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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 28 juin 2017, n° 15-21311

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Goubault

Défendeur :

Rapporteure de l'Autorité de la concurrence

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

M. Fusaro, Avocats : Mes Taze Bernard, Chneiweiss, Tardif, Buy

TGI Paris, du 11 sept. 2015

11 septembre 2015

Faits et procédure

Le 11 septembre 2015, le juge des libertés et de la détention (ci-après JLD) de Paris, a rendu en application des dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce, une ordonnance de visite et de saisie dans les locaux des sociétés suivantes :

- Materne (groupe Mom), adresse [...], 69570 Dardilly, et les sociétés du même groupe sises aux mêmes adresses,

- Andros, zone industrielle, 46130 Biars-sur-Cere et les sociétés du même groupe sises à la même adresse,

- Charles Z Monteux,

- Valade, ZI du Verdier et/ou adresse [...], 19210 Lubersac,

- Novandie (groupe Andros), lieu-dit Telifau, 28700 Auneau, et les sociétés du même groupe sises à la même adresse,

- Delis et Vergers de Chateaubourg " Unifruit " (groupe Lactalis), adresse [...] 65 220 Chateaubourg, et les sociétés du même groupe sises à la même adresse, ci-après " Delis "

- Groupe Lactalis 10 à adresse [...], 53000 Laval et Les Placis, 35230 Bourgbarré, et les sociétés du même groupe sises aux mêmes adresses, ci-après " Lactalis "

- Conserves France, 556 chemin du Mas de Cheylon, 30000 Nîmes, ci-après " Conserves France " et " Saint Mamet ".

Cette ordonnance faisait suite à une requête présentée suite à l'enquête des services de l'Autorité de la concurrence (ci-après ADLC) aux fins d'établir si lesdites entreprises se livreraient à des pratiques prohibées par les articles L. 420-1 2° et 4° du Code de commerce et 101-1 a) et c) du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après TFUE).

Cette requête concernait le secteur des fruits vendus en coupelles et en gourdes et était consécutive à la demande de clémence d'une entreprise présentée par son conseil, le 28 janvier 2014, au rapporteur général adjoint de l'Autorité de la concurrence.

A l'appui de cette requête, était jointe une liste de 33 pièces ou documents en annexe.

Qu'il était allégué d'informations selon lesquelles les entreprises susvisées auraient convenu, d'une part, de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché, en favorisant artificiellement leur hausse par l'imposition de hausses tarifaires à l'occasion d'appels d'offres lancés par leurs clients constitués des grandes et moyennes surfaces de la distribution (ci-après GMS) et de la restauration hors foyer (ci-après RHF), d'autre part, de se répartir les marchés, et ce, en violation des articles L. 420-1 2° et 4° du Code de commerce et 101-1 a) et c) du TFUE.

Ces informations émanaient d'une entreprise (désignée ci-après comme étant " le demandeur de clémence " laquelle a sollicité l'Autorité de la concurrence afin de bénéficier d'une mise en œuvre de la procédure de l'article L. 464-2 IV du Code de commerce (ci-après " la clémence ") dans le secteur des fruits vendus en coupelles et en gourdes. Il s'en est suivi qu'ayant obtenu le bénéfice d'une mesure de clémence conditionnelle, le demandeur de clémence a souhaité garder l'anonymat.

Il était précisé que le demandeur de clémence a déposé auprès de l'ADLC des pièces relatives à des pratiques d'échanges d'informations commercialement sensibles aux fins d'une coordination des fournisseurs sur les hausses tarifaires à pratiquer lors des appels d'offres lancés par leurs clients de la GMS et de la RHF et d'une répartition des marchés en vue de conserver leurs volumes de vente et leurs clients, étant précisé que ces agissements prohibés soupçonnés se seraient déroulés de 2010 à 2014.

Il résulterait de ces pièces que des comportements illicites présumés auraient été décidés à l'occasion de réunions impliquant tous les concurrents concernés (réunions plénières), soit plusieurs d'entre eux et que l'existence de ces réunions serait corroborée par des éléments documentaires, notamment des extraits du procès-verbal de la demande de clémence et des notes de frais, un tableau joint précisant les principaux lieux et dates de rencontres (notamment des hôtels) et le type de rencontres (plénières, bilatérales).

Il était également fait état de plusieurs appels téléphoniques passés avec ses homologues concurrents. En effet le demandeur de clémence a remis à l'ADLC aux fins d'exploitation un téléphone portable utilisé lors de ces échanges et l'analyse de ce téléphone ferait apparaître des appels correspondant aux numéros de cadres dirigeants ou de salariés des sociétés visées dans l'ordonnance du JLD, notamment les sociétés Materne et Z.

Par ailleurs, des courriels auraient été échangés entre concurrents sur leurs messageries personnelles.

Il ressortirait de ces divers contacts que les informations échangées seraient de nature anticoncurrentielle et relatives aux appels d'offres initiés par les clients de la GMS et de la RHF concernant les prix des produits et leurs variations, les volumes de vente ou encore les tonnages. Il serait peu probable que ces pratiques émanent des clients eux-mêmes mais, eu égard à la précision des informations communiquées par le demandeur de clémence, résulteraient d'échanges d'informations commercialement sensibles entre fournisseurs.

Une première pratique prohibée consisterait pour les fournisseurs du secteur à se concerter pour imposer des hausses tarifaires à leurs clients de la GMS et de la RHF lors des appels d'offres, cette présomption reposant sur des notes prises par le demandeur de clémence à l'occasion des réunions et des conversations téléphoniques avec ses concurrents.

Ces notes révéleraient qu'à l'occasion de leurs contacts, les fournisseurs rapporteraient à leurs concurrents les variations tarifaires à la hausse qu'ils envisageraient de proposer à leurs clients. A titre illustratif, pour des produits des clients Carrefour, les concurrents auraient envisagé, lors de la réunion plénière du 6 octobre 2010, des hausses tarifaires et au cours de la même réunion, les fournisseurs auraient été informés de l'augmentation des prix des coupelles proposée par la société Z pour son client Leclerc en 2011, un échange d'information aurait eu lieu pour la hausse tarifaire proposée par Conserves de France pour un produit distribué par Carrefour, enfin un échange d'information aurait existé relatif à la hausse pour 2013 du prix des gourdes Materne et des coupelles Z, envisagée par le distributeur Leader Price.

Il était également relevé que des tableaux d'appels d'offres mettraient en exergue les augmentations tarifaires qu'un fournisseur s'apprêtait à proposer en 2012 au client Sodexo pour les différents produits à base de " compote de pomme " et celles envisagées en 2013 par Delis et Z pour le distributeur Carrefour.

Dès lors, le JLD de Paris a estimé que ces éléments d'information pourraient constituer un indice suffisamment sérieux d'une concertation entre les entreprises visées pour coordonner l'application des hausses tarifaires à leurs clients.

Par ailleurs, une seconde pratique illicite présumée serait relative à la répartition par les industriels susmentionnés des marchés initiés par leurs clients de la GMS et RHF. Ainsi, ce partage de volumes entre concurrents se traduirait par une coordination portant sur les réponses aux appels d'offres et s'appuieraient sur l'élaboration d'offres dites " de couverture " ou l'absence de soumission et serait garanti par un mécanisme de compensation et sembleraient attester de l'existence d'offres dites " de couverture " conduisant à un partage des marchés de la GMS et de la RHF entre concurrents du secteur des fruits vendus en coupelles et en gourdes.

Il en serait déduit que la réussite d'un tel système reposerait sur un mécanisme de compensation entre concurrents visant à indemniser des pertes de volumes subies et que cette affirmation reposerait sur la production de pièces par le demandeur de clémence, qui constituerait un état des lieux des tonnages des produits par fabricants ainsi que des gains et pertes de volume de chacun des fournisseurs visés, chez leurs clients de la GMS et RHF.

Dès lors, cette connaissance approfondie des tonnages alloués à chacun des fournisseurs suspectés pourrait être le signe d'une surveillance étroite des opérateurs et la condition nécessaire au succès du pacte de non agression présumé.

Il en serait conclu que cet ensemble de faits rapportés ferait présumer que les fournisseurs de fruits vendus en coupelles et en gourdes se coordonneraient pour répondre aux appels d'offres de leurs clients de la GMS et de la RHF afin que chacune entreprise conserve ses volumes de vente et ses clients et que des hausses de prix soient passées annuellement aux clients. De même, les agissements de trucages d'appels d'offres consisteraient à s'abstenir de soumissionner ou à proposer des offres dites " de couverture " et ces comportements concerneraient l'approvisionnement des clients de la RHF et de la GMS sous marques de distributeurs (ci-après MDD) et sous marques à petit prix (ci-après MPP).

Il s'en suivrait que ces pratiques prohibées seraient préjudiciables aux consommateurs car tendant à la mise en place d'un système de hausse artificielle du prix des fruits vendus en coupelles et en gourdes et constituerait, selon le JLD de Paris, les premiers éléments d'un faisceau d'indices laissant présumer l'existence d'un système d'ententes horizontales, à dimension nationale, entre producteurs de fruits vendus en coupelles et en gourdes susceptibles de relever des pratiques prohibées par l'article L. 420-1 2° et 4° du Code de commerce.

Sur la base de ces éléments, le JLD de Paris a délivré une ordonnance de visite et de saisie à l'encontre des sociétés Materne, Andros, Z, Valade, Novandie, Delis et Vergers de Chateaubourg, Groupe Lactalis et Conserves France, autorisant les enquêteurs de l'Autorité de la concurrence à rechercher dans les locaux des sociétés précitées, les documents utiles à l'apport de la preuve recherchée et a donné commission rogatoire aux JLD de Carpentras, Nîmes, Rennes, Lyon, Brive la Gaillarde, Cahors, Chartres et Laval territorialement compétents, dans les ressorts desquels lesdites opérations devaient s'effectuer.

Les opérations se sont déroulées simultanément dans plusieurs locaux de la société Z le 22 septembre 2017.

L'audience s'est déroulée le 15 mars 2017 et l'affaire a été mise en délibéré pour être rendue le 24 mai 2017 et prorogée au 28 juin 2017.

La partie concluante a, le 28 septembre 2015, relevé appel de l'ordonnance du JLD de Paris en date du 11 septembre 2015.

Par conclusions N°3 déposées au greffe le 14 mars 2017, le conseil de la société Charles Z demande l'annulation des ordonnances précitées aux motifs que :

- à titre préalable : sommation de communiquer et demande d'écarter des débats l'Annexe 3 bis de la requête émanant de l'Autorité de la concurrence

L'appelante fait valoir que l'annexe 3 bis contenant l'intégralité des déclarations du demandeur de clémence est, à ce jour, communiqué par l'administration de façon manifestement incomplète.

1) Sommation de communiquer l'intégralité de l'Annexe 3bis à la requête de l'Autorité de la concurrence aux fins d'autorisation des visites domiciliaires

Il est fait observer que l'Annexe 3 bis vise de nombreux documents qui lui sont eux-mêmes annexés, numérotés jusqu'à " 50.1 ".

Or, aucun de ces documents n'a été spontanément communiqué à l'appelante.

Dans ces conditions, il est demandé de faire sommation à l'Autorité de la concurrence d'avoir à communiquer, sans délai, l'ensemble des annexes (numérotées jusqu'à 50.1 incluse), visées par l'Annexe 3 bis à sa requête aux fins d'autorisation des mesures de visite et saisie.

2) Demande faite à Madame ou Monsieur le Premier Président d'écarter des débats l'Annexe 3 bis, en raison de l'absence de communication intégrale de cette pièce par l'intimée

Il est rappelé que d'après une jurisprudence de la Cour de cassation, l'exigence de loyauté des débats donne au juge le pouvoir d'écarter des débats des pièces, dès lors que des circonstances particulières ont empêché le respect de la contradiction, ou encore en raison d'un comportement contraire à la loyauté des débats.

En l'espèce, il est manifeste que la communication de l'Annexe 3 bis a porté atteinte au respect de la contradiction et de l'exigence de loyauté des débats, dès lors que les nombreux éléments annexés à ce document n'ont pas fait l'objet d'une quelconque communication aux parties suspectées dans le cadre de l'enquête.

Par conséquent, l'appelante demande d'écarter des débats l'Annexe 3 bis de la requête de l'administration, en raison de sa communication dans ces conditions qui contredisent le principe du contradictoire et l'exigence de loyauté des débats.

I) l'infirmation de l'ordonnance querellée pour absence de communication par la requérante de l'intégralité des éléments d'information dont elle disposait à la date de la requête

Il est observé que l'examen complet et objectif de tous les éléments dont dispose l'Autorité de la concurrence s'impose d'autant plus au cas d'espèce, dès lors que le demandeur de clémence s'est opposé à ce que son identité soit dévoilée aux entreprises visitées ; les éléments d'information dont dispose l'administration, à ce stade, sont cantonnés aux seules allégations du demandeur de clémence, inconnu ; le même demandeur de clémence peut avoir un intérêt à déstabiliser ses concurrents par le lancement d'une enquête de concurrence visant ceux-ci.

Ces circonstances conduisent donc le juge judiciaire à apprécier les allégations du demandeur de clémence avec la plus grande circonspection et obligeaient également l'administration à communiquer l'ensemble des éléments d'information dont elle disposait à la date de sa requête de procéder à des visites domiciliaires.

En droit :

Il est fait valoir que l'article L. 450-4, 2 alinéa, du Code de commerce prévoit deux hypothèses exclusives l'une de l'autre : l'hypothèse dans laquelle les infractions suspectées ne se poursuivent plus à la date de la requête et l'hypothèse dans laquelle les infractions suspectées se poursuivent à la même date. D'après l'appelante, l'administration s'est improprement fondée sur le second de ces cas de figure.

Il est argué que, dans la première hypothèse, il ressort des éléments de jurisprudence visés notamment par l'avis du Ministère Public que si l'administration n'est pas tenue de communiquer au JLD l'intégralité de son dossier d'enquête préliminaire, il lui appartient en revanche d'en communiquer tous les éléments " utiles " afin de justifier les opérations de visite et saisie.

En fait :

La société appelante soutient qu'il ressort du contenu même de la requête et de ses pièces annexes que l'administration n'a pas satisfait à l'exigence pourtant clairement énoncée par le texte applicable.

1) Au cas d'espèce, les pratiques alléguées par la requête et par l'ordonnance avaient cessé à la date de l'ordonnance

Il ressort de manière directe et expresse de l'ordonnance ainsi que de la requête que les supposés agissements illicites, dont la preuve est recherchée n'étaient plus en train de se commettre à la date à laquelle la requête était remise au greffe du JLD, soit le 8 septembre 2015.

En effet, il est indiqué en page 4 de l'ordonnance : " que ces agissements prohibés se seraient déroulés de 2010 à 2014 (Annexe 3 bis, 5 et 6 de la requête) ".

Il ressort ainsi de la requête et de ses annexes qu'aucun élément, ni aucune déclaration quelconque dont auraient été destinataires les services d'instruction de l'Autorité de la concurrence, ne laisse supposer que les pratiques suspectées pouvaient encore avoir cours à la date de saisine du JLD.

Par conséquent, il est soutenu que l'administration ne pouvait bénéficier de l'exception prévue dans l'hypothèse où l'infraction suspectée est en train de se commettre à la date à laquelle le JLD est saisi et se devait d'annexer à sa demande la totalité des éléments d'information dont elle disposait.

2) La partie requérante n'a manifestement pas communiqué au JLD tous les éléments d'information utiles en sa possession : la communication manifestement incomplète de l'Annexe 3 bis

L'appelante tient à préciser que si la protection partielle de certains documents au titre du secret des affaires peut être admise aux termes de l'article L. 463-4 du Code de commerce, rien n'autorise en revanche l'administration à procéder à la sélection des documents qu'elle communique au magistrat sous la forme d'annexes à sa requête.

Il est fait valoir qu'aucune des annexes mentionnées dans le procès-verbal ni le CD-ROM les contenant sous forme de fichiers informatiques, ne sont effectivement joints à la requête, ni communiqués d'une manière quelconque au Premier Juge.

Or, ces documents absents sont manifestement des documents " utiles " afin de justifier les opérations de visite et saisie, dans la mesure où le procès-verbal de réception de la demande de clémence s'y réfère constamment, directement et à l'appui des allégations du demandeur de clémence.

Il s'évince de ce qui précède que l'administration n'a pas remis au JLD l'ensemble des éléments d'information utiles dont elle se prévalait en sollicitant l'autorisation des visites et saisies.

3) Les éléments non-communiqués étaient manifestement de nature à modifier l'appréciation du Premier Juge

Il est soutenu que les éléments non-communiqués étaient de nature à modifier l'appréciation du JLD.

En effet, il ressort du contenu-même dudit procès-verbal de réception de demande de clémence (Annexe 3 bis), de par les références constantes qu'il a fait à ces nombreux documents, que ces derniers constituent, au regard de l'article L. 450-4, alinéa 2 du Code de commerce, des " éléments d'information en possession de nature à justifier la visite ".

De surcroît, les nombreux documents directement visés par l'Annexe 3 bis constituaient eux-mêmes les annexes et formaient par conséquent, avec l'Annexe 3 bis, un document unique.

Dans ces conditions, l'Autorité de la concurrence se devait de les communiquer en intégralité au JLD (et donc ultérieurement aux entreprises visées), ainsi qu'il le prévoit explicitement le texte précité.

4) Réplique succincte aux arguments développés en réponse par l'Autorité de la concurrence

En premier lieu, il est observé que le long développement, fait par l'administration, relativement à la constatation d'infractions en train de se commettre, est un développement sans objet.

En effet, comme il a déjà été vu, en dehors du cas exceptionnel de la constatation d'infractions en train de se commettre, la règle posée par le législateur est que la demande aux fins d'autorisation de visites domiciliaires " doit comporter tous les éléments d'information en possession du demandeur de nature à justifier la visite " (art. 450-4, alinéa 2 du Code de commerce).

Or, tel n'a manifestement pas été le cas dans la présente procédure et l'administration manque de s'expliquer au regard de l'exigence explicite du texte précité.

En second lieu, il est soutenu que la jurisprudence connue ne tend aucunement à remettre en question le principe de communication intégrale des éléments d'information en sa possession lorsqu'elle sollicite l'autorisation de conduire des visites et saisies.

L'appelante fait noter que, parmi les décisions invoquées par l'administration, aucune ne concerne un cas d'espèce dans lequel les éléments non communiqués par l'administration auraient eu un caractère substantiel eu égard aux faits suspectés, ou auraient eu la nature d'un document-source.

5) Conclusion : la requête est infondée, par simple application de l'article L. 450-4, 2° alinéa du Code de commerce

Le texte précité énonce que la production de l'ensemble des éléments d'information par la partie requérante est une condition impérative à ce qu'il soit fait droit à la demande d'autorisation de visite et saisie.

Dans ces conditions, l'ordonnance querellée ne pourra qu'être infirmée en son entier dispositif.

II) l'infirmation de l'ordonnance querellée en raison de l'absence d'éléments externes venant corroborer des déclarations anonymes

En droit :

Il résulte d'une jurisprudence constante, dégagée de l'article L. 450-4 du Code de commerce, que le juge peut faire état, dans sa décision d'autoriser les visites et saisies, de déclarations anonymes mais à plusieurs conditions cumulatives, dont l'une desquelles repose sur le fait que les déclarations anonymes soient corroborées par d'autres éléments d'information.

En fait :

En l'espèce, les déclarations anonymes du demandeur à la clémence sont retranscrites aux annexes 3 bis et 6.

Il est argué qu'aucun des autres éléments d'information remis par l'administration ne présente un quelconque caractère extérieur au demandeur à la clémence lui-même.

S'agissant de l'Annexe 4, il est observé que le document dactylographié ne permet de mettre en évidence ni sa propre origine, ni son support initial, ni l'identité de son auteur.

Par ailleurs, à croire le procès-verbal, il serait la retranscription dactylographiée de prises de notes manuscrites par le demandeur lui-même. Dans ces conditions, il ne peut donc en aucun cas être regardé comme un " autre élément d'information ".

S'agissant de l'Annexe 5, celle-ci regroupe différentes notes de frais qui n'émanent que du demandeur anonyme de clémence. Ces documents ne permettent pas d'attester autre chose que la présence éventuelle d'un salarié du demandeur de clémence en certains lieux à certains moments donnés.

S'agissant de l'Annexe 6, celle-ci étant un procès-verbal d'audition du demandeur anonyme à la clémence, le fait qu'il puisse comporter " d'autres éléments d'information " est une question vide d'objet, dès lors que ce document s'identifie aux déclarations anonymes elles-mêmes.

S'agissant de l'Annexe 7, elle consiste en un courrier électronique dont ni l'expéditeur ni le destinataire ne peuvent être identifiés. Il est argué que selon toute vraisemblance, il émanerait du demandeur anonyme à la clémence et ne s'agit donc pas là encore d'un élément extérieur à l'auteur des déclarations anonymes.

S'agissant de l'Annexe 8, elle comporte d'assez nombreuses prises de notes dactylographiées, qui une fois de plus sont vraisemblablement la retranscription de prises de notes manuscrites. Cet élément n'est donc pas un " autre élément d'information " pouvant extérieurement étayer la véracité, la pertinence ou l'exactitude des déclarations anonymes.

S'agissant de l'Annexe 9, sont répétées les mêmes observations formulées au titre de l'Annexe 8 ou 4.

S'agissant des Annexes 10, 11 et 12, ce sont des documentations strictement juridiques concernant les sociétés visées par les opérations de visite et saisie en cause, ou concernant les opérations elles-mêmes. Elles sont donc par nature étrangères aux pratiques suspectées.

De surcroît, l'appelante soutient que différentes allégations du demandeur à la clémence apparaissent d'emblée inexactes notamment les déclarations du 3 novembre 2011 de M. Rudaux qui ne pouvait pas connaître l'existence d'une enquête de l'ADLC sur le comportement de la société Andros dans le secteur des produits laitiers, trois mois avant le déroulement des visites et saisies.

Aussi, l'appelante cite le procès-verbal de réception d'une demande de clémence (Annexe 3 bis), portant en pages 6 et suivantes sur une réunion tenue le 6 octobre 2010 à Paris, à laquelle " toutes les sociétés mentionnées dans l'annexe 1 " auraient participé.

Or, en ce qui concerne la société Z, il est argué que Mr Laurent Sanchez, que le demandeur de clémence mentionne comme étant son contact pour cette société, ne peut avoir assisté à cette réunion, étant présent pendant toute la journée à Nantes, ainsi qu'en atteste un billet d'avion aller-retour Lyon-Nantes (départ Lyon-Nantes : 06h50 ; retour à Lyon : 19h00).

En définitive, la requête aux fins de visites et saisies ne repose sur aucun élément objectif et extérieur à des déclarations anonymes, lequel pourrait éventuellement corroborer ces dernières.

Par conséquent, il est demandé d'infirmer l'ordonnance entreprise et dire qu'il n'y a lieu d'autoriser les visites et saisies.

III) le manquement flagrant du premier juge aux exigences de l'article 6.1 de la CEDH, plus précisément au principe d'impartialité

L'appelante soutient que l'ordonnance rendue le 11 septembre 2015 par le JLD enfreint de manière évidente les dispositions de l'article 6.1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme (ci-après CESDH).

En droit : sur l'application au cas d'espèce de l'article 6.1 de la CESDH

1) L'article 6.1 de la CESDH est applicable à la procédure devant le JLD prévue à l'article L. 450-4 du Code de commerce

2) L'article 6.1 de la CEDH pose des exigences spécifiques quant à l'impartialité du juge

Il est de jurisprudence constante que l'impartialité du juge, telle que celle-ci est envisagée par l'article 6.1 de la CEDH, est à apprécier au regard de deux critères cumulatifs : d'une part, " selon une démarche subjective, essayant de déterminer la conviction personnelle de tel juge en telle occasion ", mais surtout, d'autre part, " aussi selon une démarche objective amenant à s'assurer qu'il offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime " (CEDH, 26 octobre 1984, req. N° 9186/80).

Par ailleurs, la jurisprudence de la Cour de cassation a déjà censuré, au visa de l'article 6.1 de la CEDH, une décision de la Cour d'appel dont la motivation se contentait de la copie servile de différents passages des conclusions déposées par l'une des parties à l'instance.

Or, en l'espèce, il ressort directement des circonstances dans lesquelles a été prononcée l'ordonnance du 11 septembre 2015 que cette décision n'obéit pas aux exigences d'impartialité, telles que celles-ci sont définies selon la " démarche objective " que préconise la CEDH.

De manière plus générale, la position de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, au sujet des ordonnances prévues par l'article L. 450-4 du Code de commerce, n'apparaît pas conforme à la jurisprudence de la Cour Européenne, ni même à la jurisprudence par ailleurs dégagée par la Cour de cassation elle-même dans plusieurs décisions.

En fait : la violation, par l'ordonnance du 11 septembre 2015, de l'exigence d'un contrôle juridictionnel effectif et impartial

L'appelante soutient que les circonstances propres à l'espèce jettent un doute considérable sur l'existence d'un contrôle juridictionnel effectif et impartial.

1) L'ordonnance du JLD est, en l'espèce, un document entièrement rédigé par la partie requérante

Il ressort du simple examen visuel de l'ordonnance que celle-ci a été pré-rédigée par les services de l'Autorité de la concurrence.

De la même manière, il est argué que l'ensemble du texte de l'ordonnance apparaît comme une copie servile du texte de la requête.

Ainsi, il apparaît que l'ordonnance a été intégralement pré-rédigée par l'administration requérante.

Or, la pratique des ordonnances pré-rédigées a d'abord été vigoureusement condamnée par le législateur, l'occasion des débats parlementaires ayant abouti à l'adoption de la Loi de Modernisation de l'Économie du 4 août 2008. Par ailleurs, les juridictions judiciaires ont, elles aussi, déjà eu l'occasion de condamner très vivement la pratique des ordonnances pré-rédigées par l'administration, en matière de visites domiciliaires.

Il est argué que cette pratique apparaît à ce jour intolérable, quoique entérinée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation.

2) Le Premier Juge n'a pas exercé de contrôle concret, critique et effectif à l'égard des éléments d'information fournis par l'administration requérante

L'appelante soutient que les circonstances propres à l'espèce conduisent à retenir d'une part, le caractère anonyme de la dénonciation effectuée par le demandeur de clémence et d'autre part, le caractère incomplet des documents communiqués par l'administration.

A ce titre, il est relevé l'absence de toute circonspection du magistrat à l'examen des documents sur lesquels se fonde la requête pour alimenter ses soupçons, l'origine, la date et le contenu de tels documents apparaissant pour le moins incertains et obscurs.

Concernant l'analyse croisée des Annexes 3 bis et 8.3 de la requête, évoquée en page 6, dernier paragraphe de l'ordonnance, il est argué que l'ordonnance ne procède à aucune analyse effective et circonstanciée des documents versés à l'appui de la requête.

Les mêmes observations s'imposent en ce qui concerne les Annexes 9.2 et 9.3 ainsi que 6, 8.1, 8.2, 8.5, 8.6 et 8.15 de la requête.

Dans ces conditions, il est donc demandé d'infirmer l'ordonnance querellée et dire qu'il n'y a lieu d'autoriser les visites et saisies intervenues sur le fondement de cette décision.

IV) subsidiairement, le cantonnement du champ de l'ordonnance au marché des produits vendus sous marque de distributeurs (ci-après MDD) ou marques à petits prix (ci-après MPP) à destination des clients de la grande distribution alimentaire (ci-après GMS) et de la restauration hors-foyer (ci-après RHF)

1) A titre préalable : la distinction, parmi les produits destinés à la grande distribution alimentaire, entre le marché des produits sous MDD et le marché des produits sous MDF

Il est d'emblée rappelé la distinction entre les produits sous MDD et ceux sous MDF, laquelle conduit à une nécessaire distinction de marchés entre ces deux types de produits.

L'article L. 112-6 du Code de la consommation définit en son alinéa 2 le produit sous MDD comme le " produit dont les caractéristiques ont été définies par l'entreprise ou le groupe d'entreprises qui en assure la vente au détail et qui est le propriétaire de la marque selon laquelle il est vendu ", à la différence notoire des produits sous MDF.

Une liste des différences flagrantes entre les deux types de produits est faite par l'appelante.

Il découle des éléments mentionnés que ces deux types de produits ont un positionnement commercial distinct, lié à une différenciation au regard de la conception, de la définition des caractéristiques, de la recette, du savoir-faire et des conditions juridiques de la négociation commerciale entre fabricants et distributeurs.

La rencontre de l'offre et de la demande intervient de manière bien distincte selon que les produits sont commercialisés auprès de la grande distribution sous MDF ou sous MDD.

Par conséquent, ces deux types de produits se rattachent à deux marchés distincts.

Dans la requête et dans l'ordonnance, l'administration et le JLD distinguent eux-mêmes de manière très nette les trois circuits de distribution qu'ils estiment être concernés par les pratiques : les ventes auprès du circuit de distribution des produits sous marque de fournisseur via la restauration hors foyer (RHF) ; les ventes auprès circuit de distribution des produits sous MDF, via la grande distribution alimentaire (GMS) ; les ventes auprès du circuit de distribution des produits sous MDD et sous MPP, via la grande distribution alimentaire (GMS).

Or, s'agissant du deuxième de ces trois marchés, l'administration ne communique pas le moindre indice qui pourrait objectivement alimenter ses soupçons.

2) La nécessaire exclusion du marché des produits sous MDF du champ d'application des visites et saisies

En droit : l'obligation du JLD de délimiter précisément les marchés concernés

L'appelante fait valoir que la jurisprudence constante dégagée en application de l'article L. 450-4 du Code de commerce fait obligation au JLD de caractériser les pratiques anticoncurrentielles présumées et de " préciser limitativement les marchés sur lesquels peuvent porter les recherches ".

En fait : l'absence de tout indice tangible et pouvant concerner le marché des produits sous MDF vendus à la grande distribution alimentaire

Les pratiques dont la preuve est recherchée concerneraient, selon l'administration, le marché des produits vendus sous MDD à la grande distribution alimentaire, ainsi que les produits destinés à la restauration hors-foyer (RHF).

En revanche, il est également allégué, en page 8 de l'ordonnance du JLD, que le demandeur de clémence mentionne une extension " éventuelle " des pratiques aux marques nationales destinées aux grandes surfaces de distribution.

Cependant, force est de constater qu'aucune des pièces annexées à l'ordonnance ne vient corroborer cette affirmation ni même apporter un seul début d'indice.

En l'absence du moindre indice tangible communiqué par l'ADLC, l'ordonnance du JLD ne saurait étendre le champ de l'autorisation des visites et saisies au marché des produits sous MDF destinés à la grande distribution alimentaire, sans violer l'article L. 450-4 du Code de commerce.

Par conséquent, il est demandé, à titre subsidiaire, d'exclure dans le dispositif de la décision les produits vendus à la grande distribution alimentaire sous MDF.

V) subsidiairement : le cantonnement de l'ordonnance à la recherche de faits commis au cours de la période 2010-2014

Il ressort constamment de la requête et de l'ordonnance que les faits allégués par le demandeur de clémence se bornent à la période courant de 2010 à 2014.

En effet, aucun des éléments communiqués par le demandeur de clémence, ni aucune de ses allégations ne permettent de suspecter l'existence de pratiques anticoncurrentielles antérieures à 2010 ou postérieures à 2014.

Par conséquent, il est demandé, à titre subsidiaire, de cantonner l'autorisation donnée à l'administration à la seule période 2010-2014.

En conclusion, la société appelante demande de :

En tout état de cause,

- écarter des débats l'Annexe 3 bis à la requête de l'Autorité de la concurrence, comme communiquée de manière déloyale et incomplète ;

A titre principal,

- infirmer l'ordonnance entreprise ;

- dire n'y avoir lieu à autoriser les visites et saisies sollicitées par l'Autorité de la concurrence ;

- prononcer en conséquence la nullité de tous actes subséquents de visites et saisie effectués le 22 septembre 2015 auprès de la société Charles Z ;

- ordonner à l'Autorité de la concurrence la restitution de tous documents appréhendés auprès de la société Charles Z à l'occasion de ces saisies, une fois l'ordonnance à intervenir devenue définitive ;

Subsidiairement,

- infirmer l'ordonnance entreprise ;

- dire et juger que les pratiques dont la preuve est recherchée par l'administration requérante portent exclusivement sur le secteur des fruits vendus en coupelles et en gourdes, commercialisés auprès de la restauration hors foyer (RHF) ou commercialisés sous marque de distributeur (MDD) auprès de la grande distribution alimentaire ;

- dire et juger que les pratiques dont la preuve est recherchée par l'administration requérante portent exclusivement sur la période 2010-2014, à l'exclusion de toute autre période ;

En tout état de cause,

- condamner l'Autorité de la concurrence aux entiers dépens de l'instance.

Par conclusions en date du 21 juin 2016, l'Autorité de la concurrence fait valoir :

I) Sur le moyen fondé sur l'absence de communication par l'Autorité de la concurrence de l'intégralité des éléments d'information dont elle disposait à la date de la requête

L'administration soutient que la critique selon laquelle l'ordonnance d'autorisation aurait dû reposer sur la totalité des éléments d'information dont disposait l'administration ne saurait pas prospérer.

Il est argué que l'appelante adopte une interprétation erronée de la procédure de flagrance de l'article L. 450-4, alinéa 2 du Code de commerce, où la présentation d'indices suffit, et de la procédure normale où les indices et tout autre élément d'information produits et analysés par le juge doivent, au minimum, aboutir à une présomption de pratique anticoncurrentielle afin d'obtenir l'autorisation d'aller chercher la preuve de la pratique prohibée soupçonnée.

En tout état de cause, qu'il s'agisse de la procédure de flagrance ou de la procédure normale, rien n'interdit au juge de respecter la demande d'anonymat du demandeur de clémence, la protection du secret des affaires ou encore les données personnelles des personnes physiques.

Conformément aux dispositions de l'article précité, la décision d'autorisation du 11 septembre 2015 du JLD de Paris a été rendue sur le fondement des seules pièces annexées à la requête du 7 septembre 2015.

Dans ces conditions, le dossier n'était pas incomplet et le juge a souverainement caractérisé l'existence de présomptions des pratiques anticoncurrentielles d'action concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions qui auraient pour objet ou effet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse et se répartir les marchés, justifiant sa décision.

Les entreprises suspectées, dont l'appelante, ont été informées de l'objet de la mesure autorisée, des pratiques anticoncurrentielles présumées et du secteur sur lequel elles auraient été commises.

Par conséquent, l'appelante ne saurait se faire un grief de ce que les documents n'aient pas figuré à la procédure de demande d'autorisation de visite et saisies.

Il est soutenu que l'ordonnance d'autorisation est parfaitement compréhensible car elle repose sur des éléments d'information également parfaitement compréhensibles, qui figurent bien au dossier consultable par les entreprises visées par les investigations.

Il est demandé donc que le moyen soit rejeté.

II) Sur les prétendues déclarations anonymes non corroborées par d'autres sources

Il est fait valoir que la demande de clémence ne saurait constituer une déclaration anonyme dès lors que les éléments qu'elle consigne émanent de deux avocats du demandeur de clémence, également signataires de la contribution écrite du demandeur de clémence accompagnée de pièces jointes.

Par conséquent, les informations transmises par le demandeur de clémence n'ont pas à être corroborées par d'autres sources.

Quant aux annexes à la requête 4, 5, 6, 7, 8 et 9, citées par l'appelante, il est argué que le fait que les éléments d'information mis à la disposition du JLD de Paris pour rendre son autorisation ne proviennent que du demandeur de clémence ne saurait discréditer la véracité des éléments de fait sur lesquels repose l'ordonnance d'autorisation ni leurs contenus.

En outre, la jurisprudence n'impose nullement que l'Autorité de la concurrence se doive de fournir des éléments d'information remis directement par d'autres entreprises, notamment suspectées, pour justifier sa visite domiciliaire.

Par conséquent, des pièces émanant du demandeur de clémence, notamment celles remises par ses avocats, peuvent tout à fait convenir pour justifier la visite de la société Z dès lors que ces documents ont été obtenus licitement par l'exercice de son droit de communication par l'administration.

Ainsi, l'annexe 3 bis constituée de la demande écrite du demandeur de clémence signée de ses deux avocats était à elle seule une pièce pertinente et suffisante.

Enfin, il est argué que c'est à tort que l'appelante prétend que deux allégations du demandeur de clémence sont fausses.

En effet et en premier lieu, Z feint d'ignorer que dans l'enquête ouverte dans le secteur des produits laitiers, la société Yoplait n'avait pas souhaité conserver l'anonymat, à compter des opérations de visite et saisies, lors du PV de réception du demandeur de clémence du 12 août 2011 par l'Autorité de la concurrence, antérieur à la réunion du 3 novembre 2011 à laquelle a participé M. Rudaux de la société Andros.

La société Yoplait a donc bien pu avertir, de manière volontaire ou involontaire, certains membres du cartel de sa démarche auprès de l'Autorité de la concurrence, ce qui explique que le 3 novembre 2011, M. Rudaux connaissait l'existence possible d'une enquête dans le secteur des produits laitiers frais.

Dans ces conditions, la seule connaissance par M. Rudaux de l'existence potentielle d'une enquête dans le secteur des produits laitiers frais le 3 novembre 2011 ne rend pas inexactes les déclarations écrites du demandeur de clémence contenues à l'annexe 3 bis à la requête.

En deuxième lieu, il est fait noter que l'annexe 6 à la requête indique que deux personnes pour l'entreprise Z participaient aux réunions du cartel, MM. Goubault et Sanchez.

Il en découle que le fait que M. Sanchez n'ait pas pu assister à la réunion du cartel du 6 octobre 2010, comme en attesterait son billet d'avion aller-retour Lyon-Nantes du même jour, n'est pas un élément susceptible de rapporter une quelconque preuve.

Par conséquent, il est demandé que le moyen soit rejeté.

III) Sur la violation du principe d'impartialité de l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CESDH)

En premier lieu, en ce qui concerne la violation de l'article 6.1 de la CESDH, l'administration tient à préciser que l'appelante a eu accès à l'intégralité du dossier sur lequel s'appuie l'ordonnance d'autorisation.

Il est également rappelé que les droits de la défense, tels que définis par l'article 6 de la CESDH, ne sont pas pleinement applicables au stade de la procédure de constatation des infractions.

En effet, au stade de la recherche de la preuve par le biais de la visite et saisie prévue à l'article L. 450-4 du Code de commerce, c'est le principe de loyauté qui s'applique et non pas celui du contradictoire.

Or, il n'est pas démontré par la requérante que les enquêteurs auraient mis en 'œuvre des procédés déloyaux pour recueillir des éléments d'information lors des investigations.

Au contraire, cette exigence de loyauté, notamment dans les explications apportées par les enquêteurs, tant sur la procédure que sur le déroulement des opérations, a été parfaitement remplie.

En effet, l'ordonnance du JLD de Paris ainsi que l'ordonnance du JLD de Carpentras, rendue sur commission rogatoire, prévoyaient la saisine du juge pendant les opérations de visite et saisies.

Cependant, ni l'occupant des lieux ni ses représentants n'ont jugé bon de saisir le JLD de Carpentras durant les investigations par le biais de l'OPJ présent, dont c'est justement le rôle d'entrer en contact téléphonique avec le juge du contrôle si une difficulté ou contestation leur est soumise, ce qui n'a pas été le cas, en l'espèce.

Au surplus, les réserves écrites sont toujours possibles. Elles sont remises directement à l'OPJ qui les communique au JLD, ce qui de nouveau n'a pas été le cas, en l'espèce.

Quant à l'absence d'impartialité du juge, l'appelante feint de confondre un arrêt de la Cour d'appel rendu après débat contradictoire avec une ordonnance sur requête rendue par le JLD du TGI, sans mise en œuvre du principe contradictoire. Statuant sur la requête de l'administration, dans le cadre d'une procédure non contradictoire, le JLD doit seulement vérifier que la demande d'autorisation est fondée sur une simple présomption de pratiques prohibées, justifiant l'opération sollicitée.

En deuxième lieu, il est soutenu que la critique fondée sur le caractère pré-rédigée de l'ordonnance ne saurait pas prospérer.

En effet, si effectivement l'administration présente au JLD une requête et un projet d'ordonnance, elle le fait toujours en version papier accompagnée d'une version numérique, ce qui permet au magistrat de modifier, s'il désire s'en servir le projet d'ordonnance d'autorisation qui lui est soumis autant qu'il le souhaite.

En 4 jours, le JLD de Paris a pu parfaitement procéder aux vérifications qui s'imposaient.

En outre, les motifs et le dispositif de l'ordonnance d'autorisation sont réputés être établis par le juge qui l'a rendue et signée, lequel en endosse la responsabilité. La circonstance que l'ordonnance soit la reproduction de la requête de l'administration est sans incidence sur la régularité de la décision. Plusieurs jurisprudences sont citées à l'appui de cette argumentation.

En troisième lieu, il est argué que le fait d'analyser les indices un à un ou les pièces annexées à la requête une à une, comme le fait l'appelante, pour en tirer la conclusion que le JLD n'avait rien dans le dossier lui permettant d'autoriser la visite dans ses locaux n'est pas pertinent.

En effet, seul le résultat de l'analyse de l'ensemble des faits portés à la connaissance du magistrat est révélateur d'une ou plusieurs simples présomptions de pratiques anticoncurrentielles.

En l'espèce, le juge a satisfait à son obligation de contrôle en s'assurant de la qualité des personnes ayant demandé l'autorisation (recevabilité de la demande) et du caractère suffisant des faits exposés à l'Autorité de la concurrence ayant conduit, après description et analyse, à des soupçons de comportements illicites dans le secteur des fruits vendus en coupelles et en gourdes (bien-fondé de la demande).

Il est par conséquent vainement prétendu qu'aucun des faits visés dans l'ordonnance n'est de nature à constituer un indice d'une implication personnelle de l'appelante dans les pratiques prohibées présumées. En effet, il suffit que l'appelante paraisse impliqué dans l'un des agissements frauduleux suspectés dont la preuve est recherchée pour que la mesure d'autorisation soit justifiée.

Or, deux agissements semblaient mêler directement l'appelante aux pratiques prohibées présumées [la concertation pour imposer des hausses tarifaires et la répartition des appels d'offres lancés par les grandes et moyennes surfaces de la distribution (GMS) et la restauration hors foyer (RHF)].

L'administration fait valoir que dans son ordonnance du 11 septembre 2015, le JLD de Paris a bien pris soin d'indiquer plusieurs éléments solides aboutissant à une simple présomption de pratiques anticoncurrentielles.

Par ailleurs, si la méthode du faisceau d'indices est utilisée au fond pour apporter la ou les preuves de pratiques anticoncurrentielles, en l'absence de pièces se suffisant à elles-mêmes, cette méthode est d'autant plus recevable pour établir l'existence d'une ou plusieurs simples présomptions au stade de l'affaire où les investigations n'ont pas encore été réalisées en totalité.

C'est donc à tort que l'appelante a examiné isolément les pièces et les indices produits par l'Autorité pour nier l'existence d'une présomption d'entente du fait de ses deux agissements suspects.

Par conséquent, il est demandé que le moyen soit écarté.

IV) Sur le cantonnement du champ de l'ordonnance au marché des produits vendus sous marques de distributeurs (MDD) ou marques à petits prix (MPP) à destination des clients des grandes et moyennes surfaces de la distribution (GMS) et de la restauration hors foyer (RHF)

Il est soutenu que la critique selon laquelle il faudrait exclure du champ de l'enquête les produits vendus sous marques de fabricants (MDF) est sans fondement.

En effet, le juge de l'autorisation a bien précisé le secteur économique concerné par son autorisation, celui relatif aux " fruits vendus en coupelles et en gourdes ".

Il est rappelé que l'autorisation délivrée concerne des présomptions dans un " secteur " économique et non sur un ou des marchés pertinents (plus restreint que le précédent), dont la délimitation relèvera de l'Autorité de la concurrence et des juridictions qui seront éventuellement amenées à statuer ultérieurement sur les résultats de la mesure autorisée.

En plus, il est de jurisprudence constante que le JLD ne délivre pas une autorisation indéterminée et respecte les prescriptions de l'article L. 450-4 du Code de commerce en autorisant des visites et saisies en vue de rechercher la preuve de pratiques dans un secteur de l'économie.

En conséquence, il ne peut être reproché au JLD de Paris de ne pas avoir circonscrit la visite et la saisie à un " marché " mais à un secteur économique.

Par ailleurs, il est assez logique que le juge ne circonscrive pas dans son ordonnance tous les agissements supposés illicites car, s'il était en capacité de le faire, une opération de visite et saisie ne serait pas indispensable.

En autorisant des visites et saisies en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles dans un secteur de l'économie, nonobstant le fait que l'ordonnance d'autorisation n'ait identifié que certaines de ses manifestations, le JLD ne délivre pas une autorisation indéterminée.

A rebours des prétentions de l'appelante, le JLD de Paris n'a pas voulu exclure du champ des investigations les produits sous marques nationales de fabricants (MDF).

Il appartiendra à l'instruction en cours de délimiter le ou les différents marchés pertinents.

Dans ces conditions, il est demandé d'écarter le moyen.

V) Sur le cantonnement de l'ordonnance d'autorisation à la recherche de faits commis au cours de la période 2010-2014

Il est argué qu'en limitant le champ de l'enquête à la recherche de faits commis au cours de la période 2010-2014, la société Z commet une erreur.

En effet, si les éléments fournis par le demandeur de clémence permettent de présumer la commission d'infractions ayant eu lieu notamment entre 2010 et 2014, l'ordonnance précise que " l'énumération des agissements pour lesquels il existe des présomptions d'entente n'est probablement pas exhaustive ", ce qui autorise les rapporteurs à appréhender d'autres pièces que celles se rapportant à la période 2010-2014.

De surcroît, si l'Autorité ne peut être saisie de faits remontant à plus de 5 ans au regard de la prescription quinquennale de l'article L. 462-7 du Code de commerce, rien n'interdit en revanche de saisir des documents concernant des faits couverts par la prescription. Plusieurs jurisprudences sont citées à l'appui de cette argumentation.

Par conséquent, il est demandé que ce moyen soit écarté.

En conclusion, l'administration demande de :

- confirmer l'ordonnance d'autorisation rendue le 11 septembre 2015 par le JLD du TGI de Paris et, par voie de conséquence, l'ordonnance rendue sur commission rogatoire par le JLD de Carpentras le 16 septembre 2015 ;

- condamner la société Z aux entiers dépens.

Par avis en date du 7 mars 2017, le Ministère Public fait valoir :

- les éléments utiles à son appréciation de l'existence d'indices de pratiques prohibées ont été communiquées au JLD avec la requête

Le Ministère Public fait valoir que le cas de figure présent n'est pas celui d'une procédure de flagrance permettant d'autoriser des visites et saisies au seul vu de la présentation d'indices concernant seulement l'existence d'une réunion à venir, à objet anticoncurrentiel.

En l'espèce, c'est la procédure d'investigation classique, sur autorisation du JLD, qui a été mise en 'œuvre. Le JLD doit alors vérifier, pour rendre une ordonnance d'autorisation, qu'il est en possession d'indices de nature, par " leur addition, leur rapprochement, leur confrontation et leur combinaison " à établir une présomption de pratique anticoncurrentielle.

Le JLD de Paris a donc autorisé les opérations au vu des pièces annexées à la requête du 7 septembre 2015 en considérant qu'elles permettaient, prises utilement dans leur ensemble, de soupçonner l'existence de pratiques anticoncurrentielles ayant pour objet ou effet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse et se répartir les marchés.

Il est soutenu que l'Autorité de la concurrence n'a pas à produire l'ensemble des éléments en sa possession, mais ceux utiles pour justifier sa demande, des pièces pouvant être légitimement occultées pour protéger l'identité du demandeur de clémence ou le secret des affaires.

Tel est le cas en l'espèce.

- la demande de clémence n'est pas une dénonciation anonyme et les informations transmises par le demandeur de clémence n'ont pas à être corroborées par d'autres sources

Il est rappelé que la loi organise la procédure de clémence en imposant une déclaration écrite du demandeur de clémence (Annexe 3 bis à la requête), signée par son ou, comme au cas particulier, ses deux avocats qui y joignent les documents utiles.

Pour la chambre criminelle de la Cour de cassation, il ne peut dès lors s'agir d'une déclaration anonyme et ces documents suffisent à constituer des indices de pratiques anticoncurrentielles prohibées.

Dans ces conditions, l'Annexe 3 bis, portant la contribution écrite du demandeur de clémence, signée de ses deux avocats constitue à elle seule pièce pertinente pour permettre au JLD d'apprécier la nécessité d'une mesure d'autorisation de visite et saisies.

- l'Autorité restitue, dans ses écritures, la réalité des faits, concernant la critique portée par les requérants sur l'exactitude et, par conséquent, la crédibilité des propos tenus, lors d'une réunion du 3 novembre 2011, par Mr Rudaux, travaillant pour les sociétés Andros et Novandie, appartenant au groupe Andros et active dans le secteur des produits laitiers frais

Il est soutenu que, dans les conditions décrites par l'administration dans ses conclusions, il n'est pas établi que les déclarations écrites du demandeur de clémence contenues à l'Annexe 3 bis soient inexactes.

- la participation de Mr Sanchez, directeur commercial de l'entreprise Z, est établie, dans les termes de l'Annexe 6 à la requête

Il y est indiqué que deux personnes participaient aux réunions, pour l'entreprise Z, MM. Goubault et Sanchez, respectivement président-directeur général et directeur commercial France. L'annexe 6 précise que c'est Mr Goubault qui participait aux réunions du cartel et non M. Sanchez.

- la requérante a eu communication du dossier sur lequel s'appuie l'ordonnance d'autorisation et dispose donc de l'ensemble des éléments utiles au soutien du présent recours

L'ordonnance montre que le JLD, après description et analyse de 12 annexes à la requête concernant le secteur des fruits vendus en coupelle et en gourdes dont 6 visaient l'appelante (annexes 1, 3 bis, 6, 8, 9.3 et 10), a relevé l'existence possible d'une stratégie d'actions concertées, de conventions, d'entente expresse ou tacite, ou de coalition.

- la garantie des droits de la défense conférée par l'article 6.1 de la CESDH n'est pas applicable au stade de la procédure d'enquête.

Le Ministère Public fait valoir que seules sont applicables à la phase de l'enquête les règles de la loyauté des investigations et du délai raisonnable. La loyauté des investigations n'est pas et ne peut ici être mise en cause.

- la violation de l'article 8-1 de la CESDH ne peut être invoquée en l'espèce, les conditions posées pour que la justification posée par l'article 8-2 de l'atteinte aux droits protégés puisse intervenir étant ici réunis

En l'espèce, ainsi que le montre le PV d'opérations, la société Z n'a saisi l'OPJ présent ni le JLD commis d'une quelconque réclamation concernant ses droits. Aucune réserve écrite n'a davantage été émise.

- le fait que l'ordonnance du JLD ait repris le projet d'ordonnance qui lui était soumis ne l'a pas empêché d'exercer son contrôle pour délivrer son autorisation, suivant une pratique constante en matière d'ordonnance sur requête

Le JLD assume, sous sa responsabilité, la décision d'adopter le projet en l'état, de le modifier ou de refuser son autorisation. En 4 jours, le JLD au TGI de Paris a ici procédé à l'examen attentif par le juge des 12 annexes utiles jointes à la requête et des termes du projet d'ordonnance qui lui était soumis.

Dans ces conditions, le JLD a rempli sa mission, qui est de vérifier l'existence, dans la requête et ses annexes, d'indices permettant de présumer l'existence de pratiques anticoncurrentielles.

La participation éventuelle de Z aux agissements frauduleux suspectés est ainsi établie.

Pour la jurisprudence, la participation de Z à une seule réunion ou à un seul échange d'informations confidentielles suffirait à montrer son adhésion à une entente expresse ou tacite avec ses concurrents.

- les mesures ordonnées par le JLD sont proportionnées au but poursuivi, au regard de l'importance des enjeux économiques dans le secteur des fruits vendus en coupelles et en gourdes

- l'autorisation du JLD est délivrée pour le secteur économique des " fruits vendus en coupelles et en gourdes " et non pour un marché

Il est argué que les marchés concernés ne peuvent être identifiés qu'après la mise en 'œuvre des mesures ordonnées par le JLD.

Par conséquent, le champ de l'ordonnance ne pouvait être cantonné au marché des produits sous MDD ou sous MPP à destination des clients des grandes et moyennes surfaces de la distribution (GMS) et de la restauration hors-foyer (RHF). Les produits vendus sous MDF ne pouvaient en conséquence être exclus de l'autorisation.

- l'ordonnance d'autorisation permet la saisie d'éléments susceptibles d'établir des pratiques prohibées au-delà de la période 2010-2014 dénoncée par le demandeur de clémence

En premier lieu, l'ordonnance indique que " l'énumération des agissements pour lesquels il existe des présomptions d'entente n'est probablement pas exhaustive, ceux mentionnés dans la présente ordonnance n'étant que des illustrations des pratiques prohibées dont la preuve est recherchée dans le secteur concerné " (page 8), ce qui permet à l'administration d'appréhender d'autres pièces que celles se rapportant à la période 2010-2014.

En second lieu, la jurisprudence, tant nationale qu'européenne, permet même que soient saisis des documents remontant au-delà de la période de prescription des poursuites.

Il ne peut donc être considéré que les termes de la demande de clémence imposent une délimitation du champ de l'ordonnance d'autorisation à la période 2010-2014.

En conclusion, le Ministère Public demande de confirmer l'ordonnance rendue par le JLD de Paris, du 11 septembre 2015, autorisant des mesures de visite et saisies dans les locaux de la société Z et, par voie de conséquence, l'ordonnance rendue sur commission rogatoire par le JLD du TGI de Carpentras le 16 septembre 2015.

Sur ce

A) SUR L'APPEL

- à titre préalable : sur la sommation de communiquer et demande d'écarter des débats l'Annexe 3 bis de la requête émanant de l'Autorité de la concurrence

- Sommation de communiquer l'intégralité de l'Annexe 3bis à la requête de l'Autorité de la concurrence aux fins d'autorisation des visites domiciliaires et demande faite à Madame ou Monsieur le Premier Président d'écarter des débats l'Annexe 3 bis, en raison de l'absence de communication intégrale de cette pièce par l'intimée

A titre liminaire il convient de rappeler que le cadre procédural de ce dossier n'est pas celui de la flagrance mais s'inscrit dans le cadre d'une enquête lourde de l'ADLC, régi par les dispositions de l'article 450-4 du Code de commerce.

Dès lors, le juge qui autorise des opérations de visite et de saisie sur le fondement de l'article L. 450-4 du Code de commerce est tenu de vérifier si la demande d'autorisation comporte tous les éléments d'informations utiles en possession du demandeur de nature à justifier la visite ; par suite, le juge doit s'assurer que les éléments produits par l'administration aient une apparence de licéité et sont suffisants pour justifier que la mesure intrusive de visite et de saisie soit justifiée ; à cette fin, le juge des libertés et de la détention doit vérifier, en se référant aux éléments d'informations fournis par l'Autorité qu'il existait des indices laissant apparaître des faisceaux de présomptions d'agissements prohibés justifiant que soit recherchée leur preuve au moyen d'une visite et de saisies de documents s'y rapportant sans qu'il soit nécessaire que soient caractérisées des présomptions précises, graves et concordantes ou des indices particulièrement troublants des pratiques ; les présomptions sont appréciées par le juge en proportion de l'atteinte aux libertés individuelles que sont susceptibles de comporter la visite et les saisies envisagées.

En l'espèce, il ressort de l'ordonnance querellée que le juge des libertés et de la détention près du Tribunal de grande instance de Paris a, sur requête de la Rapporteure Générale de l'Autorité de la concurrence, rendu une ordonnance visant le secteur des fruits vendus en coupelles et en gourdes ; que, suite à des informations émanant d'une entreprise désignée comme étant " le demandeur de clémence ", laquelle a sollicité l'Autorité de la concurrence afin de bénéficier d'une mise en 'œuvre de la procédure de l'article L. 464-2 IV du Code de commerce, des pièces ont été communiquées relatives à des pratiques d'échanges d'informations commercialement sensibles aux fins d'une coordination des fournisseurs sur les hausses tarifaires à pratiquer lors des appels d'offres lancés par leurs clients de la GMS et de la RHF et d'une répartition des marchés en vue de conserver leurs volumes de vente et leurs clients. Le demandeur de clémence a précisé que ces agissements prohibés soupçonnés se seraient déroulés de 2010 à 2014 et a souhaité garder l'anonymat.

Le juge des libertés et de la détention de Paris, qui n'est pas le juge du fond, a relevé, dans l'ordonnance, des présomptions d'ententes horizontales entre les fournisseurs de fruits vendus en coupelles et en gourdes et après un examen in concreto des annexes jointes à la requête, selon la méthode dite " du faisceau d'indices " a estimé qu'il existait des indices laissant apparaître des faisceaux de présomptions d'agissements prohibés justifiant que soit recherchée leur preuve au moyen d'une visite et de saisies. Ainsi, il a examiné ces annexes jointes et a estimé que les éléments produits par le demandeur de clémence étaient précis, chiffrés, cohérents, mentionnaient les noms des dirigeants des sociétés visées par l'ordonnance, les lieux et les dates des réunions. S'il est constant que certains passages ont été occultés pour préserver l'anonymat du demandeur de clémence, le JLD a pu déduire des annexes produites des indices faisant apparaître des présomptions d'agissements prohibés décrits supra, sans qu'il lui soit utile de demander d'autres pièces complémentaires du demandeur de clémence ou visant à étayer les déclarations de ce dernier.

Ainsi, le dossier présenté au JLD ne souffre d'aucune incomplétude, le principe de loyauté et du contradictoire lors de l'audience devant notre juridiction ont été respectés et aucun motif n'autorise à écarter l'annexe 3 bis des débats.

Ce moyen sera rejeté.

I) Sur l'infirmation de l'ordonnance querellée pour absence de communication par la requérante de l'intégralité des éléments d'information dont elle disposait à la date de la requête

Il a été répondu supra à ce moyen.

1) Au cas d'espèce, les pratiques alléguées par la requête et par l'ordonnance avaient cessé à la date de l'ordonnance

Cet argument n'est pas pertinent car, à supposer que les pratiques alléguées aient cessé à la date de l'ordonnance (11 septembre 2015), rien n'empêchait le premier juge de délivrer une ordonnance d'autorisation sur le fondement de l'article 450-4 du Code de commerce.

2) La partie requérante n'a manifestement pas communiqué au JLD tous les éléments d'information utiles en sa possession : la communication manifestement incomplète de l'Annexe 3 bis et les éléments non-communiqués étaient manifestement de nature à modifier l'appréciation du Premier Juge

Il a déjà été répondu ci-dessus à ce moyen, étant précisé que le JLD avait toute possibilité soit de demander des éléments complémentaires, s'il avait estimé que le dossier était insuffisant ou tout simplement de rejeter la requête présentée par l'ADLC, ce qu'il n'a pas fait.

Ce moyen sera écarté.

II) Sur l'infirmation de l'ordonnance querellée en raison de l'absence d'éléments externes venant corroborer des déclarations anonymes

Il est constant que la procédure de l'article L. 464-2 IV du Code de commerce relative à la réception d'informations par un demandeur de clémence n'est pas assimilable à une déclaration anonyme.

Cette procédure, qui permet à l'ADLC d'accorder une exonération totale ou partielle de sanctions pécuniaires aux entreprises ou organismes, ayant participé à une entente, qui en dénoncent l'existence et contribuent à l'établissement de l'infraction et à l'identification de ses auteurs, en apportant des éléments d'information dont l'Autorité ou l'administration ne disposaient pas antérieurement, a pour objectif, dans l'intérêt de l'ordre public économique, de faciliter la détection des ententes et de les faire cesser plus rapidement. Ainsi, la procédure de clémence est un outil au service de l'ordre public économique.

En la forme, il convient de relever que la déclaration du demandeur de clémence a été reçue par procès-verbal le 2 juillet 2014 par le Rapporteur général adjoint de l'Autorité de la concurrence et émanait des deux avocats du demandeur de clémence, signataires de la déclaration écrite du demandeur de clémence laquelle était accompagnée des annexes. La licéité de cette déclaration ne peut être mise en cause et l'intervention de deux avocats déclarant demander la mise en œuvre de la procédure de l'article L. 464-2, IV du Code de commerce au bénéfice du demandeur de clémence, constitue une garantie indéniable dans un cadre juridique strict.

Par ailleurs, s'agissant des allégations inexactes du demandeur à la clémence et notamment des propos de M. Rudaux lors de la réunion du 3 novembre 2011 à Paris (pages 15 et 16 du procès-verbal de déclaration), lequel avait affirmé qu'il ne souhaitait plus être appelé au téléphone, qu'il ne voulait plus venir aux réunions et que cela devenait trop dangereux pour lui en raison d'une enquête de l'Autorité de la concurrence sur le comportement d'Andros dans le secteur des produits laitiers, il y a lieu de retenir qu'il s'agit que d'un élément parmi les multiples informations fournies par le demandeur à la clémence, cet élément n'ayant pas à lui seul emporté la conviction du juge de l'autorisation. Par ailleurs, l'argumentation de l'ADLC selon laquelle dans l'affaire des produits laitiers, le demandeur de clémence n'avait pas souhaité conserver l'anonymat lors du procès-verbal de réception du demandeur de clémence du 12 août 2011, soit antérieurement à la tenue de ses propos le 3 novembre 2011, ne peut pas être écartée.

En tout état de cause, il est vain d'examiner une par une les annexes pour établir que certaines d'entre elles ne seraient pas crédibles car, en l'espèce, le JLD a retenu des indices laissant apparaître des présomptions, selon la méthode dite de " la prise en faisceaux ". Au cas présent, le premier juge a pu relever que dans le procès-verbal de réception de déclaration du demandeur de clémence, en date du 2 juillet 2014, il existait au moins un indice laissant apparaître des présomptions d'agissements prohibés à l'encontre de la société Z.

Dès lors, l'argumentation des appelants n'est pas pertinente.

Ce moyen sera écarté.

III) Sur le manquement flagrant du premier juge aux exigences de l'article 6.1 de la CEDH, plus précisément au principe d'impartialité

1) L'article 6.1 de la CESDH est applicable à la procédure devant le JLD prévue à l'article L. 450-4 du Code de commerce

Il est constant que les articles 450-4 et suivants du Code de commerce ne prévoient pas un débat contradictoire devant le JLD.

Le débat contradictoire et l'accès effectif au juge se déroulent devant le Premier Président de la Cour d'appel. En effet, suite à l'arrêt du 21 février 2008 (arrêt RAVON), la Cour européenne des droits de l'homme (ci-après CEDH) avait estimé que les sociétés ou les personnes physiques devaient bénéficier d'un contrôle juridictionnel effectif tant sur l'ordonnance d'autorisation que sur les opérations de visite et de recours.

Cette évolution jurisprudentielle s'est traduite dans la modification apportée par l'article 164 de la loi 2008-776 du 4 août 2008, qui a instauré dans les textes ce contrôle juridictionnel effectif devant le Premier Président, ce que les appelants ont effectué, en contestant à la fois l'ordonnance d'autorisation et en exerçant un recours contre les opérations de visite et de contrôle.

Le texte est donc conforme aux exigences de la CEDH.

Ce moyen sera rejeté.

2) L'article 6.1 de la CEDH pose des exigences spécifiques quant à l'impartialité du juge

- L'ordonnance du JLD est, en l'espèce, un document entièrement rédigé par la partie requérante et le premier juge n'a pas exercé de contrôle concret, critique et effectif à l'égard des éléments d'information fournis par l'administration requérante

Le JLD, signataire de l'ordonnance est également destinataire d'une copie numérique de celle-ci, lorsque la requête est déposée au greffe du tribunal. Entre le dépôt et la signature de l'ordonnance, il peut modifier le modèle d'ordonnance qui lui est proposé en supprimant des arguments non pertinents, en les remplaçant par une autre motivation et enfin, peut tout simplement refuser de faire droit à la requête de l'ADLC. En ayant cette possibilité de modifier, de rectifier ou de refuser de délivrer une autorisation, il s'approprie l'autorisation qu'il signe, son rôle ne se limitant pas à une simple mission de chambre d'enregistrement.

Il est précisé que la requête a été présentée le 8 septembre 2015 et signée le 11 septembre juin 2015, ce qui a laissé amplement le temps au JLD saisi d'examiner la pertinence de la requête, d'étudier les pièces jointes à celle-ci, de vérifier les habilitations et le jour de la signature, de demander aux agents de l'ADLC toute information pertinente préalablement à la signature de son ordonnance.

Dès lors, aucune atteinte aux articles 6 § 1 et 8 de la CEDH n'est caractérisée, l'impartialité du premier juge ne peut être mise en cause, étant précisé que celui-ci a de fait exercé un contrôle de proportionnalité, en estimant que les pouvoirs de l'article 450-3 du Code de commerce étaient insuffisants en l'espèce.

Ce moyen sera écarté.

IV) Subsidiairement, sur le cantonnement du champ de l'ordonnance au marché des produits vendus sous marque de distributeurs (ci-après MDD) ou marques à petits prix (ci-après MPP) à destination des clients de la grande distribution alimentaire (ci-après GMS) et de la restauration hors-foyer (ci-après RHF)

- A titre préalable : la distinction, parmi les produits destinés à la grande distribution alimentaire, entre le marché des produits sous MDD et le marché des produits sous MDF

- La nécessaire exclusion du marché des produits sous MDF du champ d'application des visites et saisies et l'obligation du JLD de délimiter précisément les marchés concernés

Il est constant que le champ d'action de l'ADLC doit être relativement étendu au stade de l'enquête préparatoire, phase pendant laquelle aucune accusation n'est portée à l'encontre de la société visitée.

Ainsi le JLD, dans son ordonnance, a retenu " le secteur des fruits vendus en coupelles et en gourdes " et qu'à ce stade il n'avait pas à définir un marché pertinent et des segments ou des sous-segments déterminés.

Cette définition s'effectuera, le cas échéant, dans la phase de l'instruction, mais est prématurée au moment de la signature de l'ordonnance du JLD.

Ce moyen sera rejeté.

V) Subsidiairement : le cantonnement de l'ordonnance à la recherche de faits commis au cours de la période 2010-2014

S'il est constant que l'ordonnance en sa page 6 indique " qu'ainsi, le recoupement des différentes pièces précitées annexées à la requête permet d'établir que des contacts réguliers, sous différentes formes, ont été pris entre les sociétés concurrentes du secteur des fruits vendus en coupelles et en gourdes au cours de la période courant octobre 2010 à janvier 2014 ", il n'en demeure pas moins que le même ordonnance en sa page 8 mentionne " l'énumération des agissements pour lesquels il existe des présomptions d'entente n'est probablement pas exhaustive, ceux mentionnés dans la présente ordonnance n'étant que des illustrations des pratiques prohibées dont la preuve est recherchée dans le secteur concerné ".

Dès lors, le champ d'application de l'ordonnance ne peut pas être circonscrit à période 2010-2014.

Ce moyen sera écarté.

Par ces motifs, Statuant contradictoirement et en dernier ressort,

- Rejetons la demande tendant à écarter des débats l'annexe 3 bis à la requête de l'Autorité de la concurrence, comme communiquée de manière déloyale et incomplète.

- Confirmons en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention de Paris en date du 11 septembre 2015 et celle subséquente du juge des libertés et de la détention de Carpentras en date du 16 septembre 2015.

- Rejetons toute autre demande.

- Disons que la charge des dépens sera supportée par les appelants.