CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 4 juillet 2017, n° 17-03799
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Services et Santé (SAS)
Défendeur :
Hôpital Privé Marseille-Beauregard-Vert Coteau (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Roy-Zenati
Conseillers :
Mme Grivel, Quentin De Gromard
Avocats :
Mes Dereux, Collet
Par acte d'huissier du 22 juillet 2016, la société Services et Santé a assigné la société Hôpital privé Marseille-Beauregard-Vert Coteau devant le Tribunal de commerce de Paris pour demander, au visa des articles L. 446 et D. 442-3 du Code de commerce, sa condamnation à lui payer diverses sommes à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale de leurs relations commerciales.
Par jugement réputé contradictoire du 30 janvier 2017, le Tribunal de commerce de Paris, après s'être déclaré d'office incompétent territorialement, a renvoyé les parties à mieux se pourvoir et condamné la société Services et Santé aux dépens.
La SAS Services et Santé a formé contredit à l'encontre de cette décision le 15 février 2017.
Par ses conclusions soutenues oralement à l'audience, elle demande à la Cour de la dire recevable et bien fondée dans son contredit de compétence, dire que le Tribunal de commerce de Paris est compétent pour connaître de sa demande à l'encontre de la société Hôpital privé Marseille -Beauregard-Vert Coteau, infirmer le jugement rendu le 30 janvier 2017 par le Tribunal de commerce de Paris et renvoyer l'affaire devant le dit Tribunal de commerce de Paris pour qu'il statue sur sa demande, en statuant ce que droit sur les frais de contredit.
Elle fait valoir :
- que le délai de 15 jours pour former contredit court à compter du prononcé du jugement si sa date a été portée à la connaissance des parties par le président et que tel n'est pas le cas en l'espèce, la date du prononcé du jugement ayant été reportée au 30 janvier sans qu'elle en ait eu connaissance, si bien que le délai n'a pas couru ;
- que dès lors que l'application de l'article L. 442-6 5°du Code de commerce est invoquée, la demande a un caractère délictuel et l'article 46 du Code de procédure civile a vocation à s'appliquer, complété par les articles D. 442-3 et D. 442-4 du Code de commerce, excluant l'application de la clause attributive de compétences stipulée par les parties et donnant compétence à la juridiction dans le ressort de laquelle le dommage a été subi, c'est-à-dire Paris ;
- que les références faites au contrat la liant à la société Hôpital privé Marseille-Beauregard-Vert Coteau avait pour seul but de démontrer que le préavis dont elle avait bénéficié ne tenait pas compte de la durée de leurs relations commerciales ni du préavis contractuel ;
- que de surcroît, les dispositions de l'article 16 du Code de procédure civile visant le principe de la contradiction n'ont pas été respectées puisque le juge a soulevé d'office le moyen tiré de l'incompétence sans le soumettre à la discussion ;
- qu'enfin, le tribunal a violé l'article 96 du Code de procédure civile puisqu'il n'a pas désigné la juridiction compétente qui lui était imposée.
La SA Hôpital privé Marseille-Beauregard-Vert Coteau demande pour sa part à la Cour de :
- déclarer le contredit irrecevable comme tardif,
- à titre subsidiaire, confirmer le jugement attaqué,
- y ajoutant, renvoyer l'affaire devant le Tribunal de commerce de Marseille,
- en tout état de cause, débouter la société Services et Santé de toutes ses demandes,
- condamner enfin celle-ci à lui payer la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens du contredit.
Elle soutient que le tribunal a clairement indiqué la date du prononcé du jugement et que le greffe a, par courrier du 9 janvier 2017, informé les parties qu'il allait être reporté au 30 janvier, si bien que c'est bien à compter de cette date que le délai de 15 jours du contredit a couru conformément à l'article 82 du Code de procédure civile, et que le recours ayant été formé le 15 février alors qu'il devait être formé le 14 au plus tard en vertu de l'article 641 du Code de procédure civile, il est tardif et, partant, irrecevable. Elle fait valoir, à titre subsidiaire, que le contredit n'est pas fondé, la société Services et Santé ayant qualifié son action en responsabilité de délictuelle afin d'écarter l'application de la clause attributive de juridiction insérée au contrat, alors que se fondant sur le caractère insuffisant du préavis contractuel, son fondement ne pouvait être que contractuel. Elle considère donc que c'est à bon droit que le tribunal de commerce a fait application des articles 42 et 48 du Code de procédure civile et de la clause attributive de compétence contractuelle, et souligne que la Cour a vocation à réparer la prétendue absence de contradiction et l'absence de désignation de la juridiction compétente par la juridiction de première instance.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs dernières conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.
La SAS Services et Santé ayant sollicité un renvoi pour pouvoir produire l'avis de report du prononcé auquel s'opposait le demandeur au contredit, elle a été autorisée à le produire en cours de délibéré.
Motifs
Considérant en premier lieu, sur la recevabilité du contredit, que selon l'article 82 du Code de procédure civile, celui-ci doit, à peine d'irrecevabilité, être motivé et remis au secrétariat de la juridiction qui a rendu la décision dans les quinze jours de celle-ci ; que le délai pour former contredit ayant pour point de départ le prononcé du jugement, il ne peut commencer à courir qu'autant que la date à laquelle le jugement devait être rendu a été portée à la connaissance des parties conformément aux dispositions de l'article 450 du Code de procédure civile et que cet avis est mentionné dans le jugement ; que ce dernier texte prévoit que s'il décide de renvoyer le prononcé du jugement à une date ultérieure, le président en avise les parties par tout moyen, cet avis devant comporter les motifs de la prorogation ainsi que la nouvelle date à laquelle la décision sera rendue ; que lorsque la date du prononcé du jugement n'a pas été indiquée aux parties par le président, le délai de contredit part du jour où la partie a eu connaissance de la décision ;
Considérant qu'en l'espèce, le jugement prononcé le 30 janvier 2017 indique qu'" à l'audience du 18 novembre 2016, le juge chargé d'instruire l'affaire clôt les débats, met l'affaire en délibéré et dit que le jugement sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 19 décembre 2016, date reportée au 30 janvier 2017, en application du 2ème alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile "; qu'il est établi par ces mentions que la demanderesse, seule présente à l'audience, a eu connaissance de la date initiale du prononcé au 19 décembre conformément à l'article 450 ; qu'en revanche, il convient de relever que l'avis, en date du 9 janvier 2017, de report du prononcé à la date du 30 janvier, produit aux débats comme autorisé, ne figure pas dans le dossier du tribunal de commerce transmis à la Cour avec le contredit, et qu'il n'est ni motivé ni, surtout, signé du président comme le prévoit l'article 450 susvisé mais du greffier ; qu'il en résulte que la date du prononcé du jugement, lequel n'a pas été rendu immédiatement, n'a pas été portée à la connaissance des parties selon les formes applicables, et qu'elle n'a donc pu faire courir le délai de quinze jours ; qu'en l'absence de notification, le contredit formé le 15 février 2017 qui est motivé doit être déclaré recevable ;
Considérant en second lieu, sur le bien-fondé du contredit, que la demande de la société Services et Santé laquelle soutient avoir été victime d'une rupture brutale des relations contractuelles suivies avec l'HP Beauregard sans respect du préavis contractuel, se fonde expressément sur les dispositions de l'article L. 442-6- I-5° du Code de commerce, et que lesdites dispositions confèrent à la matière un caractère délictuel ; qu'il en résulte que l'article 48 du Code de procédure civile, qui autorise les commerçants à déroger contractuellement aux règles de compétence territoriale, ne trouve pas matière à s'appliquer , et que la clause attributive de compétence dont le premier juge a fait application doit être écartée ; qu'en matière délictuelle, l'article 46 du Code de procédure civile laisse la possibilité au demandeur de saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage est subi ; que le dommage résultant de la cessation abusive de relations commerciales est subi au siège de la société victime de tels agissements ; qu'en conséquence, le Tribunal de commerce de Paris, qui est désigné comme juridiction commerciale compétente en la matière par l'annexe 4-2-1 de l'article D. 442-3 du Code de commerce, est bien compétent et le contredit est bien fondé ;
Considérant que la société HP Beauregard, qui perd le contredit, en supportera les frais ;
Par ces motifs, LA COUR, Déclare recevable et bien fondé le contredit formé à l'encontre du jugement du Tribunal de commerce de Paris du 30 janvier 2017 ; Dit le Tribunal de commerce de Paris seul compétent ; En conséquence, renvoie l'affaire et les parties devant le Tribunal de commerce de Paris ; Condamne la SA Hôpital privé Marseille-Beauregard-Vert coteau aux frais du contredit et rejette sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.