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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 30 juin 2017, n° 15-16782

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Mirix Ingenierie (SARL), Dubaï

Défendeur :

Visa Europe Limited (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mme Lis Schaal, M. Thomas

Avocats :

Mes Ohana, Lhomme, Guerre, May

T. com. Paris, du 24 juin 2015

24 juin 2015

Faits et procédure

La société Mirix Ingénierie (Mirix) délivre des prestations d'études et d'ingénierie en informatique auprès notamment de banques et de sociétés d'assurance.

Visa Europe Limited est une société de droit anglais et est détenue par près de 4 000 banques européennes présentes dans 37 pays. Elle leur fournit la marque Visa ainsi que les systèmes, les services et les règles qui y sont attachés.

La société Mirix est entrée en relation contractuelle en octobre 2003 avec la société Carte Bleue laquelle a été rachetée par Visa Europe Limited qui s'est substituée à Carte Bleue dans ses relations contractuelles dès 2010 avec Mirix. Cette relation s'est poursuivie jusqu'en 2014. En 2013, plusieurs événements ont modifié le cours de la relation :

- le salarié affecté au suivi client Visa a présenté sa démission de la société Mirix le 19 septembre 2013 pour être recruté par la succursale Visa Europe France au mois d'avril 2014 ;

- par courrier du 31 décembre 2013, Visa Europe France a informé la société Mirix de son souhait de faire évoluer leurs rapports commerciaux.

Les relations entre Mirix et Visa Europe ont pris fin le 31 mars 2014 en raison de l'impossibilité de Mirix de participer à un appel d'offres et d'achever la mission qui lui avait été confiée. Estimant avoir subi un préjudice du fait de Visa Europe à la suite du recrutement d'un de ses salariés et de la cessation de leurs relations, Mirix a assigné Visa Europe devant le Tribunal de commerce de Paris.

Par jugement en date du 24 juin 2015, le Tribunal de commerce de Paris a :

- condamné la société de droit anglais Visa Europe Limited à payer à la société Mirix Ingénierie les sommes de :

* 35 000 euros en réparation du préjudice résultant de la violation du contrat du 30 septembre 2013 ;

* 26 060 euros en réparation du préjudice résultant de la rupture brutale de la relation commerciale ;

* 7 000 euros en réparation du préjudice résultant du caractère abusif de ladite rupture ;

* 7 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement ;

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

- condamné la société Visa Europe Limited aux dépens.

Le tribunal a jugé que Visa avait, par l'embauche d'un salarié de Mirix, violé la clause de non-sollicitation du personnel, et que Visa avait rompu brutalement la relation commerciale établie.

La société Mirix Ingénierie a interjeté appel de cette décision.

Prétentions des parties

La société Mirix Ingénierie, par conclusions signifiées par le RPVA le 17 février 2016, demande à la cour de :

- déclarer recevable et fondé l'appel interjeté par la société Mirix Ingénierie ;

- déclarer recevable l'intervention volontaire de Monsieur Mihaï Budaï ;

- confirmer la décision entreprise, notamment en ce qu'elle a :

* constaté la faute commise par la société Visa Europe Limited à l'égard de la société Mirix Ingénierie dans l'exécution du contrat du 30 septembre 2013 et condamné, en conséquence, la société Visa Europe Limited à verser à la société Mirix Ingénierie des dommages et intérêts de ce chef ;

* constaté le caractère brutal de la rupture par la société Visa Europe Limited de la relation commerciale établie avec la société Mirix Ingénierie et condamné, en conséquence, la société Visa Europe Limited à verser à la société Mirix Ingénierie à Mirix des dommages et intérêts de ce chef ;

* constaté le caractère abusif de la rupture par la société Visa Europe Limited de la relation commerciale établie avec la société Mirix Ingénierie et condamné, en conséquence, la société Visa Europe Limited à verser à la société Mirix Ingénierie à Mirix des dommages et intérêts de ce chef ;

* condamné la société Visa Europe Limited à verser à la société Mirix Ingénierie la somme de 7 000 euros au titre des frais irrépétibles relatifs à la première instance ainsi qu'aux entiers dépens de première instance ;

- infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a :

* limité à 35 000 euros la condamnation de la société Visa Europe Limited à verser des dommages et intérêts à la société Mirix Ingénierie du chef de la faute commise par la société Visa Europe Limited à l'égard de la société Mirix Ingénierie dans l'exécution du contrat du 30 septembre 2013 ;

* limité à 26 060 euros la condamnation de la société Visa Europe Limited à verser des dommages et intérêts à la société Mirix Ingénierie du chef du caractère brutal de la rupture, par la société Visa Europe Limited, de la relation commerciale établie avec la société Mirix Ingénierie ;

* limité à 7 000 euros la condamnation de la société Visa Europe Limited à verser des dommages et intérêts à la société Mirix Ingénierie du chef du caractère abusif de la rupture, par la société Visa Europe Limited, de la relation commerciale établie avec la société Mirix Ingénierie ;

* débouté la société Mirix Ingénierie de ses autres demandes ;

Statuant à nouveau,

- condamner, pour les causes sus-évoquées, la société Visa Europe Limited à payer à la société Mirix Ingénierie, la somme de 75 220 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de non-sollicitation de personnel, et ce avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure et jusqu'à complet paiement ;

- condamner, pour les causes sus-évoquées, la société Visa Europe Limited à payer à la société Mirix Ingénierie, la somme de 454 097,22 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale de leur relation commerciale établie, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure et jusqu'à complet paiement ;

- condamner, pour les causes sus-évoquées, la société Visa Europe Limited à payer à la société Mirix Ingénierie, la somme de 60 942 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive de leur relation commerciale établie, et ce avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure et jusqu'à complet paiement ;

- dire, pour les causes sus-énoncées, que la société Visa Europe Limited est seule responsable de la non-exécution de la fin du contrat allant du 1er octobre 2013 au 31 mars 2014 et qu'elle reste donc redevable du reliquat facturé et non réglé ;

- condamner en conséquence la société Visa Europe Limited à payer à la société Mirix Ingénierie, la somme de 11 136 euros au titre de la créance contractuelle détenue par Mirix à l'encontre de Visa Europe Limited, et ce avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure et jusqu'à complet paiement ;

- condamner la société Visa Europe Limited à payer à la société Mirix Ingénierie ainsi qu'à Monsieur Mihaï Budaï, la somme de 17 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.

Sur la violation de l'obligation de non-sollicitation du personnel par Visa, elle souligne que, pendant dix années, les relations commerciales entre Visa et Mirix ont été régies par un contrat d'assistance technique en date du 22 octobre 2003 dont les " conditions générales " prévoyaient, à l'article 11, une clause de non-sollicitation de personnel que Visa a violée. Elle estime que les premiers juges ont sous-estimé le préjudice réellement subi par Mirix, en l'espèce un préjudice matériel engendré par le remplacement de Monsieur Sorin Grigore à hauteur de 54 000 euros ; ce montant correspond à l'usage dans ce secteur d'activité, soit douze mois de salaire brut du salarié débauché, calculés sur la base de sa rémunération au moment de son départ - à savoir 4 501,64 euros par mois, arrondis à 4 500 euros x 12 = 54 000 euros - et aux accords en vigueur entre les parties pendant dix ans ; il est également destiné à couvrir la désorganisation de Mirix du fait du départ de Monsieur Grigore avant le terme du contrat conclu avec Visa, les honoraires d'une agence de recrutement chargée de trouver un nouveau salarié, les frais d'annonces, le temps consacré par la direction et les employés de la société Mirix à ce recrutement et le temps nécessaire à la formation et à l'adaptation à la société du nouvel employé.

Sur la rupture brutale, elle fait valoir qu'il existait bien une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, au vu de l'ancienneté de la relation commerciale, de sa continuité et du chiffre d'affaires engendré par la relation ; la relation ayant existé entre les sociétés Mirix et Visa, telle que résultant du contrat d'assistance technique d'octobre 2003, des vingt-sept avenants qui l'ont suivi et du contrat d'octobre 2013, répond à ces critères.

Elle indique que la cessation par Visa de sa relation avec Mirix sans préavis constitue une rupture brutale de la relation commerciale établie. Cette relation commerciale a été rompue par Visa dans la mesure où celle-ci n'a pas donné suite au courrier de Mirix en date du 29 mars 2014, ni n'a reconduit les avenants habituels. Or, cette rupture n'a été précédée d'aucun préavis écrit indiquant de façon explicite qu'il était mis fin à la relation commerciale, alors que celle-ci durait depuis 10 ans. Le procédé est d'autant plus " brutal " que la cessation de cette relation commerciale a été concomitante au débauchage par Visa de l'un des ingénieurs les plus qualifiés de Mirix, aggravant ainsi la désorganisation de la société.

Elle ajoute que le préjudice de la société Mirix tient d'abord à la perte de marge sur la période pendant laquelle elle aurait dû bénéficier d'un préavis, soit sur coût variables annuelle de 54 167 euros, soit une marge mensuelle 4 514 euros, correspondant, sur 24 mois, à un préjudice de 108 334 euros.

Mirix invoque les nombreuses manœuvres orchestrées par Visa en vue de débaucher l'ingénieur de Mirix et mettre fin à la relation commerciale tout en faisant croire à sa poursuite. Ces agissements ont entraîné pour Mirix un préjudice évalué à un montant de 60 942 euros (désorganisation de l'entreprise, préjudice moral, temps engagé).

Sur la créance contractuelle détenue par Mirix à l'encontre de Visa, la société Visa n'a pas réglé à Mirix les dernières échéances dues au titre du contrat d'assistance technique conclu le 1er octobre 2013, à savoir celles comprises entre le 7 et le 31 mars 2014. Visa ne saurait, pour tenter de justifier sa défaillance, prétendre que le travail n'a pas été exécuté dans la mesure où c'est elle qui a refusé de laisser M. Budaï exécuter la prestation pour le compte de Mirix pour des raisons totalement fallacieuses et dans une volonté manifeste de pousser Mirix à l'inexécution contractuelle. Mirix a tout mis en œuvre pour exécuter le contrat d'assistance technique dans sa totalité et ce, malgré le débauchage de Monsieur Sorin Grigore par Visa.

La société Visa Europe Limited, par conclusions signifiées par le RPVA le 13 février 2017, demande à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il a estimé que la société Visa Europe a violé la clause de non-sollicitation du personnel stipulée au contrat d'assistance du 30 septembre 2013 et l'a condamnée à réparer le préjudice de Mirix en résultant à hauteur de 35 000 euros ;

Statuant à nouveau,

- rejeter les demandes de Mirix sur le fondement de la violation de cette clause ;

A titre subsidiaire,

- dire que le préjudice lié à cette prétendue violation n'est pas démontré ;

- infirmer le jugement en ce qu'il a estimé que la société Visa Europe avait rompu brutalement ses relations commerciales avec la société Mirix et l'a condamnée à réparer le préjudice de Mirix en résultant à hauteur de 26 060 euros ;

Statuant à nouveau,

- rejeter les demandes de Mirix sur le fondement de la rupture brutale, et à titre subsidiaire ;

- dire que le préjudice lié à cette rupture n'est pas démontré ;

- infirmer le jugement en ce qu'il a estimé que la société Visa Europe avait commis un abus dans la rupture de ses relations avec la société Mirix et l'a condamnée à réparer le préjudice de Mirix en résultant à hauteur de 7 000 euros ;

Statuant à nouveau,

- rejeter les demandes de Mirix sur le fondement de la rupture abusive, et à titre subsidiaire ;

- dire que le préjudice lié à cet abus n'est pas démontré ;

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la créance de 11 136 euros détenue par Mirix contre Visa Europe ;

- débouter la société Mirix de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

En tout état de cause,

- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné Visa Europe à verser à la société Mirix la somme de 7 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais encourus en première instance ;

- condamner la société Mirix à verser à la société Visa Europe la somme de 25 000 euros au titre des frais d'article 700 du Code de procédure civil en appel ;

- condamner la société Mirix à payer à la société Visa Europe les entiers dépens de première instance et d'appel, dont le recouvrement sera poursuivi par la Selarl Pellerin de Maria Guerre, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Sur la clause de non-sollicitation, elle fait valoir que le tribunal a jugé à bon droit que cette clause, dans sa rédaction issue du contrat du 22 octobre 2003, n'est plus applicable aux parties, seule l'est la clause de non-sollicitation issue du dernier contrat du 30 septembre 2013. Cette clause figurait déjà dans les mêmes termes dans le contrat avec Mirix du 22 octobre 2009, de sorte que cette dernière ne saurait prétendre l'avoir découverte pour la première fois en 2013.

Visa indique qu'elle a respecté la clause de non-sollicitation applicable pendant la durée du contrat du 30 septembre 2013 : Monsieur Sorin Grigore n'est entré en fonction chez Visa qu'à compter du 8 avril 2014, soit postérieurement à la fin du contrat avec Mirix prévue initialement au 31 mars 2014 ; c'est donc à tort que le tribunal :

- a retenu le début du mois de novembre 2013, période à laquelle Monsieur Sorin Grigore a postulé auprès de Visa et que Visa a informé Mirix de son intention de l'embaucher, comme date d'embauche formelle de Monsieur Sorin Grigore ;

- a jugé que Visa a délibérément violé ladite clause.

Elle ajoute que le préjudice de Mirix, à le supposer établi, ne devrait pas s'élever à plus d'un mois de salaire de Monsieur Sorin Grigore, que c'est à tort que le tribunal a condamné Visa à payer à Mirix une indemnité équivalente à cinq mois de salaires et à une perte de facturation consécutive à son départ, montant arrondi sans justification à 35 000 euros ; la demande de Mirix à hauteur de 75 220 euros est manifestement disproportionnée et dénuée de sérieux.

Sur la rupture brutale de la relation commerciale, c'est également à tort que le tribunal a retenu qu'aucun préavis écrit n'avait été notifié à Mirix. Mirix a été informée par Visa de façon répétée depuis le 31 juillet 2013, soit huit mois avant la fin du dernier contrat entre les parties et, de surcroît, a reçu un écrit de rupture explicite au 31 décembre 2013, soit trois mois avant la fin du dernier contrat entre les parties. Le préavis de huit mois, ou à tout le moins de trois mois, était suffisant pour permettre à Mirix de trouver de nouveaux clients. Le préavis de 24 mois réclamé par Mirix et celui de 10 mois fixé par le tribunal sont disproportionnés au regard des circonstances de l'espèce, à savoir la capacité de Mirix à réorienter ses activités et l'absence de coûts associés à la prestation avec Visa.

Sur l'absence d'abus dans la rupture des relations avec Mirix, elle expose que l'abus dans la rupture des relations avec Mirix, tel que retenu par le Tribunal, repose uniquement sur le cumul de l'absence de préavis clair et le débauchage du salarié de Mirix. Or, la cour infirmera le jugement de ce chef dès lors que Visa ne peut être condamnée deux fois sur la base des mêmes faits. Sur l'absence de justification du préjudice, elle observe que le tribunal a, à juste titre :

- retenu que le chiffrage de sa marge par Mirix " souffre de multiples approximations " en ce qu'elle est calculée à partir d'un " chiffre d'affaires théorique et non réel " et " qu'elle n'incorpore aucun frais de structure et de direction pourtant nécessaire à la réalisation du chiffre d'affaires concerné " ;

- refusé de tenir compte, dans son évaluation du prétendu préjudice, de l'absence de revalorisation des tarifs de Mirix auprès de Visa.

Elle ajoute que le taux de marge entre 43 % et 73 % retenu par Mirix est excessivement élevé par rapport aux taux moyen de marge constaté dans le secteur des services informatiques, compris entre 7 % et 14 % ; si le tribunal a ramené ce taux de marge à 25 %, ce niveau est encore surestimé. Le chiffrage, par Mirix, de son préjudice repose sur trois pièces (pièces adverses 25, 25-1 et 36) dont les enseignements sont incohérents ; de plus, ce chiffrage ne tient compte ni de l'ensemble des coûts d'exploitation qui sont rattachables au contrat Visa, ni des économies de coûts de sous-traitance. A supposer d'ailleurs qu'il existe un préjudice, ce que Visa conteste, elle indique que la cour devra infirmer le jugement du chef de l'évaluation du préjudice pour en minorer le montant afin de ne pas dépasser la somme de 22 000 euros de perte de marge sur une période de 12 mois, soit environ 1.800 euros par mois, conformément à la préconisation du rapport de Finexsi produit par Visa. Sur les autres préjudices, il conviendra que la cour infirme le jugement sur la demande d'indemnisation de Mirix liée au caractère abusif de la rupture pour un montant de 7 000 euros.

Sur ce

Sur l'intervention volontaire de Monsieur Mihaï Dubaï

Considérant que Monsieur Dubaï intervient volontairement à hauteur d'appel en sa qualité d'associé principal et de dirigeant de la société Mirix estimant avoir un intérêt au succès de l'action de la société Mirix ; qu'il ne justifie d'aucun préjudice personnel et distinct de celui de la société Mirix ; qu'il y a donc lieu de déclarer cette intervention volontaire irrecevable ;

Sur le préjudice résultant de l'embauche d'un salarié de Mirix par Visa

Considérant qu'aux termes de l'article 1134 du Code civil, dans sa rédaction applicable à la cause, " les conventions légalement formées tiennent lieu de lois à ceux qui les ont faites. (...) Elles doivent être exécutées de bonne foi " ;

Considérant qu'il est établi que le contrat du 30 septembre 2013, qui annule et remplace le précédent contrat, régit les relations entre les parties et comprend une clause de non-sollicitation du personnel qui stipule en son article 9 : " Pendant toute la durée du contrat, l'une et l'autre renoncent, sauf autorisation écrite préalable de l'autre partie à engager tout collaborateur de l'autre partie, à faire travailler indirectement tout collaborateur de l' autre partie sur un des projets sur lesquels le personnel de la société de conseil est intervenu chez le client, et ce durant une période d'un (1) mois à partir de la fin du projet. " ; que cette clause est applicable au présent litige, Mirix ne démontrant pas les manœuvres ou les réticences dolosives qui feraient obstacle à son application et entraînerait l'application du contrat du 22 octobre 2003 ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que Monsieur Sorin Grigore, salarié de la société Mirix, en charge du suivi clients Visa, est entré en fonction chez Visa à compter du 8 avril 2014, soit postérieurement à la date de son départ de Mirix le 7 mars 2014 à la suite de sa lettre de démission du 19 novembre 2013 ; que, néanmoins, Visa a informé Mirix dès le 6 novembre 2013 de son intention d'embaucher Monsieur Grigore, soit un mois et 6 jours après la signature du nouveau contrat modifiant la clause de non-sollicitation du personnel issue du contrat du 22 octobre 2003, en l'assouplissant notamment dans la durée d'application qui passait de 12 mois à un mois ; qu'il résulte de cette nouvelle clause (article 9), intitulée " non-sollicitation du personnel ", que la décision d'engager ou d'embaucher Monsieur Sorin Grigore a été prise par Visa dès le 6 septembre 2013, date à laquelle elle en a informé Mirix, pendant la durée du contrat d'assistance, et ce en violation de l'article 9 précité ; que Visa n'a pas sollicité l'autorisation écrite de Mirix préalablement à cette décision ;

Considérant que le préjudice de Mirix est réel et certain dès lors qu'il est constitué de la perte d'un salarié qualifié - Monsieur Grigore ayant la qualification d'ingénieur conseil et étant spécialisé dans le suivi clients Visa - et de la difficulté rencontrée par Mirix pour le remplacer, ainsi que des conséquences que Mirix a subies désorganisation, impossibilité d'assurer la mission affectée à Monsieur Grigore) ;

Considérant que c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu une durée de cinq mois pour évaluer le préjudice subi ; que la cour dispose des éléments suffisants pour confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a évalué le préjudice de Mirix au montant de 35 000 euros ;

Sur la rupture brutale des relations commerciales

Considérant que l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce dispose qu' " engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan : (...) 5°) De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminé, en référence aux usage du commerce, par des accords interprofessionnels (...) " ; que l'application de ces dispositions suppose l'existence d'une relation commerciale qui s'entend d'échanges commerciaux conclus directement entre les parties, revêtant un caractère suivi, stable et habituel laissant raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine pérennité dans la continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux ; qu'en outre, la brutalité est caractérisée par l'absence de préavis écrit, ou par la mise en œuvre d'un préavis trop court ne permettant pas à la victime de trouver une solution de rechange ou un nouveau partenaire commercial ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que les parties étaient en relations d'affaires depuis octobre 2003 et que cette relation a été rompue par Visa par courrier du 3 février 2014 ; que cette relation revêtait, depuis 2003, un caractère suivi, stable et habituel laissant raisonnablement anticiper pour l'avenir une certain pérennité dans la continuité du flux d'affaires entre Mirix et Visa ; qu'elle a duré plus de 10 ans ; que Visa ne justifie ni d'un préavis écrit, ni d'un manquement grave de Mirix dans l'exécution de ses obligations propre à justifier l'absence de préavis ;

Qu'en effet, l'invocation de propos irrespectueux qu'aurait tenu Monsieur Dubaï à l'égard de Visa, relève du simple prétexte pour rompre la relation ; que Visa ne rapporte pas la preuve de la notification d'un quelconque préavis de rupture, alors que, par son courrier du 31 décembre 2013, elle proposait à Mirix, après lui avoir indiqué qu'elle n'entendait pas mettre un terme à sa relation commerciale avec Mirix, de participer à un appel d'offres portant sur la revue de Code de l'application " Infobleu.com " ; que la rupture est donc intervenue sans préavis écrit ;

Considérant qu'au vu de l'ancienneté de la relation commerciale - de plus de 10 ans - et de l'importance du chiffre d'affaires (plus du quart) réalisé avec Visa, la cour estime qu'un préavis de 10 mois aurait dû être accordé ; qu'en conséquence, la rupture du 3 février 2014 constitue une rupture brutale des relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6 I 5° devant donner lieu à la réparation du préjudice subi par la société Mirix ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 442-6 I 5°, seuls sont indemnisables les préjudices découlant de la brutalité de la rupture, et non de la rupture elle-même ; que le préjudice indemnisable est constitué de la marge brute du chiffre d'affaire que Mirix pouvait escompter si la relation commerciale avait perduré ;

Qu'au vu de l'attestation du commissaire aux comptes de Mirix et de la baisse du chiffre d'affaires depuis la rupture avec Visa, il convient de retenir une marge brute mensuelle de 4 514 euros, soit, sur 10 mois, un montant de 45 140 euros ; que les autres postes de préjudice, tels que les avantages indus accordés à Visa (116 900,80 euros) et la non-répercussion des augmentations de salaire de leur ingénieur spécialement affecté à Visa ne sauraient être accordés alors que ces préjudices résultent de la rupture, et non de la brutalité de la rupture ; qu'en conséquence, le jugement entrepris sera réformé sur le montant du préjudice ; que la cour fixera à la somme de 45 140 euros le montant des dommages et intérêts alloués à ce titre ;

Sur la demande de dommages et intérêts sur le fondement contractuel

Considérant que la société Mirix sollicite la réparation de son préjudice résultant des manœuvres de Visa et de la rupture abusive des relations commerciales par Visa sur le fondement de l'article 1134 du Code civil, dans sa rédaction applicable à la cause, selon lequel " les conventions doivent être exécutées de bonne foi " ; qu'elle soutient avoir subi un préjudice du fait notamment :

- des manœuvres pour débaucher M. Grigore ;

- de mettre fin à la relation commerciale tout en lui faisant croire à sa poursuite ;

- de faire signer à Mirix un nouveau contrat de confidentialité en lui faisant croire à des débouchés au sein du groupe Visa ;

- de l'informer de la mise en œuvre d'un possible appel d'offres pour lequel elle ne pouvait pas légitimement concourir ;

Considérant que l'ensemble de ces éléments, outre qu'ils ne sont pas établis, font double emploi avec le préjudice sollicité pour le non-respect de la clause de non-sollicitation et pour la rupture brutale des relations commerciales établies ; qu'il convient donc d'infirmer le jugement entrepris et de débouter la société Mirix de sa demande d' indemnisation fondée sur la rupture abusive de la relation commerciale ;

Sur la créance réclamée par Mirix d'un montant de 11 136 euros

Considérant qu'en application de l'article 1315 du Code civil, dans sa rédaction applicable à la cause, " celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. " ;

Considérant que Mirix réclame le paiement des dernières échéances dues au titre du contrat d'assistance technique conclu le 1er octobre 2013 ; qu'elle ne conteste pas ne pas avoir accompli de prestations entre le 7 et le 31 mars 2014, mais soutient que cela est dû au refus de Visa de laisser le gérant de Mirix exécuter la prestation alors que son ingénieur spécialisé avait été débauché par Visa ;

Mais considérant que, si Visa, estimant que Monsieur Budaï avait tenu des propos injurieux envers un de ses salariés, a estimé opportun que la prestation ne soit pas exécutée, il n'en demeure pas moins que Mirix ne peut solliciter le paiement d'une prestation qu'elle n'a pas réalisée ; qu'en outre, il a été déjà été tenu compte du poste invoqué pour l'évaluation du préjudice résultant du non-respect de la clause de non-sollicitation ; qu'en conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mirix de cette demande ;

Considérant que l'équité impose de condamner Visa à payer à Mirix la somme de 8 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs : LA COUR statuant publiquement et contradictoirement, Déclare irrecevable l'intervention volontaire de Monsieur Budaï ; Infirme le jugement entrepris sur le montant du préjudice résultant de la rupture brutale des relations commerciales établies et sur le préjudice pour rupture abusive des relations commerciales ; Statuant à nouveau des chefs infirmés ; Condamne la société Visa Europe Limited à payer à la SARL Mirix Ingénierie la somme de 45 140 euros en application l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ; Déboute la SARL Mirix Ingénierie de sa demande de réparation de son préjudice fondée sur la rupture abusive des relations commerciales ; Confirme le jugement entrepris pour le surplus ; Condamne la société Visa Europe Limited à payer à la SARL Mirix Ingénierie la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; La condamne aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.