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Décisions

CA Colmar, 1re ch. civ. A, 5 juillet 2017, n° 15-03883

COLMAR

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Layher (SAS)

Défendeur :

Alfix France (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Panetta

Conseillers :

Mme Dorsch, M. Robin

TGI, Strasbourg, du 15 mai 2015

15 mai 2015

Faits procédure prétentions des parties :

La SAS Layher commercialise en France les produits de la Société allemande Wilheim Layher et notamment divers systèmes d'échafaudages.

Elle commercialise aussi en France les produits de la Société Alfix systemtechnik GmbH constitués également de systèmes d'échafaudages à destination des professionnels de la construction et de la rénovation.

Par lettre recommandée en date du 23 Novembre 2011, la SAS Layher a mis en demeure la SARL Alfix de faire cesser les troubles de concurrence déloyale générés par des côtes identiques des éléments vendus, la similitude de " best line " du logo publicitaire, une influence certaine des croquis de documents et notamment des notices de montage, et l'indication commerciale à l'adresse des clients, dont ceux du réseau internet, que le matériel vendu est compatible avec les siens.

Par assignation du 31 Octobre 2012, la SAS Layher sollicitait, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :

la condamnation de la SARL Alfix France à lui verser au titre des actes de concurrence déloyale et parasitaire, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, une somme de 150 000 euros, subsidiairement de désigner un expert pour déterminer son préjudice avec octroi d'une provision de 100 000 euros ;

d'ordonner l'interdiction à la défenderesse de vendre du matériel d'échafaudage de même dimension que le sien sous astreinte de 10 000 euros passé le délai de 8 jours après la décision signifiée ;

d'ordonner à la défenderesse de modifier sa documentation sur les références faites de la compatibilité ou interchangeabilité des systèmes ou de la similitude de dimensions, sous la même astreinte ;

d'ordonner la publication du jugement dans le journal " Le moniteur du bâtiment et des travaux publics " aux frais de la défenderesse

la condamnation de la SARL Alfix France aux dépens outre au paiement d'une somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles.

Par conclusions du 6 Avril 2014, la SAS Layher maintenait ses demandes sauf celle tendant à ordonner à la défenderesse de modifier sa documentation sur les références faites de la compatibilité ou interchangeabilité des systèmes ou de la similitude de dimensions.

Par conclusions du 10 Octobre 2014, la SARL Alfix France sollicitait le débouté des demandes portées à son encontre, la condamnation de la SAS Layher à lui verser la somme de 10 000 euros pour procédure abusive, outre une somme au titre des frais irrépétibles.

Par jugement du 15 Mai 2015, le Tribunal de Grande Instance de Strasbourg a débouté la SAS Layher de ses demandes ainsi que la SARL Alfix France de sa demande reconventionnelle et condamné la SAS Layher aux dépens et à verser à la défenderesse la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par déclaration faite au greffe le 10 Juillet 2015, la SAS Layher a interjeté appel de la décision.

Le 20 Juillet 2015, la SARL Alfix France s'est constituée intimée.

Dans des dernières conclusions du 23 Juin 2016, la partie appelante a demandé à la Cour d'infirmer le Jugement du 15 Mai 2015. Statuant à nouveau, la SAS Layher demande de juger que la Société Alfix s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale à son égard en commercialisant des produits imitant les siens et en vantant la compatibilité de ces produits, créant un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle. La partie appelante requière également de juger que l'utilisation du slogan " Echafaudons l'avenir ensemble(s) " par la Société Alfix France constitue un comportement parasitaire et de juger que Alfix commet des actes de parasitisme en se plaçant délibérément dans le sillage de Layher en utilisant la compatibilité de ses matériels avec ceux de Layher comme argument de vente. A titre principal, elle sollicite la condamnation de la partie intimée à lui payer la somme de 280 000 euros, au titre du préjudice global né des actes de concurrence déloyale et parasitaire.

A titre subsidiaire, la partie appelante demande de désigner un expert judiciaire avec diverses missions et notamment de :

se rendre au siège social de la Société Alfix France,

se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utiles à l'accomplissement de sa mission et notamment l'intégralité des contrats de location et vente portant sur du matériel de la Société Alfix France et de mêmes dimensions que le matériel de la Société Layher,

calculer le chiffre d'affaire réalisé par la Société Alfix grâce à la location et vente de matériel de mêmes dimensions que le matériel de la Société Layher,

évaluer le préjudice subi par la Société Layher.

Elle demande également de condamner la partie intimée à lui payer 100 000 euros, à titre de provision sur le montant des dommages et intérêts fixés par l'expert et, en tout état de cause, d'ordonner l'interdiction, sur le territoire français, à la Société Alfix France de vendre, louer et monter du matériel d'échafaudage présentant les dimensions spécifiques Layher et ce, sous astreinte de 10 000 euros par infraction, constatée huit jours après la signification de la décision à intervenir.

La Société Layher sollicite enfin la condamnation de la Société Alfix aux entiers dépens et à lui payer une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Dans des dernières conclusions du 29 Septembre 2016, la partie intimée a demandé à la Cour de déclarer l'appel de la partie appelante recevable mais mal fondé et de confirmer le jugement entrepris.

Elle demande également, à la Cour, de déclarer la prétention tendant à une réparation du préjudice à 280 000 euros de la Société Layher irrecevable ainsi que les pièces n°27, 28, 29, 30, 42, 43 et 44 produites par l'appelante et les écarter des débats. L'intimée demande également de déclarer l'appelante mal fondée en l'ensemble de ses demandes et de l'en débouter. La Société Alfix requière enfin la condamnation de la Société Layher aux entiers dépens et à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ainsi qu'à 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La Cour se référera à ces dernières écritures pour plus ample exposés des faits de la procédure et des prétentions des parties.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 Novembre 2016.

L'affaire a été appelée et retenue à l'audience du 15 Mai 2017, à laquelle les parties ont développé leur argumentation et déposé les pièces à l'appui de leurs allégations.

Motifs de la décision :

La société Layher reproche à la société Alfix France des pratiques qu'elle estime constituer une concurrence déloyale, en particulier parasitaire. Elle allègue que la société Alfix France commercialise des pièces d'échafaudage aux caractéristiques identiques aux siennes, en cherchant à entretenir la confusion entre les deux marques et en vantant la compatibilité entre elles afin de gagner des parts de marché.

Dans ce contexte, la Cour relève qu'il n'est pas contesté que les deux sociétés sont en relations de concurrence. La Cour constate également que la réglementation interdit la combinaison de pièces d'échafaudage provenant de constructeurs différents, en vertu de l'article R. 4223-72 du Code du Travail. Cependant, cette réglementation s'applique uniquement dans le cadre des relations de travail, et vise à prévenir les accidents du travail ou à permettre la recherche de responsabilité en cas de tels accidents. Cette réglementation ne s'impose pas à un particulier ou à un artisan travaillant seul. Seule la responsabilité de l'employeur usager des pièces d'échafaudage pourrait être recherchée en cas de combinaison interdite par l'article R. 4223-72 du Code du Travail. Le fait que certains utilisateurs se livrent à cette pratique ne saurait en lui-même démontrer des pratiques déloyales de la société Alfix France, qu'il appartient à l'appelante de démontrer.

Sur les dimensions des pièces d'échafaudage et leur compatibilité :

La société Layher affirme que la société Alfix France commercialise des pièces d'échafaudage aux dimensions identiques aux siennes, exerçant par là une concurrence déloyale. La Cour constate en effet une identité de mesures dans certaines gammes de produits proposées par les deux sociétés. Néanmoins, la société Layher, qui affirme utiliser ces mesures depuis les années 1950, n'en atteste pas, et ne prouve pas l'antériorité ou l'exclusivité de cet usage. La société Alfix France produit le catalogue d'un constructeur concurrent, MJ-GERUST, qui commercialise des produits aux mesures identiques. Quoi qu'il en soit, la simple similarité de mesures est insuffisante à qualifier les pièces en cause de copies conformes, leurs autres caractéristiques étant par ailleurs distinctes. De plus, comme en a jugé la Cour de Cassation, la commercialisation de produits compatibles avec ceux d'un concurrent ne constitue pas en elle-même une faute. Le principe de liberté de la concurrence autorise de telles pratiques.

De plus, la société Alfix France verse des pièces qui prouvent que les éléments d'échafaudages qu'elle commercialise sont clairement identifiés par des étiquettes et des poinçons mentionnant le fabriquant. Dès lors, le risque de confusion avec des produits de la société Layher est inexistant.

La similarité des mesures des pièces n'étant pas suffisante pour caractériser une pratique déloyale, celle-ci ne pourrait résulter que d'un abus de l'argument de compatibilité dans la commercialisation des produits par la société Alfix France.

Sur l'allégation de stratégie commerciale parasitaire :

L'appelante affirme que la société Alfix France se livre à une concurrence déloyale, en utilisant comme argument de vente la compatibilité de ses produits avec ceux de marque Layher, et en incitant ses clients ou clients potentiels à mélanger les deux marques, au mépris de la réglementation en vigueur.

Il convient, sur ce point, d'examiner successivement les éléments de preuve proposés par la société Layher.

La Cour relève tout d'abord que la politique commerciale de la marque Alfix, qui vante pour le marché allemand, et en allemand, la compatibilité des deux marques, apparaît légitime du fait de l'autorisation de combinaison des matériels en vigueur en Allemagne, que la société Layher admet. Néanmoins cette pratique n'est d'aucune incidence sur le présent litige, qui met en cause le comportement de la société Alfix France sur le marché français.

La Cour constate, contrairement aux affirmations de la société Layher, qu'en aucune manière le catalogue commercial de la société Alfix France ne mentionne la marque Layher, ni a fortiori ne se prévaut d'une compatibilité entre les deux marques.

L'appelante fournit par ailleurs à l'appui de ses allégations diverses attestations de témoins.

L'attestation de M. G. n'est pas conforme aux dispositions de l'article 202 du Code de Procédure Civile, comme l'a relevé à bon droit le premier juge. En effet, elle n'est pas rédigée de la main de son auteur, ni accompagnée d'un document officiel permettant d'attester l'identité de celui-ci. Si ce défaut de forme n'est pas de nature à écarter la pièce des débats, il diminue sa force probante. En outre, comme l'a souligné le premier juge, le caractère vague des déclarations, notamment l'absence de tout contexte, de date précise, d'identification de l'interlocuteur qui aurait agi au nom de la société Alfix France, font que cette attestation n'a aucune force probante.

L'enquête privée diligentée par la société Layher, résultant en la production de trois attestations et d'un rapport d'enquête, n'apparaît pas contraire aux principes de loyauté de la preuve, tels que définis par la loi et n'expose la société Layher à aucun grief.

Néanmoins, les constatations de l'enquête n'apparaissent pas suffisantes pour attester d'une pratique commerciale agressive ou déloyale de la part de la société Alfix France. En effet, selon la conclusion du rapport d'enquête (pièce 30 partie appelante), les représentants de la société Alfix France affirment que " les éléments d'échafaudage de marques différentes (Layher et Alfix) sont compatibles ".

Cette assertion est exacte et ne prouve pas une intention de tromper le client. Il est à souligner que cette assertion n'était en outre pas spontanée, mais provoquée par une demande explicite en ce sens formulée par les enquêteurs privés démarchés par la société Layher. La conclusion indique par ailleurs que les représentants de la société Alfix France ont mentionné aux enquêteurs l'interdiction réglementaire de combinaison des marques.

Le fait que les représentants de la société Alfix France aient indiqué que les mélanges sont courants et se font sous la responsabilité de chaque utilisateur, n'excède pas le cadre normal du démarchage commercial. Cet argumentaire, circonstancié et induit par une demande spécifique des enquêteurs privés, ne fait pas la preuve d'une pratique délibérée et systématique de démarchage déloyal de la part de la société Alfix France.

Au surplus, un discours imprécis ou prêtant à confusion ne saurait constituer une pratique déloyale.

Les devis envoyés par la société Alfix France, suite à la demande des enquêteurs privés, ne se prévalent d'aucune compatibilité avec la marque Layher.

La fourniture de ces devis à des clients potentiels affirmant détenir par ailleurs des produits Layher n'est d'aucune incidence, la société Alfix France ne pouvant être tenue responsable de l'utilisation de ses produits que ses clients sont susceptibles de faire. Ce même raisonnement s'applique au constat d'huissier produit et démontrant le mélange des deux marques sur un chantier.

L'attestation de M. S., affirmant que ces mélanges sont courants dans les retours locatifs des clients Layher, est contrebalancée par l'attestation de Mme R., qui affirme la même chose pour la société Alfix France.

Ces assertions ne font que montrer que le mélange est pratique courante chez les clients des fabricants d'échafaudages, mélange qui semble en outre concerner également d'autres constructeurs que ceux présents en la cause.

Les autres attestations et pièces fournies par les deux parties, outre leur force probante limitée du fait qu'elles émanent soit d'employés soit de clients des deux sociétés, ne contiennent que des affirmations vagues et invérifiables, ou des propos rapportés. Elles ne font qu'illustrer une situation d'intense concurrence sur le marché de vente et location d'échafaudages.

En outre, il est rappelé que le libre jeu de la concurrence permet le démarchage commercial, et en particulier n'interdit pas le fait de proposer un produit concurrent à un client potentiel, quelle que soit par ailleurs l'affiliation alléguée de ce dernier à un autre fabricant.

La demande tendant à voir écarter les pièces numéro 27,28, 29,30, 42,43 et 44 n'est pas justifiée, puis égard aux éléments précités.

Il ressort de tous ces éléments qu'aucune stratégie commerciale fautive de la société Alfix France, notamment aucune utilisation abusive de la compatibilité entre les deux marques comme moyen de vente, n'est caractérisée. En conséquence, aucune pratique de concurrence déloyale n'est prouvée par la société Layher.

Sur la reprise parasitaire d'un slogan similaire :

La société Layher affirme qu'elle a utilisé par le passé le slogan " Ensemble échafaudons l'avenir " et que la société Alfix France aurait, en utilisant le slogan " Échafaudons l'avenir ensembles ", cherché à profiter indûment de sa notoriété en se plaçant dans son sillage.

Cependant il ressort de pièces de l'appelante qu'elle a cessé d'utiliser ce slogan en 2002, soit six ans avant l'immatriculation de la société Alfix France et dix ans avant l'assignation initiale.

Ce slogan est assez peu spécifique, d'autres entreprises du secteur utilisant des formules voisines.

Par ailleurs, le slogan actuel de la société Layher, " Plus de possibilités. Le système d'échafaudage ", est clairement distinct, de sorte qu'aucune confusion n'est possible. La société Layher ne prouve par ailleurs pas que sa notoriété soit restée particulièrement attachée au slogan en cause, qu'elle indique elle-même n'avoir utilisé que pendant six années, de 1996 à 2002.

La société Layher allègue en outre que la société Alfix aurait cherché à se placer dans son sillage en imitant sa charte graphique. Il est tout d'abord souligné que la pièce fournie par l'appelante pour appuyer ce moyen reproduit la page internet de la société Alfix Systemtechnik GmbH, dont les liens avec la société Alfix France, bien que probables, ne sont pas établis avec précision. Quoi qu'il en soit, le site internet d'une société tierce ne saurait mettre en cause la société Alfix France. Au surplus, l'examen des chartes graphiques ne révèle aucune similitude de nature à causer un risque de confusion dans l'esprit du client, dès lors que les couleurs diffèrent (association bleu/jaune et bleu/orange), et que les identités visuelles des deux marques (logo, calligraphie) sont nettement distinctes.

Il ressort de toutes ces constatations qu'aucun des moyens allégués par la société Layher pour prouver un comportement déloyal et parasitaire de la société Alfix ne peut être retenu.

Sur les demandes de la société Layher :

Aucune pratique fautive de la société Alfix France n'étant prouvée, et la concurrence déloyale n'étant pas caractérisée, la demande d'indemnisation de préjudice de la société Layher est infondée et doit être rejetée. De la même manière, il n'y pas lieu d'ordonner une expertise qui viserait à estimer le préjudice allégué par la société Layher. Les autres demandes de cette dernière, visant à la cessation du trouble allégué et à la publicité de la décision, sont pareillement sans objet et en conséquence rejetées.

Sur la demande de la société Alfix :

La société Alfix France demande une indemnité de 10 000 euro, alléguant que la procédure dirigée contre elle par la société Layher est abusive. Elle ne démontre cependant pas le caractère abusif de la procédure. Elle n'allègue en outre aucun préjudice distinct. Elle ne peut obtenir le remboursement de ses frais irrépétibles que sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile. Par conséquent, cette demande est rejetée.

Sur les demandes additionnelles :

La société Layher, succombante, sera condamnée aux dépens.

L'équité commande l'application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile au profit de la société Alfix France, pour la somme de 2 500 euro.

L'équité ne commande pas l'application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile au profit de la société Layher.

Par ces motifs, LA COUR, Dit n'y avoir lieu à écarter des débats les pièces numéros 27,28, 29,30, 42,43 et 44, Confirme le jugement rendu le 15 mai 2015, par la 2ème chambre commerciale du Tribunal de Grande Instance de Strasbourg, Y ajoutant, Condamne la société Layher aux entiers dépens, Condamne la société Layher à payer à la société Alfix France la somme de 2 500 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile, Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de la société Layher.