CA Paris, Pôle 1 ch. 1, 4 juillet 2017, n° 16-19150
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Agence Vukotic (SARL)
Défendeur :
Groupo Halcon Ceramicas (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Guihal
Conseillers :
Mme Salvary, M. Lecaroz
Avocats :
Me Hilbert Thomasson, Grignon du Moulin, Tessier, Roales Nieto Lopez
Selon un contrat du 31 octobre 2010, la société de droit français Agence Vukotic (la société Vukotic) s'est vue confier pour une durée indéterminée des prestations d'agent commercial pour le compte de la société de droit espagnol Groupo Halcon Ceramicas (la société Halcon) sur le territoire de 19 départements français. Selon l'article 5-1 du contrat, l'agent commercial s'obligeait à obtenir un volume de vente annuelle de 400 000 euros HT la première année et, à défaut d'accord contraire, une augmentation du volume de vente de 15 % par an. En cas de non-réalisation de ces objectifs de volume, la société Halcon pouvait considérer que la société Vukotic avait commis un manquement au contrat et en tirer toutes conséquences de droit.
Le 23 février 2014, la société Halcon a informé la société Vukotic qu'elle souhaitait mettre fin au contrat d'agent commercial à compter du 31 mai 2014 en respectant le délai de trois mois prévu à l'article 8 du contrat d'agent commercial.
Par une assignation du 15 avril 2015, la société Vukotic a assigné la société Halcon devant le Tribunal de commerce de Meaux aux fins notamment de voir condamner cette dernière société à lui payer les sommes de 13 142,82 euros à titre de rappel de commission, 5 293,56 euros à titre de rappel de commissions sur période de préavis, 42 348,49 euros au titre de l'indemnisation des conséquences préjudiciables de la rupture, 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. La société Halcon a soulevé in limine litis l'incompétence territoriale du tribunal de commerce au profit des juridictions espagnoles.
Par jugement du 6 septembre 2016, le Tribunal de commerce de Meaux s'est déclaré incompétent territorialement, a renvoyé les parties à mieux se pourvoir en application de l'article 96 du Code de procédure civile, condamné la société Vukotic à payer à la société Halcon la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens.
La société Vukotic a formé contredit par lettre du 13 septembre 2016 reçue au greffe du Tribunal de commerce de Meaux le 19 septembre 2016.
Dans ses conclusions du 15 mai 2017 reprises à l'audience du 23 mai suivant, la société Vukotic demande à la cour de dire que le Tribunal de commerce de Meaux est compétent pour connaître toutes ses demandes, de rejeter toutes les demandes de la société Halcon de condamner cette société à lui payer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens de la procédure de contredit.
Dans ses conclusions reprises à l'audience du 23 mai 2017, la société Halcon demande à la cour, à titre principal, de se déclarer territorialement incompétent pour connaître des demandes de paiement des sommes de 10 587,12 euros au titre de rappel de commissions de 6 mois, de 5 293,56 euros au titre de rappel de commissions de 3 mois au titre de la période de préavis, de 42 348,49 euros au titre de l'indemnité de 2 années de commissionnement, ainsi que les intérêts sur ces sommes et renvoyer les parties à mieux se pourvoir, de constater que la demande de paiement de 2 555,70 euros au titre de commissions impayées est devenue sans objet en raison des règlements effectués par la société Halcon les 15 janvier 2014 et 8 février 2016, et de dire irrecevable et mal fondé le contredit de la société Vukotic et, confirmant le jugement du Tribunal de commerce de Meaux, de juger que celui-ci est territorialement incompétent pour connaître et statuer sur le litige, à titre subsidiaire, de prendre acte de ce que la société Halcon se réserve le droit de formuler une demande reconventionnelle à l'encontre de la société Vukotic pour les dommages subis, en vertu de l'article 5.1 du contrat d'agence commerciale signée par les parties le 31 octobre 2010, en tout état de cause, de condamner la société Vukotic à payer à la société Halcon la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens dont distraction au profit Me X.
Sur quoi,
Considérant que contrairement à ce que soutient la société Halcon les parties ne sont pas d'accord entre elles sur les règles applicables au conflit de juridictions ; que, pour la détermination de la juridiction compétente pour connaître de l'instance, la société Halcon invoque l'application du droit français et de l'article 42 du Code de procédure civile et l'existence d'obligations autonomes tandis que la société Vukotic se prévaut des dispositions du règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000, lequel a été abrogé par le règlement n° 1215/2012 du Parlement européen et Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (le règlement Bruxelles I bis) ;
Considérant que ce dernier règlement est applicable à l'instance en cause, relative au contrat d'agent commercial du 31 octobre 2010 ayant existé entre la société Halcon de droit espagnol, et la société Vukotic de droit français, pour des prestations d'agent commercial de cette dernière sur le territoire de 19 départements français ;
Qu'en effet selon l'article 81 de ce texte, " Le présent règlement entre en vigueur le vingtième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l'Union européenne. Il est applicable à partir du 10 janvier 2015, à l'exception des articles 75 et 76, qui sont applicables à partir du 10 janvier 2014 " ; que l'assignation ayant été délivrée par la société Vukotic le 15 avril 2015, le règlement Bruxelles I bis est applicable au litige ;
Considérant qu'en l'absence de clause attributive de compétence convenue entre les parties, comme en l'espèce, l'article 7.1 de ce texte prévoit qu'en matière contractuelle, " Une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite dans un autre État membre :
1)
a) en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande;
b)aux fins de l'application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande est ;
- pour la vente de marchandises, le lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées,
- pour la fourniture de services, le lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ;
c) le point a) s'applique si le point b) ne s'applique pas " ;
Considérant que par le contrat d'agence commerciale, l'agent commercial est chargé d'exécuter la prestation qui caractérise ce contrat, en l'espèce la négociation de la vente ou de l'achat de marchandises pour le commettant, de sorte que le lieu de fourniture des services au sens de l'article 5.1 b) est le lieu de la fourniture principale des services de l'agent (CJUE, 11 mars 2010, Wood Floor, aff. C-19/09, points 34 à 36) ; que le lieu de fourniture principale des services de l'agent est celui identifié comme tel par les dispositions du contrat ; qu'à défaut de telles dispositions, il est celui de l'exécution effective du contrat ; qu'afin d'identifier le lieu où l'agent commercial a effectivement déployé, de manière prépondérante, ses activités en exécution du contrat, il peut être tenu compte des aspects factuels de l'affaire, en particulier du temps passé sur ces lieux et de l'importance de l'activité y exercée (CJUE, arrêt précité, point 40) ; qu'en cas d'impossibilité de déterminer le lieu de fourniture des services sur cette base, celui-ci doit être réputé au lieu où l'agent est domicilié (CJUE, arrêt précité, points 37 à 42) ;
Considérant que s'il stipule que la société Vukotic est agent commercial pour le compte de la société Halcon dans 19 départements français, le contrat d'agence commerciale du 31 octobre 2010 ne précise pas le lieu de fourniture principal des prestations ; que les parties ne se prévalent d'aucune précision sur le lieu d'exécution effective du contrat dans l'un quelconque de ces départements, ni d'aucun élément factuel ; que dans l'impossibilité de déterminer le lieu de fourniture sur cette base, celui-ci doit être réputé au lieu où la société Vukotic est domiciliée, soit sur la commune de Bailly Romainvilliers, qui se trouve dans le ressort du Tribunal de commerce de Meaux ;
Qu'il convient donc d'infirmer le jugement et de renvoyer l'affaire devant cette juridiction pour connaître de l'action intentée par la société Vukotic ;
Qu'aucune atteinte aux droits de la défense de la société Halcon n'est caractérisée par la seule circonstance que les juridictions françaises sont compétentes par application du règlement Bruxelles I bis ; que se prévalant du contrat d'agent commercial et des conséquences préjudiciables de sa rupture, la société Vukotic n'invoque aucune obligation autonome à ce contrat ;
Que la présente cour n'entendant pas évoquer le fond, il n'y a pas lieu de répondre aux demandes de la société Halcon tendant à voir constater que la demande de paiement de 2 555,70 euros au titre de commission impayées est devenue sans objet en raison des règlements effectués par elle les 15 janvier 2014 et 8 février 2016 et qu'il soit donné acte de ce que la société Halcon se réserve le droit de formuler une demande reconventionnelle à l'encontre de la société Vukotic pour les dommages subis, en vertu de l'article 5.1 du contrat d'agence commerciale signée par les parties le 31 octobre 2010, lesquelles seront tranchées par le Tribunal de grande instance de Meaux ;
Considérant que, succombant à l'instance, la société Halcon est condamnée à payer à la société Vukotic la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens du contredit ;
Par ces motifs, Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Meaux le 6 septembre 2016, Dit le Tribunal de commerce de Meaux compétent, Dit n'y avoir lieu à évocation, Dit n'y avoir lieu à statuer sur les autres demandes, Renvoie la présente affaire au Tribunal de commerce de Meaux, Condamne la société Groupo Halcon Ceramicas à payer à la société Agence Vukotic la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Groupo Halcon Ceramicas aux dépens du contredit.