Monsieur Ferrari a ainsi identifié parmi ses contacts plus de 47 avocats et 27 cabinets d'avocats.

Par ailleurs, il est fait observer que les enquêteurs ont saisi de très nombreuses copies des mêmes messageries, ce qui a multiplié d'autant le temps d'identification et de recensement des courriers électroniques pertinents. A titre d'exemple, la messagerie Lotus Notes (professionnelle) de Monsieur Ferrari a été saisie 9 fois (de manière intégrale ou partielle).

L'ensemble de ces circonstances ont été portées à la connaissance de l'Autorité, qui n'en a tiré aucune conséquence directe.

En effet, la société Conserves France a sollicité auprès de l'Autorité un délai supplémentaire de 10 jours que l'Autorité lui a consenti " à titre exceptionnel " uniquement en raison du déménagement en cours au sein de la société du fait de la cession de son activité " fruits ".

En tout état de cause, malgré ce délai supplémentaire, et bien qu'elle ait communiqué à l'Autorité une liste de pas moins de 5 867 documents qu'elle estimait couvert par le privilège légal, la société Conserves France n'a pas été en mesure d'identifier l'ensemble des correspondances avocat-client contenues dans le scellé fermé provisoire dans les délais impartis. Elle en a expressément informé l'Autorité lors de la communication, le 13 octobre 2015, de la liste des documents devant être supprimés du scellé fermé provisoire.

Ainsi, lors de l'ouverture du scellé fermé provisoire les 19 et 20 octobre 2015, les enquêteurs ont d'ailleurs pu constater par eux-mêmes que des correspondances couvertes par la protection du secret professionnel n'ayant pu être identifiées par la société Conserves France, faute de temps, figuraient dans le scellé fermé provisoire. Tel qu'indiqué dans le procès-verbal du 20 octobre 2015, les enquêteurs ont extrait les messages électroniques en question, dont une liste est annexée au procès-verbal, soit au total 59 documents supplémentaires.

Il convient de noter que ces 59 correspondances avocat-client supplémentaires ont été identifiées incidemment par les services de l'Autorité dans le cadre de la vérification de la liste des correspondances avocat-client communiquée par la société Conserves France. Par conséquent, les services de l'Autorité ne pouvaient ignorer que le scellé contenait en réalité encore vraisemblablement de nombreuses correspondances avocat-client.

De fait, le scellé définitif n°2 contient toujours des correspondances avocat-client qui n'auraient jamais dû être saisies par l'Autorité. A titre illustratif, et sans que cette liste ne soit exhaustive, la société Conserves France produit deux correspondances avocat-client qui sont encore contenues dans ce scellé (pièce n° 19).

III) la nullité des opérations de visite et de saisie est la sanction appropriée des irrégularités relevées

Il est argué que les opérations de visite et de saisie diligentées le 22 septembre 2015 dans les locaux de la société Conserves France ont été réalisées en violation de ses droits de la défense et de ses libertés fondamentales, garanties notamment par l'article 8 CESDH.

En effet, non seulement cette dernière a fait l'objet d'ingérences disproportionnées de la part des enquêteurs de l'Autorité mais la nouvelle procédure mise en œuvre par l'administration concernant la saisie de fichiers informatiques susceptibles de contenir des correspondances avocat-client ne lui a pas permis d'assurer la protection des correspondances avocat-client à laquelle elle avait droit.

Dans ces conditions, la seule sanction appropriée pour les irrégularités relevées est la nullité des opérations de visite et de saisie.

En effet, à partir du moment où l'Autorité est en possession de ces correspondances, il n'existe aucun moyen de s'assurer qu'elle n'en prendra pas effectivement connaissance et n'en fera pas usage.

Par ailleurs, la restitution serait inappropriée car elle obligerait la société Conserves France à identifier les milliers de documents hors champ ayant été saisis, ce qui serait choquant sur le plan des principes car cela reviendrait à imposer à l'entreprise de faire l'instruction à la place de l'administration, et difficilement réalisable sur un plan pratique puisque cela obligerait l'entreprise à réaliser un travail considérable, onéreux et extrêmement long, dont elle n'a pas à assumer la charge.

IV) à titre subsidiaire, l'ensemble des messageries électroniques contenant un document hors champ devra être restitué

A titre subsidiaire, si la juridiction d'appel ne faisait pas droit à la demande de la société Conserves France d'annuler l'ensemble des opérations qui se sont déroulées le 22 septembre 2015 dans ses locaux, elle devra à minima ordonner l'annulation de la saisie des boîtes de messageries électroniques contenant des documents hors champ.

En effet, les saisies de documents hors champ sont illicites et doivent par conséquent être annulées, et comme le prétend l'Autorité les messageries électroniques sont insécables et si ces messageries électroniques contiennent des documents hors champ, la saisi de l'ensemble de ces messageries doit être annulée.

En l'espèce, il a été impossible de déterminer si les messageries de Mme Trabia et de M. Ollagnier contiennent des documents hors champ car les fichiers électroniques communiqués dans le scellé sont protégés et ne peuvent pas être ouverts. En revanche, il a pu être établi que la messagerie électronique des sept autres salariés de Conserves France saisies par l'Autorité contiennent des documents hors champ.

Ainsi, la société Conserves France produit un échantillon non exhaustif d'e-mails hors champ provenant de chacune de ces messageries (pièce n° 21 à 27).

Il est mis en exergue que ces mails portent exclusivement sur l'activité légumes de la société Conserves France et sont donc sans rapport avec " le secteur des fruits vendus en coupelles et en gourdes " faisant l'objet de l'enquête. Les saisies des messageries électroniques de ces sept salariés devront être annulées et ces dernières devront être restituées à la société Conserves France.

En conclusion, la société Conserves France demande de :

A titre principal :

- dire que les opérations de visite et de saisie effectuées le 22 septembre 2015 dans les locaux de la société Conserves France sont illicites au regard des dispositions des articles 8 de la CESDH, 9 du Code civile, L. 3450-4 du Code de commerce et 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée ;

En conséquence :

- annuler les opérations de visite et saisies qui se sont déroulées le 22 septembre 2015 dans les locaux de la société Conserves France sis 556 chemin Mas de Cheylon, 30000 Nîmes,

- restituer à la société Conserves France l'ensemble des documents saisis à cette occasion,

A titre subsidiaire

- dire que les saisies des messageries électroniques contenant des documents hors champ, soit les messageries électroniques de M. Cornu, M. Carre, M. Ferrari, M. Guitart, M. Torres, M. Soulier et M. Reiser sont illicites au regard des dispositions de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, 9 du Code civil, L. 450-4 du Code de commerce et 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée ;

En conséquence :

- annuler les saisies de ces messageries électroniques,

- restituer à la société Conserves France l'ensemble de ces messageries.

En toute hypothèse :

- condamner l'Autorité de la concurrence aux entiers dépens ainsi qu'au versement d'une somme de dix mille (10 000) euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par conclusions en date du 11 juillet 2016, l'Autorité de la concurrence soutient :

I) sur la prétendue utilisation de méthodes disproportionnées ayant abouti à une saisie massive en violation de l'article 8 de la CESDH

En premier lieu, s'agissant de la critique portant sur une saisie prétendument massive et indifférenciée de données informatiques, l'administration tient à corriger certaines affirmations de la requérante.

En effet, il n'est pas inutile de rappeler que les dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce permettent aux rapporteurs de saisir " tout support d'information ", c'est à dire les ordinateurs eux-mêmes, leurs disques durs ou une copie complète de ceux-ci.

Or, eu égard aux circonstances de l'espèce et dans un souci de proportionnalité, les rapporteurs ont procédé à une sélection et n'ont saisi que les fichiers qui comportaient les éléments entrant dans le champ de l'autorisation accordée par le JLD, conformément à une jurisprudence établie.

Il ressort de la lecture du procès-verbal et de l'inventaire dressés le 22 septembre 2015 que les enquêteurs ont procédé à des investigations sur les ordinateurs et/ou téléphones mobiles de 6 salariés de l'entreprise Conserves France : Mmes Szwarc et Cerda (ordinateurs et téléphones mobiles), MM. Lehoux, Coulet, Leal (ordinateurs et téléphones mobiles) et M Ollagnier (téléphone mobile). Tous ces appareils n'ont donné lieu à aucune saisie, comme le relate le PV. De la même manière, les deux téléphones mobiles de M Ferrari ainsi que sa tablette n'ont fait l'objet d'aucune saisie.

La visite pratiquée n'a concerné que 6 bureaux et aucune saisie papier n'est intervenue dans 2 de ces 6 bureaux (bureaux de Mmes Trabbia et Cerda).

Sur les ordinateurs de Mme Trabbia, MM. Ollagnier et Ferrari, les disques durs externes de M Ferrari, et les fichiers de messageries de MM. Ferrari, Guitart, Cornu, Soulier, Reiser et Torres présents sur le serveur Conserves France, des investigations approfondies ont été menées et ont donné lieu à la copie de 1302 fichiers sur 1.930.113 analysés, soit à peine 0,07% (les nombres totaux d'éléments analysés et d'éléments saisis sur chaque support d'information figurent au bas de chaque fichier d'inventaire joint au PV des 19-20 octobre 2015).

Il est argué que par un ciblage des bureaux visités d'une part, un choix strict des appareils investigués d'autre part, et enfin par une sélection drastique sur chaque poste informatique, les rapporteurs ont fait montre de discernement et de proportionnalité dans le processus de saisie. Ces éléments témoignent à eux seuls de la sélectivité mise en œuvre pour appréhender les données se rapportant à l'objet de l'enquête.

Il importe également d'observer qu'il n'appartient pas à une entreprise saisie faisant l'objet d'une visite domiciliaire de déterminer et agréer les méthodes d'investigations dont elle est l'objet. L'Autorité de la concurrence détermine seule les modalités qu'elle met en œuvre pour mener à bien sa mission, dans le respect des lois et règlements qui la régissent et sous le contrôle du juge. Plusieurs jurisprudences sont citées à l'appui de cette argumentation.

Par ailleurs, s'agissant d'une supposée violation du principe de proportionnalité résultant de la saisie des fichiers de messageries de MM. Ferrari, Guitart, Cornu, Soulier, Reiser, Torres présents sur le serveur, et de Mme Trebbia et M Ollagnier présents sur leurs ordinateurs (scellé n° 2), il faut indiquer que la saisie n'a porté que sur les messageries électroniques professionnelles de ces salariés et que la présence de documents entrant dans le champ des investigations a été dûment vérifiée par les rapporteurs préalablement à la copie. Ce fait n'est d'ailleurs pas contesté par la requérante.

Il est fait observer que les messageries électroniques mises à la disposition de ses salariés par Conserves France sont de type Lotus Note (extension en .nsf) et/ou Microsoft Outlook (extension en .pst et .ost). Ces messageries sont structurées de telle manière que les messages ne font pas l'objet d'un enregistrement individuel mais sont enfermés dans un fichier conteneur, au même titre que les éléments de l'agenda ou les contacts. Cette organisation informatique n'est en aucun cas le fait des rapporteurs et préexistait avant leur arrivée dans les locaux de la société visitée.

Par conséquent, l'administration ne pouvait que constater ce mode de stockage dans un fichier unique des éléments contenus dans Outlook et/ou Lotus Note et ne pouvait en aucun cas le modifier. En effet, s'il est possible pour l'ADLC de saisir les documents ou supports d'information se trouvant dans l'entreprise le jour de la visite, il n'est en aucun cas envisageable pour elle d'individualiser les seuls messages entrant dans le champ de l'autorisation, en les extrayant un par un d'Outlook et/ou de Lotus Note, sous peine de créer sur l'ordinateur visité des éléments qui n'existaient pas avant son intervention et de compromettre ainsi l'authenticité même de ces messages.

Dans ces conditions, il ne peut être exclu que des messageries électroniques par nature composite puissent contenir à la fois des messages entrant dans le champ des investigations et des messages sans rapport avec l'objet de l'enquête, de la même manière qu'un cahier ou qu'un agenda peut contenir en même temps des annotations pertinentes pour les investigations et d'autres totalement sans relation avec celles-ci.

Pour autant, le mode opératoire suivi par l'administration est très largement validé par la jurisprudence.

La requérante n'hésite pourtant pas à soutenir que les enquêteurs ont saisi " une quantité innombrable de documents hors champ ", tout en ne produisant qu'une liste de 12 documents en pièce n° 15 annexée à ses conclusions.

S'agissant des documents qui se situeraient hors du champ des investigations défini par l'ordonnance d'autorisation, il y a lieu de constater que les documents listés par Conserves France sont tous documents numériques provenant des messageries électroniques, dont il a déjà été rappelé la structure non divisible.

Il y a lieu de rappeler que la saisie n'a porté que sur les messageries électroniques professionnelles mises à la disposition de ses salariés par Conserves France pour envoyer et recevoir, à titre principal, des correspondances d'ordre professionnel. Il n'est cependant pas exclu que de telles messageries puissent contenir également des messages hors du champ ou d'ordre privé sans qu'ils constituent l'objet des recherches et analyses menées par les rapporteurs de l'Autorité.

Pour autant, la présence de ces documents étrangers à l'enquête dans les fichiers saisis, qui résulte uniquement du caractère global de la saisie de la messagerie, ne saurait remettre en cause la saisie de la messagerie elle-même à partir du moment où il a été vérifié préalablement que celle-ci contenaient des éléments en rapport avec l'enquête. Plusieurs arrêts de la Cour de cassation sont cités à l'appui de cette argumentation.

Par ailleurs, il n'est pas non plus démontré par la requérante en quoi la présence de ces messages dans les fichiers saisis lui fait grief ou porte atteinte à un droit légalement protégé, dans la mesure où ces documents n'ont pas été intentionnellement saisis par les rapporteurs. L'Autorité ne pourra que constater que ces documents sont sans intérêt pour l'instruction en cours et assurer la requérante qu'elle n'en fera, en aucun cas, usage.

De surcroît, à la suite des groupes de travail intervenus en 2006/2007 entre les représentants des avocats pratiquant le droit de la concurrence et le Conseil de la concurrence, il a été convenu que les entreprises puissent faire une demande de classement de secret des affaires de l'ensemble de chaque messagerie saisie, cette méthode ayant été validée ultérieurement par la décision n° 09-D-05 du 2 février 2009 (§68) du Conseil de la concurrence pour une saisie de fichiers de messageries réalisés en 2004.

Ainsi, il appartient à la requérante de demander le classement en secret des affaires de l'ensemble des messageries saisies sur le fondement des articles L. 463-4 et R. 463-13 à 15 du Code de commerce si elle souhaite préserver la confidentialité des données informatiques qu'elle considère comme étant hors du champ de l'autorisation judiciaire.

Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de restituer les messages prétendument hors du champ de l'autorisation judiciaire dès lors que ces messages ont été saisis de manière non délibérée dans les conditions ci-dessus décrites, ne sont pas protégés par le secret des correspondances avocat-client ou relatifs à la vie privée et ne pourront, en toute hypothèse, pas être utilisés par l'ADLC.

Par conséquent, les 12 documents numériques listés dans la pièce n° 15 aux conclusions de la requérante sont conservés par l'administration jusqu'à ce que la décision soit devenue définitive, comme le prévoit l'article L. 450-4, alinéa 12 du Code de commerce.

Enfin, s'agissant d'une prétendue atteinte au droit au respect du domicile des personnes morales et au principe de proportionnalité consacrés par l'article 8 de la CESDH, il est fait valoir que l'article L. 450-4 du Code de commerce n'a jamais été remis en cause par la jurisprudence de la CEDH, ni d'ailleurs par celle des juridictions nationales. En effet, la violation de l'article 8-1 de la CESDH est écartée lorsqu'elle est justifiée par l'article 8-2. Pour être admissible, l'ingérence de l'autorité publique dans le droit garanti par l'article 8-1 est subordonnée à une triple condition : être prévue par la loi (article L. 450-4 du Code de commerce), viser un but légitime (la recherche de la preuve de pratiques anticoncurrentielles qui constitue une mesure nécessaire au bien-être économique du pays) et être nécessaire dans une société démocratique. L'État français remplit ces trois conditions.

L'ADLC rappelle que la saisie n'a été ni massive ni indifférenciée et que cette saisie a été réalisée sur autorisation judiciaire délivrée par le JLD du TGI de Paris le 11 septembre 2015, en présence d'officiers de police judiciaire (OPJ) et de l'occupant des lieux ou son représentant, ainsi qu'en atteste les procès-verbaux de visite et saisies.

En deuxième lieu, il est inopérant de comparer les pouvoirs de visite et saisies des rapporteurs de l'Autorité de la concurrence agissant sur autorisation judiciaire, sous le contrôle d'un juge et d'officiers de police judiciaire et donnant lieu à un recours juridictionnel effectif avec la pratique des inspections des agents de la Commission européenne qui agissent sur le fondement d'une décision administrative, sans contrôle d'un juge, hors la présence de tout officier de police judiciaire et qui n'ouvrent pas droit à un recours juridictionnel direct.

Il en va de même de la procédure d'inspection administrative mise en œuvre par l'Autorité néerlandaise de la concurrence (NmA) qui est loin de faire l'unanimité, notamment au regard du délai de 10 jours laissé aux entreprises pour identifier les documents couverts par le secret professionnel et jugé trop court.

A cet égard, il est utile de rappeler que la société Conserves France a disposé d'un délai de 20 jours pour présenter une liste des courriels relevant de la correspondance avocat-client pour leur élimination avant saisie sous le contrôle du JLD du TGI de NIMES.

En troisième lieu, s'agissant de la critique suivant laquelle la nouvelle méthode des scellés fermés provisoires aurait dû être étendue aux courriels hors du champ de l'autorisation judiciaire, il est argué d'une part, qu'il ne peut être reproché à l'ADLC la conservation de pièces légalement détenues d'autant qu'il existe une procédure au sein de l'Autorité qui permet de protéger le contenu d'une messagerie électronique dans son intégralité.

D'autre part, il est soutenu que la requérante fait une mauvaise lecture de la jurisprudence Medtronic du 24 avril 2013, sur laquelle elle appuie son raisonnement.

En effet, il appartenait ici à la juridiction de renvoi de se prononcer exclusivement sur la présence éventuelle de pièces couvertes par le secret des correspondances entre un avocat et son client et des droits de la défense dans la saisie informatique et le cas échéant, d'en annuler la saisie, la chambre criminelle de la Cour de cassation n'ayant à aucun moment dans son arrêt Medtronic étendu l'annulation aux documents hors champ qui figuraient dans ce contentieux.

En d'autres termes, le scellé fermé provisoire n'a pour objectif que d'éliminer les messages pouvant relever de la protection de la correspondance avocat-client avant saisie et ne concerne en aucun cas les documents hors champ, au regard de la jurisprudence la plus récente.

Il est demandé que ce moyen soit rejeté.

II) sur la prétendue protection inadéquate des correspondances avocat-client

Il est argué que la critique selon laquelle il appartiendrait à l'Autorité de la concurrence d'identifier les correspondances avocat-client afin de procéder à leur élimination du scellé fermé provisoire ne saurait pas prospérer.

Le procès-verbal de visite dressé dans les locaux de Conserves France précise en page 5 que M. Ferrari, occupant des lieux, a signalé la présence des documents couverts par le secret des correspondances échangées entre Conserves France et ses avocats dans les fichiers retenus par les rapporteurs. Les fichiers ont en conséquence été placés sous scellé fermé provisoire.

La saisie n'étant pas encore définitive, aucune copie des fichiers n'est conservée par les rapporteurs de l'ADLC ni remise à l'entreprise et l'inventaire complet et définitif des fichiers ne peut pas être réalisé immédiatement.

Cependant, afin de permettre à l'entreprise d'identifier les fichiers qui ont été appréhendés et placés temporairement sous scellé fermé provisoire, une liste complète des fichiers a été annexée au procès-verbal et remise à l'entreprise. Cette liste énumère précisément le nom de chaque fichier copié, ainsi que sa taille, son empreinte numérique, ses caractéristiques et sa localisation sur l'ordinateur ou le serveur à partir duquel il a été copié.

Il appartient donc à l'entreprise qui bénéficie de cette mesure de vérifier dans les fichiers originaux, dont elle dispose librement, ceux qui relèvent selon elle de la protection prévue par la loi du 31 décembre 1971.

Une jurisprudence récente de la Cour de cassation (3 mai 2016, n° 14-28168) exige " que le demandeur précise et produise les pièces qui lui paraissent avoir été saisies illicitement ".

L'ADLC argue que l'opération d'identification par Conserves France n'apparaît présenter aucune difficulté opérationnelle sans qu'il soit nécessaire de rappeler que ces fichiers appartiennent à la requérante et qu''ils sont de toute évidence parfaitement connus de celle-ci ; en outre, ils ont été dénommés très précisément dans la liste remise par les rapporteurs, de telle sorte qu'ils peuvent être aisément identifiés sur les ordinateurs sources et le serveur.

Par ailleurs, Conserves France a adressé à l'ADLC une liste significative de 5867 documents protégés au titre de la correspondance avocat-client, ce qui démontre en soi qu'elle a pu réaliser cette recherche sans rencontrer de difficultés insurmontables.

Elle produit en annexe 19 qu'une liste de 2 courriels qui relèveraient encore, selon elle, de la protection de la correspondance avocat-client.

L'ADLC demande à que ce moyen soit rejeté.

III) sur l'annulation de l'ensemble des opérations de visite et saisies comme sanction appropriée des prétendues irrégularités relevées

Au motif de ces 2 messages électroniques, listés en pièce 19 et évoqués supra, la société requérante demande l'annulation de l'ensemble des opérations de visite et saisies.

Tout d'abord, si la requérante a oublié de mentionner ces 2 courriels lors de l'établissement de sa première liste au mois d'octobre 2015, cette négligence relève avant tout de sa propre responsabilité et ne saurait être imputée aux rapporteurs de l'ADLC.

La critique est d'autant moins admissible que les enquêteurs ont activement protégé les droits de l'entreprise en supprimant 59 messages protégés supplémentaires, découverts fortuitement les jours des opérations d'élimination, alors que ces documents n'avaient pas été identifiés par la requérante.

Ensuite, les allégations sur l'utilisation que pourraient faire les rapporteurs du contenu de ces deux documents à l'encontre de la société Conserves France ne sont que spéculations et ne reposent sur aucun élément de fait concret et en toute hypothèse, l'Autorité ne pourra faire aucun usage de ces correspondances.

Enfin, la saisie accidentelle et non délibérée de documents couverts par la confidentialité des échanges entre un avocat et son client ne peut invalider la saisie des autres documents appréhendés simultanément et dans des conditions parfaitement régulières. Ainsi, la présence de documents protégés ne pourra avoir pour conséquence d'entraîner ni l'annulation de l'ensemble des documents, ni même l'annulation de la saisie des messageries électroniques qui contiendraient ces documents.

L'annulation prononcée par le juge des seules pièces bénéficiant de la protection prévue par l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 suffit à rétablir l'élimination physique des documents protégés contenus dans les fichiers placés sous scellés en sus du caractère inutilisable de toute copie détenue.

Les demandes d'annulation des opérations et de restitution de l'ensemble des documents et fichiers saisis exigées par la requérante seront donc rejetées.

En conclusion, l'ADLC demande de rejeter les demandes d'annulation des opérations de visite et saisies et de restitution de l'ensemble des documents et fichiers saisis et de condamner la société Conserves France au paiement de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par avis en date du 3 mars 2017, le Ministère public fait valoir que :

I- Les saisies opérées n'ont été ni massives, ni indifférenciées

La visite n'a effectivement concerné que 6 bureaux et des saisies papier sont intervenues dans 2 de ces 6 bureaux, ceux de Mmes Trabbia et Cerda et sur les ordinateurs de Mme Trabbia, MM Ollagnier et Ferrari, les deux disques durs externes de Mr Ferrari et les fichiers de messageries de MM. Ferrari, Guitart, Cornu, Soulier, Reiser et Torres présents sur le serveur de l'entreprise Conserves de France, des recherches approfondies ont été menées et ont donné lieu à la copie de 1302 fichiers sur les 1 930 113 analysés.

Il y a donc eu " un ciblage des bureaux visités " et un " choix strict des appareils investigués ", les enquêteurs ayant fait preuve de discernement, en appliquant le principe de proportionnalité dans leurs recherches.

Par ailleurs, seules les messageries électroniques professionnelles des salariés concernés ont été saisies en copie.

Il est argué que la technique du scellé provisoire, validée par la jurisprudence et destinée à assurer un équilibre entre les exigences d'efficacité des investigations et la protection du secret des correspondances avec les avocats et du respect de la vie privée, a été régulièrement suivie ici.

Ainsi, la critique par la société Conserves de France, de la saisie de 12 documents hors champ (pièce n°15 annexée à ses conclusions) est inopérante, s'agissant de documents numériques provenant des messageries électroniques insécables et aucune violation de l'article 8-1 de la CESDH ne peut être alléguée lorsque, comme en l'espèce, les investigations sont justifiées au regard des conditions posées par l'article 8-2 de la convention.

Par ailleurs, la procédure suivie par la commission européenne en matière d'infractions au droit de la concurrence, sur le fondement du règlement 1/2003, n'est pas transposable à l'activité de l'Autorité nationale de la concurrence, le cadre procédural étant substantiellement différent. De même la procédure d'inspection administrative mise en œuvre par l'Autorité néerlandaise de concurrence (NmA) n'est pas davantage transposable.

En outre, la société Conserves France a disposé ici d'un délai de 20 jours pour présenter une liste des courriels relevant de la correspondance avocat-client pour leur élimination avant saisie sous le contrôle du JLD de NIMES.

Enfin, la procédure de constitution d'un scellé provisoire suivie d'une réunion contradictoire destinée à éliminer de la saisie, sous scellé définitif, des éléments mettant en cause le secret protégé répond au mieux à la nécessité de la protection des droits fondamentaux et d'assurer l'efficacité des investigations.

Sur le signalement de Mr Ferrari, occupant des lieux, la copie des fichiers dont il indiquait qu'ils pouvaient contenir des documents couverts par le secret des correspondances échangées entre Conserves France et ses avocats ont été placés sous scellé provisoire et une liste des fichiers concernés a été annexée au procès-verbal et remise à l'entreprise, qui énumère précisément le nom de chaque fichier copié, ainsi que sa taille, son empreinte numérique, ses caractéristiques et sa localisation sur l'ordinateur (').

En l'espèce, la société requérante a adressé à l'ADLC une liste de 5867 documents protégés au titre de la correspondance avocat-client, ce qui montre en soi qu'elle a été en mesure de suivre la procédure ainsi établie et les 19 et 20 octobre 2015, plusieurs milliers de messages ont été examinés lors de l'ouverture du scellé fermé provisoire et de la constitution du scellé définitif dans les locaux de la société Conserves France.

La société produit, en pièce n°19 annexée à ses conclusions, une liste de 2 courriels qui relèveraient selon elle de la protection du secret de la correspondance avocat-client, dont il est demandé l'examen précis pour déterminer s'ils doivent ou non bénéficier de cette protection.

Enfin, si ces courriels font partie de messageries insécables, il y a lieu de considérer que la présence de ces courriels ne saurait entraîner la nullité dans son intégralité du scellé n° 15 (ordinateur de M.B) puisqu'il est avéré qu'il comporte des éléments utiles à l'enquête et qu'il convient de limiter la nullité aux seules pièces 7 et 8 de l'appelante, sans possibilité de restitution en raison du caractère insécable de la messagerie.

En conséquence, il est demandé de rejeter les demandes formées par la société Conserves France d'annuler les opérations de visite et saisie et de restituer l'ensemble des documents et fichiers saisis.

Sur Ce

I- L'APPEL

I) Sur l'absence de contrôle effectif par le juge des libertés et de la détention de la demande d'autorisation des opérations de visite et de saisie

Sur l'argument relatif au caractère pré-rédigé de l'ordonnance tendant à mettre en cause l'impartialité du premier juge, il y a lieu de relever que le JLD, signataire de l'ordonnance, est également destinataire d'une copie numérique de celle-ci, lorsque la requête est déposée au greffe du tribunal. Entre le dépôt et la signature de l'ordonnance, il peut modifier à sa guise le modèle d'ordonnance qui lui est proposé, en supprimant des arguments non-pertinents, en les remplaçant par une autre motivation et enfin, peut tout simplement refuser de faire droit à la requête de l'ADLC. En ayant cette possibilité de modifier, de rectifier ou de refuser de délivrer une autorisation, le premier juge s'approprie l'autorisation qu'il signe, son rôle ne se limitant pas à une simple mission de chambre d'enregistrement.

La société Conserves France fait valoir que l'analyse de l'ordonnance et de ses annexes permet de conclure à l'absence de contrôle effectif du JLD tant sur la requête que sur les pièces annexées à cette même requête et qu'en l'espèce, plusieurs éléments permettent de conclure que le JLD n'a pas rempli son office.

Il est fait référence à une décision d'une Cour d'appel de novembre 2011 contre laquelle un pourvoi tardif avait été formé et notamment sa motivation " (') que ce qui est bien plutôt ici en question est la réalité et l'effectivité du contrôle exercé par le magistrat dont c'est précisément l'office, contrôle qui suppose d'une part une lecture attentive de l'ordonnance préparée par l'administration, d'autant plus qu'il n'en est pas le rédacteur, et ce justement pour pouvoir faire siennes la motivation proposée et les dispositions décisoires figurant au dispositif, et d'autre part un examen attentif des pièces annexées à la requête et au projet d'ordonnance, afin de s'assurer de l'adéquation entre les pièces produites et les énonciations de l'ordonnance, ainsi que la pertinence de ces pièces au regard de l'appréciation qu'il doit opérer quant à l'existence de présomptions graves, précises et concordantes de la fraude soupçonnée par la partie requérante (.) "

Or, cette notion de " présomptions graves, précises et concordantes " rejoint celle " d'indices graves et concordants ", retenue dans le cadre d'une ouverture d'information par un magistrat instructeur, pour mettre en examen un mis en cause.

Au cas présent, le JLD exerce dans le cadre de ses attributions civiles et non pénales et il est constant qu'il doit se prononcer eu égard à des indices laissant apparaître des présomptions simples d'agissements prohibés.

Dès lors, en examinant l'ordonnance, la requête et les annexes jointes, il se livre à un contrôle de cohérence approfondi sans qu'il soit nécessaire d'exiger, de la part de l'ADLC, les originaux des documents ou se de livrer à un examen excessivement méticuleux des annexes produites.

Ainsi, il importe peu que soient produites des pages dactylographiques qui ne seraient que la retranscription de notes manuscrites, le fait d'occulter l'objet, la date et les champs relatifs au destinataire et à l'expéditeur n'est pas incohérent de la part d'un demandeur de clémence, qui a souhaité garder l'anonymat, dans la mesure où si ces espaces étaient renseignés, il serait immédiatement identifié par l'autre société impliquée dans les agissements. Par ailleurs, un agenda dont les dates seraient volontairement occultées peut avoir la même finalité.

Enfin, l'argument selon lequel le JLD n'aurait pas cherché à obtenir plus d'informations, démontrant ainsi qu'il n'a pas opéré le contrôle qui lui incombait, n'est pas pertinent.

En effet, avant de signer l'ordonnance, le JLD reçoit les enquêteurs de l'ADLC et leur demande de s'expliquer sur tel ou tel point qui lui semble obscur et c'est à l'issue de cet entretien qu'il signe ou refuse de signer l'ordonnance.

Dès lors, les annexes ont été prises dans leur globalité et ont permis au premier juge d'identifier des indices faisant apparaître de simples présomptions, ce qu'il a fait en signant l'ordonnance proposée par l'ADLC.

En conséquence, rien n'autorise la société Conserves France à affirmer que le JLD se soit affranchi de son obligation d'exercer son contrôle effectif sur les éléments lui étant soumis.

Ce moyen sera rejeté.

II) la demande soumise au juge ne comportait pas tous les éléments d'information de nature à éclairer pleinement le JLD sur la nécessité de la visite.

Il est reproché à l'ADLC de ne pas avoir communiqué au JLD une information pourtant essentielle, à savoir le fait qu'une demande de clémence portant sur les mêmes faits avait été rejetée par la Commission européenne le 18 juin 2014 et elle n'a pas non plus précisé les raisons ayant conduit la Commission européenne à rejeter cette demande de clémence et aurait manqué ainsi à son obligation de loyauté.

Il est constant que le juge qui autorise des opérations de visite et de saisie sur le fondement de l'article L.450-4 du Code de commerce est tenu de vérifier si la demande d'autorisation comporte tous les éléments d'informations utiles en possession du demandeur de nature à justifier la visite.

Il y a lieu de relever que le premier juge, en prenant connaissance du dossier présenté, a, en examinant l'annexe 3 bis, été informé de l'existence de cette décision et il lui appartenait, s'il avait estimé que cette pièce était utile à la prise de décision, d'en demander la production, ce qu'il n'a pas fait.

Si, comme l'indique l'ADLC, la décision de la Commission européenne de retenir ou pas une demande de clémence formulée par une entreprise repose avant tout sur une lettre de réponse non motivée et non publique, dans la mesure où il s'agit d'un choix purement administratif ('), la production de cette pièce n'apparaît pas être déterminante dans l'appréciation effectuée par le JLD.

En revanche, la pièce déterminante dans la prise de décision du JLD a été la déclaration du demandeur de clémence (annexe 3 bis).

Il convient de rappeler que la procédure de l'article L. 464-2 IV du Code de commerce relative à la réception d'informations par un demandeur de clémence n'est pas assimilable à une déclaration anonyme.

Cette procédure, qui permet à l'ADLC d'accorder une exonération totale ou partielle de sanctions pécuniaires aux entreprises ou organismes, ayant participé à une entente, qui en dénoncent l'existence et contribuent à l'établissement de l'infraction et à l'identification de ses auteurs, en apportant des éléments d'information dont l'Autorité ne disposait pas antérieurement, a pour objectif, dans l'intérêt de l'ordre public économique, de faciliter la détection des ententes et de les faire cesser plus rapidement.

En la forme, il y a lieu de relever que la déclaration du demandeur de clémence a été reçue par procès-verbal le 2 juillet 2014 par le Rapporteur général adjoint de l'ADLC et émanait des deux avocats du demandeur de clémence, signataires de la déclaration écrite du demandeur de clémence, laquelle était accompagnée des annexes. La licéité de cette déclaration ne peut être mise en cause et l'intervention de deux avocats déclarant demander la mise en œuvre de la procédure de l'article L. 464-2, IV du Code de commerce au bénéfice du demandeur de clémence, constitue une garantie indéniable dans un cadre juridique strict.

Il est constant qu'il suffit au premier juge de ne retenir qu'un seul indice laissant apparaître de simples présomptions d'agissements prohibés pour délivrer une ordonnance d'autorisation de visite et de saisie.

Ainsi, aucune déloyauté de la part de l'ADLC ne peut être caractérisée.

Ce moyen sera écarté.

En conséquence, l'ordonnance du JLD de Paris en date du 11 septembre 2015 sera déclarée régulière en toutes ses dispositions ainsi que celle subséquente du JLD de Nîmes en date du 18 septembre 2015.

II- LE RECOURS

I) L'utilisation de méthodes disproportionnées en violation de l'article 8 CESDH

1.1) Les atteintes au principe d'inviolabilité du domicile des personnes morales doivent être strictement proportionnées à l'objectif poursuivi

L'article 8 de la CESDH, qui énonce le droit au respect de la vie privée et familiale, est tempéré par son paragraphe 2 qui dispose que " il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

Il est argué que le fait que l'ADLC recourt à des outils informatiques permettant une saisie massive de documents ne peut se concevoir que pour autant qu'un tel recours ne conduise pas à saisir des documents en dehors de champ de l'enquête.

Sur la critique des outils utilisés, la procédure dite de " la mise sous scellés provisoires " n'est qu'une faculté offerte à la société qui peut, si elle l'estime inadaptée, la refuser et ce, dès le jour des opérations de visite et de saisies.

Ainsi, il est paradoxal de soutenir que cette procédure n'assure pas la protection des pièces saisies, alors qu'en l'espèce, la société a préalablement demandé à bénéficier de cette faculté.

Par ailleurs, cette pratique ne vise qu'à protéger les documents couverts par le privilège légal à savoir les échanges avocat-client et ne concerne pas les documents qui seraient hors du champ d'application de l'ordonnance ou ceux qui relèveraient de la vie privée des salariés.

S'agissant de ces deux types de documents, l'usage d'un logiciel de recherche avec des mots clés discriminants permet d'expurger les fichiers. Cependant le caractère insécable des messageries peut laisser apparaître des documents qui pourraient avoir été saisis de façon involontaire par les enquêteurs de L'ADLC et qu'il appartient à la société requérante d'identifier, de les produire et de dire en quoi ils seraient hors du champ de l'enquête ou relatif à la vie privée.

Dès lors, en effectuant une recherche ciblée, l'ADLC a effectué ses saisies de façon proportionnée à l'objectif poursuivi.

Ce moyen sera rejeté.

1.2) En procédant à une saisie massive des fichiers de messageries informatiques sans prévoir les garanties permettant d'assurer le respect des droits de la défense, les enquêteurs ont violé l'article 8 CESDH et ont outrepassé les limites de l'autorisation délivrée par le JLD.

Il a été répondu partiellement à ce moyen supra.

S'agissant de ce sous moyen, il n'est pas pertinent.

En effet, en termes de données chiffrées, les saisies opérées dans les locaux de la société Conserves France n'ont concerné que 6 bureaux et ont permis d'appréhender la copie de 1302 fichiers sur 1 930 113 analysés, soit le ratio de 0,07 %.

Ces chiffres traduisent la volonté de cibler les saisies et excluent toute volonté de saisir de façon massive et indifférenciée.

Si effectivement des saisies ont concerné la partie " légumes " de la société Conserves France, il est rappelé que la nature insécable des messageries ne permet pas de discriminer les messages.

Il est rappelé que l'utilisation de la recherche par mots clés se rattachant à l'objet et au corps de l'ordonnance et la pratique des scellés fermés provisoires offrent une garantie pour les sociétés visitées, même si celles-ci peuvent ne pas être parfaites. Aller au-delà consisterait à interdire à toute administration ou à toute Autorité administrative indépendante de pratiquer toute forme de saisie ou bien d'instaurer un débat contradictoire sur chaque fichier contesté, débat qui n'a pas lieu d'être lors de la phase préparatoire de l'enquête, étant précisé que l'examen, document par document, lors de la visite, allongerait la durée des opérations de plusieurs semaines et irait à l'encontre de la logique économique de la société en paralysant son activité.

Ce moyen sera écarté.

1.3) La saisie massive était injustifiée car des méthodes plus respectueuses des droits de la défense existent et sont d'ores et déjà utilisées par des autorités de concurrence et par l'Autorité elle-même

a) l'exemple de la pratique de la Commission européenne

Il est inopérant de comparer les pouvoirs de visite et de saisie des rapporteurs de l'Autorité agissant sur autorisation judiciaire et sous le contrôle d'un juge et d'un officier de la police judiciaire et donnant lieu à un contrôle juridictionnel effectif avec la pratique des inspections des agents de la Commission Européenne, qui agissent sur le fondement d'une décision administrative sans le contrôle d'un juge [.]. Leur cadre juridique étant totalement différent

Il convient de rappeler que les inspections des agents de la Commission européenne, qui agissent sur le fondement d'une décision administrative, sans contrôle d'un juge, hors la présence de tout officier de police judiciaire, n'ouvrent pas droit à un recours juridictionnel direct et ne peuvent pas être comparées avec celles, donnant lieu à un recours juridictionnel effectif, des rapporteurs de l'Autorité de la concurrence agissant sur autorisation judiciaire, sous le contrôle d'un juge et d'officiers de police judiciaire et surtout pouvant saisir les supports informatiques (ordinateurs, serveurs), contrairement à leurs homologues de la Commission européenne.

b) l'exemple d'autres autorités de concurrence

Il est vain de comparer les pratiques mises en place par d'autres Autorités qui suivent des régimes juridiques différents.

c) la nouvelle méthode de l'Autorité relative à la saisie de fichiers susceptibles de contenir des correspondances avocat-client, bien que perfectible, aurait dû être étendue à la saisie de fichiers susceptibles de contenir des documents hors champ

Nous avons indiqué supra que l'objet de la pratique des scellés fermés provisoires concerne exclusivement la protection relative à l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée et non pas les documents qui seraient susceptibles d'être hors champ de l'enquête.

Par ailleurs, le champ d'application de l'ordonnance devant être relativement étendu au stade de l'enquête préparatoire, l'autorisation de saisie concernait, à titre illustratif, tout document en rapport avec les agissements présumés et permettait donc de procéder à la saisie d'éléments comptables de personnes physiques ou morales pouvant être en relation d'affaires avec une personne suspectée d'agissements prohibés, des documents appartenant à des sociétés du groupe, des pièces pour partie utile à la preuve des agissements présumés ou en rapport, même partiel, avec les agissements prohibés, et les documents, mêmes personnels, d'un dirigeant et associé qui ne sont pas sans rapport avec une présomption retenue.

Ce moyen sera écarté.

II) une protection inadéquate des correspondances avocat-client

2.1) L'interdiction de saisir des documents couverts par la correspondance avocat-client pèse sur l'Autorité à qui il incombe par conséquent d'identifier ces documents

Cet argument est inopérant.

Nul n'est mieux placé que la société elle-même pour identifier les correspondances avec les avocats avec lesquels elle est en contact quotidiennement.

Par ailleurs, permettre à l'ADLC de lister elle-même les documents protégés par le privilège légal soulèverait d'autres difficultés juridiques pouvant entraîner l'annulation des opérations.

Ce moyen sera rejeté.

2.2) La société Conserves France n'a pas été mise en mesure d'obtenir la suppression de l'ensemble des correspondances couvertes par le secret de la correspondance avocat-client

2.2.1. L'absence de remise par les enquêteurs d'une copie des fichiers placés dans le scellé fermé provisoire a rendu particulièrement difficile l'identification des documents saisis

Il convient de rappeler que la société Conserves France a pu identifier 5867 documents protégés par le privilège légal et ne produit que 2 courriels qui n'auraient pas été identifiés.

Ce moyen ne saurait prospérer.

2.2.2 Le délai imparti pour l'identification des documents susceptibles de contenir des correspondances avocat-client n'a pas permis à la société Conserves France de bénéficier de la protection absolue des correspondances avocat-client à laquelle elle avait pourtant droit

Il est constant qu'un délai de 20 jours (incluant un délai supplémentaire de 10 jours) a été laissé à la société requérante pour identifier les courriels et qu'elle a pu s'acquitter de sa tâche en identifiant 5867 documents protégés, étant précisé que les autres sociétés visées ont bénéficié d'un délai plus court.

Ce moyen sera rejeté.

III) la nullité des opérations de visite et de saisie est la sanction appropriée des irrégularités relevées

Il est soutenu que les opérations de visite et de contrôle devraient être annulées du fait de 2 courriels, qui n'auraient pas été identifiés comme relevant de la protection légale.

Il y a lieu d'observer que ces deux courriels ne figuraient pas dans la liste des 5867 documents fournie par la société requérante.

L'examen des deux courriels, produits dans leur intégralité à l'annexe 19 des écritures de la concluante, fait apparaître qu'un avocat - Maître Quentin-Alexandre Brigaud - est destinataire ou expéditeur de ces courriels.

En conséquence, ces deux courriels seront annulés avec interdiction pour l'ADLC d'en faire usage de quelque façon que ce soit.

Cette annulation n'entraînant pas pour autant la nullité de l'ensemble des opérations.

Ce moyen sera écarté, à l'exception des 2 courriels visés en pièce 19 qui seront annulés.

IV) à titre subsidiaire, l'ensemble des messageries électroniques contenant un document hors champ devra être restitué

A défaut de la production dans leur intégralité des documents, qui seraient, selon la requérante, hors champ de l'autorisation et d'indication sur le motif pour lequel ces documents sont hors champ d'application de l'ordonnance, il ne sera pas fait droit à ce moyen, à l'exception des pièces n° 21 à 27, produites dans leur intégralité par la société Conserves France, qui seront annulées car relatives à l'activité " légumes ", avec interdiction pour l'ADLC d'en faire un quelconque usage.

Cette annulation n'entraînant pas pour autant la nullité de l'ensemble des opérations.

Ce moyen sera rejeté, à l'exception des documents visés en pièces 21 à 27 qui seront annulés.

Par ces motifs, Statuant contradictoirement et en dernier ressort : - Ordonnons la jonction entre les instances enregistrées sous les numéros RG 15/24442 (appel) et 15/24429 (recours), lesquelles seront regroupées. Sur l'appel : - Confirmons en toutes leurs dispositions l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention de Paris en date du 11 septembre 2015 et celle subséquente du juge des libertés et de la détention de Nîmes en date du 17 septembre 2015. Sur le recours : - Rejetons les recours contre les opérations de visite et de saisies du 22 septembre 2015 dans les locaux de la société Conserves France, à l'exception des 2 courriels visés en pièce 19 et des documents produits en pièces 21 à 27 par la requérante avec interdiction pour l'ADLC d'en faire un quelconque usage et contre les opérations de scellés fermés en date du 19 et 20 octobre 2015. - Rejetons toute autre demande, fin ou conclusion. - Disons n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile. - Disons que la charge des dépens sera supportée par la société Conserves France.