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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 5 juillet 2017, n° 14-25724

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

LIDL (SNC)

Défendeur :

EMJ (Selarl) ; Rêves Panification (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mme Mouthon Vidilles, M. Thomas

Avocats :

Mes Bernabe, Boccon Gibod, Bloch

T. com. Rennes, du 2 déc. 2014

2 décembre 2014

Exposé des faits

La société Lidl est spécialisée dans le domaine des supermarchés.

La société EMJ intervient en qualité de liquidateur de la société Rêves Panification dont le siège est à Concarneau, et qui a pour activité la fabrication de pains et le négoce de tous produits de boulangerie, pâtisserie, viennoiserie et plats à emporter.

Du mois de mai 2009 jusqu'au 16 février 2011, la société Rêves Panification a entretenu des relations commerciales avec la société Lidl pour la fourniture de magasins en produits de boulangerie.

Les relations commerciales entre les parties reposaient sur des documents écrits et signés intitulés " conditions d'achat ", arrêtées le 4 mai 2009 et modifiées les 12 octobre 2009, 10 juin et 20 juillet 2010.

Par jugement du 4 février 2011, la société Rêves Panification a été placée en redressement judiciaire.

Par lettre recommandée du 8 février 2011, la société Lidl a informé la société Rêves Panification de la fin au 30 avril 2011 de leurs relations commerciales.

Par lettre recommandée du 16 février 2011, la société Rêves Panification sollicitait la société Lidl de revoir sa position quant à la cessation des relations commerciales, et la société Lidl maintenait sa position.

Par jugement du 8 juillet 2011, le Tribunal de commerce de Quimper a prononcé la liquidation judiciaire de la société Rêves Panification et désigné la société EMJ en qualité de liquidateur.

Par acte du 23 décembre 2011, la société Rêves Panification a saisi le Tribunal de commerce de Quimper d'une demande tendant à voir reconnaître l'existence d'une brusque rupture des relations commerciales établies, sans respect d'un préavis raisonnable, et à la condamnation de la société Lidl au paiement de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

Plusieurs mesures d'instruction ont été ordonnées par le président du Tribunal de commerce de Rennes, relatives aux correspondances intervenues dans le cadre de cette relation contractuelle.

Le dossier a fait l'objet d'une radiation administrative le 21 février 2013, et a été ré-enrôlé sur demande de la société EMJ

Par jugement du 2 décembre 2014, le Tribunal de commerce de Rennes a :

- condamné la société Lidl à payer à la société EMJ représentée par Maître X ès qualités de mandataire liquidateur de la société Rêves Panification 130 463 euros de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales, la déboutant du surplus de sa demande,

- condamné la société Lidl à une somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,

- débouté la société Lidl de l'intégralité de ses demandes

- liquidé les frais de greffe.

La cour est saisie de l'appel interjeté par la société Lidl.

Par conclusions du 19 mars 2015, la société Lidl demande à la cour de :

- déclarer l'appel de la société Lidl recevable et bien fondé,

- infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Rennes du 2 décembre 2014,

statuant à nouveau :

- déclarer la demande mal fondée,

- débouter la société EMJ représentée par Maître X ès qualités de mandataire liquidateur de la société Rêves Panification de l'intégralité de ses fins et conclusions,

- la condamner aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à un montant de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour les deux instances,

- condamner la société EMJ représentée par Maître X ès-qualités de Mandataire Liquidateur de la société Rêves Panification aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Maître Olivier Bernabe conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Par conclusions du 30 avril 2015, la société EMJ demande à la cour de :

vu les dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce,

vu l'article 1382 du Code civil,

- dire qu'en n'octroyant qu'un préavis de moins de trois mois, la société Lidl a commis une faute à l'égard de la société Rêves Panification et engagé sa responsabilité délictuelle,

en conséquence,

- confirmer la décision du Tribunal de commerce de Rennes en ce qu'il a condamné la société Lidl à payer à la société EMJ représentée par Maître X, ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL Rêves Panification des dommages et intérêts à hauteur de 130 463 euros pour rupture brutale des relations contractuelles,

- confirmer la décision du Tribunal de commerce de Rennes du 2 décembre 2014 en ce qu'il a condamné la société Lidl à payer une somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance,

- condamner la société Lidl au titre de la procédure d'appel à payer une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'appel,

- dire que les dépens d'appel pourront être directement recouvrés par la Selarl Lexavoué Paris-Versailles en application de l'article 699 du Code de procédure civile.

Motivation

Sur la nature des relations contractuelles et la rupture brutale des relations commerciales

La société Lidl soutient qu'elle était liée par un contrat à durée déterminée à la société Rêves Panification qui connaissait le terme de la relation, soit le 30 avril 2010 puis le 30 avril 2011. Elle souligne que la société Rêves Panification avait d'autres clients, elle-même ne représentant au plus que 16 % de son chiffre d'affaires et n'ayant pas demandé d'investissement spécifique.

Elle avance, à propos du contexte de la rupture des relations, que la société Rêves Panification faisait face à une rupture brutale des relations avec Leader Price et à l'augmentation du prix des matières premières, ce qui a entraîné une importante dégradation de la qualité des livraisons de la société Rêves Panification justifiant la fin des relations commerciales.

Elle soutient que c'est l'intimée qui a interrompu les relations commerciales à compter du 18 février 2011.

Elle indique que toute relation commerciale peut-être rompue à condition de respecter un préavis suffisant, et qu'un préavis adapté serait d'un mois par année de relations commerciales. Elle relève que la relation a duré 2 ans, que l'intimée ne se trouvait pas en situation de dépendance économique, de sorte qu'un préavis de 3 mois était adapté. Elle ajoute que la rupture des relations est consécutive aux manquements de la société Rêves Panification notamment dans la livraison. Dès lors, cette inexécution autorisait la rupture sans préavis.

La société EMJ affirme que les contrats appelés " conditions d'achat " ne prévoyaient pas de termes et que le tribunal a justement retenu la qualification de contrat à durée indéterminée.

Elle fait état d'une durée de relation de deux années, au cours desquelles la société Lidl a augmenté ses demandes de produits et quant aux magasins livrés, ce qui l'a incitée à engager des investissements lourds. Elle estime qu'une durée de préavis de deux années aurait été justifiée.

Elle soutient que la société Rêves Panification n'a pas commis de faute dans l'exercice de son contrat avec la société Lidl et relève que le courrier de résiliation de cette dernière ne fait aucune mention d'une quelconque faute de la société Rêves Panification

Sur ce

Les " conditions d'achat ", applicables entre les parties au 1er mai 2009, fixent un prix de facturation de différents produits, en précisant qu'il s'agit d'un prix maximum garanti jusqu'au 30 avril 2010.

Il en est de même des conditions d'achat arrêtées le 12 octobre 2009 et applicables à compter du 14 octobre 2009, qui modifient le prix des produits et précisent également qu'il s'agit d'un prix maximum garanti jusqu'au 30 avril 2010 (pièces 18 et 19 appelante, 8 et 10 intimée).

Les conditions d'achat arrêtées entre les parties le 10 juin 2010 et applicables au 1er mai 2010, et celles du 20 juillet 2010 applicables sans délai, qui portent sur un nombre de produits plus important, précisent que les prix de facturation qu'elles fixent sont des prix maximums garantis jusqu'au 30 avril 2011 (pièces 20 et 21 appelante, 11 et 12 intimée).

Pour autant, ces conditions d'achat, si elles contiennent une précision quant à la date jusqu'à laquelle le prix maximum des produits est garanti, ne précisent pas le terme de ces contrats, l'indication d'une date jusqu'à laquelle un prix est garanti ne signifiant pas la cessation de toute relation entre les sociétés parties à compter de cette date.

Ces conditions d'achat successives se sont inscrites dans la continuité de celles convenues le 4 mai 2009, y ont apporté des modifications convenues entre les parties, et la relation commerciale a ainsi commencé au 1er mai 2009 sans qu'une date de cessation de ces contrats d'approvisionnement ne soit fixée.

Il ressort de plus de la lecture de ces conditions d'achat que le nombre de produits sur lesquels elle portait a augmenté, comme le nombre de sites concernés, de sorte que la société Rêves Panification pouvait légitimement s'attendre à une poursuite des relations commerciales établies avec la société Lidl après la date du 30 avril 2010.

Par ailleurs, les échanges entre les sociétés ne révèlent pas l'existence de difficultés du fait de la société Rêves Panification dont l'importance aurait été de nature à rendre incertaine la poursuite des relations commerciales établies entre elles, et la société Lidl ne justifie pas qu'elle aurait mis en cause la poursuite des relations commerciales à la suite de manquements de la société Rêves Panification

Le courrier du 8 février 2011, par lequel la société Lidl a annoncé à la société Rêves Panification la fin de leurs relations commerciales au 30 avril 2011, n'expose du reste pas de grief ou de faute retenue à l'encontre de la société Rêves Panification qui justifierait cette fin.

En conséquence, il est établi que la société Lidl est à l'origine de la rupture des relations commerciales établies avec la société Rêves Panification rupture fixée par ce courrier du 8 février 2011 annonçant la fin de ces relations au 30 avril suivant.

La société Lidl souligne avoir signalé le 18 février 2011 à la société Rêves Panification qu'aucun de ses magasins n'avait été livré, et le 1er mars 2011 son conseil signalait l'absence de reprise des livraisons au conseil de l'intimée, lequel faisait état de la procédure collective la concernant et de la baisse du nombre de salariés pour expliquer que les livraisons ne pourraient plus être assurées dans les mêmes conditions que précédemment.

S'il ressort des échanges de courriers postérieurs que les livraisons n'ont pas été reprises depuis, néanmoins l'initiative de la rupture des relations commerciales est le fait de la société Lidl qui a annoncé leur fin au 30 avril 2011 par sa lettre du 8 février 2011, quelques jours seulement après l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société Rêves Panification et alors que les échanges entre les sociétés n'annonçaient pas une telle rupture.

Il convient aussi de relever que si la société Rêves Panification fait état des investissements qu'elle aurait engagés pour répondre aux besoins de la société Lidl il n'est pas justifié par les pièces versées que celle-ci ait expressément présenté de demandes en ce sens.

Par ailleurs, la société Rêves Panification avait d'autres clients importants que la société Lidl de sorte qu'au vu des pièces produites il n'est pas démontré que l'achat d'un fonds de commerce dans le Morbihan s'explique par la seule nécessité de répondre au programme de déploiement convenu avec la société Lidl.

Les deux parties s'accordent enfin sur le pourcentage de 16 % comme étant la part de chiffre d'affaires dégagé par les livraisons des produits Lidl sur le chiffre d'affaire global de la société Rêves Panification (en 2010, le chiffre d'affaires réalisé avec les produits Lidl : 388 958 euros, pour un chiffre d'affaires total de 2 450 474 euros) (pièces 25 et 35 intimée).

Au vu de ce qui précède, notamment de la durée des relations commerciales et de la part que représentait la société Lidl dans le chiffre d'affaires de la société Rêves Panification un délai de trois mois pleins aurait dû être respecté par la société Lidl de sorte que faute de respecter un tel délai la rupture des relations commerciales décidée par la société Lidl sera qualifiée de brutale.

Il ressort des chiffres versés par la société Rêves Panification que son chiffre d'affaires mensuel réalisé avec la société Lidl était de 32 413 euros. S'il est invoqué un taux de marge de 70 %, celui-ci n'est pas justifié par la société Rêves Panification qui évoquait dans un courriel du 24 septembre 2009 un taux de marge inférieur à 65 % (pièce 29 appelante).

Au vu de ce qui précède et des seuls éléments dont elle dispose, la cour retiendra un taux de marge de 50 %.

Par conséquent, la rupture brutale dont la société Lidl s'est montrée l'auteur sera réparée par le versement d'une somme de 48 619,50 euros à titre de dommages et intérêts, au profit du liquidateur de la société Rêves Panification

Le jugement sera infirmé en ce sens.

Sur les autres demandes

La société Lidl succombant au principal, elle sera condamnée au paiement des dépens, ainsi qu'au versement d'une somme au liquidateur de la société Rêves Panification d'une somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, dit que la société Lidl qu'en octroyant un préavis inférieur à trois mois, la société Lidl a brutalement mis fin à la relation commerciale ; confirme la décision du Tribunal de commerce de Rennes en ce qu'il a condamné la société Lidl à payer à la société EMJ représentée par Maître X, ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL Rêves Panification des dommages et intérêts pour rupture brutale des relations contractuelles, l'infirme sur le montant retenu ; confirme ce jugement en ce qu'il a condamné la société Lidl à payer une somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance ; Y ajoutant, condamne la société Lidl au paiement de la somme de 48 619,50 euros à titre de dommages et intérêts à la société EMJ représentée par Maître X, ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL Rêves Panification ; condamne la société Lidl au titre de la procédure d'appel à payer une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'appel ; dit que les dépens d'appel pourront être directement recouvrés par la Selarl Lexavoué Paris-Versailles en application de l'article 699 du Code de procédure civile.